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Quelle est l’influence des configurations institutionnelles locales dans le traitement de cette diversité, du pluralisme politique ? Les institutions locales et métropolitaines permettent-elles un traitement alternatif de la diversité par rapport à celui opéré par les institutions nationales ? Quel est le poids du cadre politique national ? À l’inverse, existe-t-il des effets localité ou des cultures politiques territoriales qui affectent le traitement de la diversité culturelle ?

Tiré du résumé du livre.

Ces quatre questions, centrales, trouvent réponse essentiellement dans le premier texte (Jouve et Gagnon) qui introduit l’ouvrage.

Après un bref survol des changements de repères paradigmatiques qui représentent de véritables défis pour les sciences sociales, à penser ou repenser le monde, de l’ère « westphalienne », à la chute du mur de Berlin, jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, Wieviorka soulève en préface deux questions. La première :

Et en même temps que les sociétés s’ethnicisent, que la mobilité des individus rend difficile de séparer les problèmes internes à l’État-nation, et ceux qui lui sont externes, une idée à fait son chemin, popularisée par le politologue américain Samuel Huntington dès le début des années 1990 : le monde n’est-il pas entré dans une période où menace le « clash » des civilisations ?

p. 10.

La seconde :

Ne vivons-nous pas une période de déficit démocratique, et en particulier de crise de la représentation politique – montée des extrémismes, du populisme, de l’abstention électorale, accusations visant le personnel politique dans sa totalité, par exemple dès qu’il s’agit de corruption ?

p. 11.

Reconnu classiquement comme le lieu de fonctionnement de la démocratie, l’État-nation se transforme, s’adapte, mais ne suffit plus. D’autres espaces se renforcent, c’est le cas de l’espace supranational, alors que de nouveaux émergent. La ville, en effet, « devient elle aussi globale » (p. 11) et s’érige comme un espace politique de première importance. Ainsi, les villes suscitent un intérêt particulier pour « l’articulation des jeux politiques qu’elles mettent en forme avec ce qui se joue à d’autres niveaux, régions, État, espaces supranationaux » (p. 12).

Le premier texte, de Bernard Jouve et Alain-G. Gagnon, « Métropoles, diversité culturelle et changement politique », met de l’avant deux dimensions : la première s’intéresse aux minorités nationales et aux droits polyethniques. La seconde relève des dynamiques propres au milieu urbain, inscrivant ainsi « la ville au coeur des travaux sur le pluralisme communautaire et la diversité culturelle » (p. 16). Par le truchement des thèmes liés aux dynamiques identitaires, à la communauté, aux minorités politiques face aux métropoles, aux régimes nationaux de citoyenneté, aux nouveaux mouvements sociaux, aux effets d’un accès à l’agenda politique, les auteurs font l’état des connaissances sur la question, en présentant tour à tour les 11 études de cas qui suivent. Celles-ci viennent en quelque sorte renforcer ce premier texte et jouent un rôle explicatif et illustratif. Pour le présent exercice, quelques éléments apparaissant comme essentiels ont été brièvement relevés pour chacun des textes. Ils font la preuve par ailleurs, selon les auteurs, que les « minorités politiques » interviennent localement au plan urbain, et ce, à plusieurs égards.

Le deuxième texte, de Romain Garbaye, « La montée en puissance du “pouvoir musulman” dans les villes britanniques et françaises : vingt ans d’évolution parallèle », examine les modalités de la participation musulmane à la vie politique municipale, c’est-à-dire dans les institutions formelles du pouvoir, les Conseils municipaux et les administrations municipales, en Grande-Bretagne et en France. D’un pays à l’autre, cette participation est vraisemblablement très différente et relève, notamment, de « l’épaisseur historique d’implantation des communautés issues de l’immigration » (Jouve et Gagnon, p. 32).

Le troisième texte, de Claire de Galembert, « La construction de l’Islam comme ressource d’autorité politique du pouvoir local : la parabole de Mantes-la-Jolie », traite des relations entre la municipalité de Mantes-la-Jolie et sa mosquée. Le cas illustre bien qu’en milieu urbain les « minorités politiques » interviennent localement en matière de participation à la prise de décision. L’auteure met en relief les mécanismes de cooptation entre le politique et le religieux, qu’elle qualifie d’« éminemment personnels » (p. 90), allant à l’encontre par ailleurs de la « Loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État » (Jouve et Gagnon, p. 33).

Le quatrième texte, de Georges Felouzis, « Mixité urbaine et ségrégation ethnique dans les collèges français », propose de centrer la réflexion « sur les mécanismes de ségrégation scolaire dans leurs rapports à l’urbain » (p. 95), à partir de l’exemple d’un quartier en voie de transformation sociale. Il démontre que dans un contexte de transformation urbaine, fortement inhérent à la hausse des prix de l’immobilier, la prise en main de l’école par les classes moyennes « est un élément stratégique de première importance dans la conquête de nouveaux espaces urbains » (p. 107). Ici, des « minorités politiques » interviennent localement au plan urbain en matière d’accès à l’école et illustrent la profonde imbrication entre les phénomènes urbains et scolaires. « Ce n’est qu’à ce prix que certains quartiers peuvent se gentrifier et amorcer ainsi une transformation sociale et ethnique progressive […], la ségrégation urbaine venant nourrir la ségrégation scolaire » (p. 107).

Le cinquième texte, de Jacqueline Heinen, « Femmes et politiques municipales en Europe », aborde la question des femmes et de la vie politique municipale dans sept États européens. Ici, « l’existence de législations rendant obligatoire la présence de femmes sur les listes municipales apparaît bien comme une condition importante mais non suffisante pour que le système politique local s’ouvre » (Jouve et Gagnon, p. 31-32). En réalité,

Les villes ne disposent pas des ressources législatives pour produire des régimes de citoyenneté alternatifs, voire concurrents de ceux élaborés par les États. Aussi, elles s’enchâssent dans des régimes qui les surplombent et qui conditionnent en partie les capacités d’action des groupes minoritaires.

Jouve et Gagnon, p. 29

La participation véritable des femmes aux instances décisionnelles publiques locales reste donc, selon l’auteure, tributaire d’une évolution du cadre législatif national d’abord, puis liée à l’importance du niveau d’organisation des mouvements féministes et à leur accès à l’agenda politique municipal.

Le sixième texte, d’Emmanuel Négrier, « Politique, culture et diversité dans la France urbaine contemporaine », se consacre à la prise en compte de la diversité culturelle au sein de la politique publique nationale et analyse comment elle « s’est peu à peu “imposée”, notamment par le biais de la politique de la ville […] » (Jouve et Gagnon, p. 31). L’auteur analyse le lien problématique, dans le cas de la France urbaine, entre les deux types de définitions auxquelles la culture renvoie : celle qui fait référence à « l’ensemble des modes de vie qui caractérisent une population, un territoire, une catégorie sociale » (p. 137) et celle « qui entoure la production d’oeuvres d’art, de références spirituelles et de création […] » (ibid.). Les perspectives d’interculturalisme suggèrent ici « le maintien d’un cadre universaliste, assorti d’une évaluation permanente de son adaptation empirique » (p. 152), en opposition à « la multiplication de cadres réglementaires adaptatifs et contradictoires entre eux » (ibid.) qui va à l’encontre de la diversité culturelle.

Le septième texte, de Frank Eckardt, « Gestion de la diversité et politique municipale : le cas allemand », montre comment une politique locale s’adapte progressivement pour faire face à la diversification culturelle, en s’appuyant sur trois exemples : Francfort, Hambourg et Dresde.

Il reste vrai, souligne l’auteur, que « les dispositifs juridiques nationaux exercent certes une influence mais somme toute limitée et qui se limite à la promulgation de quelques grands principes qui ne sont d’ailleurs pas toujours respectés » (p. 173). Même si des différences importantes sont soulignées d’une ville à l’autre et que celles-ci n’ont pas réellement « les moyens législatifs de concurrencer les États, elles disposent toutefois de capacité d’initiative politique indéniable qui en font des espaces politiques d’expérimentation » (Jouve et Gagnon, p. 29). Ces villes ont eu, somme toute, à l’échelle nationale, des influences importantes.

Le huitième texte, de Liette Gilbert, « Négocier la diversité : tensions entre discours nationaux et pratiques urbaines en Amérique du Nord », soutient, à partir des exemples canadien et américain que « les processus d’immigration et la reconnaissance de la diversité sociale se manifestent de différentes façons et à plusieurs échelles » (p. 190). Au lieu du multiculturalisme de la politique fédérale canadienne, le Québec propose « une politique d’interculturalisme », alors que « les États-Unis n’ont pas de politique officielle en faveur de la diversité culturelle » (p. 180). Dans des contextes aussi divers, il n’en demeure pas moins que l’engagement d’une société pour un pluralisme culturel et politique se mesure d’abord à partir « des défis et des occasions rencontrés par les immigrants dans leurs vécus quotidiens et des (ré)actions d’une société hôte prête (ou non) à accepter et encourager leurs contributions » (p. 190).

Le neuvième texte, de Hank V. Savitch et Ron Vogel, « L’hyperpluralisme revisité : La poursuite de la fragmentation des villes aux États-Unis », examine l’état d’hyperpluralisme urbain des trente plus grandes villes des États-Unis, une dizaine d’années après que ce diagnostic a été posé. Les auteurs constatent un « réétalonnage spatial de l’hyperpluralisme » (Jouve et Gagnon, p. 35), c’est-à-dire un déplacement vers les banlieues de même qu’un clivage politique marqué entre celles-ci et les centres-villes.

Le dixième texte, d’Arnold Fleishmann, « Communauté homosexuelle et pouvoir urbain à Atlanta : Vers une redéfinition du régime urbain ? », démontre comment

Alors que l’environnement politique et culturel n’était guère propice à l’affirmation de préférences sexuelles jugées déviantes par le groupe dominant, la communauté homosexuelle à Atlanta a réussi à se doter de ressources institutionnelles qui ont remis en question des pratiques politiques discriminatoires et ont reformaté l’agenda politique municipal.

Jouve et Gagnon, p. 31

L’auteur présente, d’une part, la structure d’opportunités politiques qui a permis au mouvement « d’accéder au pouvoir et de se faire des alliés influents » (p. 238). Son influence sur le régime urbain d’Atlanta, d’autre part, reste très limitée, si l’on tient compte des coalitions et de la mobilisation des ressources restreintes.

Le onzième texte, d’Annick Germain et Martin Alain, « La question de la diversité à l’épreuve de la métropole ou les vertus de l’adhocratisme montréalais », explore « les enjeux politiques associés à la gestion de la diversité dans la métropole montréalaise » (p. 245), considérant que cette ville atypique laisse présager pour les métropoles « un avenir unique » (p. 246). Les auteurs font état d’un « modèle de cohabitation distante mais pacifique » (p. 253) qui a peu à voir, de fait, avec les paradigmes dominants en études urbaines. En somme, avancent les auteurs, Montréal n’est « Ni Chicago ni Los Angeles… pas plus que Miami » (p. 257). Les communautés ethniques n’y sont pas diluées comme à Chicago. Montréal se distingue aussi de Los Angeles, définie comme « une ville éclatée avec son lot de fragmentations et de ruptures des solidarités entre les communautés fermées (gated communities) et les ghettos ethniques » (p. 257). Puis, l’absence de sentiment d’appartenance des communautés culturelles, associée à Miami, n’est pas non plus caractéristique de la ville montréalaise. « Ville cosmopolite et bilingue […], Montréal apparaît pour bon nombre d’immigrants habitant cette ville le seul lieu au Québec, voire au Canada où ils se sentent à l’aise, voire chez eux » (p. 257). Ultimement, les auteurs soulignent que du thème de la diversité urbaine, Montréal n’en fait pas une priorité.

Le douzième texte, de Christian Poirier, « Communautés ethniques, groupes d’intérêt et institutions à Ottawa et Vancouver », vise à aller « au-delà d’un simple calcul du nombre d’élus locaux appartenant à une communauté ethnique » (p. 264), pour saisir les paramètres de la gestion de la diversité ethnique dans ces villes. Phénomènes complexes, la gouvernance interethnique et la représentation des intérêts ethniques, même s’ils font l’objet d’une volonté d’engagement dans le discours, font face à des hésitations importantes, directement liées notamment à l’absence de ressources financières conséquentes.

Même s’il est vrai que chacun des chapitres de cet ouvrage peut faire l’objet d’une thèse en soi, ce livre est au moins une occasion de prendre le pouls international des nouvelles configurations sociopolitiques relatives à la question de la diversité culturelle au xxie siècle. On retiendra de cette analyse, fondée sur plusieurs études de cas, que non seulement la notion de « diversité culturelle » est définie et donc abordée différemment d’un pays à l’autre, mais qu’elle se vit et se gouverne au quotidien, dans les localités, de manière tout à fait singulière, selon les contextes. Par ailleurs, plusieurs auteurs rapportent l’importance contextuelle de personnes qui, parfois, peuvent changer bien des choses. Enfin, bien que certaines illustrations locales soient exemplaires, l’immigration et l’intégration à une société hôte continuent d’apparaître comme étant un processus souvent difficile et toujours délicat.