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Les mouvements migratoires des dernières années ont fait émerger la question de la maltraitance en contexte de diversité culturelle dans les milieux de pratique et de recherche, notamment en lien avec la représentation disproportionnelle des enfants issus de minorités ethnoculturelles dans les services de protection de l’enfance (Lavergne et al., 2009). Au Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU), en protection de la jeunesse, plus de 37 % de la clientèle est issue de minorités ethnoculturelles (Sarmiento, 2015). Depuis les trois dernières décennies, le CJM-IU a dû s’adapter aux changements ethniques, religieux et culturels de la clientèle et développer des services correspondant aux besoins de celle-ci. Parmi ces services, le Service de consultation interculturelle (SCI) a été créé. Malgré qu’il existe depuis plus de 15 ans, aucune évaluation empirique de son apport dans l’intervention n’a été réalisée. Cet article documente la perception des intervenantes de la contribution du SCI du CJM-IU dans leur pratique en contexte de diversité culturelle.

L’intervention en contexte de diversitÉ culturelle

Selon le contexte de soins, les intervenants relèvent des difficultés spécifiques lors d’intervention auprès de familles issues des minorités culturelles. En centre jeunesse, ces principales difficultés incluent la méfiance envers l’organisation et la méconnaissance par la clientèle des langues d’usage, des institutions du pays et de leur mandat ainsi que du rôle des intervenants (Désy et al., 2007). En contexte spécifique d’application de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), des difficultés liées aux conceptions différentes des droits des enfants, aux définitions des motifs de compromission, au retrait du milieu familial et au recours au tribunal constituent d’importantes sources de chocs culturels (Désy et al., 2007 ; Chiasson-Lavoie et Roc, 2000). Conséquemment, l’intervention requiert du temps supplémentaire (Désy et al., 2007 ; Hassan et Rousseau, 2007 ; Lavergne et al., 2014) ainsi qu’une sensibilité culturelle de la part des intervenants. Cela est nécessaire pour favoriser la communication, l’empathie et l’alliance intervenant-famille, facteurs clés pour améliorer l’intégration de la famille dans la société d’accueil (Dufour et al., 2010 ; Kirmayer et al., 2014), pour minimiser le risque d’erreurs diagnostiques (De Plaen et al., 2005) et augmenter les effets positifs de l’intervention (Kirmayer et al., 2014). En effet, des études soulignent les effets néfastes des incompréhensions liées aux composantes culturelles, dont des évaluations incomplètes, des diagnostics erronés, un traitement inapproprié ainsi qu’une faible alliance thérapeutique (Kirmayer et al., 2003).

Afin de s’attaquer à la question des enjeux spécifiques à l’intervention en contexte de diversité culturelle, des séminaires interinstitutionnels de discussions de cas ont été mis sur pied à Montréal. Ils sont appréciés des cliniciens, car ils constituent un lieu de formation où des connaissances sont acquises et où les intervenants peuvent recevoir du soutien relativement aux sentiments d’impuissance vécus face aux grandes difficultés des familles (De Plaen et al., 2005 ; Rousseau et al., 2005). Les discussions de groupe permettent une contenance rassurante et valorisante, ce qui facilite la remise en question des pratiques institutionnelles usuelles, exercice nécessaire en intervention en contexte de diversité culturelle (De Plaen et al., 2005). La complexité est ainsi pensée et l’impuissance, les impasses thérapeutiques ainsi que les éléments culturels à tenir compte sont discutés, favorisant une compréhension holistique des situations familiales.

Le Service de consultation interculturelle du Centre jeunesse de MontrÉal-Institut universitaire

La présente recherche évalue un espace clinique semblable, soit le Service de consultation interculturelle[1] du CJM-IU, mis sur pied en 1998. Son mandat principal est d’offrir un soutien clinique aux intervenants qui oeuvrent auprès de familles issues des minorités culturelles (Chiasson et al., 2006). Le SCI vise à : 1) mieux cerner les composantes culturelles et migratoires qui influencent le vécu des familles ; 2) proposer un second regard sur les difficultés et les spécificités de ces familles ; et 3) offrir des services mieux adaptés à leurs besoins. Il offre trois types de consultations : 1) entre intervenants seulement ; 2) en présence de la famille et des professionnels impliqués au dossier ; et 3) une présentation et discussion de cas lors d’un séminaire interinstitutionnel (Chiasson et al., 2006). Son approche est inspirée de l’ethnopsychiatrie européenne (Moro, 2007) et de l’intervention interculturelle proposée par Cohen-Emerique (2000) qui soulèvent l’importance de la décentration, de la reconnaissance de l’autre, de la médiation et de la négociation. L’ethnopsychiatrie se pratique en groupe ; les thérapeutes s’intéressent au bagage culturel, à l’identité et à la vision du monde des individus (Moro, 2007). Ces deux approches préconisent que les cliniciens se décentrent de leur cadre conceptuel afin de s’ouvrir à celui de l’autre (Moro, 2007 ; Cohen-Emerique, 2000).

Depuis son implantation, ce service n’a pas fait l’objet d’une évaluation formelle de ses apports sur le plan de l’intervention, ce qui constitue l’objectif principal de cette étude. Plus spécifiquement, celle-ci vise à répondre aux questions suivantes : 1) quelle a été la réponse du SCI aux besoins exprimés par les intervenantes relativement aux défis et à leur vécu avec les familles issues de minorités ethnoculturelles au CJM-IU ? et 2) comment les intervenantes perçoivent-elles la contribution de ce service au niveau de leur intervention ?

MÉthodologie

Participantes[2]

À la suite de leur présence à une consultation du SCI, les agentes de relations humaines, les techniciennes en assistance sociale, les techniciennes en éducation spécialisée et les intervenantes de ressources contractuelles du CJM-IU ont été sollicitées.

La collecte de données s’est déroulée de novembre 2009 à novembre 2011. L’échantillon final est composé de 30 intervenantes (25 femmes et 5 hommes, âgés de 24 à 57 ans) impliquées auprès de 23 familles différentes et ayant participé à une consultation au SCI dans les années 2009-2011. Un total de 47 entrevues semi-structurées ont été réalisées, soit 26 au temps 1 et 21 au temps 2 (voir le tableau 1 pour les détails).

L’entrevue semi-structurée

Les questions ouvertes des entrevues ont été développées par les chercheures, validées par les cliniciens du SCI et ajustées après la première entrevue. Les entrevues individuelles du temps 1 ont eu lieu peu après la consultation au SCI et celles du temps 2, environ six mois plus tard. Les principaux thèmes étaient : 1) l’influence de la culture de la famille dans la compréhension de la situation vécue et son influence dans le travail effectué auprès de la famille, 2) les raisons de la nécessité d’une consultation interculturelle et la satisfaction de l’intervenante à l’égard de celle-ci, 3) l’impact de cette consultation dans la pratique auprès de la famille concernée et auprès d’autres familles issues des minorités ethnoculturelles et 4) les aspects plus généraux de la pratique interculturelle et l’expérience des intervenantes en lien avec celle-ci.

L’analyse qualitative des données

Une analyse thématique séquentielle des entrevues a été effectuée, selon la méthode de Paillé et Mucchielli (2008), à l’aide du logiciel NVivo. Plusieurs lectures ont été effectuées par l’équipe de recherche. Les premières étapes d’analyse en groupe et individuelle ont permis de valider l’accord interjuge, à la suite duquel les 41 autres entrevues ont été réparties entre les membres de l’équipe. L’arbre thématique a été bâti selon une procédure d’accord interjuges et enrichi tout au long des analyses. Toutes les entrevues ont été révisées en fonction de l’arbre thématique final (voir la figure 1). Cette analyse thématique descriptive a été suivie d’une analyse interprétative dans un processus itératif entre les données de la recherche et les concepts théoriques.

RÉsultats

Les raisons du recours au SCI

Plusieurs raisons motivent le recours au SCI. Il y a le besoin de mieux comprendre l’influence des enjeux culturels dans l’intervention, de départager ce qui relève réellement de la culture pour mieux réfléchir à l’intervention, à chercher une forme de validation ou encore, de trouver une solution à une impasse.

Mieux comprendre et départager les enjeux culturels présents dans la situation familiale

En consultant au SCI, les intervenantes sont en recherche d’informations diverses, telles que le mode de vie des familles dans le pays d’origine, leurs croyances religieuses ou liées à l’éducation des enfants ainsi que leur parcours migratoire. Elles souhaitent mieux comprendre le vécu des familles et les processus d’adaptation lors de l’arrivée au pays d’accueil, obtenir des informations sur la vie en camp de réfugiés, comprendre les dynamiques familiales et les relations hommes/femmes et parents/enfants, etc. Les intervenantes souhaitent ainsi départager ce qui est de l’ordre des spécificités culturelles de ce qui relève d’une problématique de santé mentale ou des caractéristiques individuelles des parents :

Pour comprendre les enjeux culturels associés à leur rôle de parent, pour pouvoir mieux évaluer leur capacité réelle en tant que parents qui ont des enjeux culturels et qui ont des enjeux personnels. Pour un peu aussi différencier les enjeux personnels des enjeux culturels[3]

Somme toute, les intervenantes veulent être sensibilisées aux implications liées au fait d’avoir une lecture et des schèmes de référence différents de la situation de la famille.

Pour obtenir des pistes de réflexion et d’intervention

Les intervenantes peuvent avoir recours au SCI pour obtenir des pistes de réflexion et d’intervention ainsi que des outils et des suggestions de sujets à aborder avec les familles. Également, le SCI peut servir de repère pour prendre des décisions et discuter des impacts possibles de celles-ci : « Pour cibler les enjeux culturels […] comprendre tout le contexte […] avant de prendre des décisions hâtives. »

Dans le même ordre d’idées, plusieurs intervenantes souhaitent que le SCI soit un espace pour réfléchir aux facteurs qui peuvent influencer la relation avec la famille et souhaitent créer un plus grand lien de confiance et diminuer la méfiance des parents : « au niveau de l’interculturel, on a les mêmes techniques, mais est-ce qu’il y a des outils qu’on peut utiliser pour nous aider, favoriser la communication, la compréhension […] ? ».

La complexité des situations, comme les conflits identitaires, les deuils réactivés dans les familles, les conflits intergénérationnels, le risque d’abandon des enfants, la présence de traumas spécifiques ou de problèmes de santé mentale, amène les intervenantes à ressentir le besoin d’être accompagnées dans l’intervention : « Je me sens un petit peu dans le vide sur comment aider ces enfants à vivre leurs deux cultures en même temps. Donc j’ai vraiment besoin qu’on me piste là-dedans. »

Les intervenantes souhaitent donc enrichir leur compréhension et leur intervention auprès de la famille par le recours au SCI.

Pour obtenir une validation du travail effectué

Plusieurs intervenantes souhaitent que le SCI soit un lieu où elles peuvent exposer les difficultés rencontrées tout en ayant une validation et une reconnaissance de leur travail. Lors des consultations où plusieurs intervenants oeuvrant au sein de la même famille sont présents, le SCI permet entre autres de briser les silos et de mettre les informations en commun afin de faire un bilan intégré :

Faire un bilan, où on est tous autour de la table et où on met toute l’information ensemble et qu’on puisse avoir des gens de l’extérieur qui sont spécialisés, pour nous donner leurs schèmes de référence […] que nous en tant qu’intervenants, on puisse juste ventiler, parler de nos observations, notre senti […].

Pour avoir tout essayé

Enfin, certaines intervenantes demandent une consultation au SCI quand il y a une impasse dans l’intervention et qu’elles croient que plus rien n’est possible : « De tenter une intervention différente pour arriver peut-être à un résultat différent ou du moins, être en équipe, parce que c’est difficile dans ces dossiers-là de travailler toute seule. »

Les intervenantes souhaitent ainsi avoir un regard extérieur afin que des alternatives et des avenues différentes soient proposées, car l’intervention selon la grille usuelle est difficilement applicable.

L’opinion des intervenantes sur leur consultation au SCI

Satisfaction

Les intervenantes sont satisfaites du SCI lorsque l’espace clinique est un lieu d’apprentissage sur la famille et sur la collecte d’informations et les façons d’aborder les sujets pour éviter que les parents ne se sentent menacés ou dénigrés. Plusieurs intervenantes ont mentionné que la consultation, même indirecte, avait permis de mieux comprendre la culture et l’histoire de la famille. Ces apprentissages les poussent à explorer de nouvelles sphères et ainsi, à considérer d’autres questions à poser à la famille :

Ce qui m’a satisfait[e] […] c’est vraiment la première partie où on m’a expliqué la culture, les rôles de l’homme et de la femme, de l’enfant […] puis ce que ça peut amener comme conflit au niveau familial et au niveau de leur support familial. Ça, c’était vraiment c’était numéro 1, je suis partie de là avec plein de nouvelles pistes pour pouvoir intervenir avec les parents.

Les intervenantes apprécient aussi le fait que le SCI propose un regard multidisciplinaire et extérieur où les divers intervenants qui gravitent autour de la famille sont réunis, pour réfléchir en groupe, définir le rôle de chacun et mettre en commun les informations sur la famille : « C’est vraiment satisfaisant ces consultations-là parce qu’il ressort plein d’observations, plein de faits, plein de pistes d’interventions auxquelles seule, je n’aurais pas pensé ou je n’aurais pas osé explorer. »

Le SCI offre également un soutien moral aux intervenantes, brise leur isolement et leur permet de discuter de leur contre-transfert :

Je pense que c’est la pire chose qu’on peut faire comme intervenante de rester prise seule avec ce qui se passe quand c’est difficile, quand ça n’avance pas et qu’on ne sait pas trop comment s’enligner, donc j’ai beaucoup aimé savoir qu’il y avait des gens qui vivaient un peu tout ça et qui étaient capables de me répondre et de me supporter.

De plus, il offre un espace à la famille où celle-ci est écoutée réellement :

Souvent, dans notre travail, on n’est pas capable de prendre une heure et demie, deux heures et laisser parler la mère de son vécu parce qu’on a tellement de choses à vérifier qu’on arrive avec presque une liste d’épicerie […] Tandis que là toute la place était donnée à cette mère.

Insatisfaction

En contrepartie, la principale source d’insatisfaction est la répétition d’informations déjà connues, qui ne permet pas aux intervenantes d’en apprendre davantage sur la famille :

J’ai été très déçue […] je n’ai pas eu le sentiment d’avoir appris quoi que ce soit. […] sauf voir le génogramme en expliquant la situation de cette famille […] Je veux dire, ils nous ont confirmé ce qu’on avait déjà pensé […] ça ne m’a rien, rien, rien appris.

Le SCI a été qualifié d’être « trop axé sur le systémique » lorsqu’il ciblait la situation familiale dans son ensemble plutôt que celle des enfants. Plus précisément, les intervenantes déplorent le fait que leurs demandes ou besoins précis ne trouvent pas directement de réponses : « Comprendre les impacts puis départager ce qui était culturel et comment on pouvait aider au niveau psychologique ou psychiatrique cette femme-là. Et je n’ai pas eu de réponses à ces besoins et c’est ce qui m’a le plus insatisfait […]. »

Dans certains cas, le SCI n’offre pas de pistes d’intervention, mais plutôt des pistes de réflexion. Ces suggestions peuvent être vues comme une surcharge de travail et ne répondent pas au besoin des intervenantes d’obtenir des outils concrets à appliquer immédiatement. Ainsi, les consultations au SCI sont perçues comme étant trop longues, surtout si les pistes d’intervention proposées sont jugées irréalistes :

J’ai l’impression que c’est deux mondes. Le monde de penseurs et nous on est sur le plancher, en action. […] L’approche n’est pas la même, le processus n’est pas le même […] nous on veut quelque chose qui va répondre là, dans l’action. On veut un outil qu’on va appliquer directement.

Les intervenantes se disent également insatisfaites lorsque les pistes d’intervention proposées par les cliniciens du SCI ne sont pas réalistes en fonction du mandat de la LPJ ou du contexte de travail : « Un des membres de la clinique disait “bien écoutez, si vous voulez qu’on donne de l’aide à cette famille-là, ça va être un travail à long terme, [...] une fois par semaine, est-ce que vous êtes prêts à embarquer là-dedans ?” […]»

Tout compte fait, les principales sources d’insatisfaction des intervenantes sont liées à l’écart entre leurs attentes vis-à-vis du SCI d’y trouver rapidement des solutions concrètes et applicables et l’approche plus réflexive préconisée par ce service.

Perception de l’effet du SCI au temps 2

Les analyses comparatives entre le temps 1 et le temps 2 se sont axées surtout sur l’intervention effectuée et sur la relation entre l’intervenante et la famille, les deux étant étroitement liées.

Les intervenantes expriment au temps 2 une plus grande empathie et sensibilité au vécu de la famille, notamment en qui concerne la souffrance du parent ou son histoire personnelle ou de migration, même si cela n’a pas d’effet sur le plan de l’intervention. Cette sensibilité a parfois permis un changement dans la relation avec les parents en raison de l’ouverture mutuelle créée par l’intérêt des intervenantes à leur histoire et une plus grande aisance face à eux : « Un impact sur mon intervention [a été de me rendre] plus sensible, donc de poser un peu plus de questions, de comprendre les réactions […] avec un certain aspect culturel. » Cela engendrait un effet positif sur l’intervention et le lien avec la famille puisque celle-ci se sentait mieux comprise, respectée et considérée :

On a été respectueux, on a entendu et compris ce qu’eux vivaient, on l’a transmis à la famille en disant « on a consulté, on a compris, ça, ça, ça, on a été validé auprès d’eux. » […] Ça a eu une incidence parce qu’aujourd’hui, c’est une famille qui dit « on aime vos services, on est content, on n’est pas tout à fait d’accord par rapport au pourquoi vous êtes là, mais on trouve ça aidant. ».

Plusieurs intervenantes ont mentionné au temps 2 qu’elles n’auraient pas compris tous les aspects de la situation vécue par la famille sans le recours au SCI. Elles y ont appris des sujets spécifiques à aborder, notamment le vécu prémigratoire, les pertes à la suite de l’immigration, l’adaptation au pays d’accueil et l’impact sur la relation parent-enfant ainsi que l’importance de trouver des compromis entre les valeurs du pays d’origine et le pays d’accueil. Cet apprentissage permet de porter leur attention sur l’origine de la problématique familiale plutôt qu’uniquement sur la gestion des symptômes. La consultation a ainsi permis d’ajuster l’intervention en conséquence, de faire preuve de créativité et de considérer d’autres pistes d’intervention.

Dans trois cas spécifiques, le SCI a été décrit par les intervenantes comme ayant eu un effet négatif sur la relation avec la famille, car la consultation ne s’est pas déroulée telle que prévue ; les parents l’ont perçue comme trop intrusive ou encore il y a eu bris de confidentialité à la suite du dévoilement de situations particulières en consultations directes.

Bien que la majorité des intervenantes disent avoir profité du recours au SCI, les recommandations émises lors de la consultation n’ont été intégrées au plan d’intervention que pour huit familles sur vingt-trois. Dans la majorité des cas donc, la consultation n’a pas apporté de changements à l’alliance et la collaboration avec les parents ni modifié le plan d’intervention, les recommandations au tribunal ou l’orientation du dossier.

Discussion

Le but de cet article était de documenter la contribution perçue du SCI lors d’interventions en contexte de diversité culturelle. À la lumière de nos résultats, les intervenantes ayant recours au SCI ont des attentes variées, ce qui en fait un espace clinique à multiples fonctions. Elles souhaitent y acquérir de l’information sur les enjeux culturels ainsi que des pistes de réflexion et d’intervention. Elles perçoivent le SCI tel un lieu de supervision et de validation de leur pratique. Le SCI permet alors de rendre les intervenantes plus sensibles aux enjeux culturels et migratoires et d’adapter leurs interventions en conséquence. Inversement, le SCI a été décrit comme étant inutile ou encore néfaste lorsque les consultations ne comblaient pas les attentes des intervenantes, si elles n’obtenaient pas de réponses à leurs questions, si les pistes d’intervention proposées avaient déjà été envisagées ou s’il n’y a pas eu d’effets sur la collaboration de la famille. En ce sens, la contribution du SCI est tributaire des attentes des intervenantes, mais également de l’amélioration de la compréhension de la dynamique familiale.

Les résultats permettent de constater que le SCI agit de manière alternée comme un lieu de réflexion ou comme un lieu d’action, selon les attentes et intérêts des intervenantes, ainsi que selon leur disposition à se remettre en question, à revisiter leurs pratiques ou encore, à réfléchir sur l’intervention à mettre en place. Les intervenantes voulant établir un plan d’action appréciaient le SCI lorsque la consultation apportait des moyens concrets d’intervention et étaient déçues lorsqu’elles ne recevaient pas de pistes d’intervention claires à appliquer immédiatement. Pour celles-ci, susciter la collaboration des parents afin qu’ils appliquent les interventions avec moins de résistance était la principale raison de consultation. Dans ces circonstances, il y avait une certaine réticence de la part des intervenantes à se remettre en question ou à aborder leur posture face à la famille en réfléchissant à leurs propres biais et préjugés, exercice pourtant nécessaire en intervention interculturelle (Cohen-Emerique, 2000). Cet écueil s’explique par le fait que le SCI propose une posture de découverte et de partage du savoir, qui parfois met en suspens les techniques d’intervention usuelles dans le cadre de la LPJ. Ainsi, le SCI peut avoir un effet déstabilisant pour certaines intervenantes, ce qui peut favoriser des réactions défensives face aux sentiments d’incompétence ou d’impuissance provoqués par la rencontre interculturelle. En effet, plusieurs intervenantes rencontrées dans le cadre de la recherche vivaient de tels sentiments face aux familles et devant le constat d’échec des moyens proposés pour mettre fin aux situations de compromission. Dans ce contexte, la rencontre interculturelle peut susciter un sentiment de menace identitaire chez les intervenantes lorsqu’elles perdent leur position d’experte face à des situations auxquelles elles ne peuvent donner sens (Cohen-Emerique, 2006). Il peut être alors difficile de dévoiler ce vécu souvent dissimulé derrière une insistance sur le plan d’action à mettre en place pour arriver à bien faire leur travail. Cet exercice de réflexion peut toutefois permettre de retrouver un sens et une source de valorisation à leur pratique (Cohen-Emerique, 2006), ce qui peut également enrichir la relation avec la famille.

Également, l’approche systémique du SCI était souvent perçue comme trop complexe et ne se centrant pas suffisamment sur les composantes culturelles ou sur les besoins des enfants. On se retrouvait ici face à un choc de cultures théoriques et institutionnelles, puisqu’en protection de l’enfance, les besoins des parents et des enfants peuvent être parfois considérés par les intervenantes comme étant en compétition (Harvey et Henderson, 2014), ce qui pose obstacle à une compréhension systémique de la situation familiale, pourtant nécessaire en contexte de diversité culturelle (De Plaen et al., 2005).

Dans l’état actuel des interventions en crise sur fond de pénurie au sein des institutions, des espaces marginaux tels que le SCI émergent comme étant des lieux privilégiés de réflexion et de soutien aux intervenantes afin d’améliorer la qualité des soins offerts, mais également leur confiance en leurs propres capacités et leur bien-être professionnel. Le SCI semble ainsi pour certaines intervenantes jouer un rôle déterminant pour développer, susciter puis maintenir chez elles une sensibilité aux enjeux culturels.

Implications pour la pratique et recommandations

Les résultats de notre recherche démontrent que le SCI partage les mêmes caractéristiques essentielles que les autres services qui ont été évalués en intervention culturelle (Rousseau et al., 2005). De plus, ils confirment ceux d’études effectuées dans les milieux hospitaliers (Kirmayer et al., 2014 ; 2003) qui permettent de conclure que la sensibilisation aux spécificités de l’intervention interculturelle et l’importance de se décentrer demeurent bien lacunaires dans les institutions de services de santé et services sociaux au Québec. Certes, l’intervention en contexte de protection de l’enfance pose des contraintes non négligeables pour les intervenantes et génère des sentiments d’incompétence, d’envahissement et parfois même d’impuissance. Elles sont confrontées à des exigences institutionnelles en termes d’efficacité et d’efficience, ainsi qu’à de multiples problématiques chez les familles, certaines ancrées depuis longtemps et difficilement modifiables sur une courte période. Le SCI se posant en lieu de réflexion et de remise en question plutôt qu’en donnant des recettes à appliquer, il suscite un sentiment de déséquilibre pour les intervenantes et une résistance subséquente.

Nos résultats mettent en lumière le besoin de formation des intervenantes, ce qui a également été relevé par d’autres auteurs : elles doivent être éclairées sur la nécessité de discuter des enjeux spécificiques au travail interculturel (Kirmayer et al., 2014 ; Kirmayer et al., 2003). Conséquemment aux réponses des participantes, il nous apparaît impératif que des activités de transfert des connaissances, telles que des formations, des modules universitaires, des espaces de discussion de cas, etc. soient offertes de manière plus globale et régulière. De plus, des espaces de supervision doivent être disponibles pour les intervenantes afin de mieux discuter de la complexité des dossiers et de leurs difficultés, ainsi que pour les soutenir pour une meilleure prise de décision dans l’intérêt des familles. Des espaces cliniques tels le SCI peuvent ainsi être des guides pour permettre aux intervenantes de contenir leur sentiment de déstabilisation et encourager l’adaptation des pratiques en contexte interculturel (De Plaen et al., 2005).

En ce qui concerne les modalités d’un service de consultation interculturelle dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, l’étude nous permet de constater qu’il n’y a pas de système clair de référence et de recours au SCI : la technique du « bouche-à-oreille », plutôt qu’une diffusion systématique d’informations sur ce service, fait en sorte qu’il demeure inconnu de certaines. Nous croyons qu’une meilleure diffusion (expliquant les objectifs, composantes et fonctionnement) devrait être effectuée. De surcroît, un tel service gagnerait à varier ses modalités de réponse et d’intervention (consultations téléphoniques, flexibilité dans les disponibilités des cliniciens et le lieu de rencontre) afin d’être plus accessible aux intervenantes.

Enfin, au moment de notre étude, les recommandations du SCI n’étaient pas documentées et ne figuraient pas dans le dossier des enfants. Tenant compte de l’important roulement de personnel en centre jeunesse, la remise d’un rapport écrit par les consultants du SCI, rapportant les principales conclusions et recommandations, apparaît nécessaire pour servir de rappel des possibilités d’intervention, des pistes à explorer et assurer la transmission d’informations lorsqu’il y a changement d’intervenante au dossier.

Pour conclure, nous rappelons l’importance d’espaces cliniques tels que le SCI pour soutenir les intervenantes dans leur pratique en contexte de diversité culturelle. Ces lieux de réflexion et de partage du contre-transfert peuvent permettre de diminuer la menace à l’identité professionnelle et personnelle, et ainsi augmenter le sentiment de compétence des intervenantes. Nous avons constaté qu’elles souhaitent apprendre et bonifier leur pratique, ainsi qu’améliorer l’alliance avec les familles. Leur offrir l'occasion d’y réfléchir dans des lieux sécuritaires peut être bénéfique ; cela rejaillira dans la relation avec les familles et dans l’intervention effectuée.

Limites

Cette étude a été réalisée auprès d’un petit nombre d’intervenantes oeuvrant au CJM-IU et ainsi, la généralisation des résultats à l’ensemble des intervenantes n’est pas possible. Également, il aurait été intéressant d’obtenir le point de vue des familles sur les effets de la consultation dans leur relation avec l’intervenante, mais aussi pour l’intervention. Des recherches donnant voix à cette population doivent être menées dans le futur.