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La politique étrangère américaine au Moyen-Orient a subi deux transformations majeures au cours des dernières années. Premièrement, il y a eu passation des pouvoirs entre l’administration républicaine de George W. Bush et l’administration démocrate de Barack Obama ; deuxièmement, l’ensemble des bouleversements politiques et sociaux maintenant regroupés sous l’appellation du printemps arabe est venu profondément changer l’environnement dans lequel la politique du nouveau gouvernement doit oeuvrer. C’est en réponse à ces deux changements que Gilles Vandal et Sami Aoun proposent d’analyser l’évolution de la politique étrangère américaine par rapport à la région du Moyen-Orient.

La thèse principale qui traverse l’ouvrage est le caractère réaliste et pragmatique de la politique d’Obama par rapport à une région marquée par le conflit et l’instabilité. Cette politique, en apparence incohérente et instable, fut au contraire le résultat d’un calcul prudent qui prit en compte les différentes réalités locales afin de s’y adapter, tout en conservant un objectif central, soit la défense des intérêts américains. Les auteurs font référence au concept de smart power afin de définir la nature de cette politique alliant à la fois le soft et le hard power, manifestation de ce qu’est la réelle définition du terme Realpolitik (p. 320). Cette approche du cas par cas est reflétée dans la division de l’argument en neuf chapitres, chacun portant sur une région en particulier, soit l’Irak, la Turquie, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Yémen, l’Iran, la Syrie, Israël et la Palestine. Nous n’aborderons pas ici en détail chaque chapitre, mais nous tenterons de mettre en lumière les idées directrices menant l’ouvrage.

Le fait d’entreprendre leur réflexion avec la question irakienne n’est pas fortuit, cela permet d’emblée aux auteurs de mettre de l’avant la principale motivation de l’administration Obama dans le repositionnement de sa politique au Moyen-Orient, soit la tentative de réparer les pots cassés suite au désastre de l’invasion du régime de Saddam Hussein. C’est en grande partie autour de la volonté de ne pas répéter les erreurs de l’administration précédente que la politique d’Obama va prendre son caractère réaliste et pragmatique, en opposition à l’attitude agressive et la vision manichéenne de George W. Bush et ses conseillers néoconservateurs. C’est ainsi qu’avec le retrait de ses troupes de l’Irak, les États-Unis vont progressivement jouer un rôle d’arrière-scène face à la dynamique géopolitique du Moyen-Orient tout en maintenant la ferme volonté de défendre ses intérêts dans la région.

Cette situation représente sans aucun doute un dilemme crucial pour la politique étrangère américaine. D’un côté, il était difficile d’aller à l’encontre des aspirations démocratiques des populations, d’un autre côté, ces aspirations visaient à renverser les régimes autoritaires qui avaient garanti une relative stabilité régionale et dont certains représentaient des alliés importants des États-Unis. La politique américaine, refusant de se commettre trop loin à l’une ou l’autre de ces positions, s’adapta aux contextes sociopolitiques changeants. Par exemple, après avoir initialement supporté le régime Mubarak en Égypte, Obama changea son fusil d’épaule une fois qu’il devint évident que le régime ne tiendrait pas. Dans ce cas, les États-Unis prirent le pari risqué de supporter les réformes démocratiques tout en voulant s’assurer de la stabilité de la transition (p. 117-118).

Toutefois, en Égypte comme ailleurs au Moyen-Orient, les Américains demeurèrent extrêmement prudents dans leur support aux transitions démocratiques, d’abord dans le souci de ne pas ouvrir la porte à une mouvance islamique radicale ou à des affrontements sectaires, mais également en raison d’un contexte géopolitique tendu. Dans ce sens, l’Arabie saoudite s’est montrée réticente face aux événements du printemps arabe jusqu’au point d’intervenir militairement au Bahreïn, la dynastie Saoud craignant que le mouvement contestataire puisse se répandre à l’intérieur de ses frontières (p. 144). C’est ainsi en grande partie dans le souci de maintenir une bonne relation avec la dynastie Saoud, ses réserves de pétrole, sa volonté de lutte antiterroriste et sa position stratégique, que les États-Unis ont supporté une transition stable du pouvoir au Yémen sans toutefois mettre l’accent sur une réforme démocratique d’ampleur. De plus, le vide politique créé par l’effondrement des régimes pourrait profiter aux opposants régionaux des États-Unis, au premier rang l’Iran et Al-Qaïda.

Comme l’a démontré l’exemple de l’Irak, la défaite du régime Hussein et par la suite le retrait des troupes américaines a immédiatement ouvert la porte à l’Iran qui jouit notamment d’une influence importante dans les populations chiites répandues de la Méditerranée au golfe Persique. L’Iran, qui supporte déjà le Hezbollah et le Hamas, représente un problème encore plus grand, puisque l’augmentation de son influence pose une menace sérieuse pour le principal allié américain de la région : Israël. C’est cette menace d’instabilité qui a dicté la politique timide des États-Unis face à la crise syrienne, Washington ayant peur que le pays se transforme en havre terroriste.

Malgré la condamnation du régime Assad, l’administration Obama a hésité à s’impliquer de façon directe dans ce conflit, contrairement à ce qui s’était passé en Libye, et a refusé d’intervenir militairement ou de fournir des armes aux rebelles. Elle a préféré laisser le problème syrien entre les mains de ses alliés régionaux, principalement l’Arabie saoudite et la Turquie. La crise syrienne est donc un exemple probant du nouveau rôle de la politique étrangère américaine façonnée par l’administration Obama, soit un retrait à l’arrière-scène. Au sein de cette nouvelle politique, la Turquie, qui est devenue une puissance incontournable dans la région, pourrait représenter l’atout principal des États-Unis. Non seulement la Turquie est une alliée remontant à la guerre froide et seul pays musulman membre de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), mais elle représente, selon Vandal et Aoun, un modèle de société démontrant la compatibilité de l’islam et de la démocratie électorale, donc un exemple positif dans la région du point de vue des intérêts américains (p. 97-98). En misant sur le partenariat turc comme l’une des composantes centrales de sa stratégie au Moyen-Orient, « l’administration Obama considère cet État comme un atout géostratégique de première importance » (p. 99).

Le Moyen-Orient a certainement été l’une des régions les plus problématiques en ce qui a trait à la politique étrangère américaine et, considérant les changements qui ont touché la région, la pertinence du livre de Vandal et Aoun ne peut être remise en question. La principale force de cet ouvrage est d’offrir un portrait historique et détaillé des principaux enjeux géopolitiques et sociopolitiques au Moyen-Orient, permettant de saisir la logique qui se cache derrière une politique qui semble à première vue improvisée et incohérente. Après une administration Bush marquée par une vision idéologique et néoconservatrice de la politique étrangère, Barack Obama et le Printemps arabe s’efforce de mettre en lumière, en présentant les multiples dilemmes se présentant aux décideurs politiques américains, le caractère de la politique étrangère de l’« après-Irak », soit le retour à une vision réaliste marquée par un calcul pragmatique des conséquences des actions américaines. Les auteurs répondent ainsi de façon claire à l’interrogation centrale traversant le livre, et ce, malgré le fait que leur sujet demeure fluctuant. Si la large portée de l’analyse empêche une implication plus profonde par rapport aux multiples questions soulevées, le livre de Gilles Vandal et Sami Aoun semble toutefois un outil primordial pour le lecteur désirant commencer par acquérir une vision d’ensemble avant de s’intéresser aux questions plus spécifiques touchant l’implication américaine au Moyen-Orient.