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1. Introduction

Le syndrome de Williams (SW) est une maladie génétique rare (1 sur 10000 ou 30000 ou 75000 naissances en fonction des études, voir Strømme, Bjørnstad et Ramstad, 2002) causée par une microdélétion sur le bras long du chromosome 7 (7q11.23) qui se traduit par la perte d’environ 16 à 25 gènes (Scherer et Osborne, 2007) entraînant des particularités médicales et des profils neuropsychologiques spécifiques. Au niveau cognitif, les personnes SW présentent un quotient intellectuel (QI) situé entre 40 et 90 avec un QI moyen de 55 (Bellugi, Lichtenberger, Jones, Lai et St-George, 2000; Mervis, Morris, Bertrand et Robinson, 1999). Le profil neuropsychologique se caractérise globalement par des capacités langagières supérieures aux capacités non langagières. Il est à noter qu’il existe des dissociations au sein même des différents domaines (Karmiloff-Smith et al., 2004). Plus précisément, malgré un bon niveau de vocabulaire (Bellugi, Marks, Bihrle et Sabo, 1993; Levine, 1993), les personnes SW présentent des spécificités dans l’installation du langage oral, notamment au niveau morphosyntaxique et de la production lexico-sémantique (Brock, 2007). Par ailleurs, une autre spécificité des personnes SW concerne le traitement des informations visuelles (détails, parties d’objets, etc.), qui seraient traitées préférentiellement de manière locale plutôt que globale (Fayasse et Thibaut, 2003). D’ailleurs, ils présentent également des déficits dans le développement des traitements visuospatiaux (Dessalegn, Landau et Rapp, 2013). Nous retrouvons ces résultats dans les recherches en neuro-imagerie structurelle et fonctionnelle conduites avec des personnes SW (Atkinson et al., 2003; Hoffman, Landau et Pagani, 2003; Landau et Hoffman, 2005; Meyer-Lindenberg et al., 2006).

La lecture repose sur la coordination d’un grand nombre de processus et de capacités distinctes (Vellutino, Fletcher, Snowling et Scanlon, 2004). Le modèle développemental de Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Ziegler (2001) décrit les deux procédures d’identification des mots écrits chez les lecteurs experts. D’une part, la procédure indirecte, ou d’assemblage, consiste à identifier le mot en utilisant les correspondances graphophonologiques. Ce décodage phonologique comprend la segmentation du mot en ses différents graphèmes, la conversion graphèmes-phonèmes qui lui correspond et enfin la fusion des différents phonèmes afin d’accéder à la prononciation du mot (Anthony et al., 2006; Anthony, Williams, McDonald et Francis, 2007). La procédure directe, ou d’adressage, désigne quant à elle une récupération des connaissances orthographiques stockées dans le lexique mental. Cette récupération rend la lecture plus rapide et plus efficace (notamment pour la lecture des mots irréguliers familiers). Différentes recherches confirment chez les personnes SW la pertinence de ce modèle à double voie (Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Ziegler, 2001) dans la compréhension des stratégies mises en oeuvre par les lecteurs (Barca, Bello, Volterra et Burani, 2010; Castles, Bates, Coltheart, Luciano et Martin, 2006; Ziegler et al., 2008).

Globalement, les premières études réalisées auprès des personnes SW soulignent que la lecture est l’un des apprentissages les mieux installés. En effet, il est démontré qu’au cours d’un suivi longitudinal de 23 jeunes adultes SW d’âge moyen de 21 ans et 9 mois, il existe une amélioration relative du niveau de lecture au cours du développement, soulignant des capacités d’apprentissage (Udwin, Davies et Howlin, 1996). Cependant, leurs performances aux tâches d’évaluation des compétences en lecture demeurent toujours inférieures à celles de contrôles de même âge chronologique (Pagon, Bennett, LaVeck, Stewart et Johnson, 1987), mais équivalentes aux contrôles de même âge mental (Barca, Bello, Volterra et Burani, 2010; Garayzábal et Cuetos, 2008; Howlin, Davies et Udwin, 1998; Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001) et de même âge de lecture (Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith, 2013).

De façon générale, les travaux suggèrent des difficultés d’installation des voies d’identification des mots écrits chez les personnes SW. Ainsi, les résultats de travaux récents montrent un recours plus systématique à la voie d’assemblage chez les personnes SW. Par exemple, dans le cadre d’une étude réalisée auprès de 12 enfants et adolescents SW d’âge moyen de 12 ans (entre 8 et 15 ans), Garayzábal et Cuetos (2008) indiquent que ceux-ci ont des performances similaires à leur âge mental en termes de précision, mais qu’ils sont plus lents dans la lecture des mots et des pseudo-mots. L’étude de cas de Barca, Bello, Volterra et Burani (2010), réalisée avec une adolescente de 13 ans et 8 mois, indique un niveau de précision en lecture proche de celui d’enfants de 8-9 ans, mais un temps de lecture plus important. Ces résultats suggèrent que les personnes SW présentent plutôt des difficultés dans l’installation de la lecture par procédure d’adressage et n’ont pas de déficit dans l’installation de la conversion graphème-phonème (Barca, Bello, Volterra et Burani, 2010; Dessalegn, Landau et Rapp, 2013; Garayzábal et Cuetos, 2008; Howlin, Davis et Udwin, 1998; Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith, 2013). Pour autant, d’autres recherches évoquent également des difficultés dans la mise en place de la lecture par assemblage. Ainsi, certains auteurs constatent que les personnes SW produisent plus d’erreurs dans la lecture de non-mots que des contrôles de même âge mental (Garayzábal et Cuetos, 2008; Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Pagon, Bennett, LaVeck, Stewart et Johnson, 1987; Temple, 2003). Temple (2003) observe, chez une adolescente SW âgée de 13 ans, des erreurs de lecture de types sémantiques (lire «bleu» pour «vert»), visuelles (lire «chat» pour «chut») et morphologiques (lire «chanter» pour «chanteur»), et des erreurs de lexicalisation (lire «lapin» pour «lpnei») dans la lecture de non-mots; ce qui l’amène à évoquer une proximité avec les enfants présentant une dyslexie phonologique. Menghini, Verucci et Vicari (2004) émettent la même hypothèse en soulignant des similarités entre le fonctionnement cérébral des personnes SW et celui des dyslexiques (Tomaiuolo et al., 2002).

L’hétérogénéité des résultats peut être expliquée par un certain nombre de biais relevés dans les études antérieures. En effet, plusieurs études telles que celle de Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith (2001) incluent des lecteurs, mais également des non-lecteurs dans leur échantillon. Il est donc difficile de déterminer si les résultats sont altérés par les performances de ces non-lecteurs. La plupart des études admettent des participants SW qui présentent différents niveaux de lecture. Il est donc préférable d’apparier chaque personne SW à des groupes contrôles de même niveau de lecture. De même, Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith (2001) soulèvent l’importance des tâches utilisées en raison de leurs exigences métacognitives et de leurs complexités induisant un «effet plancher» dans les performances des personnes SW.

Pour comprendre ce qui pourrait être à l’origine des difficultés d’installation de la lecture chez les personnes SW, trois hypothèses explicatives peuvent être avancées. Cependant, le profil neuropsychologique spécifique des personnes SW et la forte hétérogénéité (Porter et Coltheart, 2005) de cette population amènent à être prudents quant à l’origine des difficultés d’installation de la lecture.

Historiquement, l’hypothèse de départ se basait sur le niveau d’efficience intellectuelle des personnes SW: tous les individus SW ne sont pas en mesure d’apprendre à lire (Howlin, Davis et Udwin, 1998; Pagon, Bennett, LaVeck, Stewart et Johnson, 1987; Udwin, Yule, et Martin, 1987). Pour certains auteurs, seules les personnes SW présentant un retard intellectuel léger pourraient être capables de lire de manière adéquate (Howlin, Davis et Udwin, 1998; Udwin, Yule et Martin, 1987). Howlin, Davis et Udwin (1998) indiquent que sur 67 adultes SW (QI entre 50-69), seuls 47 participants sont capables de lire, mais à un niveau très faible et équivalent à leur âge mental. En effet, l’âge moyen de lecture est de 8 ans et 8 mois.

Pour autant, des résultats plus récents (Laing, 2002; Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001; Levy, Smith et Tager-Flusberg, 2003; Majerus, Palmisano, Van Der Linder, Barisnikov et Poncelet, 2003; Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith, 2013) suggèrent qu’il n’y aurait pas de liens entre le niveau d’efficience intellectuelle des personnes SW et leurs possibilités d’installation des habiletés en lecture.

Plus récemment, deux hypothèses plus spécifiques semblent être privilégiées. La première hypothèse s’appuie sur les résultats des études sur l’apprentissage ordinaire de la lecture qui montrent la nécessité pour l’apprenti lecteur de disposer d’un certain niveau de conscience phonologique (aptitude à manipuler les unités phonologiques de la langue). Les études sur les causes des difficultés de lecture chez les personnes SW se sont inscrites dans cette tendance générale en explorant le développement de leurs compétences phonologiques (Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001; Levy, Smith et Tager-Flusberg., 2003; Majerus, Palmisano, Van Der Linder, Barisnikov et Poncelet, 2003; Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Temple, 2003). Certaines de ces recherches indiquent que les personnes SW présentent des difficultés phonologiques qui pourraient être à l’origine des difficultés d’installation de la lecture. Ainsi, les études montrent des performances similaires aux tâches de conscience syllabique (sauf de suppression syllabique), mais inférieures aux tâches de conscience phonémique entre les personnes SW et les contrôles de même âge chronologique (Majerus, Palmisano, Van Der Linden, Barisnikov et Poncelet, 2001).

Lorsque nous comparons leurs performances à celles de sujets contrôles de même âge mental, nous observons que les compétences en lecture des personnes SW semblent de même niveau malgré des difficultés dans les tâches phonologiques telles que la suppression de phonème ou le jugement de rime (Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001; Menghini, Verucci et Vicari, 2004). Par ailleurs, les auteurs préfèrent maintenant comparer les performances des personnes SW à celles de sujets de même niveau de lecture. L’étude de Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith (2013) auprès de jeunes enfants SW âgés de 4 à 8 ans indique que les performances de conscience phonologique des personnes SW sont similaires à celles du groupe contrôle de même niveau de lecture. Or, les résultats de ces recherches ne semblent pas faire état d’un déficit phonologique. Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith (2001), dans une étude menée auprès de 15 personnes SW de 15 ans et 1 mois en moyenne (entre 9 et 27 ans et 7 mois), montrent que les personnes SW ont des performances hétérogènes dans les tâches mesurant les habiletés phonologiques et que ces performances ont un impact sur leur niveau de lecture. Par exemple, Menghini, Verucci et Vicari (2004), par le biais d’une étude menée auprès de 16 personnes SW âgées de 10 ans et 9 mois à 30 ans et 2 mois, montrent que les personnes SW présentent quelques difficultés phonologiques seulement dans les tâches de suppression de syllabe et de détection de rime. Le dernier résultat démontre la nécessité d’une utilisation différente des voies de lecture. De fait, si les difficultés d’apprentissage de la lecture des personnes SW ne sont pas imputables à un déficit phonologique, il est nécessaire d’explorer d’autres hypothèses explicatives. Notons que, dans plusieurs études, l’échantillon est composé d’individus avec un grand écart d’âge développemental. Ces écarts peuvent induire une grande hétérogénéité dans le développement de l’apprentissage de la lecture chez les personnes SW (Levy, Smith et Tager-Flusberg, 2003). D’ailleurs, les personnes SW ont un niveau plus élevé de familiarisation à la lecture par rapport à leur groupe contrôle d’âge mental. Or, une exposition prolongée à la langue écrite est favorable à la mise en place de la lecture. Il est d’ailleurs démontré que des personnes SW qui sont le plus exposées à la langue écrite présentent quelques compétences dans la lecture de mots malgré des capacités cognitives globales fragiles (Menghini, Verucci et Vicari, 2004).

La dernière hypothèse avancée est celle d’un déficit au niveau des traitements visuospatiaux. Cette hypothèse prend appui également sur des liens démontrés dans l’apprentissage ordinaire entre de telles habiletés et la mise en place des capacités de reconnaissance des mots écrits, notamment de la procédure d’adressage (Dilks, Landau et Hoffman, 2008). Comme nous l’avions évoqué plus haut, des études ont constaté des déficits visuospatiaux chez les personnes SW (Landau, 2011; Landau, Hoffman et Kurz, 2006; O’Hearn et al., 2011; O’Hearn, Landau et Hoffman, 2005; Dessalegn, Landau et Rapp, 2013; Hoffman, Landau et Pagani, 2003). Les difficultés observées dans ces tâches visuoconstructives (tests des cubes) sont expliquées par un «effet cascade» (Hoffman, Landau et Pagani, 2003) sur différents niveaux des processus visuospatiaux. En effet, ces tâches s’appuient sur différentes habiletés visuospatiales qui sont déficitaires chez les personnes SW (Hoffman, Landau et Pagani, 2003). Plus précisément, il n’existe pas un seul déficit des fonctions visuospatiales qui explique les difficultés des personnes SW aux tâches visuoconstructives des cubes (tâche de reproduction d’un motif visuel cible par assemblage d’un ensemble de cubes, Differential Abilities Scale; Elliot, 1990), mais une combinaison de plusieurs déficits visuospatiaux ou «effet en cascade». Concernant plus spécifiquement la lecture, Dessalegn, Landau et Rapp (2013) observent des différences au niveau de la maîtrise de la lecture chez deux adolescents SW de 16 ans, malgré une efficience intellectuelle et une conscience phonologique équivalente. Le niveau de lecture de ces deux adolescents différait en effet de plus de cinq niveaux scolaires. Ce décalage est expliqué par des capacités de traitement visuospatial différenciées, le moins bon lecteur échouant massivement aux tâches visuospatiales. Ces résultats corroborent ceux des études menées auprès de lecteurs atypiques (dyslexie de surface, voir Valdois, 2005, 2010) qui indiquent qu’un déficit visuospatial impliquerait des difficultés dans le stockage des instances orthographiques en mémoire, entravant l’installation de la voie directe. En effet, l’apprentissage ordinaire de la lecture nous informe que la mise en place de la voie directe nécessite la mémorisation et le stockage d’informations orthographiques dans le lexique mental (Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Ziegler, 2001). Ainsi, les déficits dans le traitement visuospatial pourraient entraver l’accès à la voie directe et, par conséquent, l’automatisation de la lecture (mise en place de la voie indirecte et directe) chez les lecteurs SW.

Il convient donc de poursuivre les études sur l’apprentissage de la lecture chez les personnes SW. Dans la lignée de l’étude de Dessalegn, Landau et Rapp (2013), notre objectif est de préciser si dans le SW les difficultés d’installation de la lecture pourraient s’expliquer par des déficits visuospatiaux. Plus précisément, nous supposons que les personnes SW présentant des déficits visuospatiaux auraient plus de difficultés à stocker des instances orthographiques en mémoire, ce qui freinerait l’automatisation de la lecture. Par ailleurs, nous allons également mesurer les habiletés phonologiques et mnésiques. En effet, les travaux sur la lecture évoquent un lien entre les habiletés de décodage et la boucle phonologique chez les personnes SW (Kittler, Krinsky-McHale et Devenny, 2008; Sampaio, Sousa, Férnandez, Henriques et Gonçalves, 2008). Nous supposons donc également que les personnes SW échouent aux tâches mesurant le traitement phonologique, car elles sont très chargées en mémoire.

2. Méthodologie

2.1 Participants (cf. tableau 1)

Quatorze personnes (dont 10 filles et 4 garçons) porteuses du SW ont participé à cette étude (nommés SW1 à SW14). Pour tous, le diagnostic du SW, résultant d’une microdélétion 7q11.23, a été établi par la méthode de FISH (Fluorescent In Situ Hybridation). Huit participants ont été recrutés à l’aide de l’association «Autour des Williams» et six grâce à certains centres de génétiques français. Le groupe de participants est âgé de 7 ans et 7 mois à 34 ans (M1 = 16 ans et 3 mois, ET1 = 8.34). Les caractéristiques des participants sont précisées dans le Tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques des participants SW[1]

Caractéristiques des participants SW1

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des participants SW1

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Compte tenu des objectifs de l’étude, il a été retenu d’apparier les personnes SW avec des individus typiques de même âge de lecture. Nous avons déjà indiqué que les études récentes utilisent un appariement suivant l’âge de lecture plutôt que l’âge mental (Garayzábal et Cuetos, 2008; Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith, 2013). Le niveau de lecture des participants des deux groupes a donc été calculé à partir de leurs performances au test de décodage de l’Alouette (Lefavrais, 1967). Ce test permet de fournir des éléments sur le niveau, la vitesse et la précision de lecture. Pour cela, le participant doit lire à voix haute le texte de l’Alouette, non compréhensible, en 3 minutes maximum.

Le groupe contrôle est également composé de quatorze participants (dont 10 filles et 4 garçons) de même âge lexique (M2 =  6 ans et 6 mois, ET2 = 0.64). Les participants du groupe contrôle sont âgés de 6 ans et 2 mois à 8 ans et 6 mois (M2 = 6 ans et 10 mois, ET2 = 0.83). Afin d’écarter la présentation des troubles du langage écrit pour les sujets de ce groupe, il a été décidé de ne pas inclure d’enfants présentant plus de 18 mois de retard en lecture (indicateur de la persistance des troubles pour les enfants dyslexiques, Inserm, 2007). Les niveaux de lecture moyen des groupes contrôle et des personnes SW sont respectivement de: M2 = 6 ans et 6 mois (ET2 = 0.64) et, M1 = 6 ans et 6 mois (ET1 = 0.63). Un test statistique non paramétrique de comparaison de moyenne (test t de Kruskal-Wallis pour échantillons indépendants) indique que les résultats entre les deux groupes appariés (SW et contrôle de même âge de lecture) ne sont pas différents pour le niveau de lecture (p = 0.946, p >.05).

Par ailleurs, le niveau d’efficience intellectuelle des participants a été contrôlé à partir de leurs performances à la tâche de raisonnement non verbal des matrices progressives colorées de Raven (Raven, Court et Raven, 1998). En effet, nous avons indiqué préalablement dans l’article que les personnes SW présentent une déficience intellectuelle légère à modérée. Tenant compte de cette spécificité, nous avons calculé le niveau d’âge mental moyen de notre échantillon SW: M1 = 6 ans et 3 mois, ET1 = 0.08. Les enfants du groupe contrôle présentent une efficience intellectuelle dans les normes. Nous avons écarté de ce groupe des enfants présentant une différence de plus ou moins 6 mois entre leur âge chronologique et leur âge mental. Les sujets des deux groupes se distinguent sur cet indicateur: M2 = 7 ans et 6 mois, ET2 = 0.03. Un test statistique non paramétrique de comparaison de moyenne (test t de Kruskal-Wallis pour échantillons indépendants) indique que les résultats sont inférieurs chez les personnes SW par rapport au groupe contrôle de même âge mental (p = 0.024, p <.05).

Nous nous sommes par ailleurs assurées auprès des parents que les enfants ne présentaient pas de troubles particuliers. Pour cela, il leur était demandé de remplir le questionnaire de renseignement d’évaluation des fonctions cognitives et apprentissages (EDA, batterie de la BREV de Billard et Touzin, 2012), informant sur les antécédents médicaux (p. ex. traumatisme crânien, difficulté cardiaque, etc.), les difficultés et les prises en charge éventuelles des enfants (psychologie, psychomotricité, ergothérapie, orthophonie, ORL, ophtalmique et orthoptiste).

Enfin, tous les participants étaient de langue maternelle française (unique langue pratiquée au domicile) et scolarisés en France (établissements ordinaires ou spécialisés). Ils ont donc tous bénéficié d’un enseignement de la lecture.

2.2 Matériel et procédure

Afin de tester l’hypothèse d’un déficit du traitement visuospatial, nous avons confronté les participants des deux groupes à différentes catégories d’épreuves faisant toutes parties de la batterie de L2MA2 (Chevrie-Muller, Maillart, Simon et Fournier, 2010). La batterie du L2MA2 semblait adaptée aux spécificités intellectuelles des personnes porteuses de SW (tests courts, administration rapide, consignes simples et courtes, etc.) en nous permettant d’explorer un large panel de capacités cognitives impliquées dans l’acte de lire.

2.2.1 Habiletés phonologiques

La conscience phonologique a été mesurée par quatre épreuves issues de la batterie de L2MA2: Identification phonémique initial (identifie le premier son du mot /poub/); identification phonémique médian (identifie le son du milieu du mot /panr/); substitution du phonème initial (change la première lettre /v/ du mot /vour/ par la lettre /m/); substitution du phonème médian (change la lettre du milieu /a/ du mot /kat/ par la lettre /u/). La réussite à chaque épreuve est comptabilisée sur 5 points, sauf pour les deux derniers sous-tests qui sont sur 10 points. Le calcul d’un score total de conscience phonémique se fait par l’association des scores obtenus par le participant à chacune de ces épreuves (total sur 30 points).

2.2.2 Habiletés mnésiques

Les participants ont également été soumis à une tâche d’évaluation des habiletés mnésiques. L’ajout de cette mesure se justifie par le fait que les autres mesures effectuées sollicitent beaucoup la mémoire à court terme ou la mémoire de travail (Delage et Frauenfelder, 2012). Or les personnes SW peuvent présenter des difficultés mnésiques, notamment concernant la mémoire de travail (Vicari, Brizzolara, Carlesimo, Pezzini et Volterra, 1996; Vicari, Carlesimo, Brizzolara et Pezzini, 1996). Pour évaluer les habiletés mnésiques, nous avons utilisé le test de répétition de chiffres (endroit et envers) du L2MA2 (Chevrie-Muller, Maillard, Simon et Fournier, 2010). Les participants devaient répéter plusieurs listes de chiffres allant de deux à six unités soit dans le même ordre que celui donné par l’expérimentateur (condition endroit), soit dans l’ordre inverse (condition envers). Ainsi, nous avons évalué les habiletés de mémoire phonologique à court terme ou de mémoire de travail verbale.

2.2.3 Habiletés visuospatiales

Pour évaluer les capacités visuospatiales, nous avons utilisé deux tests. Premièrement, le test de copie de figures géométriques du L2MA2 (Chevrie-Muller, Maillard, Simon et Fournier, 2010) nous a permis d’évaluer les habiletés perceptivo-motrices et visuospatiales des participants. Cette tâche consiste à demander aux participants de reproduire quinze figures géométriques (score total de 46 points).

Deuxièmement, nous avons utilisé le test de «barrage des cloches» de l’ODEDYS (Jacquier-Roux, Valdois et Zorman, 2005) afin d’évaluer les capacités visuoattentionnelles, visuospatiales, et les stratégies de balayage visuel. Les participants ont deux minutes pour retrouver et barrer 35 cibles (cloches) présentées sur une feuille A4 parmi 112 distracteurs visuels.

3. Résultats

Les performances obtenues par les enfants des deux groupes aux mesures des habiletés phonologiques, mnésiques et visuospatiales vont être mises en relation avec leur niveau de maîtrise de la lecture (scores obtenus au test de l’Alouette). L’objectif sera de voir si ce sont les mêmes habiletés qui sont liées à la mise en place de la lecture dans nos deux groupes de sujet.

Le traitement statistique des données a été réalisé avec le logiciel SPSS. D’abord, nous avons effectué un test statistique non paramétrique de comparaison de moyenne (test t de Kruskal-Wallis pour échantillon indépendant). Nous comparons ainsi les scores obtenus à chacune des épreuves par les participants des deux groupes (SW et contrôle). Puis, nous avons réalisé deux analyses de corrélation (une pour chaque groupe de sujets) en intégrant les scores obtenus au test de l’Alouette et les scores obtenus aux différentes mesures des habiletés cognitives retenues pour notre étude. Nous avons utilisé le test non paramétrique de corrélation du Rho de Spearman qui permet de mesurer le degré et le sens de la relation entre deux variables. Ces mesures nous permettront de préciser s’il existe un lien corrélationnel entre les habiletés visuospatiales, phonologiques et mnésiques, et le niveau de lecture dans les deux groupes (SW et contrôle).

3.1 Résultats de comparaison de moyenne entre les personnes SW et le groupe contrôle (cf. figures 1, 2 et 3) (M1 et ET1 = moyenne et écart type des SW; M2 et ET2 = moyenne et écart type des contrôles)

3.1.1 Habileté phonologique (cf. figure 1)

Il existe une différence entre le groupe SW et le groupe contrôle dans les performances obtenues aux tests d’évaluation des habiletés phonologiques (M1 = 16.57, ET1 = 10.37; M2 = 25.29, ET2 = 5.46). Nous remarquons cependant que, dans les deux échantillons, il existe une grande hétérogénéité dans les performances obtenues aux tâches d’évaluation du niveau de conscience phonologique, et ce, d’autant plus pour le groupe des personnes SW. Les analyses statistiques confirment que les personnes SW ont des performances phonologiques significativement inférieures à celles obtenues par le groupe contrôle de même âge de lecture (p = 0.016, p <.05). Si nous regardons tâche par tâche, les analyses confirment des différences significatives pour les tâches les plus complexes entre les deux groupes pour les tâches d’identification du phonème médian (M1 = 2.36, ET1 = 2.02; M2 = 3.86, ET2 = 1.61; p = 0.050, p <.05) et de substitution du phonème initial (M1 = 5.07, ET1 = 3.60; M2 = 8.57, ET2 = 2.24; p = 0.009, p <.05).

Figure 1

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (Contrôles AL) pour le test de traitement phonologique

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (Contrôles AL) pour le test de traitement phonologique

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3.1.2 Habileté mnésique (cf. figure 2)

Il existe des différences dans les performances aux tests de mémoire. Le test de comparaison de moyenne indique en effet des résultats inférieurs pour les personnes SW concernant les tâches d’empan endroit (M1 = 3.79, ET1 = 1.05; M2 = 4.86, ET2 = 1.29; p = 0.050, p <.05) et envers (M1 = 0.86, ET1 = 1.03; M2 = 2.21, ET2 = 1.48; p = 0.011, p <.05).

Figure 2

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (contrôles AL) pour les tests de mémoire endroit et envers

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (contrôles AL) pour les tests de mémoire endroit et envers

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3.1.3 Habileté visuospatiale (cf. figure 3)

Il existe des différences entre les performances obtenues par les sujets des deux groupes aux tests mesurant les habiletés visuospatiales. En effet, concernant le test de copie de figures géométriques, les personnes SW présentent des résultats significativement inférieurs au groupe contrôle de même âge de lecture (M1 = 10.57, ET1 = 5.60; M2 = 27.71, ET2 = 5.59; p = 0.000, p <.05).

En revanche, il n’existe aucune différence entre les deux groupes aux tests évaluant les habiletés visuoattentionnelles. Ainsi, pour le test du barrage des cloches, il n’existe pas de différence significative entre les performances obtenues par les participants des deux groupes (M1 = 26, ET1 = 5.26; M2 = 25.79, ET2 = 5.01; p = 0.635, p >.05).

Figure 3

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (Contrôles AL) pour les tests de Figure géométrique et de Barrage des cloches

Graphique représentant les pourcentages de réussite (calculés à partir des moyennes des scores bruts obtenus) et les différences significatives entre les moyennes (*p<.05) des groupes SW et contrôles typiques appariés suivant l’âge de lecture (Contrôles AL) pour les tests de Figure géométrique et de Barrage des cloches

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3.2 Corrélation des résultats entre le niveau de lecture et les mesures des différentes habiletés cognitives (cf. tableau 2)

Dans le groupe des personnes SW, les résultats indiquent une corrélation significative positive entre le niveau de lecture et certaines tâches mesurant les habiletés phonologiques: suppression syllabique (r = 0.666, p>.05), identification du phonème initial (r = 0.540, p >.05) et médian (r = 0.700; p >.05), substitution du phonème initial (r = 0.672; p >05) et médian (r = 0.721; p >.05). En d’autres termes, plus le niveau de lecture est élevé et plus les performances de conscience phonémique sont élevées, et inversement.

Par ailleurs, nous avons également mis en évidence un lien significatif positif entre le niveau de lecture et les scores obtenus à la tâche de mémoire endroit (r = 0.784; p >.05). En effet, plus les performances mnésiques sont élevées et plus le niveau de lecture est élevé, et inversement.

Enfin, nous avons surtout mis en évidence un lien significatif positif entre le niveau de lecture et les scores obtenus à la tâche de copie de figures géométriques (r = 0.584; p>.05). En effet, moins le niveau de lecture est élevé et moins les performances visuospatiales sont élevées, et inversement.

Pour le groupe contrôle, aucune corrélation significative entre le niveau de lecture et les autres habiletés cognitives mesurées n’est indiquée.

Tableau 2

Analyses corrélationnelles des groupes contrôles AL et SW entre les compétences de lecture et les habiletés cognitives mesurées

Analyses corrélationnelles des groupes contrôles AL et SW entre les compétences de lecture et les habiletés cognitives mesurées

**p < .01 et * p < .05

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Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’il existe chez les personnes SW des corrélations significatives positives entre les tâches mnésiques d’empan endroit et les tâches phonologiques de suppression syllabique (r = 0.695; p <.05), d’identification du phonème initial (r = 0.653; p <.05) et de substitution du phonème initial (r = 0.725; p <.05). En d’autres termes, chez les personnes SW, plus les performances dans la tâche d’empan endroit sont élevées et plus les performances dans certaines tâches phonologiques sont élevées, et inversement. Chez les sujets contrôles, il existe seulement une corrélation significative positive entre les performances à la tâche d’empan envers et celles obtenues à la tâche de substitution du phonème initial (r = 0.563; p <.05). Ainsi, plus les performances dans la tâche d’empan envers sont élevées et plus les performances dans celle de substitution du phonème initial sont élevées.

4. Discussion

Le profil neuropsychologique spécifique et singulier des personnes SW amène à explorer plus spécifiquement l’impact des déficits visuospatiaux dans la mise en place des habiletés de lecture, suivant la lignée de l’étude de Dessalegn, Landau et Rapp (2013).

En conformité à ce qui est généralement observé dans la littérature, nos résultats confirment des difficultés d’installation de la lecture chez les personnes porteuses du SW. Il semble que les personnes SW mettent non seulement plus de temps à installer les procédures d’identification des mots écrits, mais que leur installation reste incomplète. En effet, nos observations nous ont permis de confirmer que même après plus de huit ans de confrontation à l’écrit, les personnes SW ont un niveau de lecture qui correspond à celui d’un enfant lecteur débutant (niveau CP – première année de confrontation à l’écrit ou niveau CE1 – deuxième année de confrontation à l’écrit, voir Ecalle et Magnan, 2015). Ces résultats vont dans le même sens que ceux d’autres études réalisées dans d’autres langues que le français (Barca, Bello, Volterra et Burani, 2010; Garayzábal et Cuetos, 2008; Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001; Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Steele, Scerif, Cornish et Karmiloff-Smith, 2013). Dessalegn, Landau et Rapp (2013) avaient émis l’hypothèse que ces difficultés d’installation de la lecture pourraient provenir des déficits visuospatiaux fréquemment observés chez les personnes SW. Afin d’explorer plus finement cette hypothèse, nous avons ainsi choisi d’explorer deux dimensions: les habiletés visuospatiales au travers de la tâche de copie de figures géométriques et les habiletés visuoattentionnelles à l’aide du test de barrage des cloches. Nous faisons donc l’hypothèse, tout comme Dessalegn, Landau et Rapp (2013), qu’un déficit visuospatial serait à l’origine des difficultés d’installation de la lecture.

Nos résultats semblent aller en ce sens. En effet, nous observons que les sujets du groupe SW présentent des difficultés visuospatiales alors qu’aucune difficulté de cette nature n’est observée pour les sujets du groupe contrôle de même âge de lecture. Nous retrouvons des résultats similaires dans de nombreuses études en neuroimagerie cérébrale indiquant des déficits des processus visuospatiaux chez les personnes SW (Meyer-Lindenberg et al., 2004; Van Essen et al., 2006; Faria et al., 2012; Marenco et al., 2007).

Plus précisément, nous observons également des corrélations entre les performances obtenues par les personnes SW à la tâche visuospatiale et leurs performances en lecture (scores obtenus au total REG du BELEC – lecture isolée de mots réguliers et irréguliers). Les personnes SW qui ont échoué le plus à cette tâche sont aussi celles qui présentent les moins bons niveaux de lecture. Une telle corrélation n’est, en revanche, pas observée pour les sujets du groupe contrôle. Ainsi, malgré un niveau de lecture équivalent, il semble que ce ne soit pas les mêmes habiletés qui soient impliquées dans les performances en lecture de nos deux groupes de sujets. Les habiletés visuospatiales semblent donc pouvoir interférer dans la mise en place de la lecture chez les personnes SW. Il sera nécessaire de faire des mesures complémentaires (par exemple en réalisant une étude longitudinale) pour comprendre en quoi ce déficit visuospatial entrave la mise en place des habiletés en lecture. Une première hypothèse pourrait être que ces déficits jouent sur la mise en place de la lecture par adressage. En effet, la lecture par adressage nécessite que le lecteur dispose d’information orthographique en mémoire. Or, le stockage de ces informations est dépendant des traitements visuels des mots qui vont pouvoir être réalisés par les apprentis lecteurs. Dans ce sens, Fayasse et Thibaut (2003) nous rappellent que les personnes SW ont davantage recours à un traitement local de l’information visuospatiale plutôt que global. Cette particularité pourrait venir entraver leur installation de ces représentations orthographiques globales.

Il conviendra également de préciser la nature des déficits visuospatiaux des personnes SW pour mieux comprendre leurs impacts dans l’apprentissage de la lecture. L’exploration des habiletés visuoattentionnelles et de leurs liens avec la mise en place de la lecture nous permet déjà de conclure que ce n’est pas un déficit visuoattentionnel qui serait à l’origine des difficultés en lecture des personnes SW. En effet, une composante attentionnelle pourrait expliquer les difficultés visuospatiales impliquées lors de la lecture. Plusieurs études en neuroimagerie indiquent d’ailleurs un lien entre les processus attentionnels et visuospatiaux chez les personnes SW (Meyer-Lindenberg et al., 2004; Van Essen et al., 2006; Faria et al., 2012; Marenco et al., 2007). Nos résultats n’indiquent pas de difficultés chez les personnes SW et chez les contrôles des processus visuoattentionnels. Nous pouvons donc suggérer que le déficit des habiletés visuospatiales n’est pas imputable à des spécificités attentionnelles. Ainsi, il serait intéressant d’explorer plus en détail les différents types de processus visuospatiaux afin de repérer leurs rôles et leurs interactions dans l’acquisition de la lecture chez les personnes SW. En effet, nous avons déjà évoqué qu’il n’existe pas un seul déficit des fonctions visuospatiales chez les personnes SW, mais plutôt, un «effet en cascade» de plusieurs combinaisons de ces déficits (Hoffman, Landau et Pagani, 2003).

Si nous confirmons notre hypothèse d’un déficit visuospatial à l’origine des difficultés en lecture des personnes SW, nos analyses suggèrent que les difficultés d’installation de la lecture pourraient trouver plusieurs origines. Nos résultats montrent également une implication des habiletés phonologiques. Ainsi, les performances obtenues par les personnes SW à certaines tâches de conscience phonologique sont également corrélées aux performances en lecture, notamment les tâches d’identification et de substitution du phonème initial et médian. Par ailleurs, nous retrouvons que les personnes SW ont des difficultés pour les tâches d’identification du phonème médian (corrélées positivement au niveau de lecture), et de substitution du phonème initial et médian, par rapport aux contrôles typiques appariés en âge de lecture. Dès lors, nous pouvons nous demander si les difficultés phonologiques observées sont liées à un déficit phonologique réel ou de mémoire phonologique à court terme (tâches de mesure des habiletés phonologiques très chargées en mémoire). Nos résultats semblent se diriger vers un déficit de mémoire phonologique à court terme impliquant des difficultés dans les tâches phonologiques. En effet, nous avons remarqué que les consignes dans les tâches de traitement phonologique semblent très chargées en mémoire et donc complexes pour les personnes SW. De plus, les personnes SW ont des performances de mémoire phonologique supérieures à leur âge mental (Vicari, Carlesimo, Brizzolara, Pezzini et Volterra, 1996), mais inférieures à un âge verbal de 8 ans (Jarrold, Cowan, Hewes et Riby, 2004). Il existe donc une certaine variabilité dans les capacités de mémoire phonologique à court terme (Jarrold, Cowan, Hewes et Riby, 2004), appuyant toujours cette idée d’une forte hétérogénéité dans les profils cognitifs intra-individuels chez les personnes SW. Or, dans notre étude, nous montrons une corrélation positive chez les personnes SW entre les tâches mnésiques d’empan endroit (mémoire phonologique à court terme) et les tâches phonologiques d’identification et de substitution du phonème initial notamment. En d’autres termes, plus il existe un déficit de mémoire à court terme et plus les personnes SW semblent présenter des difficultés dans les tâches phonologiques. Nous pouvons mettre ces résultats en lien avec d’autres études qui indiquent que des fragilités de mémoire phonologique à court terme chez les personnes SW peuvent induire un déficit dans la récupération des informations via la boucle phonologique (Kittler, Krinsky-McHale et Devenny, 2008; Sampaio, Sousa, Férnandez, Henriques et Gonçalves, 2008). Il serait donc intéressant d’explorer plus en profondeur le lien entre les habiletés phonologiques et la mémoire chez les personnes SW avant de conclure à un déficit phonologique.

Fait intéressant, pour le groupe contrôle, nous observons une corrélation négative non significative entre le niveau de lecture et leurs performances aux tâches de conscience syllabique. Cependant, ces résultats ne sont pas en concordance avec les études sur le lien entre la conscience syllabique et phonémique avec un niveau de lecture de 6-7 ans (Chauveau, 2011; Ecalle et Magnan, 2015; Gombert et Colé, 2000). D’après ces études, plus le niveau de lecture est important et meilleures sont les performances syllabiques et phonémiques. Nous avons donc tenté d’expliquer ces résultats spécifiques. Notre explication s’appuie sur l’analyse plus précise du type d’erreurs commises par le groupe contrôle au subtest de suppression syllabique. Nos résultats indiquent des erreurs de type «suppression de la première ou dernière lettre» plutôt que de la «première ou dernière syllabe». Nous pouvons donc expliquer cette corrélation négative par le fait que notre groupe contrôle s’appuie plus, dans cette tâche, sur les connaissances orthographiques stockées en mémoire (lettre) plutôt que sur les syllabes (plus petite unité sonore du mot).

De façon plus générale, nous pouvons donc suggérer que les difficultés d’acquisition de la lecture chez les personnes SW semblent être liées à des déficits visuospatiaux, mais également phonologiques. Le profil cognitif singulier des personnes SW, que nous avons évoqué à travers nos résultats, pourrait expliquer que, dans le cas de la lecture, ce soit les habiletés visuospatiales qui posent problème. Cependant, il n’est pas impossible que d’autres déficits (p. ex. déficits mnésiques et/ou phonologiques dans notre échantillon SW) soient également en cause. Nous pouvons suggérer un déficit cognitif multidimensionnel pouvant être impliqué dans les difficultés de lecture. Des études complémentaires doivent être conduites afin de distinguer les poids respectifs de ces différentes habiletés cognitives. Seules ces études permettront de savoir si l’origine des difficultés en lecture est uniquement visuospatiale ou si les origines sont multifactorielles (déficits visuospatiaux et/ou phonologiques et/ou mnésiques). D’ailleurs, cette hypothèse multifactorielle peut être discutée en s’appuyant sur les travaux de Valdois (2005, 2010) concernant des enfants présentant un trouble spécifique du langage écrit: la dyslexie de surface. Selon cet auteur, l’hypothèse de difficultés visuospatiales n’est pas incompatible avec les résultats obtenus aux tâches phonologiques. En effet, les dyslexiques de surface présentent des difficultés dans le traitement visuospatial, mais également le traitement phonologique, tous deux impliqués dans la lecture. De plus, il est montré que certaines personnes dyslexiques ont des difficultés dans le traitement visuospatial qui pourraient fragiliser l’encodage, le stockage et le traitement de l’information visuelle des mots écrits dans la lecture (McCloskey et Rapp, 2000; Pflugshaupt et al., 2009).

Travailler sur des populations atypiques comme les personnes SW nous permet de mieux comprendre le développement des apprentissages ordinaires. Au regard des résultats de cette étude, nous pouvons retenir l’idée que, dans certaines populations de lecteurs en difficulté dans l’acquisition de la lecture, les déficits ne sont pas liés uniquement à un défaut d’installation de la conscience phonologique. En effet, notre résultat le plus intéressant concerne le lien fort entre le niveau de lecture et les habiletés visuospatiales chez les personnes SW. Il est donc primordial de bien identifier les causes des difficultés dans l’acquisition de la lecture pour proposer une prise en charge adaptée, et ce, quelle que soit la population étudiée. Une évaluation fine des habiletés cognitives est un atout pour une prise en charge la mieux ciblée possible. Si le déficit est plutôt visuospatial, la prise en charge devrait être ciblée sur cette dimension. Si le déficit est plutôt phonologique, la prise en charge orthophonique pourra être focalisée sur la mise en place de la conscience phonémique. Actuellement, une grande partie des dispositifs de remédiation en lecture proposés par les chercheurs se sont centrés sur les capacités phonologiques des lecteurs en difficultés (Bara, Gentaz et Colé, 2004; Ecalle, Magnan et Bouchafa, 2002; Zorman et Touzin, 1999). Pour le moment, l’efficacité de tels dispositifs n’a pas été testée expérimentalement avec des personnes SW. Il convient, là encore, de réaliser des études d’entraînements ciblés sur les déficits mis en avant afin de vérifier si ces dispositifs sont ajustés aux difficultés des apprenants. Dans la pratique, les personnes porteuses du SW bénéficient de nombreux accompagnements. Il est en ce sens regrettable qu’aucun des participants de notre échantillon ne bénéficie actuellement de prise en charge ciblée sur leur déficit visuospatial. Or, une remédiation visuospatiale serait sans doute profitable aux personnes SW.

Il était nécessaire que cette étude s’inscrive au-delà de la question de la déficience intellectuelle. À la lecture de nos résultats, il semble évident que l’amélioration des capacités de lecture nécessite un renforcement d’autres habiletés cognitives que les compétences phonologiques (Menghini, Verucci et Vicari, 2004; Laing, Hulme, Grant et Karmiloff-Smith, 2001). Toutefois, des mesures complémentaires doivent être réalisées pour préciser ces résultats et étudier leurs transférabilités vers la prise en charge des apprenants. Il conviendra également de corriger certains biais de notre étude qui nous invitent à la prudence dans nos conclusions. En effet, les âges chronologiques et développementaux de notre groupe de personne SW sont très étendus. Il existe ainsi une grande hétérogénéité dans nos résultats. Nous pouvons d’ailleurs nous demander si nos résultats proviennent d’un effet de groupe ou bien de spécificités propres au syndrome. En effet, cette étude ne permet pas de percevoir les spécificités des personnes SW (étude transversale). Par exemple, notre échantillon de personnes SW présente un grand empan d’âges chronologiques (7;7 à 27;8 ans). Ainsi, les effets du développement psychologique (p. ex. accès à l’abstraction mentale) et/ou biologique (p. ex. période de l’adolescence) induisent forcément des répercussions sur le développement des processus cognitifs, dont ceux impliqués dans l’acte de lire (vocabulaire, traitement phonologique et visuospatial, mémoire, attention, etc.). De plus, nous avons également un écart entre les âges chronologiques par rapport aux contrôles. De ce fait, certaines personnes SW de notre étude présentent une familiarisation avec l’écrit plus importante que notre groupe contrôle, ce qui peut introduire des biais. Une autre limite concerne l’utilisation de tâches trop complexes provoquant un «effet plancher» chez les personnes SW. Par exemple, les consignes des tâches de «conscience phonémique» sont parfois trop complexes pour être bien comprises par les personnes SW. Comme nous l’avons déjà suggéré, nos résultats pourraient être dus à une difficulté de compréhension et de récupération en mémoire plutôt qu’à de réelles difficultés phonologiques. De même, la tâche de copie de figures géométriques implique un acte graphomoteur qui est fragilisé chez certaines personnes SW (Bellugi, Marks, Bihrle et Sabo, 1993; Stiles, 2010). En effet, les résultats obtenus chez les personnes SW peuvent être dus à leur concentration sur l’acte graphique plutôt que sur la tâche de copiage engageant les habiletés visuospatiales. Il est donc primordial d’utiliser des protocoles plus adaptés aux spécificités des personnes SW.

5. Conclusion

Les résultats de notre étude nous aident à aller au-delà des scores de lecture. En effet, les difficultés d’installation de la lecture des personnes SW semblent s’expliquer par des difficultés phonologiques et visuospatiales. Il est important d’aller explorer plus finement les capacités visuospatiales afin de comprendre de quelle manière elles entravent l’installation des habiletés en lecture (p. ex. entrave du stockage des unités orthographiques?). Nous devons également aller plus loin, en étudiant plus finement le déficit dans le traitement phonologique: difficultés purement phonologiques (contradictoires avec les travaux de Majerus, Barisnikov, Vuillemin, Poncelet et Linden, 2001) ou sous-jacentes à un déficit mnésique? Dans cette idée, il serait intéressant d’explorer si le déficit de mémoire à court terme peut avoir une incidence sur le développement de la lecture: maintien de l’information phonologique au cours du décodage et de la compréhension en lecture. Le recours à des études longitudinales permettrait de mieux comprendre les phénomènes en jeu dans le développement de la lecture.

La poursuite de ce travail est actuellement en cours. Aujourd’hui, la question est de savoir si les déficits visuospatiaux, au même titre que les déficits phonologiques, sont bien à l’origine des difficultés en lecture chez les personnes SW. Afin de répondre à cette interrogation, nous envisageons de nouvelles comparaisons avec d’autres populations atypiques présentant des difficultés en lecture (dyslexie?) et des populations typiques de même âge mental et de vocabulaire.