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Problématique

Au coeur de la mission des Centres de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI), l’intervention professionnelle d’adaptation – communément désignée réadaptation – des personnes présentant une déficience intellectuelle reste méconnue, notamment lorsqu’elle se déroule en sites réguliers. Par rapport au milieu institutionnel, les sites réguliers sont des milieux sociaux qui existent préalablement à une action d’un intervenant d’un CRDI et qui possèdent leur culture et leurs acteurs propres – souvent extérieurs au réseau des services spécialisés. Ainsi, avant d’être une famille d’accueil ou un milieu de stage, ces sites sont respectivement une famille et une entreprise. Dans ces nouveaux contextes, où l’intervenant travaille en partenariat avec la personne et son entourage, l’adaptation-réadaptation devient difficile à situer (Berger, 1999 ; Lamarre, 1998 ; Pelletier, 1994, cité par Bégin,1996). Certes, cela n’est pas étranger à la rareté et à l’actualité des études empiriques concernant la pratique des CRDI, lesquelles ne sont pas sans fournir un éclairage souvent utile pour la cerner. Aussi, cet article rapporte une étude visant à resituer et à définir l’intervention d’adaptation-réadaptation, en déficience intellectuelle, qui se fait en sites réguliers. Auparavant, deux conceptions de la pratique sont présentées, de même qu’un aperçu des études sur les interventions en sites réguliers dans ce domaine.

Une conception de l’intervention d’adaptation-réadaptation au bénéfice de la personne

Les écrits québécois d’orientation de la pratique en déficience intellectuelle fournissent des définitions de l’adaptation-réadaptation. Plusieurs ouvrages (Ministère de la Santé et des Services sociaux – MSSS, 2001 ; 1999 ; Centre de réadaptation Gabrielle-Major – CRGM, 1999 ; Fédération québécoise des Centres de réadaptation pour les personnes présentant une déficience intellectuelle du Québec – FQCRPDI, 1994 ; Confédération des organismes provinciaux de personnes handicapées du Québec – COPHAN, 1991) reprennent textuellement la définition adoptée, en 1982, par l’Office des personnes handicapées (OPHQ), le ministère des Affaires sociales (MAS) et le ministère de l’Éducation (MEQ). Elle se lit comme suit :

L’intervention d’adaptation ou de réadaptation est le regroupement, sous forme d’un processus personnalisé, coordonné et limité dans le temps, des différents moyens mis en oeuvre pour permettre à une personne handicapée de développer ses capacités physiques et mentales et son potentiel d’autonomie sociale.

Les autres définitions rencontrées constituent une variante de celle-ci (Gignac, 1992 ; Colin, 1991 ; Bégin et Toulouse, 1986 ; Escomel, 1985). Plus récemment, la nouvelle politique du MSSS (2001) en déficience intellectuelle et d’autres ouvrages d’orientation de la pratique (FQCRPDI, 2000 ; Centres de réadaptation en déficience intellectuelle de Montréal – CRDI, 2000) citent une définition proposée par Boutet (1999). Ce dernier définit ainsi l’adaptation-réadaptation :

L’ensemble des actions qui favorisent le maintien d’une personne dans des conditions de vie normales et qui permettent sa participation sociale par des interventions adaptées à sa situation (adaptation) et le retour à des conditions normales, lorsqu’elle se trouve en situation d’exclusion (réadaptation) ; que ce soit en raison de ses caractéristiques propres (comportements, capacités, etc.) ou des caractéristiques de son environnement et de l’interaction entre ces deux composantes.

Bien qu’elle se démarque des visées de développement de la précédente, cette définition s’inscrit davantage en continuité qu’en rupture avec celle-ci. En effet, bien que l’environnement y fasse figure de contexte d’intervention – conditions de vie normales ou d’exclusion – ou de déterminants de l’intervention – en raison des caractéristiques de son environnement ou de l’interaction personne-environnement –, la définition de Boutet (1999) situe, à l’instar de la définition précédente, l’adaptation-réadaptation comme étant réalisée au bénéfice exclusif de la personne – favorisant son maintien (ou son retour) dans des conditions de vie normales et qui permettent sa participation sociale.

Inclure l’entourage comme bénéficiaire de l’intervention d’adaptation-réadaptation

Les services des CRDI actuellement offerts en sites réguliers avec l’entourage des personnes présentant une déficience intellectuelle s’accordent avec la Politique de la santé et du bien-être (MSSS,1992). Celle-ci affirme la pertinence de remettre en question les pratiques de réadaptation développées selon une approche institutionnelle et professionnelle ultra-spécialisée, centrées sur la personne elle-même, et de préconiser un soutien professionnel accru auprès des aidants naturels. Sans s’éloigner de cette préoccupation, la thèse de doctorat de Carrier (2001) examine 10 situations d’adaptation-intégration sociale de personnes présentant une déficience intellectuelle. S’inspirant de la méthode inductive d’élaboration de théorie (Strauss et Corbin, 1990 ; Glaser et Strauss, 1967), elle procède à l’analyse qualitative de données recueillies par observation participante et par entrevues dans l’action (Carrier et Fortin, 1997a) auprès des acteurs engagés dans l’adaptation de personnes présentant une déficience intellectuelle en entreprise. Elle développe alors un modèle empiriquement fondé et séquentiel de l’adaptation-intégration sociale : la théorie de la normalité ajustée. Selon ce modèle, une situation d’adaptation-intégration sociale repose sur un ajustement mutuel entre la personne et son entourage. Cette thèse illustre que l’introduction d’une personne différente, dans une situation de normalité (l’entreprise d’accueil en tant que site régulier) donne lieu à un ensemble de transformations observables chez la personne, dans son entourage et dans le contexte de vie qu’ils partagent. L’ensemble de ces transformations convergent vers le développement d’une situation de normalité ajustée à la différence de la personne, au fur et à mesure que les acteurs s’engagent, avec l’aide de l’intervenant, dans le processus d’adaptation-intégration sociale et que cette adaptation se construit. L’intervenant opte pour une pratique contextuelle, c’est-à-dire qui tient compte simultanément des besoins, des intérêts et des ressources de la personne et de son entourage dans leur ajustement mutuel (Fortin et Carrier, 2000). Ainsi, suivant la théorie de la normalité ajustée, l’intervention professionnelle d’adaptation en sites réguliers se fait, non plus au seul bénéfice de la personne, selon une conception individualisée de l’intervention, mais également au bénéfice de son entourage en processus d’adaptation continue et réciproque avec la personne. À cet égard, la conception de l’intervention d’adaptation-réadaptation, inhérente aux définitions précédemment citées, parvient difficilement à circonscrire cette réalité. En fait, la pratique en sites réguliers peut avantageusement se désigner sous le vocable de coadaptation. Cette notion permet d’inclure la personne et son entourage en tant que bénéficiaires de l’intervention professionnelle puisqu’elle place, au coeur de celle-ci, l’optimisation de leur ajustement mutuel. À partir de la notion de coadaptation, l’étude empirique des interventions courantes des éducateurs des services offerts en sites réguliers devient utile pour situer l’apport de cette pratique dans l’ajustement personne-entourage.

Les motifs d’intervention des intervenants dans une pratique en sites réguliers

Les études empiriques étant plus préoccupées des effets des interventions sur la personne, celles qui portent sur les interventions en sites réguliers sont relativement rares et récentes. Des études examinent les besoins de formation des intervenants des CRDI dans le cadre d’une pratique communautaire (Choquet, 2000 ; Carrier, 1998 ; Lamarche, 1995), leurs valeurs ou leurs attitudes (Balcazar et al., 1998 ; Henry et al., 1996), mais plus rarement leurs actions sur le terrain. Une étude s’intéresse aux interventions de l’ensemble du personnel d’un CRDI auprès de partenaires locaux (Carrier et Fortin, 1997b) sans considérer les interventions auprès de la personne. Fortin et Carrier (2000) examinent le rôle et les actions de l’éducateur dans l’intégration socioprofessionnelle, mais seulement au regard de la gestion des difficultés et de l’ajustement tâche-personne. Aussi, en l’absence d’étude qui dresse un portrait plus complet des interventions faites par les éducateurs des différents services des CRDI offerts en sites réguliers, il devient difficile de cerner la pratique de coadaptation en déficience intellectuelle. C’est pourquoi cette étude porte sur la nature des interventions de ces éducateurs, puis sur les motifs de leurs actions. À partir de l’analyse de ces derniers, elle veut situer leur fonction respective dans la coadaptation, de manière à clarifier et à définir cette pratique sur une base empirique.

Méthodologie

Cette recherche qualitative est réalisée grâce à la participation des cinq CRDI de l’Île-de-Montréal. D’abord, un comité de suivi est constitué pour voir aux aspects logistiques de la réalisation de l’étude et pour commenter son évolution à différentes étapes.

Échantillon et collecte de données

Au total, 40 éducateurs, désignés par leur établissement respectif, participent à l’étude. Tous offrent des services en sites réguliers et sont en poste dans leur fonction actuelle depuis au moins un an. Sur ce nombre, 24 sont rattachés aux trois services de soutien à la personne, à la famille et aux proches (SPFP) à savoir : SPFP à l’enfance, SPFP à l’adolescence ou SPFP à l’adulte. Par ailleurs, 16 éducateurs travaillent dans les trois services d’intégration socioprofessionnelle (ISP) : ISP en emploi, ISP en stage, ISP en plateau de travail. Ces six différents services correspondent à la panoplie des services des CRDI en sites réguliers.

Au cours d’une rencontre avec la chercheure visant à expliquer les buts et le contexte de l’étude, de même que les précautions prises pour assurer la confidentialité des données, chaque participant sélectionne trois personnes, parmi celles dont il assure le suivi, présentant une déficience intellectuelle. La première est celle qui nécessite une aide maximale de sa part et la seconde, une aide minimale. L’intensité du suivi de la troisième se situe à mi-chemin entre les deux premières. Les éducateurs sont invités à rapporter, sur une période de dix jours travaillés consécutifs, l’ensemble des interventions qu’ils effectuent dans le suivi de chacune. Ils choisissent de compléter simultanément ou successivement les formulaires pour chaque personne. La notion d’intervention correspond ici à une démarche d’un éducateur amenant celui-ci, pour un ou plusieurs motifs, à interagir avec un ou des acteurs, dans le suivi d’une personne présentant une déficience intellectuelle dans un site donné. Les éducateurs indiquent les acteurs qui participent à leurs interventions et les motifs de ces dernières.

Analyse

Analyse de la nature des interventions

À partir des acteurs qu’elle engage, chaque intervention rapportée est classée selon sa nature directe, indirecte ou mixte. Les interventions directes engagent uniquement l’intervenant avec la personne. Les interventions indirectes excluent cette dernière pour rejoindre plutôt un acteur de son entourage ou de sa communauté. Enfin, les interventions sont mixtes lorsque l’intervenant interagit simultanément avec la personne et un autre acteur. Elles sont ensuite l’objet d’un calcul de la fréquence par services.

Analyse des motifs d’intervention et de leur fonction

Les motifs d’intervention rapportés par les éducateurs sont l’objet d’une analyse qualitative selon une stratégie inductive de catégorisation (L’Écuyer, 1990), c’est-à-dire structurée essentiellement à partir des informations recueillies sur le terrain, plutôt que de concepts préalablement définis. Un logiciel d’analyse qualitative (Q.S.R. NUDIST) est employé pour faciliter l’analyse des motifs d’intervention, considérant la complexité du système de catégories à pour se conformer aux principes d’exhaustivité, d’homogénéité et d’exclusivité. Selon ces principes, toutes les données recueillies se retrouvent, sans exception, dans une catégorie. De plus, chaque information se range dans une seule catégorie contenant des informations de même nature. Cette analyse permet de dégager 63 catégories de motifs d’intervention. Une fois développé le système de catégories, chaque motif d’intervention rapporté par les éducateurs est classé dans la catégorie appropriée. Accomplie par une assistante de recherche indépendante, cette opération met à l’épreuve la catégorisation en obligeant la clarification des sources d’imprécision ou d’ambiguïté dans la formulation des catégories.

Par la suite, suivant les mêmes principes d’analyse, un deuxième niveau d’analyse, conceptuellement plus élevé, porte sur les 63 catégories elles-mêmes. Il s’agit ici d’une analyse plus théorique visant à organiser les différents motifs d’intervention selon leur fonction dans la coadaptation, c’est-à-dire selon leur contribution spécifique dans l’optimisation de l’ajustement mutuel personne-entourage. Cette opération permet de regrouper les différents motifs d’interventions (déjà catégorisés) en tant que composantes d’une manifestation particulière de l’une ou l’autre de ces fonctions.

Résultats

L’ensemble des 40 éducateurs rapporte un total de 970 interventions, reliées à 1402 motifs, dans le suivi de 118 usagers.

La nature des interventions

Selon les services, le pourcentage d’interventions directes, indirectes ou mixtes varie tel qu’indiqué au tableau 1. Dans les services SPFP enfance et SPFP adolescence, les interventions directes ne représentent respectivement que 7 % et 4 % des interventions rapportées, indiquant une participation importante de l’entourage de la personne dans les interventions de l’éducateur. Cet apport de l’entourage diminue dans le service SPFP adulte où les éducateurs rapportent 47 % d’interventions directes. Ces dernières sont également importantes au service ISP en stage, mais surtout en plateau de travail où les éducateurs rapportent 81 % d’interventions directes.

Tableau 1

Nature des interventions rapportées selon les services

Nature des interventions rapportées selon les services

Note : Les cellules tramées indiquent le pourcentage le plus élevé obtenu par services.

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Les motifs d’intervention et leur fonction

L’analyse des 63 catégories de motifs d’intervention montre que ceux-ci se répartissent à l’intérieur de quatre fonctions : 1) la fonction de planification-évaluation d’actions ou de conditions affectant l’ajustement mutuel des acteurs ; 2) la fonction d’amélioration des compétences des acteurs à parfaire leur ajustement ; 3) la fonction de compensation des limites du répertoire de réponses de la personne ou des limites de son entourage ; 4) une fonction connexe à la réadaptation.

La fonction de planification-évaluation

La pratique de la coadaptation comprend d’abord des interventions ayant une fonction de planification-évaluation d’actions ou de conditions qui sont susceptibles d’affecter l’ajustement mutuel entre la personne et son entourage. L’analyse dégage deux modes de planification-évaluation, formel ou informel, selon que les intervenants se réfèrent ou non à des objectifs particuliers. Le mode formel se manifeste par des motifs d’intervention qui concernent la planification et l’appréciation de l’intervention en termes d’objectifs. Le mode informel s’effectue en cours de suivi, avec les acteurs sur le terrain, au regard d’une situation particulière à laquelle ils sont confrontés à court ou à moyen terme, plutôt qu’en référence explicite à des objectifs. Le tableau 2 expose les motifs d’intervention correspondant aux manifestations, suivant un mode formel ou informel, de la fonction de planification-évaluation. Ils représentent 28 des 63 motifs d’intervention dégagés au cours de l’étude, dont 25 de planification-évalutation informelle.

La fonction d’amélioration des compétences des acteurs

Plusieurs motifs d’intervention ont pour fonction l’amélioration des compétences des acteurs (voir tableau 3). Celle-ci se manifeste par l’amélioration des capacités de base de la personne ou par la supervision d’actions accomplies par des acteurs de l’entourage. Cependant, la réalisation d’apprentissages au plan technique et au plan du fonctionnement général peut rejoindre la personne et l’entourage.

La fonction de compensation des limites rencontrées par les acteurs

Certaines interventions ont une fonction de compensation des limites rencontrées par les acteurs (voir tableau 4). Il s’agit souvent des limites du répertoire de réponses adaptatives de la personne ou, encore, de la disponibilité de son entourage à réaliser certaines actions. L’étude fait état d’interventions qui assurent une représentation de la personne ou d’un membre de sa famille dans diverses situations ou démarches. La fonction de compensation des limites se manifeste également par une modification de l’entourage ou du contexte pour restreindre l’ampleur des difficultés. Elle vient également pallier les limites de la personne au plan procédural ou, enfin, fournir une orientation et une direction aux acteurs.

Tableau 2

Fonction de planification-évaluation

Fonction de planification-évaluation

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Tableau 3

La fonction d’amélioration des compétences chez les acteurs

La fonction d’amélioration des compétences chez les acteurs

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Les fonctions connexes à l’intervention de coadaptation

Sans être de l’ordre de la coadaptation proprement dite, diverses actions des éducateurs se greffent à celle-ci pour la consolider (voir tableau 5). Elles ont une fonction connexe qui se manifeste par la socialisation informelle de l’éducateur avec les autres acteurs, par des interventions d’ordre logistique ou, encore, par la référence d’un acteur de l’entourage de la personne à un autre service.

En résumé, la fonction de planification-évaluation est la plus importante, regroupant 44 % des catégories de motifs d’interventions développées lors de la première étape d’analyse. Viennent ensuite les fonctions de compensation des limites des acteurs et connexes à l’intervention de coadaptation proprement dite lesquelles représentent respectivement 22 % et 17 % des catégories de motifs. Enfin, 16 % de ces dernières ont une fonction d’amélioration des compétences des acteurs.

Tableau 4

La fonction de compensation des limites du répertoire de réponses adaptatives de la personne et des limites de son entourage

La fonction de compensation des limites du répertoire de réponses adaptatives de la personne et des limites de son entourage

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Discussion des résultats

Des interventions qui engagent la personne et son entourage

Le suivi des personnes en sites réguliers ne repose plus sur une action exclusive de l’éducateur avec la personne, mais sollicite la participation d’autres acteurs (Gagnier et Proulx, 2000 ; MSSS, 1999, 1988 ; Carrier et Fortin, 1997b). Dans l’ensemble des services SPFP, la somme des interventions auxquelles participe un membre de l’entourage ou de la communauté de la personne – interventions indirectes ou mixtes – prédominent sur les interventions directes. Cette contribution de l’entourage semble particulièrement importante au SPFP enfance et au SPFP adolescence, à en juger par la rareté des interventions directes. Cela n’est sûrement pas étranger aux orientations actuelles qui reconnaissent que tout enfant mineur doit évoluer dans sa famille (MSSS, 2001) et qu’à cette fin il importe de la soutenir et de la rendre apte à intervenir auprès du jeune (CRDIM, 2000). Au SPFP à l’adulte, une augmentation des interventions directes révèle une difficulté accrue des éducateurs à mobiliser, dans leurs actions, le réseau social des adultes – si ce n’est une insuffisance du réseau lui-même, alors que les familles sont peut-être moins systématiquement présentes que dans le cas des enfants et des adolescents.

Tableau 5

Les fonctions connexes à la réadaptation

Les fonctions connexes à la réadaptation

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Par ailleurs, dans l’ensemble des services ISP, les interventions directes augmentent suivant l’intensité de l’encadrement inhérent au service offert. Comparativement au service ISP en emploi où les personnes présentent souvent un degré d’autonomie plus élevé, les interventions directes deviennent plus fréquentes en stage, puis nettement prédominantes en plateau de travail. Continuellement présent dans le plateau de travail, l’éducateur supervise étroitement la personne et sollicite peu son entourage dans le suivi de celle-ci (Chadsey et al., 1997). Permettant une intégration en groupe de personnes présentant des limitations plus marquées que celles bénéficiant des autres services ISP, le plateau de travail se situe vraisemblablement au carrefour de l’intervention en sites réguliers et de celle en sites spécialisés (Carrier et Fortin, 2002). Implantés et gérés par les CRDI, les sites spécialisés regroupent les personnes sur la base de leurs incapacités intellectuelles pour leur offrir des services spécialisés, tels les centres de jour, les ateliers de travail, etc. L’ISP en plateau de travail s’assimile à une pratique en sites spécialisés où, outre les personnes elles-mêmes, le personnel éducateur devient l’entourage.

Définir la pratique de coadaptation en sites réguliers

Si l’on se réfère à la théorie de la normalité ajustée (Carrier, 2001 ; Fortin et Carrier, 2000), les différentes interventions, rapportées par les éducateurs dans le suivi des personnes présentant une déficience intellectuelle en sites réguliers, témoignent d’une aide professionnelle visant à optimiser l’ajustement mutuel et continu qui s’opère entre la personne et son entourage. À cet égard, il ne s’agit plus du suivi de la personne, mais plutôt du suivi de celle-ci avec son entourage. Élargissant la vision de la réadaptation (Tremblay, Boucher et Charbonneau, 2000), la coadaptation s’accomplit au bénéfice de l’ensemble de ces acteurs, dans le défi quotidien de parvenir à vivre ensemble harmonieusement.

L’analyse des différents motifs d’intervention, puis leur organisation à l’intérieur d’un ensemble de fonctions, fournit des éléments pour situer et définir la pratique de coadaptation. D’abord, la prédominance des motifs d’intervention ayant une fonction de planification-évaluation rejoint la définition de l’OPHQ (1984) désignant la réadaptation comme un processus planifié. Toutefois, les résultats montrent qu’une large part de cette planification-évaluation survient en cours d’action, et cela, peut-être davantage en référence au vécu actuel des acteurs qu’en fonction d’un plan individualisé d’intervention ou de services antérieurement conçu pour la personne. Sauf en plateau de travail, l’éducateur n’offre pas une présence constante à la personne et à son entourage. Aussi, prend-il soin de vérifier régulièrement l’évolution de la situation des acteurs et de planifier en conséquence, avec eux, des conditions ou des actions propices à leur ajustement optimal. En sites réguliers où l’intervenant exerce peu de contrôle, le plan d’intervention devient davantage un plan qui se construit qu’un plan qu’on applique (Carrier et Fortin, 1998). Or, actuellement, seuls les mécanismes formels de planification des interventions ou des services ont une reconnaissance au plan légal, administratif et clinique. En vue d’une plus grande adéquation des mécanismes de planfication-évaluation à la pratique, l’apport respectif des modes formels et informels qu’utilisent les intervenants en sites réguliers demeure à clarifier.

La mise en place d’activités d’apprentissage est associée à la réadaptation – traditionnellement conçue comme étant axée sur le développement de l’autonomie de la personne (MSSS,1999, 1987 ; Association des Centres d’Accueil du Québec – ACAQ, 1985 ; MAS, 1977). Dans la coadaptation, cette fonction d’amélioration des compétences se trouve élargie et inclut l’entourage de la personne. Il en va de même de la fonction de compensation puisque certaines interventions pallient non seulement les limites du répertoire de réponses adaptatives de la personne, mais également les limites (souvent en termes de disponibilité) de son entourage. Notamment, l’étude fait état d’interventions qui assurent une représentation de la personne ou de sa famille dans diverses situations ou démarches. Ces interventions sont souvent, à tort, banalisées sous le vocable d’accompagnement, comme le fait Pelletier (1994, cité par Bégin, 1996) qui les oppose à la réadaptation. Enfin, l’étude reconnaît la réalisation, par les éducateurs, d’actions ayant une fonction connexe à la coadaptation proprement dite. Les interventions de socialisation informelle ou de référence consolident les rapports qu’entretient l’intervenant avec les acteurs ; elles témoignent d’une sollicitude face à leur vécu – au-delà de ce qui touche directement l’ajustement personne-entourage qui constitue la préoccupation centrale de l’éducateur.

Les différentes fonctions de l’intervention relevées dans cette étude précisent la pratique de coadaptation. Elles contribuent à baliser le rôle de l’intervenant lequel n’est pas toujours clair (Gagnier et Proulx, 2000). De plus, en lien avec la théorie de la normalité ajustée, cette étude permet d’introduire la définition suivante :

La pratique de coadaptation est un ensemble d’interventions professionnelles et contextuelles, accomplies avec et pour la personne présentant une déficience intellectuelle ou son entourage. Ces interventions visent à optimiser leur ajustement continu et mutuel, à l’intérieur de sites réguliers, de manière à ce qu’il soit satisfaisant et harmonieux pour l’ensemble.

Les interventions de coadaptation s’articulent à l’intérieur de trois fonctions principales : la planification / évaluation d’actions ou de conditions susceptibles d’affecter cet ajustement ; l’amélioration des compétences des acteurs ou encore, la compensation des limites du répertoire de réponses adaptatives de la personne et des limites de son entourage à parfaire leur ajustement. À cela s’ajoutent des interventions ayant une fonction connexe à la coadaptation proprement dite lesquelles viennent toutefois consolider cette pratique.

Les conceptions de la pratique que véhiculent les écrits d’orientation fournissent une perspective aux actions quotidiennes des gestionnaires et des intervenants dans la réalisation de la mission des CRDI et jouent un rôle d’importance dans l’évolution des services. La définition de la coadaptation, introduite à l’issue de cette étude, constitue une invitation à améliorer, à partir de données empiriques, la connaissance et la compréhension de cette pratique méconnue et novatrice en faveur de sa progression au plan conceptuel.