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1. Introduction

Les privations de capacités fonctionnelles vécues par les personnes en situation de handicap ou connaissant les formes de vulnérabilité régulièrement associées au grand âge entretiennent des rapports difficiles avec l’exercice effectif des droits individuels fondamentaux. Bien sûr, les droits considérés comme fondamentaux (pour l’ordre social, politique et juridique), inaliénables et appelant un respect inconditionné (tels que les « droits de l’homme » de la Déclaration universelle de 1948) peuvent mener à la défense de repères normatifs plus précis dans des contextes argumentatifs particuliers ou bien dans l’évolution générale des valeurs structurant le débat public. Tels qu’en eux-mêmes ou bien à travers ces ramifications, les droits individuels reconnus comme fondamentaux semblent présupposer des aptitudes à la décision et à l’action qui risquent toujours de faire défaut aux personnes par l’effet de pertes fonctionnelles, quelles qu’en soient les sources (situation permanente de handicap, suites d’un accident, effet de maladies incapacitantes).

Ce risque évident peut aussi jouer un rôle de révélateur pour des problèmes moins évidents, et c’est le pari que nous prenons dans cette contribution. Si les droits que nous jugeons habituellement « fondamentaux » présupposent, pour être pleinement exercés, la jouissance de capacités inégalement attribuées (notamment sous l’influence de causes naturelles et d’accidents dans la vie sociale) et fragiles pour tous, peut-on éviter de s’interroger sur leur valeur expressive au regard de l’autonomie individuelle, si souvent donnée pour leur fondement et leur raison d’être ? Si nos droits fondamentaux ne s’affirment pleinement dans l’existence concrète qu’avec le soutien de capacités contingentes, à quel titre peuvent-ils vraiment être considérés comme l’expression privilégiée de l’autonomie reconnue aux individus dans la société et dans les institutions ?

Je voudrais développer ce questionnement dans deux directions. En premier lieu, j’examinerai sa dépendance par rapport aux manières courantes de se représenter l’impact, sur la liberté de choix, des pertes d’indépendance dans les choix. Dans nos représentations courantes, nous associons volontiers aux restrictions affectant les choix indépendants des restrictions qui concernent l’exercice des droits et l’expression de l’autonomie. N’est-ce pas alors à cause d’un modèle sous-jacent de la liberté de choix — un modèle peut-être trop pauvre pour s’appliquer utilement aux conditions de la vie sociale — que l’autonomie apparaît aujourd’hui si souvent comme une référence insuffisante ou contestable pour la prise en charge collective respectueuse des droits individuels fondamentaux ?

Si la réponse est positive, comme je le soutiendrai à partir d’une exploration sélective des rapports entre liberté de choix et pouvoir individuel de décision, nous pouvons avoir comme ambition raisonnable d’enrichir le modèle de la liberté de choix qui sous-tend nos références pratiques à l’autonomie des personnes, considérée comme un objectif (servi par la promotion des droits). En second lieu, il s’agira de montrer que la prise en charge collective et la réponse aux défis de l’organisation face à la dépendance gagnent à tenir compte, dans leur complexité, des modèles appropriés de la liberté de choix et du pouvoir personnel en contexte social.

2. Autonomie et pouvoirs individuels de décision dans les contextes de prise en charge

a) Les modèles de la liberté de choix ou du pouvoir individuel que nous associons à l’exercice autonome des droits

De par leurs prolongements juridiques et leur signification politique, les droits personnels fondamentaux ont une valeur expressive indéniable au regard de l’idéal d’autonomie personnelle qui synthétise nos valeurs courantes de liberté sociale et politique. Il ne sera pas question ici de le contester. L’autonomie, c’est-à-dire l’aptitude à décider par soi-même sans subir la détermination de son propre choix qui résulterait de l’oppression — ou, si l’on préfère, la propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi, pour suivre Kant dans les Fondements de la métaphysique des moeurs — est intimement liée au statut de personne. Cela ne s’entend pas toujours au sens juridique, mais toujours du moins au sens moral, voire ontologique. L’idée de personne, rappelle B. Baertschi (2005, p. 148) est, depuis Boèce, celle d’une substance individuelle de nature rationnelle. Cette conception est sans doute à la fois plus ancienne et plus profonde que l’avènement juridique des droits subjectifs associés à la personne. En conformité avec toutes les approches de la possession de la rationalité depuis Aristote au moins, cela ne peut guère être sans rapport avec la maîtrise de ses propres actes, donc l’aptitude à choisir pour de bonnes raisons (une sorte de pouvoir), en l’absence de contrainte forçant à emprunter telle ou telle direction dans la décision.

Au sujet de l’expression de notre autonomie par nos droits fondamentaux, parmi les conceptions banales dont je pense qu’il y a lieu de montrer la fragilité (du moins, la fragilité dans certains cas) figure en tout premier lieu celle-ci : la valeur expressive des droits proviendrait du fait que nos droits, dans leur strate fondamentale (partagée par tous et conditionnant hiérarchiquement nos choix significatifs), traduisent une liberté de choix proprement personnelle et destinée à s’imposer à la société. C’est, en résumant d’un trait un peu forcé, le modèle dans lequel « chacun fait ce qu’il veut ».

De prime abord, cette conception paraît bien entretenir un rapport étroit avec ce que signifie l’autonomie d’une manière générale : faire des choix intentionnels pour soi-même, d’une manière qui détermine l’action et qui n’est pas elle-même strictement déterminée par la coercition ou la pression extérieure[2]. Les idéaux d’autonomie que nous ont légués les Lumières renvoient au minimum à l’aptitude de chacun à vivre la vie qu’il entend mener, évidemment en rapport avec les circonstances historiques, sociales et culturelles qui donnent consistance aux choix humains. Établissant un lien entre les attentes morales et le droit, ils font incontestablement partie de « l’idéal d’une justice défendue par la loi » que le président Mandela associait à la restauration des droits humains (1996, p. 51). Toutefois, l’insistance exclusive sur l’autonomie et ses corrélats peut comporter le risque de nous conduire à voir seulement dans l’homme affaibli — celui qui ne peut plus adopter une position de surplomb par rapport aux circonstances qui limitent sa capacité de faire des choix — le porteur d’incapacités (Pelluchon 2008). Dans le champ du vieillissement, Bernard Ennuyer a insisté sur le chemin qui conduit d’une conception appauvrie de l’autonomie à une prise en charge insatisfaisante (Ennuyer 2004).

Dans le contexte des discussions sur l’éthique du soin des patients ou de la prise en charge des personnes à besoins spécifiques, l’impératif de respect de l’autonomie peut être décrit tantôt comme un fondement (en suivant Engelhardt, 1986), tantôt comme un principe important à mettre en équilibre avec d’autres (en particulier la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice, selon Beauchamp et Childress [1979] ou la dignité, le respect de l’intégrité et la prise en considération de la vulnérabilité selon Kemp et Rendtorff [2000]). À propos de la théorie de référence due à Beauchamp et Childress, on peut faire observer, à la suite de P. Cazals et al. (2012, p. 47) qu’il ne saurait être question de négliger, dans une approche de l’autonomie en contexte de soin, la « nature sociale des personnes » et l’impact des choix ou des actions sur autrui. La prise en considération d’aspects contextuels des situations paraît inévitable dans ces conditions.

De fait, le principe d’autonomie, comme le rappellent P. Cazals et al. (2012, p. 47), doit conduire à accorder une place aux émotions et aux liens psycho-affectifs entre les personnes ; or les émotions sont circonstanciées, et les liens psycho-affectifs sont des liens particuliers pour l’essentiel. On peut penser que cela a des conséquences non seulement pour les soins de santé motivés par la maladie, mais aussi pour les efforts de compensation des handicaps ou de la fragilité qui visent à restaurer ou à soutenir des aptitudes fonctionnelles compromises. En effet, comme l’a justement souligné Margaret S. Archer (2008, p. 57), il y a dans l’ordre pratique des émotions qui concernent spécifiquement notre « accomplissement fonctionnel ». Dans le rapport tâche-agent, chacun est confronté aux exigences associées aux différentes tâches ; or, confirme M. S. Archer :

[C]haque tâche impose ses exigences à l’« agent », si l’on veut qu’une performance compétente soit produite. Elle comporte donc ses propres normes qui donnent à l’« agent » un feedback (retour d’information) positif ou négatif. Autrement dit, le sentiment d’avoir échoué et le sentiment d’avoir réussi se répercutent sur le plan affectif

Archer, op. cit., p. 57

Pour ces raisons (et d’autres encore certainement), il est clair que les enjeux précis des choix individuels sont toujours contextuels. Bien sûr, les théories philosophiques de la décision et de la liberté ont besoin de s’appuyer sur des descriptions génériques et sur des modèles suffisamment abstraits pour être généralisables et facilement utilisables, mais il faut se garder de confondre les nécessités de la théorie et la description des contextes de l’application de la théorie. L’agent du libre choix individuel est, dans la vie sociale réelle, un être humain confronté à des termes du choix qui proviennent de contextes particuliers, propres à la société dans laquelle il évolue[3].

À coup sûr, la préservation de capacités de décision absolues (la capacité de décider seul en imposant sa volonté dans les cadres sociaux prévus, comme le consommateur au supermarché) peut apparaître dans certains contextes comme la sauvegarde d’une forme exigible de liberté. Mais n’est-ce pas un cas limite, celui de questions qui intéressent strictement la vie privée dans ce qu’elle de moins dépendant du regard et du concours d’autrui ? N’est-il pas abusif, au fond, d’y chercher la manière typique de maîtriser sa propre vie à travers ses choix personnels, comme y poussent des représentations très courantes, voire même simplement nos manières de parler de l’autonomie individuelle ?

Lorsque les facultés personnelles de discernement sont gravement altérées (par exemple dans la maladie d’Alzheimer à un stade avancé), il est constant qu’il est difficile de faire des choix personnels significatifs dont le respect vaudrait le respect de l’autonomie de la personne. Dans le cas des handicaps qui ne compromettent pas complètement l’aptitude à effectuer des choix personnels significatifs d’une manière autonome, le concours d’autrui et la prise en charge par des institutions peuvent cependant être nécessaires pour pallier les déficits fonctionnels et améliorer les conditions de l’action, pour atténuer les risques et pour assurer une meilleure concordance entre ce que souhaite entreprendre la personne et ce qu’elle réalise en effet.

Cependant, ce concours ne peut pas être pensé sur un mode simplement instrumental, à la manière du maniement indépendant, par un individu souverain, de l’aide d’autrui assimilée au simple outil de la restauration ou de l’exercice d’une fonction. En effet, comme le rappelle utilement Hubert Faes à propos de la personne humaine dans la perspective d’une théorie de la reconnaissance : « Elle ne peut […] jamais se rapporter à l’autre simplement comme au non-soi ou comme à un nuisible ou à un utile à elle-même parce qu’elle se rapporte à l’autre en tant que tel » (2008, p. 117).

b) Le modèle politique et le modèle de l’assistance

Ne peut-on raisonnablement supposer que les considérations précédentes sont prises en considération au moins tacitement par le discours sur la liberté de choix, si prégnant dans les démocraties libérales ? C’est ce que peut suggérer la reconnaissance habituelle du fait que les principes de liberté et d’autonomie doivent être « interprétés » (au vu de considérations diverses que les circonstances rendent pertinentes). Mais il se peut bien qu’il y ait tout de même une certaine emprise d’une conception appauvrie de la liberté de choix sur nos représentations courantes de ce que signifie « promouvoir l’autonomie » et « promouvoir les droits fondamentaux » (pour exprimer l’autonomie) dans le cas de la prise en charge des personnes présentant des déficits fonctionnels. Ces déficits, lorsqu’ils sont rapportés à la personne elle-même plutôt qu’à son interaction avec l’environnement de vie, paraissent aisément désigner un état de fait tout à fait transversal par rapport aux variations contextuelles.

Notre conception des droits fondamentaux a été façonnée par l’histoire politique et elle a de ce fait beaucoup à voir avec l’absence de domination par le pouvoir (ne pas subir involontairement ce qui est dommageable pour nous et ne sert pas l’intérêt commun, ne rien subir involontairement dans certains domaines personnels) et avec la protection (stable, crédible, garantie) contre une telle domination. Nos droits fondamentaux sont en grande partie des « droits contre » (autrui) : des droits que l’on fait valoir pour caractériser des abus (du pouvoir), des agressions (venues d’autrui) ou des manquements (le défaut d’action visant à réaliser ce à quoi l’on a droit). Quoi qu’il en soit d’un éventuel rapport causal (difficile à apprécier de toute façon), cette perspective familière pour tous est, me semble-t-il, tout à fait congruente avec l’idée que la promotion des droits dans un contexte de prise en charge collective (des handicaps ou d’états de vulnérabilité propres au grand âge) passe par la création artificielle de garanties passant par des contraintes sur l’action d’autrui.

Le concours apporté par des soignants, par les aidants et par les institutions apparaît corrélativement comme le pur instrument de la restauration d’options du choix qui étaient compromises ou hors d’atteinte. Cela revient à saisir le concours extérieur dans une perspective instrumentale : avoir des droits, ce serait avoir des garanties contre des manières inappropriées ou arbitraires de se comporter (de la part d’autrui). La promotion des droits impliquerait fondamentalement la restauration (garantie grâce à l’existence de devoirs ou contraintes pour autrui) de termes du choix compromis par la maladie ou par des pertes fonctionnelles.

Cette conception d’ensemble — dont il est montré ici qu’il faut s’éloigner — relève davantage des modèles de l’action collective et de la revendication politique que de l’analyse philosophique ou sociale. Pour le théoricien, il est en effet commode de se représenter les droits comme des garanties, afin de rationaliser la structure du discours et des arguments sur les droits et les obligations. De même, pour le théoricien, il y a une symétrie profonde entre les garanties que l’on associe en rendant obligatoires certaines actions pour autrui et les garanties que l’on obtient par l’interdiction faite à autrui d’agir autrement. À l’échelon de la revendication, toutefois, il n’est pas indifférent d’opter préférentiellement pour un modèle de l’approfondissement des droits qui se concentre exclusivement sur les obligations pour autrui. Car alors, on néglige la dimension relationnelle de la jouissance et de l’exercice des droits. Bien qu’il s’agisse d’une certaine mise en forme de la description et de la revendication plus que d’une doctrine de l’autonomie et des droits, ce point de vue n’est pas sans rapport avec les centres d’intérêt de la variante libertarienne du libéralisme contemporain. En effet, le libertarisme enveloppe en général un type de compréhension des droits dans lequel on présuppose, plus qu’on n’explore, la jouissance par l’individu de conditions de vie et d’interaction qui lui permettent de faire preuve d’une autonomie bien comprise dans ses choix, dans la formulation sociale de ses préférences et dans les initiatives qui mettent en jeu la qualité de ses relations avec autrui. C’est ce qui conduit régulièrement à se concentrer de manière à peu près exclusive sur les préférences de l’agent, sur les moyens de les satisfaire et sur les garanties que constituent les droits au regard de cette satisfaction.

Dans un modèle associant la recherche de garanties à une perspective globalement instrumentale sur le concours reçu, on risque de perdre de vue certains éléments importants, d’une manière qui pose problème. En tout premier lieu, le fait que le concours d’autrui n’est pas mécanique : quoi qu’il en soit des tentatives de normalisation, il passe par le dialogue, par l’adaptation aux besoins exprimés et, dans certains cas, par la négociation autour des modalités d’application ou d’interprétation des règles. Il faut faire la part de ce qu’Anne Fagot-Largeault décrivait comme « la dépendance de l’éthique concrète à l’égard de la bonne volonté des acteurs » (l’auteure rappelait d’ailleurs opportunément à cette occasion que « la bonne volonté est sujette à l’érosion », Fagot-Largeault, 2001, p. 30).

c) La dimension coopérative

Par ailleurs, contre quoi faut-il se protéger ? Dans le modèle politique d’arrière-plan des « garanties » associées à des droits, l’enjeu est de trouver des moyens institutionnels qui constituent des garanties contre les mauvaises intentions d’autrui ou les abus du pouvoir. Or ce modèle n’est pas aisément applicable aux questions de prise en charge pour le bien de patients ou de personnes aidées. Bien sûr, des abus peuvent avoir lieu et, de fait, il s’en produit ; ils peuvent être traités par des moyens juridiques ordinaires et, indéniablement, ils peuvent concerner les droits fondamentaux des personnes. Cependant, si l’on considère ce qui relève spécialement des soins ou de l’aide, la promotion des droits fondamentaux emprunte habituellement d’autres voies. Elle s’inscrit dans le concours accepté et dans des pratiques évolutives traversées par le dialogue et par la prise en considération des besoins. Dans les contextes médicaux, le dialogue est souvent lui-même porteur d’une prise de conscience élargie des besoins d’autrui, à partir de la relation de soin[4].

Ainsi, la dimension profondément coopérative de la relation de soin ou d’aide prive d’une grande partie de sa pertinence l’assimilation de la promotion des droits à l’érection de garanties contre le comportement inadapté des soignants ou des aidants, ou encore des institutions. Bien sûr, il est important de considérer que la promotion des droits peut comporter la prise en charge en vue de pallier des déficits fonctionnels, d’une manière qui restaure les marges de choix et les possibilités d’action dans toute la mesure du possible. Mais il y a un élément de créativité et d’ouverture au dialogue et aux possibilités contextuelles — un élément peu prévisible, donc (Guibet Lafaye et Picavet, 2009) — dans les manières d’assurer concrètement cette restauration des opportunités, avec la création d’options et d’actions possibles qui s’inscrivent dans la relation d’aide (ou de soin) et dans la création d’un mode de vie original.

Si donc le souci de l’autonomie de la personne assistée passe bien par l’effort pour lui redonner des opportunités significatives dans la vie (un projet de vie ou un mode de vie ordinaire porteur de sens), les arguments précédents suggèrent cependant qu’il est de mauvaise méthode de ne voir dans cette démarche que la reconstitution d’un modèle prédéterminé. En somme, il n’est pas forcément adapté d’assimiler la prise en charge à une opération de restauration d’un éventail de choix préalablement fixé, comme s’il s’agissait simplement d’annuler l’impact d’un facteur causal des pertes fonctionnelles.

Ainsi, les choix d’organisation dans les institutions de résidence des personnes âgées en situation de perte d’indépendance permettent à l’assistance de prendre forme d’une manière qui crée des expériences de vie originales. Ces expériences de vie peuvent très bien témoigner d’une faculté de mouvement, d’expression personnelle, d’élaboration d’un style de vie. Ainsi, S. Aymard (2015, p. 150) montre comment des personnes dont la conduite ordinaire de la vie se trouve désorientée à cause de la maladie d’Alzheimer peuvent acquérir une liberté de mouvement liée à leur rapport avec l’établissement de résidence et les garanties qu’il apporte, qui leur permet d’apparaître comme « promeneurs » plutôt que comme des « fugueurs » potentiels. D’autres éléments d’élection du style de vie sont favorisés par les initiatives et l’assistance qui entourent les repas (Aymard, 2015, p. 153). Sous l’influence du chef d’établissement notamment, il est tout à fait possible d’améliorer les formes concrètes d’assistance au sein des équipes et de donner de la souplesse à l’emploi du temps et aux formes de vie des personnes accueillies.

Dans le cas du maintien à domicile des personnes âgées connaissant des pertes d’indépendance dans les opérations de la vie quotidienne, l’étude de M. Bonnet (2001) avait fait ressortir les logiques de don et de contre-don qui font de l’aidant un personnage bien différent de l’exécutant qui aurait pour mission de restaurer un modèle préalablement perdu de l’autonomie. Il s’agit bien de relations originales, de formes nouvelles de soutien et d’interaction. Les rapports familiaux de soutien habituel, notamment, sont activement interrogés par les personnes faisant l’objet d’une assistance ; et ce, d’une manière qui met en relief les marges de manoeuvre, le contrôle de la situation, la réciprocité, la possibilité de prendre appui sur autrui pour ne pas tomber dans les renoncements faciles, etc. La richesse de ces relations est telle qu’elle ne se laisse pas réduire à la compensation d’insuffisances dans la régie décisionnelle de l’action.

d) Engagements, choix significatifs et liberté de choix

Si l’on évalue la liberté de choix et l’autonomie d’après la disponibilité des options — et spécialement d’après leur nombre — on met certainement l’accent sur une dimension importante de la thématique, mais on court un double risque. D’abord, on risque d’avoir à juger favorablement la multiplication de choix préférentiels potentiels qui sont pourtant non significatifs (des choix qui ne sont pas susceptibles d’être choisis, qui n’ont guère de sens au vu des choix de vie essentiels de la personne ou qui s’avèrent redondants pour l’essentiel les uns par rapport aux autres). Ensuite, on risque de ne pas voir que le libre choix, dans ses aspects qui intéressent l’autonomie personnelle, dépend de l’aptitude de l’agent à ne pas entériner systématiquement des changements de sa forme de vie, de ses pratiques ou de ses actions qui seraient induits par des variations contextuelles (relayées par ses propres préférences).

En effet, la liberté de choix fondée sur les préférences se caractérise par l’aptitude à choisir, mais aussi par l’aptitude à résister à des changements de cap ne reflétant que des préférences, mais non pas l’engagement sur des formes d’action ou des manières de vivre. C’est une composante des idées d’autonomie et de liberté personnelle de ne pas se réduire à des choix ponctuels fondés sur la préférence (dès lors capables de se modifier instantanément sous l’effet des changements du contexte, par exemple des changements dans les circonstances ou dans la situation des autres). On rapporte en effet à la liberté, au libre choix et à l’autonomie des notions telles que la détermination dans le choix d’une conduite ou d’une forme de vie, la résolution d’agir de telle ou telle façon, l’engagement dans un plan de vie, etc. On y oppose les choix liés à l’irrésolution, mais aussi les décisions à l’emporte-pièce qui, justement, peuvent apparaître, bien qu’elles ne soient pas contraintes, comme des problèmes pour le libre choix de personnes rationnelles, aptes à agir d’une manière autonome.

Le cadre d’analyse des choix préférentiels qui est utilisé en théorie de la décision obligeant à spécifier des options complètement décrites (plutôt que des actions décrites en termes généraux) permet bien de prendre conscience des formes pertinentes d’indépendance des choix par rapport à des variations non pertinentes. Ainsi, des variations contextuelles peuvent transformer un ensemble de choix en un autre, sans pour autant affecter la substance des choix concernés (l’étendue réelle et les caractères significatifs des possibilités ouvertes au choix). Dès lors, on peut comprendre que la résistance à des variations contextuelles non pertinentes pour un certain type d’engagement soit constitutive de certaines formes de libre choix qui importent pour l’autonomie individuelle. Dans la recherche de la liberté, l’agent peut s’appuyer sur une heuristique « positive » (choisir ce qu’il préfère, parmi les options qui s’offrent à lui) mais aussi sur une heuristique « négative » (sélectionner les occasions de « s’en tenir à ses choix » — en un sens qu’il cherche à préciser lui-même — lorsque les conditions contextuelles se modifient). N’est-ce pas à ce prix que les choix individuels peuvent être véritablement significatifs du point de vue de la personne concernée ? En particulier (et cela intervient dans la bonne compréhension de la portée du « paradoxe du Parétien libéral » de Sen, 1970, pour les raisons détaillées dans Picavet 2011, 2013), il importe aux choix autonomes de ne pas retracer une dépendance extrême par rapport à des évolutions dans la situation des autres, saisie dans ses dimensions les plus personnelles.

La manière courante de parler des droits et des libertés, qui s’appuie sur des « actions » et des formes de vie décrites en termes généraux, présuppose en fait l’achèvement au moins partiel, à n’importe quel moment de nos vies, de ce processus de discernement. En usant de termes de ce genre, on s’appuie tacitement sur une certaine insensibilité des intentions ou de la volonté de l’agent vis-à-vis des détails contextuels : « il veut faire quelque chose » (un point c’est tout…). En réalité, si ces mots ont un sens, il doit y avoir à l’arrière-plan l’assurance d’une forme de vie donnant à l’agent les moyens de « maintenir un cap » face à la diversité changeante des circonstances, pour faire ce qu’il « veut » véritablement faire. N’est-ce pas à ce prix que les actions participent à la construction de l’identité personnelle et, par contrecoup, à l’aptitude à rapporter les réalisations personnelles aux valeurs et aux objectifs de la personne elle-même ? Cette dernière aptitude a été caractérisée par Amartya Sen (1999), non sans raison, comme constitutive du fait même d’être un agent. Si l’on veut aller dans cette direction, il faut tout d’abord reconnaître, comme l’a fait observer John Davis (2007, p. 331) que les engagements pris envers autrui et les obligations librement endossées doivent figurer à l’arrière-plan, car eux seuls rendent possible, pour les individus, d’apprécier les situations ou les changements dans les termes des valeurs et objectifs pertinents pour leur propre vie au sein de la collectivité. Ces engagements et endossements, bien sûr, font partie des facteurs qui permettent aux agents de « maintenir le cap » dans l’action ou dans les projets de vie malgré les changements dans le contexte.

e) Besoins, coopération et liberté de choix

Si nous négligeons la dimension de l’adaptation mutuelle des actions des personnes dans l’exercice de la liberté de choix, notre vision de cette dernière risque d’être celle d’une « dictature locale », pour reprendre l’expression popularisée dans le domaine de la théorie des choix collectifs, à propos de la condition de « libéralisme » introduite par Amartya Sen en 1970 (la capacité d’emporter la décision dans le sens que l’on préfère à propos d’au moins un enjeu, si futile soit-il). Mais pourquoi le cas-limite — celui qui correspond à l’élection de motu proprio de certaines options sociales de préférence à d’autres, dans le plus grand désintérêt des autres personnes — devrait-il être une sorte de paradigme pour penser l’expression de l’autonomie (y compris en contexte social) ? N’est-ce pas finalement dommageable ?

Dans un contexte social, on peut considérer comme acquis que la liberté de choix ainsi comprise impliquerait en fait inévitablement la limitation de l’aptitude des individus à atteindre ou à réaliser ce qui les intéresse vraiment, ou ce qui va dans le sens de leurs intérêts ou besoins les plus sérieux. Certes, la liberté de choix semble souvent renvoyer à l’aptitude à aller de l’avant dans le sens de ses préférences, sans s’embarrasser de l’avis d’autrui et la pensée politique s’en détourne, compte tenu de l’importance du défi que représentent les régimes politiques trop prompts à contester aux individus les marges de décision personnelle. Toutefois, dans un monde social où l’entente et la coopération importent et sont possibles parmi des personnes qui ne sont pas opprimées par ailleurs, cette manière d’exercer des droits n’est certainement pas un chemin infaillible vers la réalisation des objectifs que l’on forme.

Cela est particulièrement clair dans le cas des relations d’aide et de soin, à propos desquelles on peut raisonnablement admettre que, sauf exception, les soignants et les aidants désirent avoir une action positive, allant dans le sens de la santé et de l’autonomie des personnes confiées à leurs soins. Dans ces conditions, le dialogue et la concertation importent, d’une manière plus centrale que la protection contre les comportements inadaptés : cette protection offre les moyens d’une réaction à des comportements que l’on ne souhaite pas, mais elle n’indique pas la direction des actions intentionnelles souhaitables. La protection juridique doit être garantie à l’arrière-plan, mais elle n’est pas le coeur de la problématique pour l’action et la coopération. Cela vaut notamment pour l’action collective au service de l’autonomie. Le défi central de la promotion de l’autonomie pour des personnes dépendantes ou affectées de déficits fonctionnels n’est-il pas de mettre en place des réponses adaptées aux besoins et aux attentes de personnes qui aspirent à pouvoir réaliser dans leur vie des choix qui portent leur marque ?

Cette direction de l’analyse paraît souhaitable au vu des considérations qui précèdent. Toutefois, elle présente une difficulté. Prendre au sérieux la coopération sociale, c’est aussi tenir compte sans détour du fait que « nos » choix sont la matérialisation d’états de fait qui doivent beaucoup aux autres. Ce qui nous arrive dans la vie courante dépend en grande partie de l’action des autres et des formes d’organisation collective qui prévalent. Dès lors, comment identifier dans l’action de l’agent capable de choix autonomes ce qui porte sa propre marque, comme paraissent l’exiger les aspirations à l’autonomie ? Et comment soutenir cette autonomie d’une manière qui fasse la part du concours des autres, mais sans induire un régime de domination ou d’assujettissement ? Ces questions sont complexes et il n’est pas sûr qu’elles appellent des réponses générales, dissociées des contextes de vie et d’assistance aux personnes. Toutefois, la manière de les aborder dans des cas importants passe certainement par une perception juste du pouvoir des personnes dans l’orientation de leur propre vie et dans la création des rapports qui les associent à d’autres personnes.

3. Des concepts de pouvoir à l’organisation pour l’autonomie

a) Concepts alternatifs du pouvoir, pertes fonctionnelles et handicaps

Il est aujourd’hui devenu courant (en particulier sous l’impulsion des classifications de l’Organisation mondiale de la santé) d’appréhender les situations de handicap selon trois axes : la fonction organique et la structure anatomique, l’activité et la participation, les facteurs environnementaux. Selon une approche de ce genre, le handicap, pour autant qu’on l’individualise pour le rapporter à une personne particulière, n’est pas directement assimilable à une perte ou au défaut de quelque chose ; il est plutôt la modification de l’expérience vécue qui résulte de facteurs internes et externes. Il doit bien sûr être pensé en même temps que l’environnement (le cadre de vie).

Les situations de dépendance tolèrent une approche qui peut converger avec celle du handicap ainsi conçu, mais il faut remarquer que la dépendance est habituellement décrite en mettant en valeur d’emblée la dimension relationnelle. Être dépendant, c’est être poussé à s’engager dans une certaine relation à autrui, qui peut découler d’un handicap. Par exemple, selon la formule de Pierre Schopflin, dans le rapport d’une commission présidée dans le cadre du xe Plan français (1989-1992) :

Est dépendante une personne adulte qui dépend d’un tiers pour les actes élémentaires de la vie courante et qui est inapte à réaliser les tâches domestiques lui permettant de vivre seule dans un logement ordinaire.

Si l’on considère le vieillissement comme un processus individuel, on peut dire que ses effets conduisent souvent à une forme ou une autre de dépendance ainsi comprise, par l’effet de la maladie ou simplement de la faiblesse et de la vulnérabilité aux perturbations de l’environnement. On a pu écrire, ainsi : « Le vieillissement correspond à un processus biologique, propre à chaque individu […]. Ce sont les effets du vieillissement qui vont conduire à la dépendance » (Henry – Crémon, 1990).

La structure propre à ces situations oblige à considérer avec attention les relations de pouvoir qui peuvent s’y loger et le rapport entre droits individuels et pouvoir. L’aspect essentiel à prendre en considération en première analyse est sans doute ce qui vient spontanément à l’esprit en raison des rôles sociaux impliqués, à savoir, la dimension coopérative de la relation. À l’aide réellement reçue répond l’assurance du travail bien fait ou le sens du service rendu (professionnel ou bénévole). Mais la coopération n’exclut pas le pouvoir. Aussi l’autonomie enveloppe-t-elle certaines formes de pouvoir dans les contextes relationnels de la prise en charge. Simplement, ces formes de pouvoir ne doivent pas être rabattues par postulation sur le modèle appauvrissant de la mise en action de « garanties contre » l’action d’autrui (le pouvoir de se garder de l’effet de certains choix d’autrui). Il faut plutôt renouer avec des perspectives sur le pouvoir qui conduisent à l’envisager à partir de normes propres à la relation d’aide, dans la continuité, disons, de l’approche du soin aux enfants préconisée par Locke dans un certain contraste avec la théorie de Hobbes ou celle de Filmer[5].

Dans ces conditions, il y a lieu de mobiliser les approches d’emblée coopératives du pouvoir, afin d’avoir accès à une conception du pouvoir ne consistant pas à prendre les devants contre les initiatives d’autrui, mais consistant bien plutôt à accompagner les efforts d’autrui en les accompagnant ou en les guidant dans la direction souhaitée. On peut citer dans cette perspective, par exemple, la contribution de Peter Coleman & Dieter Tjesvold (2000), qui se situe dans la continuité d’idées initialement présentées par Mary Parker Follett dans les années 1920 à propos du pouvoir envisagé non pas comme pouvoir « sur » (le pouvoir de A sur B) mais comme « pouvoir avec » autrui. Ce type de préoccupation conduit à s’intéresser à la co-action et aux aspects autres que coercitifs dans l’exercice d’un pouvoir, y compris pour des partenariats ou des relations familiales, et bien sûr pour la prise en charge et la relation d’aide aux personnes dépendantes. Développer la coopération serait d’emblée un moyen de faire refluer le mode unilatéral d’exercice des pouvoirs. Une telle approche enveloppe un certain nombre d’hypothèses de travail, comme le soulignent Coleman et Tjesvold.

Mentionnons d’abord l’hypothèse d’après laquelle le pouvoir peut dans certains cas s’accroître pour tout le monde, loin d’être un « bien rival » au sens économique. À travers des efforts indépendants mais convergeant dans la coopération, il est possible d’acquérir ensemble plus de pouvoir sur la situation. En second lieu, on suppose que le pouvoir peut se partager. Sous certaines conditions, on s’attend positivement à ce que les personnes mettent en commun pouvoir et ressources pour faire face aux situations qu’elles connaissent. Cela revient à mettre en avant tantôt une éthique de la coopération et de la réciprocité, tantôt la prise de conscience de la satisfaction possible des besoins ou des attentes dans le concours délibéré des volontés. Le paternalisme tolérable qui semble marquer nombre de relations s’inscrivant dans un contexte de « dépendance » ne pourrait-il être compris dans cette perspective ? Ne pourrait-on dire que l’invitation faite à autrui de réduire la part de ses prétentions strictement auto-centrées et indépendantes est capable de faire sens, dans certains cas au moins, pour ce qui est de la promotion conjointe des capacités d’action en vue de la réalisation d’objectifs partagés ? Cela paraît très vraisemblable, compte tenu de la nature même des activités de prise en charge.

Une autre hypothèse-clé concerne le fait que les relations de pouvoir sont à double sens. Certes, dans des représentations très courantes, liées à l’administration et à la politique, le politique est un pouvoir « sur » les autres, reposant sur un différentiel, certains étant placés dans une situation d’éminence par rapport à d’autres. Dans des contextes autres que politiques, toutefois, le pouvoir est plutôt à double sens (et cela peut d’ailleurs conduire à réexaminer les cas politiques et administratifs). L’influence mutuelle peut être très importante lorsqu’il s’agit de parvenir à ses fins en exerçant un pouvoir. Le pouvoir « conjoint » est alors à différencier du pouvoir exercé d’une manière indépendante. Dans chaque situation concrète, il faut se demander si les aspirations à exercer un pouvoir relèvent de l’une ou l’autre de ces catégories, et l’on peut y voir le moyen de décrire objectivement les formes subtiles d’influence réciproque qui sont l’ordinaire des récits de relations soignantes ou de relations d’aide (voir en ce sens M. Bonnet, 2001).

Enfin, on admet que les relations de pouvoir sont potentiellement coopératives. Le pouvoir, en effet, n’est pas incompatible avec l’existence de finalités communes et il peut s’accommoder d’un exercice coordonné en vue d’atteindre ou de poursuivre ces finalités. En ce sens, le pouvoir que l’on exerce sur soi-même, sur sa situation ou sur son environnement, ou encore sur les rapports avec autrui, peut faire l’objet de concessions, ou de réserve dans la manière de l’exercer, qui ne sont pas assimilables à une perte sèche pour le détenteur du pouvoir. Ainsi, dans une relation d’aide ou de prise en charge, chacun pourrait avoir intérêt, compte tenu des buts qui sont les siens (lesquels sont d’ailleurs en principe remarquablement convergents quant aux enjeux essentiels), à accepter et à encourager l’exercice d’un pouvoir par l’autre partie. Le pouvoir des autres pourrait ne pas signifier la perte de pouvoir pour soi-même en raison de la convergence dans les objectifs au service desquels on doit placer l’exercice des pouvoirs que l’on a.

Dans la relation étroite entre non-rivalité et coopération qui s’observe alors, le pouvoir d’affecter les résultats ou d’opérer des changements peut s’accroître du fait d’une attitude de plus grande ouverture à l’influence des autres. C’est là une perspective intéressante pour aborder la conflictualité dans les relations d’aide, de soin ou de prise en charge collective, en particulier pour les protocoles de « gestion de cas » mettant en jeu les prérogatives légitimes des soignants ou aidants et les volontés des personnes prises en charge. L’harmonie naissant de la prise de conscience des virtualités coopératives de la situation n’émerge pas automatiquement : elle a besoin d’un travail de construction dans le dialogue et parfois dans la médiation. Il est d’autant plus précieux de disposer d’ouvertures vers le travail de construction commune de solutions face à des problèmes qui rassemblent autant qu’ils révèlent les divisions.

De manière voisine, on insiste aussi, dans ce type d’approche, sur la prise de conscience du fait que la réceptivité à l’influence des autres est de nature à favoriser le pouvoir que l’on a sur sa propre situation. C’est alors un pouvoir en partie « induit » par l’ouverture à ce que les autres ont à dire et à proposer en fonction des objectifs qui leur sont propres. La transition vers l’impératif de dialogue est alors naturelle : si chacun en est persuadé, il est possible d’entrer ensemble dans un processus de dialogue sans craindre que ce processus n’enveloppe une prise de pouvoir des autres qui serait nuisible pour soi-même.

En somme, on peut chercher à développer à partir de considérations assez simples une conception utilisable et positive du pouvoir, accordée à une juste appréciation des contributions des uns et des autres. On préserverait ainsi la promotion de l’autonomie bien comprise. Mais assurément, il faudrait tout d’abord accepter de rompre avec une conception plus ou moins « solipsiste » de l’autonomie, d’après laquelle je pourrais être un agent autonome sans me préoccuper de l’autonomie d’autrui pourvu seulement que j’arrive à mes fins, éventuellement en imposant aux autres des choses contre lesquelles ils ne peuvent rien. Dans le cas de la relation d’aide ou de soin, de telles ressources conceptuelles et descriptives sont tout à fait pertinentes, semble-t-il, pour appréhender la relation au type de pouvoir individuel que l’on peut associer aux droits fondamentaux individuels. On ne peut s’inscrire sans réflexion dans cette « lutte pour se dégager du collectif » que Todd Meyers (2013) décèle dans des discussions contemporaines de la tension entre le soin et le choix, s’il est vrai que le choix individuel mérite d’être épaulé par l’entente réciproque dans un processus associant plusieurs personnes.

b) Fragilité et dépendance dans la réciprocité

Si l’on part de l’idée que le pouvoir est un concept relationnel, résidant dans le rapport de la personne à son contexte de vie et à autrui, on doit en venir à penser aussi qu’il est déterminé non pas seulement par les caractéristiques de la personne ou des personnes considérées, non pas seulement par les caractéristiques de la situation, mais par l’interaction entre ces groupes de facteurs. Dans le cas des personnes âgées connaissant des situations de dépendance, ou dans le cas de personnes connaissant des situations de handicap avec une prise en charge insuffisante, le complexe de problèmes que l’on rapporte à la « fragilité »[6] peut souvent se laisser analyser dans les termes d’une perte ou d’un manque du « pouvoir » conçu dans ces termes. Ce complexe de problèmes appelle alors un traitement clairement relationnel.

La fragilité est liée à la perte ou au défaut de capacités mais aussi au traitement social des personnes et aux dénis de reconnaissance. La fragilité croissante consiste dans le fait de pouvoir être déstabilisé par une gamme plus large d’événements exogènes. En outre, on peut rattacher à la thématique de la fragilité certains problèmes du grand âge qui font obstacle, dans une certaine mesure, à la prévention : « l’incapacité » de faire face à une nouvelle situation en changeant ses habitudes, l’isolement, les difficultés de mobilité, le parcours de vie parfois accidenté » (ce qui s’ajoute aux pathologies chroniques et polypathologies — Agirc-Arrco 2010, p. 21).

Pour aborder des problèmes de cet ordre, M. Bonnet (2001) a proposé une approche de l’autonomie que l’on peut appeler « dynamique », reposant sur les interactions sociales à l’oeuvre et en évolution (le soutien reçu, les propositions rencontrées, la réciprocité maintenue ou développée, le contrôle acquis ou retrouvé, etc.). Dans la pratique de la création de réciprocité, un aspect important de la promotion d’une réciprocité maintenue est la recherche d’une valorisation adéquate de la contribution actuelle des « seniors » à la vie sociale[7].

La dépendance est alors perçue « comme une question de limites acceptables par le sujet, au-delà desquelles il renonce à lutter » (Bonnet 2001, p. 95) ; ce qui rendrait vital de comprendre, à partir des représentations des sujets concernés eux-mêmes, la manière dont se construisent les limites que l’on s’impose ou que l’on perçoit. Le soutien réciproque joue un rôle essentiel dans toute cette approche. Selon M. Bonnet en effet, l’autonomie « se différencie de l’indépendance complète, de la liberté totale, de l’individualisme et de l’isolement » ; elle est une façon d’être « moins dépendant » tout en restant « ouvert à l’interdépendance » (p. 52). D’où cette approche qui prend appui, justement, sur l’interdépendance (p. 52) :

[L]’autonomie se gagne en prenant appui sur tout ce qui, autour de l’être, tisse le réseau social (la mère, le père, les pairs, les amis, la société). Pour la personne âgée, l’isolement et la solitude ne s’assimilent pas à l’autonomie puisque pour être autonome, il faut pouvoir s’éprouver responsable et en communion avec les autres.

[…] [L]’autonomie se traduit par un comportement d’échange mutuel, d’écoute, de réciprocité puisqu’elle se cherche dans la communication et le partage. Et la dépendance renvoie aussi à une logique de lien, de réciprocité. Il serait essentiel, à propos des personnes âgées, d’examiner comment elles participent à cette circulation de dons qui les maintiennent en action dans la relation

Bonnet 2001, p. 52

Ces développements issus de l’étude de situations concrètes suggèrent fortement qu’une conception limitative de la liberté de choix a peu de chances de nous aider à saisir adéquatement les réquisits de l’autonomie dans un contexte de prise en charge collective, pour des raisons qui tiennent aux limites d’une conception trop pauvre de ce que signifie « avoir du pouvoir » dans les choix libres concernant sa propre situation. Par ailleurs, et de manière étroitement liée, une telle conception limitative fait sans doute partie des raisons pour lesquelles l’idéal d’autonomie apparaît trop abstrait lorsqu’on se penche sur les réponses sociales aux besoins fonctionnels et sur les exigences d’une prise en charge effectivement respectueuse des personnes. On opposera alors volontiers la fragilité à l’autonomie et l’on adossera les repères normatifs à la première de ces notions plutôt qu’à la seconde.

Il n’en demeure pas moins vrai que l’autonomie personnelle fait partie de nos références normatives centrales pour la mise en ordre des pratiques. C’est une notion qui ouvre un passage entre les références générales de la vie publique (tels les « droits de l’homme » ou le principe républicain de liberté) et les normes gouvernant les pratiques. Dès lors, au lieu de la contourner complètement, il peut sembler plus adapté de l’enrichir grâce à une conception plus complexe et plus appropriée du libre choix dans l’exercice d’un pouvoir personnel de chacun sur ses propres conditions de vie. S’il est vrai que l’autonomie est à comprendre en un sens relationnel (comme le pouvoir dont l’affaiblissement est une source de fragilisation), l’autonomie ne s’oppose pas à la fragilité ; au contraire, la fragilité est au coeur des relations dans lesquelles l’autonomie s’incarne. Il semble bien alors que la clé des développements à privilégier pour l’avenir de notre « dépendance » soit à rechercher dans la direction d’une prise en considération de la liberté de choix qui soit en pleine compatibilité avec les conditions réelles de manifestation de l’autonomie (des conditions souvent marquées par diverses formes de fragilité).

c) L’action collective pour les droits et l’autonomie : stratégie collective et autonomie

La prise en charge collective et l’organisation, confrontées aux réalités des pertes fonctionnelles et de la dépendance, ne doivent-elles pas, de fait, incorporer graduellement la complexité de la liberté de choix et des capacités individuelles en contexte social ? On peut le penser pour les raisons que nous avons examinées, et il y a lieu de croire que cela engage notre conception de la solidarité. Dans cet esprit, admettons qu’il y a bien lieu de développer aussi, jusque dans ses implications concrètes (techniques, médicales) et organisationnelles, l’exigence d’autonomie des personnes et des citoyens, indissociable des projets républicains et démocratiques fondateurs de rejet de la domination sociale, de promotion des droits, de valorisation du développement humain et du bien-être, de recherche de l’organisation délibérée et rationnelle face aux enjeux collectifs.

L’enjeu est alors la recherche consciente, en lien avec des normes et des exigences générales, d’une organisation rationnelle face à des enjeux majeurs qui concernent tout le monde, tels que le vieillissement, le handicap permanent ou les invalidités temporaires consécutives aux maladies et aux accidents. En France par exemple, à partir du rapport Laroque de 1962, la vieillesse est devenue en tant que telle un champ d’action pour les politiques sociales, malgré les problèmes de définition entourant le concept pertinent pour saisir les questions d’ordre général relatives au grand âge. Les politiques sociales successivement engagées ont aidé ensuite à s’acheminer vers un concept général de politique de la dépendance. Ainsi, en 1999, le Livre blanc pour une prestation autonomie (Comité national des retraités et personnes âgées) mettait en avant des principes pour garantir la pertinence des politiques sociales : penser l’autonomie en rapport avec les spécificités des âges de la vie, et penser l’assistance en termes de solidarité nationale et de protection sociale.

Dans des champs tels que l’assistance aux personnes âgées en perte d’indépendance, les politiques du handicap ou l’aide aux personnes vulnérables ou fragilisées, la construction conceptuelle s’avère indissociable, à travers ses différentes étapes, du déploiement et du redéploiement de l’action ou de la politique sociale. La loi française de 1997 instituant la PSD (prestation spécifique dépendance) et la loi de 2002 instituant l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) marquent ainsi des inflexions conceptuelles qui sont tout à la fois de l’ordre des priorités dans l’action et de l’ordre de la description et de la conceptualisation (passage de l’invalidité ou de l’incapacité à la dépendance, renforcement de la dimension de l’adaptation aux conditions de vie personnelle et aux projets individuels).

De fait, la quête de la protection efficace a besoin de généralité, donc de concepts, et ne peut se dissoudre dans la valorisation de démarches de sollicitude particulière ; la collectivité nationale attend des repères généraux, capables d’être étayés par la recherche empirique, le raisonnement et l’analyse philosophique. La recherche autour de ces enjeux doit aussi bénéficier des innovations sociales et techniques apportées par les réseaux d’acteurs, les professions, les recherches académiques et les collectivités locales (comme le suggèrent les travaux de Robert Matland (1995) sur les formes typiques d’implémentation réussie des politiques publiques dans des secteurs peu conflictuels sur les fins mais marqués par une forte incertitude sur les moyens adéquats).

Dans la perspective du développement d’une éthique d’organisation, on doit certainement mettre en relief l’importance de la voix que l’on a dans les institutions et dans le dialogue institutionnel, pour autant que l’on souhaite éclairer la relation de l’individu au collectif jusque dans les détails de la prise en charge. Deux complexes de notions sont en corrélation. D’abord, la concertation et le dialogue institutionnel (les droits jouant ici un rôle fonctionnel de support de la discussion et de l’interprétation graduelle des principes d’action). En second lieu, l’élaboration de normes (et autres référentiels) souples venant redoubler ou remplacer les droits consistant en obligations juridiques strictes visant la protection des droits individuels et de l’autonomie. En ces matières, il est impossible d’oublier que les rôles institutionnels sont toujours définis d’une manière incomplète et que leur établissement coïncide partiellement avec un processus de découverte chez les acteurs sociaux. Le soignant, écrit Claire Marin, « découvre l’extension du domaine du soin » du fait de la superposition de multiples souffrances et du fait de l’interaction complexe entre les soins médicaux au sens étroit et les impératifs de prise en charge personnelle et sociale entendus plus largement (Marin 2013, p. 58). « Ce à quoi l’on a droit » est alors inévitablement lié à des évolutions et interprétations locales ou contextuelles, difficiles à codifier entièrement et par avance.

Par ailleurs, comme le suggère l’ampleur des problématiques nationales du vieillissement et du handicap, la stratégie d’autonomie ne peut se contenter des approches compassionnelles, ni des approches qui privilégient les revendications de reconnaissance pour des sous-groupes de citoyens. Au-delà de la dimension sentimentale des relations d’assistance, il y a lieu de développer, jusque dans ses implications concrètes et organisationnelles, l’exigence d’autonomie des personnes et des citoyens, indissociable des projets républicains et démocratiques de promotion des droits, de valorisation du développement humain et du bien-être, de recherche de l’organisation délibérée et rationnelle face aux enjeux collectifs.

Cette ambition doit aller de pair avec un point de vue, éclairé par la recherche, sur les capacités individuelles (telles qu’analysées par exemple dans le cadre proposé par Amartya Sen) et sur leur promotion ou leur restauration.

Dans tous les cas, il faut reconnaître que charger les individus de la prise en charge « autonome » de certains de leurs problèmes est un choix d’organisation, et un choix qui doit s’apprécier autrement qu’en faisant référence à l’évidence de la liberté. En réalité, charger les personnes — qui plus est, des personnes vulnérables ou dépendantes — de choix supposés autonomes, c’est aussi leur confier une responsabilité qui peut être écrasante et qui, surtout, les renvoie à leur propre situation avec insistance. Les raisons à l’oeuvre sont ici exactement les mêmes que celles que fait ressortir avec justesse Claire Marin dans le cas des soins aux malades :

Se soigner soi-même peut engendrer des réactions très différentes : une certaine fierté à acquérir de nouvelles capacités, à maîtriser d’une manière nouvelle la maladie, à lui « répondre », mais cela peut également donner le sentiment d’une présence plus lourde et plus évidente de la maladie au sein de la vie privée. […] Devenir son propre soignant peut constituer un enfermement de plus dans la maladie

Marin, 2013, p. 59

d) Droits individuels et étendue de la liberté de choix

Quelle est la place à prévoir, dans la promotion des droits, pour la capacité au sens proprement individuel que lui donne la théorie des capacités (l’étendue des choix possibles entre différentes combinaisons de « fonctionnements » accessibles) ? On doit y voir, comme le souligne C. Guibet Lafaye dans le contexte de la théorie des soins de santé, un enrichissement de la conception des biens premiers ou des besoins fondamentaux. Les aspects fonctionnels (ce que les personnes sont capables de faire, ce qu’elles font réellement…) enrichissent en effet considérablement la description des services rendus ou de ce à quoi l’on a droit, parce qu’elle donne accès à des aspects objectifs de la qualité de vie des personnes soignées, aidées ou prises en charge. Cette approche ne fait pas pour autant perdre de vue les besoins, comme on le voit en particulier dans les « capacités fonctionnelles de base » répertoriées par Martha Nussbaum (pouvoir vivre, autant que possible, une vie humaine complète jusqu’à la fin et éviter une mort prématurée, pouvoir jouir d’une bonne santé, d’une alimentation adéquate et d’un foyer décent, avoir des possibilités de satisfaction sexuelle, pouvoir se déplacer d’un endroit à un autre, pouvoir éviter toute douleur inutile et connaître l’expérience du plaisir, pouvoir utiliser les cinq sens, pouvoir imaginer, penser et raisonner…[8]).

Les énumérations de ce genre, qui sont aujourd’hui légion, peuvent sembler totalement irréalistes au regard des contraintes et usages de la vie sociale (peu favorable en règle générale, par exemple, à la « satisfaction sexuelle » ou à l’adéquation du logement, y compris dans les pays développés) et, surtout, au regard de la violence, de l’insécurité, de l’oppression politique, des persécutions sociales et culturelles, des privations et du sous-développement radical largement et profondément dominants à grande échelle dans le monde contemporain. Mais le lien est créé avec des indications de directions possibles d’exercice de la liberté positive des individus. C’est bien en ce qui concerne la liberté positive de choix ou d’initiative que se placent précisément certains des enjeux de l’autonomie, comme les suivants : l’aptitude à articuler et à suivre ses propres croyances et ses propres voeux, l’aptitude à fixer soi-même ses propres priorités, l’aptitude à renoncer au confort ou à des éléments de bien-être matériel au profit d’un mode de vie plus indépendant (peut-être plus diversifié dans ses potentialités), l’aptitude à négliger certains « fonctionnements » de manière volontaire alors même qu’ils font l’objet d’une attention sociale ou de pressions sociales soutenues. La dépendance et les pertes ou privations fonctionnelles remettent tout cela en cause.

Selon Jacques Barbichon, produire de la dépendance, c’est « priver le dominé du besoin, du goût et de la capacité de décider[9] ». Mais face à ce risque, ne doit-on pas chercher à conforter les conditions d’une autonomie bien comprise plutôt que l’indépendance artificiellement recréée ? L’indépendance donne accès à une forme d’autonomie, la dépendance à une autre peut-être, dans laquelle l’assurance de pouvoir agir librement appelle une présence plus importante des autres, ainsi que des relais nouveaux de la perception, de la participation et de l’initiative. La dépendance, tout en appelant une aide renouvelée et approfondie provenant de l’ensemble de la société, pourrait être la concrétisation de l’autonomie dans certaines situations (selon les analyses développées dans mon [2014]). Qu’il s’agisse de la mise en oeuvre effective de droits personnels, de l’action collective efficace ou de la recherche de rapports inter-institutionnels appropriés, la prise en considération d’une conception suffisamment riche de la liberté de choix apparaît finalement inévitable pour éclairer au jour de l’autonomie personnelle les situations marquées par la dépendance.

4. Conclusion

À partir d’un examen limite des rapports entre liberté de choix et pouvoir individuel, il a paru souhaitable de rapporter la norme d’autonomie à la complexité réelle de la liberté de choix qui est impliquée dans l’expression tangible de notre autonomie. Se mesurer à cette complexité est aujourd’hui le défi qui attend la réponse intelligente et adaptative aux défis d’organisation collective dans le souci de la promotion de l’autonomie. Les observations pratiques reconduisent ici à des questions conceptuelles qui ne sont pas un luxe ; elles sont appelées par nos pratiques de description et de mesure, qui conditionnent la prise en charge des personnes à besoins spécifiques.

De fait, plusieurs modèles conceptuels potentiellement pertinents sont en concurrence les uns avec les autres ou, du moins, sont mis en concurrence du fait des associations d’idées multiples (renvoyant tantôt à l’un, tantôt à un autre) qu’éveillent nos vocables d’autonomie, capacité et indépendance. La préservation de capacités de décision absolues des individus peut apparaître exigible dans des domaines limités (par exemple dans le choix des mets au restaurant sur la base de menus prédéterminés et considérés comme fixes) mais elle ne peut constituer un modèle universel de la liberté de choix en contexte social. Elle ne peut donc valablement servir de référence unique pour promouvoir des droits fondamentaux que l’on a de bonnes raisons de considérer comme expressifs au regard de la destination des personnes à l’autonomie. Les pertes d’indépendance régulièrement associées au grand âge et les limitations fonctionnelles auxquelles renvoient les « handicaps » appuient ces thèses et donnent aussi matière à réflexion pour les voies appropriées de promotion des droits fondamentaux.

À cette réflexion, il faut intégrer le fait que les institutions ne sont pas seulement des obstacles qui entravent l’exercice des capacités individuelles : elles donnent des relais collectifs à l’initiative individuelle. Il convient d’en tenir compte pour repenser l’État social et la promotion des droits et de l’autonomie personnelle dans le domaine visé, autrement que dans la perspective d’une « liberté de choix » relevant d’un modèle consumériste de promotion du bien-être à travers l’extension maximale donnée aux possibilités de choix préférentiel. Les institutions importent notamment pour la réponse aux besoins et, tout d’abord, pour l’identification de ceux-ci. Nul ne conteste aujourd’hui l’importance de la concertation autour des besoins, au-delà du thème de l’individualisation de la prise en charge (qui s’avère structurant aujourd’hui dans les champs du handicap et des pertes d’indépendance dans le grand âge). Cette concertation doit faire intervenir les données de l’organisation sociale, du soutien technique et de l’environnement de vie (jusque dans ses aspects technologiques, domotiques, architecturaux, urbanistiques…). Par ailleurs, pour que des voix institutionnelles soient prises en considération en tant que telles, elles ne doivent pas se réduire à des points de vue individuels. Le rapport entre institution et personne individuelle apparaît donc déterminant, et la thématique de la mise en capacité des personnes doit faire droit à l’endossement de rôles institutionnels et à l’organisation du dialogue dans les institutions.