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Que ce soit en relations internationales ou en science politique plus largement, la question du droit international a le don d’aviver les débats entre ceux qui affirment que ce droit reste sans réel impact sur la conduite des États et ceux qui prétendent le contraire. Cherchant partiellement à répondre à ce débat, Jarrod Hepburn permet de rapprocher quelque peu ces deux positions dans Domestic Law in International Investment Arbitration, un ouvrage issu de sa thèse de doctorat en droit. Cet ouvrage ne s’attarde pas à l’ensemble du droit international mais se consacre aux régimes juridiques internationaux encadrant les investissements étrangers. Il s’agit néanmoins d’un travail qui offre un regard différent sur ce que peut, devrait et ne peut faire le droit international.

Dès le départ, Hepburn formule clairement ses deux propositions : démontrer que le droit domestique s’applique plus qu’on ne le pense dans les arbitrages des investissements étrangers, mais les tribunaux ne le reconnaissent que de façon inégale. Pour le premier point, l’auteur examine les traditions juridiques existantes afin de déterminer en quoi le droit domestique et le droit international peuvent être compatibles. Cela lui permet de relever un ensemble de principes communs aux sources de légitimité de ces deux droits. Il relève aussi que, de plus en plus, les États tendent à conclure des ententes qui tiennent compte du droit domestique, plutôt que des ententes qui s’y substituent complètement. Les principes de la première proposition lui servent de base pour élaborer une grille d’analyse qui lui permettra de valider la deuxième proposition. Cela lui permet de conclure que différents tribunaux auront totalement ignoré les questions de droit domestique ou, au contraire, leur auront accordé un poids significatif dans leurs jugements. Même s’il s’agit d’un ouvrage juridique, Hepburn n’évacue pas l’aspect politique, reconnaissant dès l’introduction l’importance pour les tribunaux internationaux d’assurer la légitimité politique de leurs processus judiciaires. Il y a donc un aspect normatif à cet ouvrage, dont ne se cache pas l’auteur, puisqu’il invite directement juristes et tribunaux internationaux à tenir compte du droit domestique dans leur travail, au nom de cette légitimité politique.

Bien que l’ouvrage d’Hepburn ne se consacre qu’a un champ précis du droit international, son approche – relever les principes communs entre droits domestique et international en regard du droit des investissements – laisse présager qu’on puisse la répliquer dans d’autres champs juridiques internationaux. À cet égard, le potentiel futur apparaît évident, tant pour les juristes que les politologues qui s’attardent à ces questions. On relève d’ailleurs ici une autre force de l’ouvrage dans son interdisciplinarité derrière des allures strictement juridiques. Ainsi, un non-juriste, qu’il soit chercheur ou praticien, pourra facilement apprécier, comprendre et utiliser ce travail.

Un bémol doit cependant être apporté à cette interdisciplinarité, sur le plan de la sélection des cas étudiés. Hepburn ne mentionne nulle part qu’il travaille avec un échantillon représentatif, affirmant plutôt que les cas sont choisis afin d’illustrer le principe étudié. Cette sélection non aléatoire des cas ne pose pas de réel problème méthodologique lorsqu’il démontre sa première proposition (relever les principes communs aux droits domestique et international), mais cela peut remettre en doute sa seconde démonstration (la reconnaissance inégale par les tribunaux du droit domestique). D’un point de vue juridique, cela ne pose probablement pas de problème (un seul cas peut faire jurisprudence, donc être représentatif), mais pour un politologue intéressé à étudier des tendances, il y a ici une limite claire. Considérant cependant qu’Hepburn a relevé au-delà de 200 cas et qu’il s’agit d’une thèse de doctorat, on peut raisonnablement penser que la représentativité de son échantillon n’est pas fondamentalement compromise.

Une autre conclusion se doit aussi d’être questionnée, celle de la légitimité qui doit être conférée au droit domestique issu de régimes politiques où la qualité du système judiciaire apparaît compromise. Pour Hepburn, dans une telle situation, le droit international commande d’évacuer le droit domestique, puisque celui-ci serait probablement instrumentalisé, donc non neutre. Si d’un point de vue strictement normatif cette conclusion va de soi, la réalité ne s’embarrasse pas toujours d’un tel principe. Il ne faut pas réfléchir longtemps pour s’apercevoir qu’un régime qui instrumentalise son appareil juridique et ses lois ne fera probablement pas grand cas de jugements internationaux rendus contre lui. Cette situation rejoint d’ailleurs l’argument classique de ceux qui rejettent l’impact fondamental du droit international : l’autorité de ce droit reste, en grande partie, dépendante du bon vouloir des États de s’y soumettre. Alors qu’Hepburn fait un travail remarquable pour démontrer la nécessité de tenir compte du droit domestique en droit international, afin d’assurer la légitimité politique du processus juridique, son rejet du droit domestique dans les cas plus délicats fait sursauter. Si l’on veut réaffirmer le poids du droit international, il semble pourtant que ce soit surtout dans le cas des États délinquants qu’il faut trouver moyen de les soumettre à ce droit. Exclure presque de facto leur droit domestique pour leur imposer un droit international qu’ils vont vraisemblablement ignorer apparaît donc être contre-intuitif. Malheureusement, Jarrod Hepburn n’offre pas de piste de solution à ce dilemme qu’il crée lui-même.

De façon générale, il s’agit d’un ouvrage bien documenté, qui offre une piste de réflexion différente sur le rôle du droit international par rapport aux États et à leur souveraineté, notamment face à des entreprises étrangères. Les deux principales critiques relevées ici n’enlèvent rien à sa pertinence pour tout politologue ou analyste international qui voudrait y recourir pour alimenter ses propres travaux.