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1. Introduction et problématique

Depuis les années 1980, un nouveau concept a fait surface et a généré une certaine confusion au sein des organisations et stimulé nombre de débats parmi les chercheurs[1]: le harcèlement psychologique, aussi connu sous le terme mobbing[2]. Les solutions à cette dysfonction relationnelle sont encore peu nombreuses et ses effets demeurent un enjeu pour les organisations. Les troubles psychosomatiques, l’insatisfaction, le désengagement et la dépression sont autant de séquelles pouvant affecter le travailleur subissant les effets pernicieux du harcèlement psychologique (Bowling et Beehr, 2006; Faulx et Geuzaine, 2000). Malgré cela, la détection du harcèlement demeure encore un défi puisque ses manifestations sont souvent peu visibles et insidieuses (Faulx et Blavier, 2013). Bref, d’aucuns s’accordent pour reconnaître que le phénomène du harcèlement psychologique au travail demeure fort préoccupant.

Les problèmes de santé mentale au Canada représentent des dépenses et des pertes de productivité s’élevant à 51 milliards de dollars (Lim, Jacobs, Ohinmaa, Schopflocher et Dewa, 2008). Selon la Fondation européenne, le harcèlement psychologique fera de 10 à 25 % de victimes chez les salariés qui intégreront le marché du travail (Romanens, 2003). De plus, le stress post-traumatique affecte 90 % des victimes de harcèlement au travail (Viaux, 2004). Dans ce contexte, plusieurs considèrent qu’une meilleure compréhension du phénomène est prioritaire. Çeliköz et Çeliköz (2017) suggèrent d’ailleurs que plus d’études sur le mobbing sont nécessaires, entre autres en contexte scolaire, pour déterminer sa fréquence, ses causes et les comportements d’adaptation visant à le contrer. D’autant que Caron (2007) constate l’absence d’une réelle prévention primaire du harcèlement psychologique, la prévention se limitant trop souvent à une simple détection précoce des épisodes de harcèlement se voulant ainsi plus curative que préventive.

Pour cette étude, nous nous sommes centrés spécifiquement sur l’organisation scolaire, et ce, pour diverses raisons. D’abord, l’enseignement est globalement perçu comme une profession stressante (Wilhelm, Dewhurst-Savellis et Parker, 2000). Une étude de Houlfort et Sauvé (2010) révèle également que plusieurs enseignants québécois rencontrent des problèmes de santé mentale. Environ 1 enseignant sur 5 évalue sa santé mentale de moyenne à médiocre (contre 8,1 % dans la population active générale), alors qu’environ 60 % de ces derniers disent vivre des symptômes d’épuisement professionnel chaque mois, voire au moins une fois par semaine. Par ailleurs, selon Hirigoyen (2001), l’ensemble des études expose clairement que les milieux les plus à risque de subir du harcèlement sont ceux qui comprennent les travailleurs du secteur tertiaire, médico-social et de l’enseignement. En ce sens, une étude réalisée par Zapf, Escartin, Einarsen, Hoel et Vartia (2011) a démontré que l’enseignement est l’un des secteurs où les employés sont les plus exposés au bullying et McMahon et al. (2014) observent qu’il s’agit de la forme la plus commune de violence chez les enseignants. Çeliköz et Çeliköz (2017) soutiennent eux aussi que les organisations éducatives sont plus susceptibles d’être exposées au harcèlement émotionnel que d’autres types d’organisations, notamment en raison de l’intensité du travail éducatif, de la continuité caractérisant les relations, ainsi que des possibilités limitées de promotion.

Des études révèlent d’ailleurs que les enseignants perçoivent être exposés au mobbing (Çeliköz et Çeliköz, 2017; Gülcan, 2015). Ce mobbing serait surtout provoqué par les administrateurs et les parents des élèves, bien que les conditions et l’environnement de travail puissent aussi être des sources de harcèlement (Gülcan, 2015). Ainsi, se faire invectiver ou humilier devant des collègues, subir l’expression de doutes quant à ses compétences, se faire imposer des délais non réalistes, être la cible de critiques des parents ou se faire retirer des projets au profit d’autres collègues sont autant de comportements pouvant affecter le quotidien de certains enseignants. Ce type de comportements peut nuire à la qualité de vie et à la réputation personnelle et professionnelle, puis influencer négativement les relations sociales des enseignants (Çeliköz et Çeliköz, 2017). Il semble aussi qu’une exposition au mobbing soit reliée à une baisse du niveau de satisfaction des enseignants au travail, de même qu’à une hausse des niveaux d’épuisement professionnel (Okçu et Çetin, 2017). Enfin, Yaman (2015) a établi des relations significatives entre le mobbing et le stress chez les enseignants. En raison de ces facteurs de risque et des conséquences potentielles du mobbing, le secteur scolaire représente assurément un domaine à prioriser en matière de prévention du harcèlement psychologique (Sorrell, 2015).

Par ailleurs, les récentes explications du harcèlement psychologique (cf. Astrauskaite, Notelaers, Medisauskaite et Kern, 2015; Claybourn, 2011) nous incitent à explorer les facteurs explicatifs liés à la présence de comportements harcelants en s’intéressant aux dimensions propres à l’environnement organisationnel, tel que le style de gestion. Peu d’études ont été conduites jusqu’à présent afin de vérifier l’association entre le style de gestion et le harcèlement au travail. En effet, on observe une persistance des théories expliquant ce phénomène par la contribution de caractéristiques personnelles propres aux harceleurs ou aux victimes de harcèlement (Caroll, Gosselin et Foucher, 2012), même si l’orientation de la recherche sur le harcèlement psychologique au travail s’éloigne de plus en plus des théories individuelles et privilégie davantage les théories socio-organisationnelles. Dans ce sens, la perspective organisationnelle de Leymann (1996) est de plus en plus mise de l’avant. Une étude de Dussault et Frenette (2015) établit d’ailleurs un lien négatif entre les leaderships transformationnel et transactionnel et le bullying; ces types de leadership procurent un environnement où la survenance du bullying serait plus rare. Au contraire, le style «laissez-faire» est positivement relié au bullying perçu. Au regard de ces résultats, et puisque les modèles «individualistes» semblent incomplets voire insatisfaisants, il est pertinent d’explorer davantage le lien entre le style de gestion des administrateurs et la présence de comportements harcelants afin de pouvoir intervenir et de développer des stratégies proactives de prévention.

Une étude récente menée dans des écoles nous incite également à explorer ce lien. En effet, Cemaloğlu (2011) a relevé que les directions démontrant des caractéristiques liées à un leadership transformationnel améliorent la santé organisationnelle de leur école et, conséquemment, les enseignants semblent y vivre moins de bullying. L’auteur n’a toutefois pas décelé de relation entre le leadership transactionnel des directions et le bullying au travail. Cet intérêt à explorer le style de gestion des directions d’école est amplifié par l’étude de IsaBelle, Gélinas-Proulx et Meunier (2015), menée auprès de 101 acteurs de l’éducation de dix provinces canadiennes. Les résultats révèlent que l’une des compétences actuelles et souhaitées des nouvelles directions d’école s’inscrit dans la catégorie «Gérer les ressources humaines et relations interpersonnelles », qui signifie que la direction a la capacité de favoriser le développement de relations saines entre les enseignants, les élèves et les parents et avec ces acteurs. Par ailleurs, dans le référentiel de compétences des directions d’établissement d’enseignement du ministère de l’Éducation au Québec, ces préoccupations apparaissent en toile de fond dans les capacités transversales (leadership/sens politique et interaction/coopération) en mentionnant que les directions doivent entretenir des relations humaines de qualité, mais elles ne constituent pas des compétences explicites.

Ainsi, dans cette perspective, notre question générale de recherche s’oriente vers l’étude du lien entre le style de gestion des directeurs d’école et la présence de comportements harcelants au sein des enseignants. Ce questionnement est pertinent sur le plan social, car il peut offrir des pistes de réflexion aux directions pour améliorer le climat de travail. Aussi, sur le plan scientifique, il permet d’accroître les connaissances sur le lien entre le contexte de gestion et les comportements harcelants, ce qui a peu été exploré en contexte scolaire.

2. Cadre théorique

Le harcèlement psychologique est un phénomène dont la conceptualisation est récente (Astrauskaité et al., 2015). C’est dans les années 1980 que Leymann en formule la première théorisation sous le terme de mobbing. Ce processus est constitué d’un «enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne» (Leymann, 1996, p. 27). Leymann souligne la présence inévitable de conflits en milieu de travail et leur risque d’escalade en mobbing lorsque ces épisodes sont mal gérés: «sans conflit, pas de mobbing» (Leymann, 1996, p. 160). L’auteur met donc en évidence, contrairement à d’autres (p. ex.: Hirigoyen, 2017), un problème de management; à tout le moins de management des conflits. L’organisation du travail, les tâches, les relations professionnelles et la gestion seraient ainsi des catalyseurs probables du mobbing.

Ce sont les travaux d’Hirigoyen (2001) qui définiront les pourtours du terme harcèlement psychologique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Contrairement à Leymann, Hirigoyen ancre sa théorie dans une approche plus individuelle. Selon elle, les types de personnalité jouent un rôle important dans le processus. En outre, elle qualifie l’individu harcelant de «pervers narcissique» qui établit «avec autrui des relations fondées sur les rapports de force, la méfiance et la manipulation» (Hirigoyen, 2001, p. 228).

Selon cette perspective, on peut supposer des liens entre les types de personnalité et l’avènement du harcèlement psychologique. Par contre, peu d’études se sont avérées concluantes quant à la démonstration d’une relation entre ces variables. D’ailleurs, Grebot (2010) avance qu’étant donné l’ampleur du problème, il est irréaliste de considérer qu’il y aurait dans la population une incidence aussi élevée de troubles de la personnalité pouvant expliquer le phénomène. En outre, Soares (2002) souligne qu’aucune corrélation n’a été établie entre le harcèlement et des caractéristiques individuelles telles que l’âge, le sexe, l’origine ethnique, le type et le statut d’emploi. Force est d’admettre que malgré une possible individualisation du problème, il demeure difficile d’exonérer l’incidence du contexte dans l’apparition d’un épisode de harcèlement.

Ainsi, une stricte approche individualisée du harcèlement psychologique au travail occulte une explication plus socio-organisationnelle (Rayner, Hoel et Cooper, 2002). L’intention de poser des gestes harcelants et de nuire à la victime n’est pas toujours manifeste puisque ces gestes peuvent être engendrés par un milieu de travail inadéquat où les relations interpersonnelles sont fragiles et l’attitude des gestionnaires discutable. Ainsi, dans un tel contexte, tout travailleur peut non seulement être l’auteur de harcèlement, mais aussi en être la victime (Carroll et al., 2012). Puisque le harcèlement peut être le résultat de l’escalade d’un conflit (Leymann, 1996), l’organisation du travail et le style de gestion ne peuvent être totalement ignorés dans l’inventaire des facteurs explicatifs du harcèlement. En ce sens, le style de management doit s’articuler autour de la notion de gestion de conflits et d’une «culture du dialogue social» (Grebot, 2010, p. 115) pour établir des liens solides au sein du collectif de travail et minimiser la survenance du harcèlement psychologique. D’ailleurs, la ségrégation et la déconstruction des liens sociaux assurent le maintien de ces comportements (Leymann, 1996), d’où l’épithète de «pathologie de la solitude» (Dejours, 2001, p. 2).

Force est de reconnaître que les théories individuelles se sont avérées peu concluantes et les nouvelles recherches s’orientent davantage vers l’exploration des facteurs organisationnels. En effet, selon Grebot (2010) «le management est toujours responsable du harcèlement» (p. 51) en ce sens qu’il a un rôle à jouer. Malgré le peu d’études empiriques portant sur les aspects socio-organisationnels du harcèlement, le leadership des gestionnaires est un thème récurrent dans l’explication de la genèse du harcèlement psychologique au travail (Einarsen, 2000).

Des études récentes rapportent des corrélations négatives entre un style de leadership transformationnel et le harcèlement en milieu de travail (Astrauskaité et al., 2015; Dussault et Frenette, 2015; Nielsen, 2013); cette corrélation ayant aussi été observée en contexte scolaire (Cemaloğlu, 2011). Par-delà le harcèlement vertical, soit entre les individus travaillant à divers niveaux de la ligne hiérarchique, le leadership de type laissez-faire serait à l’origine d’une part des manifestations de harcèlement horizontal, c’est-à-dire entre collègues (Nielsen, 2013), et serait ainsi corrélé avec la présence de conflits importants entre ces derniers (Skogstad, Einarsen, Torsheim, Aasland et Hetland, 2007). Une gestion anémique, la passivité et la déresponsabilisation du gestionnaire face aux conflits entre les membres de l’équipe permet aux différends de s’envenimer et de générer des comportements qui persisteront dans le temps, ce qui peut se traduire par du harcèlement psychologique. Dans cette foulée, Toussaint (2003) suggère au gestionnaire scolaire d’intervenir pour «éviter que le conflit ne dégénère et prenne une forme maladive» (p. 203). Selon l’étude de Hauge et al. (2011), les comportements du leader et la présence de conflits interpersonnels dans le milieu de travail sont parmi les indices qui prédisent à la propension au harcèlement psychologique.

De plus, il a été observé qu’un environnement de travail stressant alimente les manifestations de bullying (O’Moore, Seigne, McGuire et Smith, 1998). Il appert que le stress éprouvé par un gestionnaire serait corrélé avec le stress des employés. Un leader manifestant un haut niveau de stress exposerait ainsi ses travailleurs à un stress analogue (Skakon, Nielsen, Borg et Guzman, 2010). Poirel et Yvon (2014) citent d’ailleurs les travaux de Bailey (2007) ainsi que de Westman et Etzion (1999), deux études ayant montré le lien entre la tension induite par le travail chez la direction d’école et son effet sur la celle induite par le travail chez les enseignants. Une récente étude démontre que le stress des superviseurs est plus fortement corrélé que la personnalité à l’avènement du bullying (Mathisen, Einarsen et Mykletun, 2011). Ainsi, plusieurs auteurs expliquent l’effet du stress dans un milieu de travail en s’intéressant à sa capacité à générer des émotions négatives qui sont susceptibles de soutenir des comportements violents et de l’incivilité (Einarsen, 1999; Hauge, Skogstad et Einarsen, 2009).

3. Conceptualisation de l'étude

Le style de gestion de la direction d’école sera évalué selon deux angles: le style du leadership et le mode de gestion des conflits. Le leadership tel que proposé par Bass (1990) est la capacité à motiver ses employés afin qu’ils obtiennent des résultats et atteignent des objectifs compatibles sur le plan organisationnel. Trois dimensions peuvent caractériser le style d’un leader: la dimension transformationnelle, la dimension transactionnelle et le laissez-faire (Bass, 1997). Selon Dussault et Frenette (2015), il s’agit d’une des théories du leadership les plus communément citées depuis les 30 dernières années et elle est fréquemment transposée en éducation. La dimension transformationnelle désigne un leader charismatique, c’est-à-dire enthousiaste, dynamique, passionné, visionnaire, un modèle suscitant la motivation et le bien-être au travail chez les employés (Arnold, 2017). C’est un leader qui stimule intellectuellement les membres de son équipe en soulignant la contribution de chacun (idées et opinions) et en remettant en question le statu quo tout comme les traditions; qui exprime une reconnaissance personnalisée en faisant preuve d’ouverture afin de répondre adéquatement aux capacités et aux besoins individuels (Bass, 1997; Stewart, 2006). Le leader de style transactionnel distribue, pour sa part, des récompenses lorsque les travailleurs atteignent les objectifs de l’organisation (p. ex.: félicitations, reconnaissances, rétroactions, célébrations des succès). En cas contraire, il peut intervenir de façon directe et contrôlante par la supervision et le monitorage, de même que par des rétroactions négatives, par exemple en soulignant les erreurs, ce qui est identifié comme de la «gestion par exception» (Bass, 1990, 1997). Le leader transactionnel est plus pragmatique, sa gestion étant axée sur un rapport de coûts/bénéfices et sur l’atteinte d’objectifs précis. Enfin, le style du laissez-faire, souvent stigmatisé dans la documentation, se caractérise par un faible niveau d’intervention, l’évitement en cas de conflits et l’absence de support auprès des employés (Bass, 1997; Dussault, Valois et Frenette, 2007).

L’intervention lorsque des conflits émergent dans l’organisation, tel que soulignée par Leymann (1996), permet d’éviter une dégradation relationnelle qui pourrait se traduire en harcèlement psychologique. Dans un contexte où les conflits sont nombreux, le style de gestion des conflits a un impact important sur la présence de bullying (Baillien, Notelaers, De Witte et Matthiesen, 2011). D’ailleurs, la gestion des conflits par les directions d’école a déjà été étudiée et certaines de ces études, recensées par Philibert-Larivée (2007), s’appuient sur les travaux de Thomas portant sur les modes de gestion des conflits. Thomas (1992) a déterminé cinq modes de gestion qu’un gestionnaire peut adopter en présence d’une situation conflictuelle en fonction du positionnement des protagonistes: la compétition, la collaboration, le compromis, l’accommodement et l’évitement.

Un climat organisationnel stressogène serait aussi plus propice à générer des conflits et incidemment des comportements harcelants (Einarsen, 1999). Dans la littérature, on retrouve une multitude de définitions du stress. La définition retenue est celle associée à l’approche cognitivo-phénoménologique où le stress émane d’une transaction entre l’individu et l’environnement. Lorsqu’un individu perçoit qu’il n’a pas les ressources nécessaires pour faire face à une situation particulière, cette situation est interprétée comme menaçante et génère potentiellement un état de stress (Lazarus et Folkman, 1984). Chez les directions d’école, le stress a été évalué davantage par rapport à leur rôle de gestionnaire, tandis que chez les enseignants le stress est estimé en fonction de la tâche globale.

Enfin, le concept central à l’étude est le harcèlement psychologique défini préalablement par Leymann (1996). Par contre, nous nous attarderons à la manifestation de comportements harcelants, c’est-à-dire aux «agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux» (Leymann, 1996, p. 27), de même qu’aux comportements hostiles verbaux et non verbaux (Tepper, 2000). Cependant, l’aspect systémique des actions qui mènent au diagnostic d’une situation de harcèlement psychologique ne sera pas considéré. Nous nous intéresserons, ce qui est commun (Hewett, Liefooghe, Visockaite et Roongrerngsuke, 2016), à la seule présence de comportements potentiellement vexatoires dans l’environnement de travail. La figure 1 présente le modèle explicatif construit pour cette étude et met en relation les diverses variables qui seront analysées.

Figure 1

Modèle explicatif de l’incidence du style de gestion et du stress du directeur sur les comportements harcelants en milieu scolaire

Modèle explicatif de l’incidence du style de gestion et du stress du directeur sur les comportements harcelants en milieu scolaire

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3.1 Hypothèses

Cette recherche comporte deux principaux objectifs. Le premier est de mener une recherche empirique sur le phénomène du harcèlement psychologique et sur l’incidence sur ce dernier de certaines variables organisationnelles qui ont été jusqu’à maintenant peu explorées. Ensuite, afin de mieux comprendre l’influence du rôle du gestionnaire, le second objectif de recherche est de vérifier les liens entre le leadership, le stress et le mode privilégié de gestion des conflits des directions d’école et la perception de comportements harcelants par les enseignants. Précisément, les hypothèses de recherche sont:

  • H1: Il existe un lien entre le style de leadership de la direction d’école et le nombre de comportements harcelants perçus par les enseignants.

Le leadership transformationnel est généralement associé à la communication et inspirerait des émotions positives chez les employés (Bono, Foldes, Vinson et Muros, 2007). Ainsi, une direction présente et ouverte aux problèmes que vivent les enseignants pourrait permettre de maintenir un climat sain, moins stressant et empreint de soutien social, ce qui minimiserait la propension aux comportements harcelants chez les enseignants (Cemaloğlu, 2011).

  • H2: Il existe un lien entre le mode privilégié de gestion des conflits de la direction d’école et le nombre de comportements harcelants perçus par les enseignants.

Un conflit mal géré peut ouvrir la porte à un épisode de harcèlement psychologique. Que ce soit par un manque de connaissances, de formation ou une absence de volonté de s’impliquer, une gestion inefficace des conflits peut provoquer de la frustration chez les employés et entraîner des comportements hostiles (Baillien et al., 2011). Il y aurait un lien entre les stratégies de gestion des conflits et les comportements harcelants puisqu’une intervention appropriée de la direction d’école peut favoriser la résolution des conflits et le maintien de relations respectueuses au sein de l’école.

  • H3: Plus le niveau de stress de la direction d’école est élevé, plus le nombre de comportements harcelants perçus est élevé chez les enseignants.

    • H3a: Plus le niveau de stress de la direction est élevé, plus le niveau de stress est élevé chez les enseignants.

    • H3b: Plus le niveau de stress des enseignants est élevé, plus le nombre de comportements harcelants perçus par ceux-ci est élevé.

Un climat de travail où les individus sont stressés est un terreau fertile pour la naissance de conflits et de harcèlement psychologique (Grebot, 2010; Hauge et al., 2011). Certaines études proposent que par effet de contamination, le stress des gestionnaires influence significativement le stress des employés (Poirel et Yvon, 2014; Skakon, Nielsen, Borg et Guzman, 2010). Donc, outre l’influence directe que peut avoir le stress des directions d’école, le stress des enseignants serait un indice intermédiaire qui pourrait avoir une incidence sur l’adoption de comportements harcelants.

4. Méthodologie

L’étude utilise un devis de recherche quantitatif non expérimental avec un design transversal puisqu’un seul temps de mesure est utilisé. Les données de l’échantillon non probabiliste étudié proviennent des enseignants et des directions d’école du primaire et du secondaire d’une commission scolaire francophone et en milieu urbain du Québec.

Deux questionnaires ont été utilisés dans le cadre de cette étude: un questionnaire destiné aux directions d’école et un autre, plus élaboré, distribué à 1 100 enseignants. Du côté des enseignants, ceux qui ont accepté de participer volontairement à la recherche devaient remplir le questionnaire et le retourner par courrier interne dans des enveloppes cachetées. Du côté des directions, un critère d’inclusion important concernait leur participation, car afin de pouvoir étudier la relation entre le style de gestion de la direction et la présence de comportements harcelants perçus par les enseignants dans un même établissement, nous devions pouvoir coupler les variables. Au total, 420 enseignants ont répondu au questionnaire, soit un taux de participation de 38 %. Cependant, considérant la plus grande proximité des relations dans les écoles primaires, les répondants des écoles secondaires et spécialisées ont été exclus. Puis, quatre écoles primaires ont été retirées de l’échantillon, pour ne conserver que celles dans lesquelles on comptait un minimum de répondants à chacun des instruments de mesure destinés aux enseignants. Ainsi, l’échantillon final se compose de 10 directions d’école (directions adjointes exclues) ayant répondu au premier questionnaire, 5 hommes et 5 femmes, dont les réponses ont été mises en relation avec celles de 115 enseignants.

4.1 Mesure du style de leadership des directions d’école

La perspective de Bass (1990) du leadership a été reprise par Dussault, Valois et Frenette (2007) afin de construire un questionnaire visant à évaluer spécifiquement le leadership des directeurs d’école: l’Échelle de Leadership Transformatif du Directeur d’École (ÉLTDÉ). Ce questionnaire a été développé à partir des cinq facteurs caractérisant deux types de leadership soit transformationnel (3 facteurs/25 items) et transactionnel (2 facteurs/15 items); chaque item étant évalué sur une échelle allant de 1 (jamais) à 5 (fréquemment). Les items du leadership laissez-faire ont été retirés du questionnaire distribué aux directions, car ce sont des items plus catégoriques et susceptibles d’être davantage teintés par la désirabilité sociale. Le questionnaire final distribué aux directions d’école comportait 40 items (p. ex.: «Je fais participer le personnel au processus de résolution de problèmes») qui évaluent le leadership transformationnel et transactionnel selon cinq facteurs: le charisme (8 items), la reconnaissance personnelle (10 items), la stimulation intellectuelle (7 items), la récompense contingente (8 items) et la gestion par exception (7 items). Chacune des deux dimensions et chacun des cinq facteurs possèdent des indices alpha de consistance interne satisfaisants variant entre 0,83 et 0,96 (Thibodeau, Dussault, Frenette et Royer, 2011).

4.2 Mesure du mode de gestion des conflits des directeurs d’école

Le mode de gestion des conflits de la direction d’école est estimé à l’aide de l’échelle développée par Thomas et Kilmann (1977). Cet instrument comprend 30 items imposant un choix parmi des alternatives comportementales en situation de conflit (p. ex.: «Je laisse parfois à d’autres la responsabilité de résoudre le problème» contre «Plutôt que de discuter de nos désaccords, j’essaie de faire ressortir les points sur lesquels nous nous entendons»). Ainsi, les énoncés reflètent les cinq modes de gestion de conflits formulés par Thomas (1992). Par opposition des choix, le test permet de faire surgir la préférence comportementale face à la gestion d’un conflit. Étant donné la dualité des énoncés, le score obtenu pour un mode de gestion sera plus élevé par rapport aux autres, ce qui désigne la préférence du directeur en ce qui concerne l’approche généralement privilégiée. L’indice alpha moyen varie de 0,52 à 0,68 dans les recherches recensées par Womack (1988). Cependant, l’alpha de Cronbach ne serait pas un indice de fidélité adéquat pour ce type d’instrument, mais plutôt les résultats issus du test-retest (de 0,61 à 0,68); la valeur de l’instrument résidant surtout dans sa relative insensibilité au biais de désirabilité sociale (Thomas, Thomas et Schaubhut, 2008).

4.3 Mesure du stress au travail des directeurs d’école et des enseignants

Le niveau de stress dans le cadre de la vie professionnelle a été mesuré auprès des directions d’école et des enseignants au moyen de l’échelle de stress perçu (PSS-14) développée par Cohen, Kamarch et Mermelstein (1983). C’est la version française de cet instrument de Paulhan et Bourgeois (1995) qui a été distribuée aux répondants. Les bonnes propriétés psychométriques de l’instrument ont été soulignées par Cohen et Williamson (1988). Une étude francophone confirme un indice de fidélité de 0,87 pour le PSS-14 (Richard et Gosselin, 2010). Les 14 items de l’instrument (p. ex.: Avez-vous affronté avec succès les petits problèmes et ennuis quotidiens?) permettent d’explorer le niveau de stress généré par les situations de travail au cours du dernier mois sur une échelle de Likert de 1 (jamais) à 5 (très souvent).

4.4 Mesure des comportements harcelants chez les enseignants

Le décompte des comportements de harcèlement psychologique perçus par les enseignants est fait à l’aide de l’échelle validée de Tepper (2000). Cet instrument est constitué de 15 items décrivant des comportements hostiles verbaux et non verbaux, excluant l’agression physique (p. ex.: On me dit que mes idées et impressions ne sont pas valables). Les propriétés psychométriques sont excellentes; Gosselin, Lemyre, Corneil, Barette et Beauregard (2007) ayant obtenu un alpha de 0,91. Les enseignants devaient évaluer la fréquence de 15 agissements hostiles à leur égard sur une échelle de Likert allant de 1 (jamais) jusqu’à 5 (fréquemment).

5. Résultats

La stratégie de vérification des hypothèses de recherche se décline en trois étapes. On présente initialement des données descriptives afin d’obtenir un portrait global des indicateurs et des propriétés psychométriques des instruments de mesure. Par la suite, afin de se prononcer sur la pertinence des hypothèses de recherche, des analyses corrélationnelles sont effectuées pour mettre en lien les diverses variables du modèle explicatif. Enfin, dans une perspective complémentaire, on présente les observations obtenues de comparaisons de moyennes à l’aide de test-t.

5.1 Analyses descriptives des variables

Un score agrégé est retenu pour l’évaluation du stress et des comportements harcelants perçus par les enseignants. Afin de saisir leurs effets sur les comportements harcelants, dans les cas du style de leadership et de la gestion des conflits, une distinction entre les différentes dimensions des instruments de mesure a été faite. Ainsi, l’ÉLTDÉ permet d’évaluer les directions d’école au sujet du style de leadership transformationnel et transactionnel, mais aussi selon chacun de leurs facteurs constitutifs. L’échelle de Thomas et Kilmann (1977), quant à elle, distingue les cinq modes de gestion des conflits. Le tableau 1 présente les caractéristiques descriptives des variables à l’étude.

Tableau 1

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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Avant de soumettre les variables à l’analyse statistique, les alphas de certains facteurs de l’ÉLTDÉ ont été ajustés. Or, pour la dimension du charisme, le retrait d’un item (#4) a permis d’élever l’alpha de 0,65 à 0,77. Pour la dimension de la stimulation intellectuelle, le retrait de deux items (#1 et #14) fait en sorte d’obtenir un alpha de 0,74. Puis, la suppression d’un item (#40) de la dimension de la récompense contingente permet l’atteinte d’un alpha de 0,77. Dès lors, un total de 36 items est retenu pour l’instrument mesurant les styles de leadership avec un alpha global pour l’échelle de 0,90. Pour l’ensemble des instruments utilisés, les indicateurs alpha varient entre 0,74 et 0,92 et sont rapportés sur la diagonale de la matrice de corrélations présentée ci-après. Il est important de souligner que chacune des variables à l’étude se distribue de façon normale selon les normes établies par la littérature (De Laurentis, Maino et Molteni, 2010).

5.2 Analyses corrélationnelles

Afin de procéder à l’étude des relations entre les variables, des analyses corrélationnelles sont effectuées. Il est à noter que ces analyses sont basées sur les 115 observations auprès des enseignants dans lesquelles sont transposées les mesures tirées des 10 directions d’école. Alors que les corrélations mettant en relation les variables mesurées chez les enseignants sont fiables, celles portant sur les informations issues exclusivement des directions sont à interpréter avec prudence compte tenu du petit nombre. La matrice de corrélations est présentée au tableau 2.

Tableau 2

Matrice de corrélations des variables à l'étude

Matrice de corrélations des variables à l'étude

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5.2.1 Le leadership et les comportements harcelants

Une corrélation négative significative est observée entre les comportements harcelants et la stimulation intellectuelle (r = -0,69; p < 0,05) et la reconnaissance personnelle (r = -0,74; p < 0,05), sans toutefois qu’une corrélation significative soit observée avec le troisième facteur du leadership transformationnel, soit le charisme. Globalement, une corrélation significative négative est présente entre les comportements harcelants perçus et l’usage d’un style de leadership transformationnel (r = -0,78; p < 0,01). Cependant, dans le cas du leadership transactionnel, et de ses deux facteurs constitutifs (récompense contingente et gestion par exception), aucune corrélation significative n’est observée.

5.2.2 La gestion des conflits et les comportements harcelants

Contrairement à ce qui est proposé par l’hypothèse 2, les corrélations entre les cinq modes de gestion des conflits et les comportements harcelants perçus par les enseignants se sont avérées non significatives. Ainsi, les cinq corrélations concernant ces variables sont non significatives et les coefficients de corrélation oscillent entre -0,22 et 0,29.

5.2.3 Le stress et les comportements harcelants

On dénote une absence de corrélations significatives, non seulement entre le stress des directions d’école et celui des enseignants, mais aussi entre le stress des enseignants et les comportements harcelants. Cependant, on remarque une tendance relationnelle entre le stress des directions et le nombre de comportements harcelants rapportés par les enseignants (r = 0,58; p < ,10). Aussi, il y a une corrélation significative négative entre le stress des directions et le leadership transformationnel (r = -0,76; p < 0,05). Plus précisément, on retrouve des corrélations négatives significatives avec deux de ses dimensions: la stimulation intellectuelle (r = -0,68; p < 0,05) et la reconnaissance personnelle (r = -0,70; p <0,05). De plus, on observe une forte corrélation négative significative entre le stress des directions et le mode de gestion des conflits orienté vers l’évitement (r = -0,80; p < 0,01).

5.2.4 Comparaisons de moyennes (tests-t)

La petite taille de l’échantillon fait en sorte que la puissance statistique demeure limitée, ce qui peut générer des résultats statistiques non significatifs qui en d’autres occasions pourraient l’être. Dès lors, il s’avère pertinent de conduire des analyses complémentaires moins dépendantes de la puissance statistique afin de valider les résultats issus de l’analyse corrélationnelle. Pour ce faire, à partir des réponses des enseignants à l’échelle sur les comportements harcelants, l’échantillon a été scindé en deux groupes sur la médiane. Le premier groupe est composé des enseignants de cinq écoles dont le nombre moyen de comportements harcelants dénotés est inférieur à 1,33; le second groupe est composé des cinq autres écoles avec une moyenne de comportements harcelants supérieure à cette médiane. Afin de comparer les deux groupes, des analyses de comparaison de moyennes à l’aide du test-t ont été réalisées.

Les résultats présentés au tableau 3 indiquent que les deux groupes se différencient par rapport à certaines variables. D’abord, ils se distinguent de façon significative au niveau du leadership transformationnel (t = 5,06; p < 0,01) et de deux de ses facteurs: la stimulation intellectuelle (t = 2,75; p < 0,05) et la reconnaissance personnelle (t = 3,46 p < 0,01). Pour le troisième facteur lié au charisme, on ne peut identifier qu’une tendance relationnelle (t = 2,06; p < 0,10). En ce sens, dans les écoles où on observe moins de comportements harcelants, les directions ont des façons de faire associées au leadership transformationnel. Outre le leadership, comme l’a aussi démontré l’analyse corrélationnelle, on peut observer une différence entre les deux groupes au niveau du stress des directions. La moyenne du stress des directeurs est significativement plus élevée pour le groupe qui a rapporté un plus grand nombre de comportements harcelants (t = -2,91; p < 0,05). Pour ce qui est des modes de gestion des conflits des directions, ces derniers ne semblent pas avoir d’incidence sur les comportements harcelants, quoique l’on puisse dénoter une faible tendance à la baisse en présence du style de la collaboration (t = 1,98; p < 0,10).

Tableau 3

Comparaison des moyennes des groupes

Comparaison des moyennes des groupes

-> Voir la liste des tableaux

Dans le cas d’un petit échantillon, l’utilisation du d de Cohen afin de mesurer la taille d’effet se veut une alternative analytique pertinente. Or, pour le leadership transformationnel et ses trois dimensions, la taille de l’effet est très élevée (d > 0,80). À ce niveau, la différence entre les deux groupes s’avère importante, ce qui n’est pas le cas pour le leadership transactionnel et ses dimensions. En ce qui a trait au stress, la taille de l’effet est quasi inexistante pour le stress des enseignants (d = 0,09), mais relativement importante pour le stress des directions (d = 1,85). Enfin, pour les modes de gestion des conflits, la différence entre les groupes est importante en présence du style de la collaboration (d = 1,25). Cependant, la taille de l’effet est modérée pour le style de la compétition, du compromis et de l’évitement (d > 0,50) et pratiquement nulle pour ce qui est de l’accommodement.

6. Discussion

La présente étude visait à comprendre les liens entre le style de gestion des directeurs d’école et la présence de comportements harcelants au sein des enseignants. En ce sens, elle cherchait à offrir une alternative aux explications traditionnelles se limitant aux caractéristiques individuelles. Diverses hypothèses étaient proposées, privilégiant des explications plus socio-organisationnelles de l’adoption de comportements harcelants au travail.

Dans le cadre de la première hypothèse de recherche, les résultats en lien avec le leadership ne permettent pas d’expliquer l’origine des comportements harcelants en milieu scolaire. Cependant, ils démontrent que le leadership transformationnel et ses dimensions de reconnaissance personnelle (p. ex.: les décisions de la direction tiennent compte des besoins des enseignants) et de stimulation intellectuelle (p. ex.: la direction encourage les enseignants à participer à des activités de développement professionnel) sont négativement et significativement associés à la présence de comportements harcelants. Or, malgré une tendance identifiée dans les analyses de tests-t pour le charisme, c’est surtout la reconnaissance personnelle et la stimulation intellectuelle qui se sont avérées avoir des liens négatifs avec la présence de comportements harcelants. Ainsi, ces derniers s’avèrent moins fréquents lorsque la direction d’école exprime une considération pour les besoins et les émotions de chaque enseignant et est sensible aux différences qui peuvent exister entre eux. De plus, ces aptitudes au leadership facilitent la mise en oeuvre d’un environnement de travail stimulant qui permet à chacun de se développer par l’entremise d’un leader attentif à leurs besoins (Bass, 1990). En ce sens, le leadership transformationnel semble procurer un effet de protection dans le cadre duquel on observerait moins de comportements harcelants, associé à moins de stress chez les directions, comme nos résultats le démontrent. Cela concorde d’ailleurs avec les conclusions de Cemaloğlu (2011). Le leader transformationnel insisterait davantage sur la mise en place de relations saines et d’un contexte de travail sécuritaire (Nielsen, 2013). Ainsi, un leader transformationnel qui fait appel à des comportements et des habiletés telles que la résolution de problèmes, la motivation et la bonne communication minimiserait les risques de harcèlement psychologique.

En ce qui concerne le leadership transactionnel, les résultats ne sont pas significatifs et laissent planer un doute comme soutenu par certains auteurs (Skakon, Nielsen, Borg et Guzman, 2010). En effet, les observations ne permettent pas de confirmer un quelconque lien entre ces variables. Or, le leadership transactionnel ne fait pas en sorte de diminuer le nombre de comportements harcelants, mais il ne les augmente pas non plus. De nouveau, ces résultats s’accordent avec l’étude de Cemaloğlu (2011), qui conclut que le leadership transactionnel, plus directif et contrôlant, pragmatique et axé sur les récompenses, n’a pas d’incidence directe sur l’avènement du harcèlement psychologique.

La seconde hypothèse postulait l’existence d’une relation entre le mode de gestion des conflits des directions et les comportements harcelants perçus par les enseignants. L’escalade des conflits étant une source potentielle du harcèlement psychologique, la façon dont ils sont gérés par les gestionnaires s’avère importante (Grebot, 2010). Par exemple, un désengagement face aux employés et un mode de gestion des conflits d’évitement pourraient théoriquement favoriser davantage de harcèlement psychologique (Einersen, 1999; Nielsen, 2013). Néanmoins, les résultats ne démontrent pas de liens entre les modes de gestion des conflits privilégiés par les directions et la présence de comportements harcelants au sein de leur école. Il semble y avoir une certaine tendance, soit un lien négatif entre le nombre de comportements harcelants et l’utilisation d’un mode de gestion axé sur la collaboration, sans toutefois que les résultats observés soient très probants.

Cependant, on peut se questionner sur la pertinence de la classification des modes de gestion des conflits des directions d’école. Plus précisément, la forme du questionnaire utilisé force un choix entre deux modes de gestion qui fait en sorte qu’il y a une certaine répartition entre les cinq modes de gestion possibles d’un conflit. Ainsi, un mode dominant de gestion des conflits a été difficile à mettre en relief pour chacune des directions parce que les réponses se partageaient souvent entre différents modes de gestion. L’étude de Baillien et al. (2011) apporte un autre éclairage qui pourrait expliquer en partie l’absence de lien entre le mode de gestion des conflits et les comportements harcelants. Selon cette étude, la fréquence des conflits dans l’environnement de travail était ce qui faisait en sorte que le mode de gestion des conflits pouvait avoir une réelle incidence sur le harcèlement au travail. Par exemple, l’évitement encourageait le harcèlement psychologique seulement lorsqu’il était employé afin de confronter les conflits rencontrés régulièrement. Une autre explication possible de l’obtention de résultats non concluants est qu’aucun mode de gestion des conflits n’est théoriquement supérieur à un autre. Le mode de gestion le plus efficace est celui qui évite l’escalade du conflit, peu importe la nature particulière du mode utilisé. Somme toute, il appert possible de considérer, en fonction des résultats observés, que ce serait davantage le maintien d’un sain climat de travail dénué de conflits majeurs qui serait la variable importante, plutôt que l’utilisation d’un mode singulier de gestion des conflits. D’ailleurs, IsaBelle et al. (2015) mentionnent qu’il est crucial que la direction d’école mette en place un climat de travail sain pour favoriser la réussite des élèves.

Le stress ressenti par les directions et les enseignants au travail structure la troisième hypothèse étudiée; hypothèse qui s’avère infirmée. Contrairement à ce qui est proposé par la littérature, les résultats de la présente étude sont ambigus quant à la relation entre le niveau de stress et la présence de comportements harcelants. En ce qui concerne le stress des enseignants, aucune relation ne s’est avérée significative. Notons néanmoins que le stress est pourtant présenté dans maintes études comme un déterminant des conflits et du harcèlement psychologique. Cette divergence pourrait être occasionnée par la mesure du stress qui, dans notre cas, se veut globale plutôt que spécifique. On relève fréquemment des corrélations positives entre le stress et le harcèlement psychologique lorsque les chercheurs mesurent des sources précises de stress tels que le stress lié aux tâches ou aux rôles dans l’organisation (Hauge et al., 2011; Matthiesen et Einarsen, 2007).

Du côté des directions d’école, seulement une tendance relationnelle a été observée, au niveau du test-t, entre le stress des directions et les comportements harcelants. Cette relation est pourtant à maintes reprises soutenue par la littérature. Entre autres, l’étude de Mathisen, Einersen et Mykletun (2011) constate que le stress des superviseurs s’avère un prédicteur efficace du harcèlement au travail. L’explication de l’absence de lien dans la présente étude pourrait résider dans la taille limitée de l’échantillon ou encore dans l’incidence possiblement indirecte du stress des directions. Par exemple, le stress des directions d’école teinterait peut-être davantage le climat de travail et les relations de travail. D’ailleurs, nos résultats démontrent une forte corrélation entre le stress des directions et le leadership transformationnel. Ainsi, on observe que plus le niveau de stress d’une direction est élevé, moins son style de leadership tend vers un style transformationnel. Il est alors plausible de considérer que des directions moins stressées peuvent plus aisément mettre en application les principes qui gouvernent le leadership transformationnel et alors favoriser la mise en place d’un climat social minimisant l’adoption de comportements harcelants à l’égard des enseignants (Cemaloğlu, 2011).

Cette étude comporte naturellement certaines limites qu’il faut souligner. Rappelons d’abord que nous avons ici cherché à établir des liens entre le style de leadership et le harcèlement psychologique, sans établir de causalité; il n’est donc pas possible de parler d’influence de l’un sur l’autre. En outre, malgré un soutien partiel des hypothèses de recherche, le pouvoir de généralisation demeure limité puisque les écoles étudiées relèvent d’une seule et unique commission scolaire. Notons, en ce sens, que l’échantillon se limite au seul secteur d’éducation primaire et que sa taille est restreinte. Malgré l’avantage d’avoir questionné indépendamment les directions et les enseignants, ce qui restreint le biais de variance commune, la mesure des indicateurs est autorapportée. Ainsi, la mesure de la présence de comportements harcelants s’appuie exclusivement sur la perception des enseignants, alors que l’estimation du style de leadership est rapportée par chacune des directions, ce qui prête le flanc à un possible biais de désirabilité sociale. Enfin, nous n’avons recueilli aucune donnée sur le contexte des écoles concernées, ni la formation ou l’expérience de la direction, autant de variables qui pourraient venir teinter les résultats ou leur interprétation.

7. Conclusion

Le harcèlement psychologique en milieu de travail est une préoccupation organisationnelle qui ne peut être strictement expliquée par les caractéristiques des personnes en cause (Grebot, 2010). Par-delà les individualités, l’environnement organisationnel a assurément une incidence sur la survenance du harcèlement psychologique. Bien que les résultats de cette étude ne permettent pas d’identifier des milieux scolaires nocifs, une variable semble toutefois faire la différence et limiter la présence de comportements harcelants dans une école. Dans le sillon de certaines recherches antérieures (cf. Astrauskaité et al., 2015; Cemaloğlu, 2011; Dussault et Frenette, 2015; Nielsen, 2013), nos observations permettent de mettre en exergue l’intervention significative du leadership transformationnel, style de gestion pouvant s’apparenter au leadership éducatif idéalisé (Gather Thurler, Pelletier et Dutercq, 2015), dans la présence de comportements de harcèlement psychologique. Les aptitudes des directions d’école liées à la stimulation intellectuelle, à la reconnaissance personnelle et, dans une moindre mesure, au charisme semblent procurer une protection limitant l’adoption de comportements harcelants à l’égard des enseignants. Ces nouvelles connaissances devraient d’ailleurs être diffusées dans les cours de leadership des programmes universitaires d’administration scolaire et dans le cadre de la formation continue offerte aux directions par leur commission scolaire. D’ailleurs, on peut se demander s’il ne serait pas pertinent d’intégrer de manière plus explicite les aptitudes relatives au leadership transformationnel dans le référentiel des compétences des directions d’établissement d’enseignement (MELS, 2008).

D’autres recherches devront être menées afin de confirmer ces résultats novateurs et d’approfondir les contributions d’autres facteurs organisationnels dans l’apparition de comportements harcelants en milieu scolaire. Cette étude démontre que la perspective socio-organisationnelle du harcèlement psychologique est prometteuse et qu’elle est une alternative viable aux traditionnelles explications des approches individuelles. Nos résultats s’inscrivent dans la foulée des études antérieures qui soutiennent que les organisations et leurs gestionnaires ne peuvent plus se permettre d’être impassibles face au harcèlement psychologique et qu’ils se doivent d’être proactifs afin d’immuniser leur milieu de travail face à cette tare relationnelle.