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1. Introduction

Depuis le virage réflexif en éducation survenu au début des années 1990 (Tardif, Borges et Malo, 2012), coïncidant avec la publication de l’ouvrage princeps de Schön (1983), développer la pratique réflexive est devenu un leitmotiv des programmes de formation d’enseignants. L’idée générale est que le praticien réflexif se prenne pour objet de sa réflexion (Altet, 2013), sachant que «les idées théoriques sur l’enseignement et l’apprentissage, générées par l’extérieur (savoirs proposés), ou à l’intérieur de la classe (savoirs personnels et pratiques) sont aussi susceptibles de stimuler, fonder et soutenir la réflexion» (Day, 2001, p. 47).

Les dispositifs destinés à développer la pratique réflexive des futurs enseignants se sont par conséquent multipliés, en appui sur des cadres théoriques diversifiés. Les ancrages théoriques et méthodologiques de la didactique professionnelle, de l’action située, de la psychologie ergonomique, de la clinique de l’activité, etc. y sont fréquemment convoqués (Perez-Roux, 2012). Une visée principale de ces dispositifs consiste à faciliter l’articulation des savoirs académiques et des expériences personnelles vécues sur le terrain (Vacher, 2011), caractéristique selon plusieurs auteurs de la construction des savoirs professionnels (Connely et Clandinin, 1988). Ces dispositifs ont cependant fait l’objet de plusieurs critiques tant de la part de la communauté scientifique que de leurs utilisateurs, c’est à dire les étudiants en formation d’enseignants. Ainsi, selon plusieurs chercheurs (Schneuwly, 2012; Vanhulle, 2009), l’utilisation d’outils issus de l’analyse du travail (entretiens, journaux de bord, autoconfrontation simple ou croisée, etc.) en tant qu’outils de formation dans ces dispositifs a entraîné la disparition des dimensions didactiques, du questionnement sur les objets enseignés. D’autres chercheurs ont mis en avant l’autocensure manifestée par les bénéficiaires de ces dispositifs, désireux de garder la face et d’être évalués positivement si le formateur était aussi, comme souvent, l’évaluateur (Bibauw et Dufays, 2010). De leur côté, certains utilisateurs ont dénoncé l’incapacité de ces dispositifs à faire dépasser le stade des échanges irrationnels et donc du réfléchissement; d’autres ont critiqué l’émergence de réflexions rationnelles mais décontextualisées (Vacher, 2011).

La formation initiale des enseignants d’éducation physique (EP) n’a pas échappé à ce virage réflexif en éducation (Perez-Roux, 2012). Toutefois, selon certains observateurs (Mordal-Moen et Green, 2014),

[t]he expectation that PETE could develop successive generations of reflective-practitioners – possessing the ability and inclination to critically reflect upon their roles as educationalists alongside the desire to effect change at the personal, professional and political levels – has been revealed as a vain hope

p. 415-416

La vidéo occupe une place importante parmi les outils mobilisés dans les dispositifs d’analyse de pratique en EP. Son usage se réfère de même à des cadres théoriques hétérogènes: p. ex. théorie du cours d’action en anthropologie cognitive (Roche et Gal-Petitfaux, 2012); ergonomie de l’activité (Bertone et Saujat, 2013); anthropologie «culturaliste» (Chaliès, Gaudin et Tribet, 2015). Cette hétérogénéité de référents théoriques ne va pas sans susciter quelques débats et/ou interrogations quant à la démarche de vidéoformation à adopter: p. ex. quelles thématiques ou catégories utiliser pour engager les étudiants dans l’analyse d’expériences de terrain? Faut-il donner à observer et analyser une large diversité de pratiques professionnelles «non exemplaires» (approche dite «développementale») ou présenter des pratiques professionnelles «exemplaires» (approche dite «normative») (Chaliès, Gaudin et Tribet, 2015)?

L’objectif de cette recherche consiste à analyser les «discours réflexifs», c’est-à-dire les

discours plus ou moins formalisés, plus précisément […] textes tant oraux qu’écrits dotés d’un certain niveau de cohérence sémantique étant donné la situation de communication dans laquelle ils sont produits: face aux formateurs et à des fins d’analyse et de régulation de la pratique ainsi que d’évaluation formative ou certificative des stages

Vanhulle, Dobrowolska et Mosquera Roa, 2015, p. 115

produits par des étudiants en première année de maîtrise en sciences du mouvement et du sport, orientation enseignement de l’EP, dans le cadre d’un module de formation en alternance. Intitulé «Intervention en milieu scolaire (IMS)», celui-ci vise notamment à prévenir l’évacuation du questionnement sur les objets enseignés des pratiques réflexives des futurs enseignants.

Durant les sept premières semaines du semestre d’automne, les étudiants suivent, à raison d’une matinée hebdomadaire, des séminaires d’intervention animés par des formateurs universitaires (FU). Ces derniers s’appuient sur une pratique sociale de référence (Martinand, 2001) courante dans notre système scolaire, en l’occurrence le basket-ball, pour illustrer la construction et l’analyse a priori (Brousseau, 1998) de deux types de situations d’apprentissage contrastés (Ubaldi et Olinger, 2006): (a) les «situations d’apprentissage proches de la situation de référence (SAPSR)» (p. ex.: situation de jeu aménagée en trois contre trois); et (b) les «situations d’apprentissage décontextualisées (SAD)» (p. ex.: situation de lay-up avec pression défensive)[1]. Les FU illustrent également deux modes d’intervention contrastés, qu’ils associent à des théories de l’apprentissage qui peuvent être considérées comme divergentes mais qu’ils abordent plutôt de manière complémentaire: théorie constructiviste d’un côté; théories behavioriste et de l’apprentissage social de l’autre. Dans les SAPSR, ils laissent du temps aux apprenants pour qu’ils s’approprient les règles et contraintes de la tâche, puis leur dévoluent le(s) problème(s) qu’elle pose. Les apprenants sont alors amenés à prendre à leur charge la résolution de ce(s) problème(s), en alternant des temps d’activité motrice et des temps de débat d’idées (Deriaz, Poussin et Gréhaigne, 1998). Durant ces temps d’échanges entre apprenants sous la régulation des FU, les apprenant formulent – «situation de formulation» selon Brousseau (1998) – diverses propositions de «règles d’action» (Gréhaigne, 1996) qu’ils testeront ensuite dans de nouvelles périodes d’activité motrice afin de valider – «situation de validation» selon Brousseau (1998) – les règles d’action efficaces. Au fur et à mesure de l’avancée du temps didactique, les FU institutionnalisent – «situation d’institutionnalisation» selon Brousseau (1998) – les règles d’action que les apprenants se sont appropriées (figure 1).

Figure 1

Modèle d’intervention dans une approche constructiviste (d’après Brousseau, 1998 et Deriaz, Poussin et Gréhaigne, 1998)

Modèle d’intervention dans une approche constructiviste (d’après Brousseau, 1998 et Deriaz, Poussin et Gréhaigne, 1998)

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Dans les SAD, les FU adoptent au contraire un enseignement ostensif (Wittgenstein, 2004). Après avoir défini la tâche, ils transmettent oralement et/ou démontrent les règles d’action aux apprenants. Ils supervisent ensuite leur activité motrice et régulent celle-ci au besoin. Parallèlement, les FU outillent les étudiants avec les descripteurs de l’action didactique conjointe (Sensevy et Mercier, 2007). Initialement développées par et pour des chercheurs, ces catégories d’analyse – que nous définirons ultérieurement dans le cadre théorique – deviennent, pour les étudiants du module IMS, «des outils pour lire et construire les situations d’apprentissage» (Astolfi, 1990), en l’occurrence celles que les FU leur présentent à titre d’exemples en séminaire puis celles qu’ils conçoivent pour les élèves lors de leurs stages.

Durant les sept semaines suivantes, les étudiants sont en stage dans des écoles secondaires, en binômes et à raison de deux heures hebdomadaires, sous la supervision permanente du formateur de terrain (FT) qui leur confie sa classe. L’organisation du semestre de printemps est similaire, si ce n’est que la pratique sociale de référence des séminaires change (activités athlétiques, plus spécifiquement la discipline «sprint»).

L’évaluation du séminaire repose sur deux moments successifs (un formatif à mi-parcours et un certificatif en fin de parcours) au cours desquels les étudiants sont invités à (a) présenter par écrit l’analyse a priori d’une SAPSR et d’une SAD exploitées en stage, et (b) développer oralement devant les FU une réflexion sur leur intervention en stage en s’appuyant sur des enregistrements vidéo de celle-ci. L’évaluation certificative repose donc exclusivement sur la capacité des étudiants à développer un discours réflexif sur des expériences de stage librement sélectionnées (parmi un éventail certes restreint), l’idée des concepteurs de ce module étant de minimiser le phénomène d’autocensure fréquemment rapporté dans la littérature.

2. Problématique

Les discours réflexifs produits par les étudiants dans le cadre du module IMS sont fortement délimités par les contours d’un genre académique, le «genre réflexif» (Vanhulle et al., 2015). Ce genre particulier se spécifie ici par des fins d’analyse et de régulation de la pratique débutante de l’enseignement de l’EP, mais aussi d’évaluation certificative de compétences réflexives ainsi que par les concepts didactiques que les étudiants sont incités à mobiliser dans leur pratique réflexive. Jusqu’ici, ces discours ont été évalués par les FU sur la base d’indicateurs relatifs à la mobilisation des savoirs théoriques et à la mise en relation entre ce qui était planifié et ce qui a été réalisé.

À travers cette recherche, nous cherchons plus précisément à caractériser, tant quantitativement que qualitativement, l’usage que font les étudiants de l’outillage conceptuel spécifique au module IMS. Il s’agira ainsi pour nous d’identifier les finalités que poursuivent les étudiants (décrire, interpréter, remettre en question, transformer, etc. leur intervention) telles qu’elles se donnent à voir dans leurs discours réflexifs, mais surtout d’identifier sur quoi (quels moments, quelles actions, quels acteurs, quels savoirs, etc.) ils portent leur attention lorsqu’ils analysent leur enseignement à l’aide des concepts didactiques appris en séminaire.

3. Cadre théorique

Le cadre théorique retenu pour investiguer cette problématique concerne dans un premier temps la réflexivité en tant que processus cognitif dont témoignent les discours réflexifs que nous analysons dans cette recherche. Dans un second temps, il concerne l’action conjointe en didactique en tant qu’outillage conceptuel visant à orienter la réflexivité des étudiants vers des problématiques didactiques.

3.1 La réflexivité

Le module IMS et la présente recherche s’inscrivent dans une conception vygotskienne de la réflexivité, vue comme un mouvement circulaire d’objectivation et de subjectivation (Vanhulle, 2004). La réflexivité réside d’abord dans un «processus intersubjectif d’objectivation» (p. 16) parce qu’elle porte sur des objets partagés et mis à distance en vue d’évaluer des possibilités d’action. Parmi ces objets, Vanhulle (2004) distingue notamment (a) les savoirs externes à l’étudiant tels que les théories pédagogiques et didactiques proposées aux étudiants comme des références scientifiques pour comprendre et concevoir leur future profession, les savoirs institutionnels proposés comme des principes pour agir en fonction de la société et de l’employeur ou les savoirs de la pratique que les FT proposent aux étudiants comme des pratiques pertinentes, et (b) les savoirs plus subjectifs, internes, issus de l’expérience professionnelle débutante (stages)[2]. La réflexivité réside ensuite dans un processus de subjectivation par chacun des savoirs professionnels qui s’élaborent collectivement (Vanhulle, 2004): «Il s’agit donc, pour le sujet, de ‘traduire’, à l’aide de sa propre encyclopédie, en fonction de ce qui constitue sa personnalité, les significations construites avec autrui» (p. 19).

En corollaire, le développement professionnel – que nous n’investiguons pas à proprement parler dans cette recherche – est conçu sous un même angle vygotskien selon lequel la construction de savoirs professionnels est culturellement médiatisée. La pratique réflexive est alors vue comme une des médiations interpsychiques fondamentales du développement professionnel des futurs enseignants, lequel se réalise notamment par l’appropriation et la transformation par l’étudiant des savoirs offerts dans sa formation en alternance.

Dans la perspective de l’anthropologie culturaliste (Chaliès et al., 2015), le développement de la pratique débutante de l’enseignement de l’EP s’inscrit «dans un double mouvement d’apprentissage puis de développement sans cesse enrichi par les circonstances situationnelles rencontrées» (p. 17). Nous partageons la conception «allopoïétique» adoptée dans ce cadre pour étudier la construction de la subjectivité chez les futurs enseignants, selon laquelle les significations culturelles sont non seulement «constitutives» de la subjectivité, mais elles nécessitent d’être enseignées en amont pour, une fois apprises, pouvoir être sources de développement de chaque étudiant qui se les autoadresse (Chaliès et al., 2015). Dans le module IMS, les significations culturelles relatives aux concepts didactiques sont ainsi enseignées par les FU, préalablement et/ou parallèlement aux stages et à l’analyse réflexive de ceux-ci par les étudiants.

3.2 L’action didactique conjointe

Le module IMS et la présente recherche s’inscrivent parallèlement dans une approche didactique. Appréhender ce qui devient objet de la réflexion des étudiants implique dans cette perspective de situer l’activité d’enseigner,

comme le disait déjà Comenius (2005), dans un triptyque comprenant docere, dicere, scire (p. 158), dans un rapport entre des personnes, l’enseignant et les élèves, assumant des activités différentes, complémentaires – docere et discere – médiatisées par un objet commun qui est le savoir – scire

Schneuwly, 2012, p. 82

Dans les premières années de développement des didactiques, les recherches se centraient majoritairement sur les apprentissages des élèves, indépendamment du travail de l’enseignant, ou sur le savoir en jeu, indépendamment des phénomènes de transposition interne dus à l’enseignant. Parler de l’action du professeur, puis de l’action conjointe professeur-élèves, a constitué une avancée notable dans la compréhension des phénomènes d’enseignement/apprentissage (Leutenegger, 2016). Cette auteure souligne toutefois que l’expression «action conjointe» ne traduit pas nécessairement une action coordonnée, ni forcément une harmonie entre l’action de l’enseignant et celle des élèves. Elle traduit en fait le souci récent des chercheurs (p. ex., Mercier, Schubauer-Leoni et Sensevy, 2002; Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005; Sensevy et Mercier, 2007) d’observer ensemble enseignant et élèves aux prises avec les objets de savoir dans des situations didactiques «ordinaires»:

Plus précisément, cette contribution cherche à montrer l’intérêt qu’il peut y avoir à situer le lieu d’investigation des phénomènes transpositifs ni (que) dans les savoirs, ni (que) dans les sujets – enseignants et apprenants – mais dans leur action conjointe. Il s’agit ensuite de considérer ce travail de coproduction de connaissances à la lumière des pratiques culturelles qui le légitiment

Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005, p. 408

Parmi les outils théoriques forgés par ces chercheurs pour analyser les interactions professeur/élève(s) figurent le quadruplet (constitué des descripteurs «définition», «dévolution», «régulation» et «institutionnalisation») et le triplet des genèses (constitué des descripteurs «topogenèse», «chronogenèse» et «mésogenèse»). Le quadruplet permet de caractériser le déroulement des jeux de savoir (Loquet, 2007). Par «définir» un jeu ou une situation, il faut entendre «le fait de transmettre des règles que les élèves doivent comprendre, nécessairement, au moins à un premier niveau, pour s’y engager» (p. 54). «Dévoluer» représente l’action professorale de «faire en sorte que les élèves assument, dans le jeu, la responsabilité d’affronter un problème» (p. 54). Par «réguler», il faut entendre «le fait d’influer sur la production de stratégies gagnantes par les élèves» (p. 56). Enfin, «institutionnaliser» désigne l’action professorale consistant à «reconnaître et fixer dans [l’]activité [des élèves] les comportements légitimes, adéquats au jeu» (p. 56). Une explication/compréhension des phénomènes d’enseignement/apprentissage réside par ailleurs dans le croisement des trois dimensions génétiques et indissociables qui constituent le triplet (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2002). La «topogenèse» définit «ce qui a trait, implicitement, à l’évolution des systèmes de place de l’enseignant et des enseignés (leur topos) à propos des objets de savoir» (p. 238). La «chronogenèse» définit «ce qui a trait à la production des savoirs au fil de la temporalité didactique […]. Elle situe donc les événements-savoir sur la ligne de leur succession» (p. 239). Enfin, la «mésogenèse» définit «l’évolution du système connexe d’objets (matériels, symboliques, langagiers) coconstruits par l’enseignant et les enseignés au fil de leur interaction. Ce système d’objets est censé être organisé sous la forme d’un milieu […] pour apprendre» (p. 239).

4. Méthodologie

4.1 Sujets

Cette recherche porte sur les discours réflexifs des sept étudiants ayant suivi le module IMS durant l’année académique 2015-2016. Le tableau 1[3] synthétise les activités physiques, sportives et artistiques (APSA) qu’ils ont respectivement enseignées durant leur stage du semestre de printemps, ainsi que les thématiques des SAPSR et SAD qu’ils ont sélectionnées et analysées réflexivement pour l’épreuve certificative du module.

Tableau 1

Sujets

Sujets

Tableau 1 (suite)

Sujets

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4.2 Recueil des données

Pour accéder aux discours réflexifs de ces étudiants, nous leur avons demandé à pouvoir utiliser les présentations PowerPoint qu’ils avaient utilisées lors de l’épreuve certificative. Le matériau analysé se présente donc sous la forme d’un texte écrit pouvant comporter des extraits de leurs planifications de leçon, du verbatim de leur intervention en stage, des supports du séminaire ou de la littérature scientifique, etc.

4.3 Traitement des données

Pour chaque type de situation d’apprentissage développé sur les présentations des étudiants (SAPSR et SAD), nous avons réalisé un traitement en deux étapes afin de condenser et donner du sens à ces données brutes (Blais et Martineau, 2006).

4.3.1 Condenser les données

Afin d’ordonner et sélectionner les données au regard de notre problématique, nous avons retenu les trois seuils de réflexivité distingués par Jorro (2005): (a) le «reflet», caractérisé par la description des éléments jugés importants. Cette première posture réflexive reflète le désir de dire la pratique, de traduire une réalité de terrain; (b) l’«interprétation», élaborée à partir d’une attitude investigatrice s’appuyant sur un ou plusieurs cadres de référence. Le praticien interroge sa pratique et entre dans un processus de conceptualisation; (c) la «fonction critique-régulatrice», constituant une forme aboutie de la réflexivité dans laquelle le praticien envisage des alternatives ou des aménagements à l’action qu’il a mise en oeuvre. Ceux-ci prennent la forme de prescriptions qu’il s’adresse à lui-même.

Dans cette première étape de nature quantitative, nous avons catégorisé le contenu des présentations PowerPoint des étudiants dans des tableaux croisés mettant respectivement en relation (a) les descripteurs du quadruplet (définition, dévolution, régulation, institutionnalisation) et les trois seuils de réflexivité (reflet, interprétation, fonction critique-régulatrice), et (b) les descripteurs du triplet (topogenèse, chronogenèse, mésogenèse) et les acteurs du dispositif de formation (stagiaire, élèves, FT). Ceci avait pour but de cibler les parties de discours réflexifs témoignant d’une appropriation de l’outillage conceptuel spécifique au module IMS. Le nombre de mots figurant dans les différentes cases du tableau nous a permis de quantifier l’importance relative de chaque croisement de critères considéré. Le tableau 2 illustre à titre d’exemple le croisement du descripteur «régulation» avec les trois seuils de réflexivité (reflet, interprétation, fonction critique-régulatrice) dans la SAD chez Alain.

Tableau 2

Croisement quadruplet/seuils de réflexivité dans la SAD chez Alain (limité ici à la régulation)

Croisement quadruplet/seuils de réflexivité dans la SAD chez Alain (limité ici à la régulation)

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4.3.2 Donner du sens aux données

Dans cette seconde étape de nature qualitative, nous avons approfondi le traitement du contenu des cases de tableaux en nous limitant volontairement à celles qui concernaient l’interprétation et le triplet des genèses. Nous avons d’abord identifié des segments de texte qui présentaient en soi une signification spécifique et unique (unité de sens), puis créé une étiquette pour nommer la catégorie à laquelle l’unité de sens était assignée. Nous avons fait de même pour les autres unités de sens et intégré d’autres segments de texte dans les catégories déjà étiquetées pour lesquelles les unités étaient significatives. Nous avons ensuite poursuivi la révision et le raffinement des catégories en recherchant des sous-catégories à l’intérieur de chaque catégorie. Les catégories et sous-catégories résultant de cette seconde étape du traitement sont définies dans le tableau 3.

Tableau 3

Catégories et sous-catégories résultant de la seconde étape du traitement des données

Catégories et sous-catégories résultant de la seconde étape du traitement des données

Tableau 3 (suite)

Catégories et sous-catégories résultant de la seconde étape du traitement des données

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5. Résultats

5.1 Analyse réflexive des étudiants pour les SAPSR

La figure 2 rend compte du croisement des données relatives au quadruplet et aux trois seuils de réflexivité pour les SAPSR (total: 9720 mots). Les moments de régulation (5109 mots) puis de dévolution (2920 mots) font l’objet des analyses réflexives les plus développées par les étudiants. Les moments d’institutionnalisation sont plus rarement analysés (574 mots). Lorsque leur analyse réflexive porte sur les moments de dévolution et de régulation, les étudiants sont majoritairement dans l’interprétation (4245/8029 mots), tandis que lorsqu’ils analysent des moments d’institutionnalisation, ils en restent davantage au stade du reflet (395/574 mots).

Figure 2

Croisement du quadruplet et des trois seuils de réflexivité (SAPSR)

Croisement du quadruplet et des trois seuils de réflexivité (SAPSR)

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La figure 3 rend compte du croisement des données relatives au triplet et aux acteurs convoqués par les étudiants dans leur analyse réflexive pour les SAPSR (total: 2569 mots). Ces derniers mobilisent le descripteur «Chronogenèse» pour analyser dans les mêmes proportions leur activité enseignante (477/893 mots) et l’activité des élèves (416/893 mots). Le descripteur «Mésogenèse» est davantage mis en relation avec l’activité des élèves (495/575 mots). À l’inverse, le descripteur «Topogenèse» est davantage mis en relation avec leur activité enseignante (815/1101 mots). Les interventions des FT ne sont jamais convoquées dans l’analyse réflexive des étudiants.

Figure 3

Croisement du triplet et des acteurs (SAPSR)

Croisement du triplet et des acteurs (SAPSR)

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5.1.1 Modes d’intervention associés aux théories de l’apprentissage

Les supports de présentation des étudiants comportent de nombreux extraits que nous avons classés dans la catégorie «Modes d’intervention associés aux théories de l’apprentissage». Lorsqu’ils interprètent les moments de dévolution dans les SAPSR, les étudiants mettent en évidence la réticence didactique dont ils doivent faire preuve (sous-catégorie «Posture didactique»):

Je dois toujours faire preuve de réticence (Amade-Escot et Loquet, 2010, p. 236), en cachant mon savoir.

Alain

Lorsqu’ils interprètent les moments de régulation, les étudiants soulignent les variations de posture didactique qu’ils adoptent en fonction de l’avancée du temps didactique et/ou du temps d’apprentissage:

Je me permets de quitter ma posture de retrait (topogénétique) en orientant fortement ma question car cette règle d’action a déjà été énoncée dans la SAD.

Laurent

5.1.2 Intentionnalité de l’enseignant

L’«Intentionnalité» que les étudiants déclarent poursuivre dans les moments de dévolution est majoritairement de l’ordre de l’«Intention tournée vers l’apprentissage des élèves»:

Le but ici, est de les laisser réfléchir à certaines RA [règles d’action] qui permettront la réussite de l’élément qu’ils testeront dans les phases d’action.

Alain

Cette intentionnalité est similaire lorsque les étudiants interprètent les moments de régulation et d’institutionnalisation.

5.1.3 Activité des élèves

Enfin, l’«Activité des élèves» évoquée par les étudiants lorsqu’ils interprètent les épisodes de dévolution et de régulation relève majoritairement de la sous-catégorie «Activité de verbalisation des élèves»:

[…] je ne réfute pas totalement sa proposition, même si je rappelle qu’il faudrait «savoir qu’au temps 7, hop on tend le bras ou autre chose».

Laurent, régulation

5.1.4 Chronogenèse

Le descripteur «Chronogenèse» est majoritairement associé à des «Intentions tournées vers les contraintes scolaires» d’ordre temporel:

D’un point de vue chronogénétique, je décide de faire avancer le temps didactique en leur donnant directement les solutions. Ce n’est pas un hasard, il me restait moins de cinq minutes.

Alain

L’activité des élèves interprétée en termes de chronogenèse par les étudiants se répartit équitablement entre les sous-catégories «Activité de verbalisation des élèves», «Activité motrice des élèves» et «Démonstration d’élèves».

5.1.5 Mésogenèse

Lorsque les étudiants se réfèrent au descripteur «Mésogenèse» pour interpréter leur activité enseignante, c’est essentiellement pour souligner leur usage de la fiche d’observation. Nous observons à plusieurs reprises une naturalisation de ce descripteur, se traduisant par des utilisations réductrices telles que celle-ci:

J’utilise le tableau comme support (Mésogenèse).

Michaël

Lorsqu’il s’agit d’interpréter l’activité des élèves à l’aide de ce même descripteur, les étudiants pointent essentiellement la «Démonstration d’élèves» à laquelle ils recourent occasionnellement dans les SAPSR.

5.1.6 Topogenèse

Finalement, le descripteur «Topogenèse» est fréquemment mobilisé par les étudiants pour analyser les modes d’intervention qu’ils adoptent. Cela se traduit par de nombreux extraits classés dans la sous-catégorie «Posture didactique»:

Dans la phase de régulation, la position de retrait est quittée très rapidement (la phase de formulation ayant déjà eu lieu la leçon précédente).

Marine

Les intentions que les stagiaires poursuivent en adoptant ces variations de posture didactique sont majoritairement tournées vers l’apprentissage des élèves: pour les laisser s’exprimer; pour stimuler leur réflexion; pour valider leurs solutions; etc.

5.2 Analyse réflexive des étudiants pour les SAD

La figure 4 rend compte du croisement des données relatives au quadruplet et aux trois seuils de réflexivité pour les SAD (total: 8003 mots). Les moments de régulation (4325 mots) puis de définition (2708 mots) font l’objet des analyses réflexives les plus développées par les étudiants. Lorsque ces derniers analysent ces moments, ils restent majoritairement au stade du reflet (3252/7033 mots), mais développent néanmoins une interprétation de leur action conjointe avec les élèves (2110/7033 mots).

Figure 4

Croisement du quadruplet et des trois seuils de réflexivité (SAD)

Croisement du quadruplet et des trois seuils de réflexivité (SAD)

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La figure 5 rend compte du croisement des données relatives au triplet et aux acteurs convoqués par les étudiants dans leur analyse réflexive pour les SAD (total: 1714 mots). Ces derniers mobilisent le triplet des genèses pour analyser prioritairement leur activité enseignante (1140 mots). L’activité des élèves fait l’objet d’analyses moins conséquentes (557 mots). Les interventions du FT sont rarement convoquées et le sont exclusivement en lien avec le descripteur «Topogenèse» (17 mots).

Figure 5

Croisement du triplet et des acteurs (SAD)

Croisement du triplet et des acteurs (SAD)

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5.2.1 Modes d’intervention associés aux théories de l’apprentissage

Les supports de présentation des étudiants comportent de nombreux extraits que nous avons classés dans la catégorie «Modes d’intervention associés aux théories de l’apprentissage». Lorsqu’ils interprètent les moments où ils définissent la SAD aux élèves, les étudiants mettent en évidence la position de surplomb qu’il convient d’adopter et l’ostension dont ils doivent faire preuve (sous-catégorie «Posture didactique»):

Topogenèse: Position de surplomb, j’impose différentes sortes de changement de rythme qu’ils doivent répéter sur 8 temps en explicitant clairement comment y parvenir (conception behavioriste de l’apprentissage).

Tanguy

Dans l’analyse réflexive de leurs modes d’intervention, les étudiants font à plusieurs reprises état des démonstrations qu’ils effectuent à l’intention des élèves, conformément à la théorie de l’apprentissage social. Paradoxalement, lorsqu’ils interprètent les moments où ils régulent l’activité des élèves, les étudiants font souvent état de questionnements, voire de débats d’idées qu’ils mènent avec les élèves, parfois en décalage avec le mode d’intervention attendu dans ce type de situation d’apprentissage.

5.2.2 Intentionnalité de l’enseignant

L’«Intentionnalité» que les étudiants déclarent poursuivre dans les moments de définition et de régulation est majoritairement de l’ordre de l’«Intention tournée vers l’apprentissage des élèves» en permettant aux élèves de faire de nombreuses répétitions.

5.2.3 Activité des élèves

Contrairement à ce que nous avions observé pour les SAPSR, l’activité des élèves évoquée par les étudiants lorsqu’ils interprètent les épisodes de définition et de régulation dans les SAD relève majoritairement de la sous-catégorie «Activité motrice des élèves».

5.2.4 Chronogenèse

Les étudiants recourent au descripteur «Chronogenèse» essentiellement pour analyser les interventions qu’ils font pour faire avancer le temps didactique (parfois confondu avec le temps d’apprentissage comme dans l’extrait ci-dessous), incluant la démonstration:

Je fais une intervention dans le but de faire avancer le temps d’apprentissage (chronogenèse). […] Le temps didactique avance.

Michaël

Dans l’analyse des SAD contrairement à celle des SAPSR, le descripteur «Chronogenèse» est majoritairement associé à des «Intentions tournées vers l’apprentissage des élèves».

Enfin, l’activité des élèves interprétée en termes de chronogenèse par les étudiants relève majoritairement de la sous-catégorie «Activité motrice des élèves», alors que celle-ci était moins présente dans les SAPSR.

5.2.5 Mésogenèse

Lorsque les étudiants se réfèrent au descripteur «Mésogenèse» pour interpréter leur activité enseignante et celle des élèves, c’est pour souligner le rôle de la démonstration dans ce type de situation d’apprentissage associé entre autres à la théorie de l’apprentissage social:

La démonstration (mésogenèse) est extrêmement importante pour la compréhension de tous les élèves. […] et je m’appuie sur le milieu avec la démonstration d’une élève pour illustrer mes attentes.

Alain

Cet extrait illustre un usage réducteur, voire caricatural de celui-ci, que nous avions déjà pointé dans l’analyse des SAPSR.

5.2.6 Topogenèse

Finalement, le descripteur «Topogenèse» est mobilisé par les étudiants essentiellement pour analyser les modes d’intervention qu’ils adoptent. Cela permet à certains de revenir sur le décalage entre leur posture et celle attendue dans ce type de situation d’apprentissage selon les théories abordées en séminaire:

En régulant de cette manière, ma position n’est pas assez en surplomb pour une SAD. […] Au niveau de mon intervention didactique, il y a ici une «rupture de la cohérence didactique» car je ne devrais pas adopter à nouveau une position de retrait dans une SAD.

Michaël

Nous observons que l’activité des élèves est quasi absente des interprétations des étudiants appuyées sur ce descripteur.

6. Discussion

L’idée n’est pas ici de proposer une discussion construite sur la base d’une généralisation des résultats que nous avons obtenus dans cette recherche. Celle-ci est en effet une étude de cas portant sur un dispositif de formation très spécifique, dans une discipline scolaire, l’EP, présentant elle-même des singularités fortes (Chaliès et al., 2015). À partir de nos résultats, nous tenterons plutôt d’alimenter le débat entre les deux grandes modalités d’usage de la vidéo en formation initiale d’enseignants d’EP (approche «normative» contre approche «développementale») et les présupposés théoriques sur lesquels celles-ci reposent respectivement (Chaliès et al., 2015). Nous discuterons également nos résultats en termes d’opportunités de développement professionnel offertes par le module IMS, au regard du principal écueil des dispositifs destinés à développer la pratique réflexive des enseignants en formation initiale (Schneuwly, 2012; Vanhulle, 2009).

6.1 Approche normative et réflexivité

Lorsqu’ils produisent un discours réflexif sur les expériences qu’ils ont vécues en stage, les étudiants du module IMS se situent fréquemment au seuil de l’interprétation (Jorro, 2005). Cela signifie qu’ils sont capables de s’appuyer sur un ou plusieurs cadres de référence pour interroger leurs pratiques en entrant dans un processus de conceptualisation. Le cadre de référence qu’ils privilégient dans ce processus est celui qui a été enseigné par les FU en séminaire, en l’occurrence les descripteurs de l’action didactique conjointe et les concepts didactiques sous-jacents ou complémentaires (milieu, contrat, situations de formulation et d’action, mémoire didactique, ciblage, etc.). Le quadruplet leur servait essentiellement à sélectionner les moments qu’ils souhaitaient présenter aux FU et à structurer leur exposé en conséquence, tandis que le triplet leur permettait d’interpréter leur propre activité – notamment les modes d’intervention qu’ils adoptaient dans leur enseignement – et celle des élèves – majoritairement leur activité de verbalisation dans les SAPSR et leur activité motrice dans les SAD. Une certaine normativité est à l’oeuvre lorsque les étudiants analysent réflexivement ces modes d’intervention au regard des théories de l’apprentissage abordées en séminaire (identifiable à travers des formulations telles que «je dois toujours», «je me permets», «conforme à», etc.) et lorsqu’ils mettent en évidence un décalage entre ce qu’ils ont fait et ce qu’ils pensent que les FU attendaient qu’ils fassent (repérable à travers des expressions telles que «n’est pas assez», «je ne devrais pas», etc.).

Cette normativité peut être mise en relation avec la modalité normative d’illustration des situations d’apprentissage et des modes d’intervention en EP adoptée par les FU en séminaire, conformément à la lecture culturaliste du développement humain sur laquelle reposait le module IMS (Chaliès et al., 2015). En effet, à l’inverse d’une lecture énactive du développement humain basée sur l’hypothèse d’un primat accordé aux acteurs eux-mêmes dans l’activité de construction de nouvelles significations professionnelles,

il ne semble pas possible [dans cette lecture culturaliste] d’envisager comment ces «acteurs» […] parviennent à signifier «correctement» (au sens où il est attendu de le faire dans la communauté professionnelle considérée) les circonstances vécues de formation ou de travail sans avoir été en amont instruits par les formateurs.

Chaliès et al., 2015, p. 17

Dans le module IMS, les enseignements des FU débouchaient de fait sur la prescription de «règles […] circonstanciées, liées à l’exercice du métier dans certaines situations identifiées» (Altet, 2013, p. 45). Ces règles ne déterminent cependant pas leur propre application en ce que l’acteur qui les suit peut à tout moment s’en écarter, décider de les transgresser ou en rejeter le suivi (Chaliès et al., 2015). Le fait que les discours réflexifs analysés dans cette recherche soient produits dans une situation de communication propre au «genre réflexif» (Vanhulle et al., 2015), ici face aux formateurs et à des fins d’évaluation certificative, explique d’autant mieux une telle normativité. Celle-ci constitue un «passage obligé» dans une approche normative du développement professionnel. Lorsque l’apprentissage des règles sera effectif – et attesté dans le cas présent par l’évaluation certificative – les enseignants en formation seront alors en mesure de s’émanciper du contrôle des formateurs et de construire un système d’interprétation des règles qui leur autorisera un usage extensif des liens de signification appris en formation (Chaliès et al., 2015). Dit autrement, en s’appropriant et en transformant les savoirs offerts dans leur formation, les étudiants construiront leur subjectivité et se développeront professionnellement en tant qu’enseignants.

6.2 Réflexivité et didactique

Parmi les écueils relevés dans les dispositifs destinés à développer la pratique réflexive des enseignants en formation initiale, le principal réside selon nous dans la production de discours réflexifs dont les dimensions didactiques de la profession enseignante sont absentes. Une explication de ce phénomène serait, selon Vanhulle (2009), que les savoirs à enseigner apparaissent aux étudiants comme donnés, comme des savoirs naturalisés qu’il s’agit de transmettre et faire apprendre aux élèves. De son côté, Schneuwly (2012) y voit une conséquence de la pensée schönienne, concevant l’activité professionnelle comme une sorte de création constante et résistant à l’entrée en matière sur la dimension technologique de la profession. Les discours réflexifs produits dans le cadre du module IMS se caractérisent au contraire par une forte présence de dimensions didactiques, à la fois génériques (réticence didactique, avancée du temps didactique, etc.) et spécifiques aux objets de savoir des APSA enseignées (changement de rythme en danse, course d’élan en saut en hauteur, etc.). Cette dialectique généricité/spécificité, qui est au coeur du programme de recherche comparatiste auquel les concepteurs du module IMS ont emprunté l’outillage conceptuel dont ils ont ensuite doté leurs étudiants, n’a donc pas été perdue dans les transpositions à l’oeuvre d’un système didactique (celui de la classe, où ont été forgés ces concepts) à l’autre (celui de la formation où ils sont mobilisés), ni dans les conversions conceptuelles qui s’y opèrent (Amade-Escot, Leutenegger et Schubauer-leoni, 2014). Nous avons toutefois observé à plusieurs reprises un phénomène de naturalisation de certains concepts, principalement du descripteur «Mésogenèse» et du concept de «milieu» qui lui est associé, pour lequel nous avons relevé la tendance déjà constatée en EP (Dugal et Léziart, 2004) à réduire le milieu à ses caractéristiques matérielles.

Si former des enseignants réside notamment «dans le repérage des régimes de pratiques sous-tendant les processus d’enseignement et d’apprentissage afin que les professeurs puissent attribuer du sens à leur action et à celles de leurs élèves» (Amade-Escot et al., 2014, p. 189), prendre en compte les actions des élèves ne va pas nécessairement de soi pour des enseignants en formation. Derobertmasure et Dehon (2012) parlent d’«autocentration» pour désigner cette situation où «l’objet des propos des enseignants en formation est essentiellement formulé en référence à leur propre action; la notion d’‘élève’ est quasiment évacuée de leur propos» (p. 37). Pourtant, bon nombre d’énoncés extraits des discours réflexifs des étudiants du module IMS relèvent de la catégorie «Activité des élèves». La sous-catégorisation de ces énoncés est cependant différente lorsque l’analyse réflexive des étudiants porte sur des SAPSR ou des SAD, avec une faible occurrence de la sous-catégorie «Activité motrice des élèves» dans le premier cas. Face à ce constat, nous pouvons formuler plusieurs hypothèses explicatives. Premièrement, lorsque les FU ont illustré durant les séminaires l’analyse de l’intervention dans des SAPSR, ils se sont essentiellement appuyés sur des enregistrements vidéo de débats d’idées (Deriaz et al., 1998) durant lesquels la seule activité observable des apprenants était leur activité de verbalisation. Certes, les FU convoquaient à plusieurs reprises l’activité motrice des élèves pour justifier telle ou telle décision, l’usage de telle ou telle technique didactique par l’enseignant, etc., mais les étudiants ont eu peu d’occasions de voir les apprenants en activité motrice. Il se pourrait donc que, par mimétisme, les étudiants se soient spontanément focalisés, dans l’analyse réflexive de leurs propres interventions dans des SAPSR, sur les interactions verbales enseignant-élèves telles qu’ils avaient pu les observer et analyser en séminaire, en négligeant les références moins directement visibles à l’activité motrice des élèves. Deuxièmement, la capacité à lire les productions des élèves en EP constitue une véritable difficulté professionnelle (Cizeron et Ganière, 2016), a fortiori dans des situations d’apprentissage ouvertes telles que les SAPSR. Troisièmement, enfin, par leur ciblage sur un geste technique isolé ou une stratégie particulière, les SAD se prêtent plus facilement que les SAPSR à l’évaluation de l’activité motrice des élèves (Lenzen, Poussin, Dénervaud, Cordoba et Deriaz, 2017). Dans ces situations d’apprentissage fermées, les étudiants auraient éprouvé moins de difficulté à convoquer l’activité motrice des élèves pour interpréter voire réguler leurs choix de contenus et leurs techniques d’intervention.

7. Conclusion

À travers cette recherche, nous avons voulu analyser les discours réflexifs produits par des étudiants en formation initiale à l’enseignement de l’EP dans le cadre d’un dispositif de formation en alternance cherchant à orienter leur réflexivité vers des problématiques didactiques. Il apparaît que ces discours réflexifs se caractérisent par (a) une certaine normativité, inhérente à l’approche «normative» du développement professionnel sous-jacente au dispositif et (b) une forte présence de dimensions didactiques, avec toutefois une prise en compte limitée de l’activité motrice des élèves dans les SAPSR.

Ces résultats sont, selon nous, de nature à renforcer l’intérêt de programmer, dès la formation initiale, des dispositifs de formation en alternance incluant un outillage conceptuel conséquent en didactique, dans une double visée d’aide à l’intervention en stage et de structuration de la pratique réflexive des futurs enseignants d’EP. Nous considérons que la prise en compte limitée de l’activité motrice des élèves dans les SAPSR est normale chez des étudiants en formation initiale compte tenu du véritable problème professionnel que constitue la lecture de l’activité des élèves en EP. Le nombre élevé d’APSA sur lesquelles l’enseignant d’EP est amené à s’appuyer dans son enseignement justifie qu’un temps important soit consacré à une réflexion épistémologique sur les APSA, intégrant la question de leur traitement scolaire et la lecture de l’activité des élèves confrontés aux objets de savoir propres à celles-ci.