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Dans ce numéro, Nouvelles pratiques sociales présente un dossier thématique préparé par Lucie Gélineau, Alexandre Pagès, Jean-Yves Desgagnés et Lorraine Gaudreau qui porte sur la pauvreté et l’intervention sociale en milieu rural. L’entrevue, réalisée par Sylvie Lévesque et Audrey Gonin, s’intéresse aux enjeux liés à l’accès aux services d’avortement au Québec. Nous présentons également cinq articles hors du dossier thématique ainsi que trois contributions dans la rubrique Échos de pratique, qui présentent différentes réalisations et réflexions dans le domaine de l’intervention.

Le dossier thématique

Dans les représentations médiatiques, dans l’imaginaire social collectif, mais également dans l’imaginaire des intervenantes et intervenants sociaux, les images de la pauvreté et des problèmes sociaux sont, plus souvent qu’autrement, radicalement campées dans un contexte urbain. Évoquons par exemple les images de quartiers sales ou dangereux, les logements barricadés, l’itinérant subsistant à la porte d’une station de métro, la personne toxicomane dans une ruelle, la mère de famille dans un comptoir d’aide alimentaire, l’immigrant discriminé… Fondamentalement, c’est à une remise en question de ces images que nous invite le dossier intitulé Pauvreté et intervention sociale en milieu rural qui a été préparé par Lucie Gélineau, du département de psychosociologie et de travail social de l’UQAR, Alexandre Pagès, du département de Carrières Sociales de l’Université de Franche-Comté, Jean-Yves Desgagnés et Lorraine Gaudreau, tous deux également du département de psychosociologie et de travail social de l’UQAR. Le dossier comprend un texte de présentation, rédigé par les responsables du dossier, sept articles et deux Échos de pratique.

Selon les responsables du dossier thématique, l’ignorance entretenue sur les manifestations de la pauvreté et des problèmes sociaux hors des grands centres urbains, que cette ignorance soit le résultat d’idées préconçues ou de l’absence de recherche systématique sur ces questions, soulève une interrogation de fond sur le plan de la justice sociale. Le dossier a été construit en fonction de trois objectifs centraux. Premièrement, il s’agit de définir et de documenter les formes que prennent la pauvreté et les différents problèmes sociaux dans un contexte de ruralité. Deuxièmement, il importe de documenter et de décrire quelles sont les stratégies de lutte qui se développent face à ces problèmes sociaux, quelles sont les formes d’intervention et comment évaluer leur succès ou leur pertinence, quelles sont les adaptations individuelles, familiales ou collectives face à ces problèmes. Finalement, il s’agit de mesurer l’impact de la structuration des lieux décisionnels ou de l’organisation des services dans un tel contexte. Le dossier que nous publions aujourd’hui n’est que le début d’une réponse à ces questions et, de concert avec les personnes responsables du dossier, nous croyons que les efforts d’étude et de recherche doivent se poursuivre.

L’entrevue

Réalisée par Sylvie Lévesque et Audrey Gonin, respectivement professeures au département de sexologie et à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, l’entrevue présente le contenu d’une rencontre avec Anne-Marie Messier, du Centre de santé des femmes de Montréal. Cet entretien permet de faire un état des lieux sur l’accès à l’avortement au Québec et de discuter des principaux enjeux liés à cette question.

Il est malheureusement trop facile de croire que la question de l’accès à l’avortement, à de l’information et à des services liés à leur santé reproductive soit une question réglée pour les femmes du Québec. Les propos d’Anne-Marie Messier permettent de faire un retour sur l’histoire du Centre de santé des femmes de Montréal, sur l’évolution de ses actions et sur le développement de ses services, mais également de placer ces transformations dans le contexte plus large de la lutte sociale pour le droit à l’avortement. De rappeler les luttes pour la décriminalisation de l’avortement, de raconter à nouveau l’histoire de Chantal Daigle qui a permis de confirmer le droit des femmes à décider par elles-mêmes d’avoir recours à un avortement et de revenir sur la bataille juridique qui a permis un accès gratuit à l’avortement permet de constater que des efforts constants doivent continuer à être consentis pour assurer la pérennité des gains réalisés. L’entrevue aborde également quelques-uns des enjeux principaux actuels. Premièrement, la question de l’accessibilité aux services est toujours d’actualité, particulièrement pour les avortements qui doivent se dérouler lors du troisième trimestre de la grossesse. Même si des améliorations sont notées, trop de femmes doivent encore avoir recours à des services à l’étranger, que ce soit pour trouver le service ou bien pour éviter des comités éthiques qui sont progressivement réapparus dans le paysage québécois. L’accessibilité également pour les femmes des régions, par le développement d’une aide financière qui permet le déplacement de ces femmes vers des services disponibles en milieu urbain. Deuxièmement, l’entretien pose la question d’accès à des services de santé reproductrice pour les femmes immigrantes : bien sûr, la question des obstacles financiers qui sont souvent liés à l’absence de couverture médicale pour les femmes qui arrivent au Canada ou bien pour les étudiantes étrangères, mais également la difficulté d’accès qui est liée à une méconnaissance des droits. Et pour le futur ? L’entrevue se termine en évoquant quelques terrains de lutte pour les prochaines années : l’accès à une contraception gratuite, la qualité des soins qui entourent la grossesse et l’accouchement, notamment l’éradication de ce qui est nommé comme des violences obstétricales, et également, la question de l’éducation à la sexualité.

Échos de pratique

Dans un texte intitulé Contrer la pauvreté dans la MRC d’Antoine-Labelle, Michèle Duval, de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, et Louise Picard, du CISSS des Laurentides (Mont-Laurier), reviennent sur l’expérience d’intervention « Cultiver pour nourrir ». Dans le contexte d’une municipalité régionale clairement défavorisée sur les plans de la scolarisation, des revenus d’emploi, du taux d’emploi et du taux de chômage, le projet s’organise autour de l’idée de production locale de légumes, d’approvisionnement des banques alimentaires locales, de l’utilisation de lieux de culture et du développement de lieux d’insertion sociale et professionnelle, le tout dans une perspective de développement communautaire. Le récit de l’expérience d’intervention est bien présenté, mais ce qui fait la force du texte, c’est la réflexion sur la pertinence de l’expérience en fonction des caractéristiques d’un milieu de vie rural, particulièrement au niveau des formes de sociabilité qui lui sont propres : le rapport au territoire, le haut degré de solidarité et le fait que les membres de cette communauté se connaissent entre eux et s’identifient fortement à leur communauté.

Toutes impliquées au centre de recherche sur le vieillissement de Sherbrooke, Suzanne Garon, de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, Chrystine Lavoie, Annie Veil et Marie Boivin, organisatrice communautaire au CIUSSS de l’Estrie-CHUS s’intéressent au rôle des intervenants en action collective et des intervenants sociaux dans leur contribution intitulée Favoriser le développement de l’habitation communautaire pour les ainés en milieu rural québécois. Faisant appel aux conclusions d’une série de recherches menées depuis une dizaine d’années sur les municipalités amies des ainés (MADA) et privilégiant une logique de développement de l’habitation communautaire, les auteures explorent les principaux enjeux liés au logement des ainés en contexte de ruralité. Deux modèles d’habitation sont présentés, celui de la maison centre de services, qui couvre l’ensemble du continuum de soins et de services nécessaires, et celui de la petite maison, qui repose sur le désir de construire un milieu de vie proche d’une réalité familiale. Le texte présente également les différents rôles que peuvent jouer les intervenants en action collective dans l’identification des problèmes, dans la mobilisation des acteurs et des ressources, et dans la construction d’une concertation locale, ainsi que les rôles des intervenants responsables de suivis individuels, principalement dans l’identification des besoins individuels.

C’est une réflexion sur les enjeux d’optimisation des soins de santé et des services sociaux qu’offre Alain Dupuis de l’École des sciences de l’Administration de la TÉLUQ. Après une brève présentation d’éléments historiques et d’outils conceptuels qui appuieront l’analyse, l’auteur s’engage dans une étude de ce qu’il nomme la controverse « Proaction », firme de consultants en gestion qui est intervenue dans une quinzaine établissements du réseau québécois de santé et de services sociaux. L’étude a été réalisée à partir d’un corpus constitué de plus de 130 articles, reportages ou communiqués de presse. Trois thèmes principaux émergent de l’analyse et permettent de décrire les oppositions qui sont au centre de la controverse : la réduction du gaspillage, l’établissement de standards de production et l’évaluation de l’implantation du modèle de gestion au moyen d’indicateurs chiffrés. Dans le premier cas, alors que les protagonistes se déclarent en accord avec l’objectif, c’est du point de vue de la mise en oeuvre que les oppositions surviennent. Dans le second cas, le débat porte sur la simplification à outrance d’un travail complexe et sur le désengagement des personnes dans un tel contexte. Finalement, la présence d’indicateurs chiffrés ne permet pas de construire un accord sur ce qui doit, en fait, être mesuré.

Les articles hors dossier thématique

Au nom d’une imposante équipe de recherche, Baptiste Godrie, professeur associé au département de sociologie de l’Université de Montréal et chercheur au CREMIS ainsi que Guillaume Ouellet, professeur associé au département de sociologie de l’UQAM et chercheur au CIUSSS Centre-Sud de l’ile de Montréal présentent un texte intitulé Participation citoyenne et recherche participative dans le champ des inégalités sociales. Les auteurs y font état d’une recherche réalisée dans une perspective méta et qui s’est intéressée aux effets de processus de participation citoyenne sur les inégalités sociales. Ce travail se base sur l’ensemble des recherches menées au cours des dernières années par les personnes associées à l’équipe de recherche PRAXCIT et sur des entretiens menés avec ces personnes. Deux cas de figure émergent rapidement : celui où les chercheurs travaillent à l’analyse d’espaces de parole ou de participation existants et celui où ils contribuent à la création et à la construction de tels espaces. Suite à la présentation d’exemples de recherches menées, la discussion s’intéresse aux possibilités de travailler à faire émerger des savoirs peu présents dans l’espace social, de juxtaposer, voire de croiser des savoirs issus du monde académique et de l’expérience des populations et finalement, de reposer la question du pouvoir dans le cadre de recherche de cette nature.

Célyne Lalande, professeure au département de travail social de l’UQO, Sonia Gauthier, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal, Marie-Ève Bouthillier, chercheure au CRI-VIFF et Lise Montmigny, professeure associée à l’École de travail social de l’Université de Montréal ont contribué à la rédaction de l’article intitulé Difficultés éthiques liées à l’intervention auprès des femmes victimes de violence conjugale qui ne désirent pas dénoncer la violence qu’elles vivent aux autorités. Dans le contexte d’un conflit qui se présente souvent en intervention entre la responsabilité d’assurer le bienêtre et la sécurité d’une personne et le respect du droit de celle-ci de faire ses propres choix, l’article examine le travail de réflexion en action de praticiennes travaillant dans le domaine. Après un survol de l’état des connaissances sur ces questions et une présentation du cadre éthique et du cadre axiologique de la pratique, les auteures décrivent quelques-uns des dilemmes éthiques auxquels doivent faire face les intervenantes. Jusqu’à quel point les intervenantes doivent-elles insister pour convaincre les femmes de dénoncer leur situation ? Les intervenantes doivent-elles mettre de côté, ou non, leur valeur de confidentialité ? Doivent-elles dévoiler ou cacher à la femme la mise en place à son insu de mesures de sécurité ? Le tout, bien sûr, se déroulant sur un fond de malaise éthique permanent : jusqu’à quel point tolérer l’intolérable ?

Dans un article intitulé L’appel à un tiers en cas de conflit interindividuel : expériences de médiateurs et d’intervenants, Véronique Strimelle du département de criminologie de l’Université d’Ottawa et Alice Jaspart de l’Université libre de Bruxelles esquissent une cartographie du processus de médiation qui survient au moment où des personnes prennent la décision d’avoir recours à un tiers afin de tenter de résoudre un conflit vécu. La recherche à l’origine de l’article a été menée par entretiens semi-directifs auprès d’intervenants travaillant au Québec dans des organismes de justice alternative, dans des services de défense de droits ou bien qui oeuvrent comme médiateurs interculturels. Cette recherche voulait décrire les raisons qui motivent une personne à faire appel à un service de résolution de conflit et voir comment les personnes qui assurent ces services conçoivent leur rôle. Cette cartographie de la médiation permet de voir les trajectoires possibles de résolution de conflits, trajectoires qui sont bien sûr marquées et déterminées par la nature du territoire. D’un côté, le texte parle des motivations des personnes qui vivent une situation de conflit, du temps d’incubation nécessaire à la formulation d’une demande de médiation, du caractère grave du problème vécu et de l’atteinte d’un espace vital qui n’est pas négociable. De l’autre côté, le texte décrit des pratiques et des réponses qui permettent de faire l’inventaire des possibilités d’action et de dégager les modalités possibles de résolution du conflit. En conclusion, les auteures s’interrogent sur la place qu’il convient de donner en société à ces pratiques de médiation sociale.

Malgré l’offre et la disponibilité de services en santé sexuelle, les jeunes en situation de rue continuent de présenter plusieurs problèmes. Ceci soulève la question de l’adéquation entre les services et les besoins des jeunes. Philippe-Benoit Côté et Émilie Fournier, qui travaillent, l’un comme professeur et l’autre comme assistante de recherche, au département de sexologie de l’UQAM, abordent cette question par une recherche qui vise à documenter les motifs d’utilisation, ou non, de ces services. Parmi les motivations positives qui favorisent le recours aux services, les auteurs de l’article proposent le désir de préservation de leur santé face aux risques de la rue ainsi que la possibilité de s’engager dans une discussion avec des intervenants sur des problèmes spécifiques. À l’opposé, la difficulté à s’ouvrir sur des questions très personnelles, ainsi que le caractère secondaire des problèmes de santé sexuelle, si on les compare aux autres problèmes vécus sur la rue, sont quelques-unes des motivations qui expliquent la non-utilisation des services. La discussion des résultats de la recherche dégage des pistes pour l’adaptation et la transformation des services offerts aux jeunes de la rue.

Sarah Nogues et Diane-Gabrielle Tremblay, respectivement assistante de recherche et professeure à l’École des sciences administratives de la TÉLUQ, s’intéressent aux formes de soutien qui sont disponibles en milieu de travail pour les proches aidants dans un article intitulé La conciliation travail, famille, soins : analyse du soutien organisationnel. L’obligation pour de nombreuses personnes occupant un emploi de prendre soin d’un proche en perte d’autonomie est source de tensions et entraine souvent des comportements de retrait du travail ou des difficultés importantes pour s’y maintenir. Paradoxalement, le travail est également une source de ressourcement pour les proches aidants. Après un examen des productions scientifiques sur ces questions et une description du dispositif méthodologique de recherche utilisé, le texte présente les résultats d’une recherche exploratoire en s’intéressant aux éléments qui facilitent la conciliation ou bien qui lui font obstacle. L’article identifie finalement les limites de l’étude ainsi que des pistes et directions pour de futures recherches.

Bonne lecture !