Corps de l’article

Cet ouvrage collectif en langue française rassemble les contributions d’une dizaine d’auteurs qui s’interrogent sur l’évolution géostratégique de l’Asie centrale et du Caucase postsoviétique. Gérard Hervouet dresse un bilan des questions de sécurité depuis l’effondrement de l’URSS. Il revient sur l’implantation progressive des militaires étasuniens qui cherchent à maîtriser les flux pétroliers dans la région. Cependant, cette présence s’inscrit dans un redéploiement des forces russes qui continuent à jouer un rôle clé dans la région.

La partie historique de l’ouvrage comprend des analyses et des interprétations discutables sur le fonctionnement de ces régions. Guy Morissette tente de tracer les grandes lignes de leur avenir incertain. Il souligne l’importance de la mise en valeur du site pétrolier kazakh de Kashagan (deuxième réserve mondiale) comme élément déterminant pour le futur de la région, même si le litige concernant le statut de la mer Caspienne – mer ou lac – continue à opposer les pays côtiers : pour l’Iran et le Turkménistan, c’est une mer, pour les Russes, les Kazakhs et les Azerbaïdjanais, c’est un lac. La décision finale aura des implications sur la façon dont seront réparties les ressources d’alevins (caviar) et du sous-sol entre les différents protagonistes. G. Morissette énumère les raisons qui pourraient entraîner la déstabilisation de la région : les mouvements islamistes, les conflits frontaliers, la répartition des ressources hydrauliques, les trafics, etc.

Frédéric Lassere relativise la naissance d’un « nouveau grand jeu », expression qui renvoie aux conflits qui ont opposé les grandes puissances dans cette région à la fin du xixe siècle. Il rappelle la permanence de la présence russe dans son « étranger proche ». Les frontières entre les différents pays de la région, qu’il juge artificielles, pourraient être un facteur de conflit. Cette thèse est discutable, car l’identité ethnique ne mobilise pas dans la région de projet politique qui vise à modifier les frontières, comme cela a été le cas dans la défunte Yougoslavie. F. Lassere s’attache ensuite à dresser un premier bilan de l’activité politique des acteurs régionaux (Iran, Pakistan), en se concentrant sur les relations diplomatiques. L’Iran, selon lui, serait le grand perdant de la redéfinition des influences. Bien que l’Iran ait effectivement renoncé à exporter son modèle de révolution islamique, son importance économique au Turkménistan, dans la région d’Herat (Afghanistan) et au Tadjikistan, en fait tout de même un acteur régional de premier plan, même si sa visibilité reste faible.

Thomas Juneau dessine « les enjeux » qui opposent les États-Unis, la Russie et la Chine qui, cependant, s’accordent finalement dans une convergence face à la nécessité de maintenir une stabilité dans la région. Le récent convoyage secret d’uranium ouzbek sous l’égide des Russes et des Étasuniens est une illustration de ce partage d’intérêt. Il souligne que la présence étasunienne s’inscrit dans le long terme et dans leur volonté de maîtriser un flux pétrolier qui les rendrait moins dépendants des Saoudiens. De leur côté, les Russes, bien qu’ils se sentent menacés par le géant chinois tout proche, sont tentés par une coopération étroite avec Pékin pour limiter l’influence étasunienne.

Pierre Jolicoeur se concentre sur les évolutions géostratégiques du Caucase où l’on assiste à un affrontement plus ostensible entre les États-Unis et la Russie et Isabelle Facon enchaîne avec une analyse très détaillée du conflit tchétchène en le replaçant dans le contexte international actuel.

Par ailleurs, deux articles permettent d’analyser l’islamisme en détail, même si l’on peut regretter qu’ils apportent peu d’information sur les deux principaux acteurs, le Hizb-ut-Tahrir (mouvement clandestin non violent qui prône l’instauration d’un califat) et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (mouvement armé regroupé en Afghanistan).

En conclusion, deux articles proposent de réfléchir sur l’enclavement de la région : si Emmanuel Gonon reprend essentiellement des arguments déjà développés de manière plus détaillée dans le livre de Mohammad-Reza Djallili et Thierry Kellner, Géopolitique de la nouvelle Asie centrale (Paris, Presses universitaires de France, 2001), Jérôme Le Roy s’intéresse aux réseaux ferroviaires en Asie centrale et apporte, à l’aide de données originales, des éléments nouveaux qui facilitent la compréhension de l’orientation future de ces nouveaux pays. Cet ouvrage fournit une bonne introduction pour comprendre des enjeux géo-stratégiques de l’Asie centrale, même si, connaissant l’importance de la Russie dans la région, on peut regretter l’absence de sources bibliographiques en langue russe.