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Les chercheurs en communication et en opinion publique s’intéressent de plus en plus aux effets de l’Internet sur la socialisation et la participation politiques, ainsi qu’aux mécanismes sous-jacents. La commercialisation de l’accès à l’Internet a notamment renouvelé cet intérêt en favorisant la fragmentation de l’audience et son corollaire, la ségrégation idéologique. De plus, l’expansion de l’usage de l’Internet a donné naissance à de nouvelles plateformes et de nouveaux types de communications interpersonnelles dont l’évolution rapide transforme constamment les formes potentielles d’influence sur le politique. L’Internet a réduit les coûts de la communication interpersonnelle, permettant des interactions multidirectionnelles simultanées qui outrepassent les barrières spatiales et temporelles. Il a également considérablement réduit le coût de l’information, y compris l’information politique, et remis en question le nexus savoir/pouvoir caractérisant la dynamique des médias traditionnels. Dans un contexte d’accès accru à l’information et d’augmentation des opportunités d’interactions, l’étude des effets politiques de l’Internet s’est en grande partie intéressée à la façon dont la communication et l’information en ligne influencent la participation politique. On y a souvent observé des effets positifs, mais plutôt faibles (Boulianne, 2009 ; 2015). De nombreux auteurs se sont par ailleurs intéressés à la façon dont les partis ou les mouvements politiques ont adapté leur méthode de campagnes, tel qu’en témoigne le projet enpolitique.com (voir Giasson et al., 2018 ; Lalancette, 2018). D’autres encore ont plutôt analysé la participation en ligne (Small et al., 2014) ou les déterminants, en amont, de cette participation en ligne (Bastien et Wojcik, 2018).

Peu d’études, toutefois, ont abordé les effets que peut avoir l’Internet sur les attitudes générales à l’égard de la politique, intervenant en amont de la participation politique. En outre, trop peu d’articles distinguent les différents types d’usages de l’Internet lorsqu’ils en étudient les effets politiques, bien qu’il s’agisse d’une démarche de plus en plus adoptée (Ekström et Östmann, 2015). Conséquemment, nous cherchons à étendre la portée de la recherche sur ces effets au-delà de la seule participation politique et plutôt à développer nos connaissances quant à l’influence potentielle de divers usages de l’Internet sur les attitudes des millénariaux canadiens à l’égard de la politique. Dans cet article, nous étudions trois mesures, l’intérêt politique, le sentiment que le gouvernement ne se soucie pas beaucoup de ce que les gens (comme soi) pensent et la confiance envers le gouvernement, grâce à une analyse détaillée des différentes formes d’activités en ligne, qu’il s’agisse du réseautage, de la participation à des discussions en ligne ou simplement de la recherche d’information. En utilisant les données de l’Étude canadienne de la jeunesse (ECJ), une étude longitudinale basée sur un échantillon de jeunes Québécois et Ontariens interrogés pour une première fois en 2006 et une seconde en 2014 (n = 967), nous faisons la lumière sur l’effet de l’utilisation de l’Internet et de la socialisation en ligne sur les attitudes générales à l’égard de la politique. La principale question de recherche est la suivante : Existe-t-il une relation entre l’utilisation de l’Internet, les attitudes générales à l’égard de la politique chez les jeunes canadiens dans la période couverte par l’étude ; le cas échéant, les différentes formes d’usage de l’Internet ont-elles des impacts différents à travers le temps ?

Cette étude constitue une contribution à la recherche en ce qu’elle distingue entre les divers usages de l’Internet. La plupart des recherches antérieures établissent une distinction entre la recherche d’information et la communication interpersonnelle (Shah et al., 2005 ; Gil de Zúniga et al., 2014). Dans cet article, nous examinons non seulement la recherche d’information, mais distinguons aussi la participation active dans des discussions de nature sociale et politique et le fait de rester en contact avec des proches et de réseauter. Cette étude apporte également une nouvelle perspective en analysant des données longitudinales recueillies auprès d’une génération de Canadiens hautement connectés et ayant grandi dans une période clé pour le développement des technologies de l’information et des communications (TIC). En effet, peu d’études sont capables de capter les effets de socialisation à long terme de l’Internet (Boulianne, 2015). Considérant l’étendue de la période et les mesures répétées utilisées dans notre recherche, nous bénéficions d’une occasion unique d’observer l’effet de l’Internet auprès d’une génération plus portée à utiliser les TIC comme source d’information et vecteur de socialisation, et ainsi de combler un manque critique dans notre compréhension de la façon dont la montée de l’Internet a influencé les attitudes des jeunes à l’égard du système politique. La nature de notre échantillon nous permet aussi de tenir compte de l’effet de l’adoption précoce de l’Internet comme source d’information politique et d’interactions interpersonnelles.

Après avoir présenté les principales théories sur les effets des usages de l’Internet sur le politique et exposé l’évolution de nos variables au cours de la période à l’étude, notre analyse se fera en deux temps. Nous établirons d’abord la relation entre les différents usages de l’Internet (la participation à des discussions en ligne, le réseautage en ligne et la recherche d’information en ligne) et les changements à travers le temps de trois attitudes politiques (l’intérêt politique, le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes [comme soi] et la confiance envers le gouvernement), en utilisant un modèle simple de régression. Nous présenterons ensuite un modèle d’effets aléatoires pour étudier la relation causale à travers le temps. Les effets, modestes mais significatifs, seront par ailleurs discutés.

Les discussions en ligne et la socialisation politique

Il est bien connu que le réseautage en face à face et la communication interpersonnelle hors ligne entraînent davantage de participation politique en fournissant des ressources sous formes de capital social et de socialisation (Verba et al., 1995 ; Smith, 1999 ; McFarland et Thomas, 2006 ; Greffet et Wojcik, 2008). L’Internet, en tant que technologie, est souvent utilisé pour le réseautage et la communication interpersonnelle, de sorte qu’il est considéré comme un outil pouvant mener au réengagement politique des citoyens désengagés. L’accessibilité, la vitesse et le volume des interactions en ligne au sein des réseaux sociaux des individus par l’entremise des médias sociaux peuvent certainement favoriser le développement d’habiletés pour l’expression politique (Jenkins, 2009). Certains chercheurs suggèrent que le réseautage en ligne, sur Facebook par exemple, encourage la formation de capital social (voir Ellison et al., 2007 ; Bode, 2012 ; Gil de Zúñiga et al., 2012), ce qui, parallèlement, accroît l’engagement et la participation. En outre, les communautés de réseautage et les communautés participatives en ligne offrent des occasions de juger et de prendre position sur les problèmes sociaux via la discussion en ligne, en plus d’être des outils efficaces de recrutement et de mobilisation (Dale et Strauss, 2009 ; Rojas et Puig-i-Abril, 2009 ; Bond et al., 2012 ; Enjolras et al., 2013). Ainsi, les discussions en ligne fonctionnent potentiellement comme les discussions face à face, qui constituent un facteur important de modification des préférences et des attitudes politiques (Mutz, 2002 ; Barabas, 2004 ; McClurg, 2006). Graham Smith, Peter John et Patrick Sturgis (2013), ainsi que Kim Strandberg et Kimmo Grönlund (2012) démontrent comment les préférences politiques tendent à changer, quoique modestement, chez les individus qui participent à des discussions en ligne. Gary Tang et Francis L.F. Lee (2013) observent quant à eux une relation positive entre l’utilisation de l’Internet et la participation. C’est dans cette optique que nous nous intéressons plutôt aux variables intermédiaires, plus psychologiques, qui entraîneraient l’augmentation de la participation.

Cela dit, la communication en ligne reste distincte de la communication hors ligne. Comparativement aux interactions en face à face, une caractéristique essentielle de l’information et des interactions interpersonnelles en ligne est de brouiller la distinction entre le fournisseur et le consommateur de l’information, l’expert et le novice, de même que les types de médias (imprimés, radiodiffusés, télédiffusés ou digitaux) (Delli Carpini, 2000). Cela peut entraîner auprès des utilisateurs une perception accrue d’« encapacitement » (Johnson et Kaye, 2003). D’ailleurs, les conversations politiques en ligne peuvent être considérées comme un vecteur alternatif d’information politique par rapport au discours des élites et des médias de masse, réduisant ainsi la portée de l’effet de cadrage (Druckman et Nelson, 2003). À ce titre, il devient d’autant plus intéressant d’étudier les effets de ces conversations politiques sur les attitudes générales à l’égard de la politique.

La recherche d’information et la participation politique

Des distinctions importantes persistent entre les médias et les sources d’information en ligne et hors ligne. Alors que l’étude des effets différenciés de l’usage des médias traditionnels sur le cynisme, le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) ou l’engagement repose sur une littérature abondante (voir notamment Cappella et Jamieson, 1997 ; Newton, 1999 ; Norris, 2000 ; Valeriani et Vaccari, 2016), les effets des usages de l’Internet sur les attitudes générales à l’égard de la politique ont reçu beaucoup moins d’attention de la part de la communauté scientifique. Comparant deux études transversales similaires, Thomas J. Johnson et Barbara K. Kaye (2003) relèvent que l’usage de l’Internet à des fins politiques et plus spécifiquement dans la recherche d’information politique augmente le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes comme nous, ainsi que l’intérêt politique et ultimement la participation politique. Cependant, ces échantillons étant composés d’individus déjà intéressés par la politique, l’hypothèse selon laquelle ces usages de l’Internet ont un effet positif uniquement sur l’engagement des personnes intéressées par la politique, amplifiant les inégalités de l’engagement politique, ne peut être rejetée. Dans une autre étude, Arthur Lupia et Tasha S. Philpot (2005) remarquent que, dans certains cas, l’usage de sites Web politiques peut augmenter l’intérêt politique auprès des jeunes, bien que ces sites soient en constante compétition pour capter l’attention de cette audience.

Se basant sur une étude longitudinale de deux vagues (une première cueillette en janvier 2000 puis une seconde en novembre 2000), Dhavan V. Shah, Jaeho Cho, William P. Eveland Jr. et Nojin Kwak (2005) démontrent que l’Internet, lorsqu’utilisé pour rechercher de l’information (et non pour se divertir), encourage les individus à participer à des discussions en ligne et que ces discussions débouchent sur une augmentation de la participation civique et politique. Ces auteurs sont d’avis que les effets des discussions en ligne sur la participation sont plus forts que les effets autrement reconnus de la consommation de médias traditionnels. Selon ce modèle, rechercher de l’information politique et sociale (en ligne comme hors ligne) encourage la communication interpersonnelle (autant en ligne qu’en face à face), entraînant ainsi la nécessité de créer des règles et des normes pour régir les interactions sociales qui, lorsqu’établies et respectées, augmentent la confiance entre les individus. Pour Mats Ekström et Johan Östman (2015), la recherche d’information en ligne a un effet positif mais indirect sur la participation politique en encourageant les discussions politiques. Michael Xenos et Patricia Moy (2007) suggèrent de même qu’il existe un effet direct de la consommation d’information en ligne et de l’usage de l’Internet sur l’acquisition de connaissances politiques, et indirect sur la participation politique.

La littérature est plus divisée sur l’effet spécifique des médias, et particulièrement des TIC, sur la confiance à l’égard des gouvernements et des institutions. Pippa Norris (2000) suggère que la consommation d’actualités crée un cercle vertueux de confiance et d’engagement, bien que l’usage spécifique de l’Internet soit associé à un plus faible niveau de satisfaction démocratique et de confiance (voir aussi Avery, 2009 ; et Norris, 2011). Dans le cas des médias traditionnels, Patricia Moy, Michael Pfau et LeeAnn Kahlor (1999) observent également que la consommation d’information télédiffusée et la lecture de la presse écrite augmentent la confiance à l’égard des institutions, alors que les sources d’information non traditionnelles, telles que les talk-shows, les tabloïdes et l’infodivertissement, sont associées à une diminution de la confiance. Dans la même veine, Kenneth Newton (1999) rapporte que la consultation des sources d’information plus traditionnelles hors ligne est associée à une augmentation de la connaissance politique et de l’engagement, alors que les sources non traditionnelles sont associées à une diminution de ces mêmes variables. Bien qu’aucune de ces études ne considère les usages potentiels de l’Internet, leurs travaux laissent penser que les portails des médias traditionnels en ligne pourraient avoir des effets tout aussi positifs sur la confiance, la connaissance politique et la mobilisation, alors que les sources non traditionnelles d’information telles que l’infodivertissement ou les blogues pourraient avoir un effet négatif.

Cela peut être la conséquence de la nature controversée de l’information fournie par ces sources non traditionnelles en ligne. La recherche a notamment démontré comment l’incivilité dans les échanges politiques télédiffusés peut entraîner une diminution du niveau de confiance (Mutz et Reeves, 2005), permettant de croire qu’un effet similaire se produirait à la suite des interactions hostiles que l’on trouve en ligne. En effet, les plateformes numériques sont souvent caractérisées par un contenu jugé moins civil que celui des interactions en face à face ou des sources d’information et des médias traditionnels comme les quotidiens (Papacharissi, 2004 ; Hutchens et al., 2015 ; Rowe, 2015).

L’étude de l’influence des activités en ligne sur les attitudes politiques

Étudier les effets des activités en ligne sur les comportements et les attitudes politiques requiert une approche qui prend en considération le portrait général de l’évolution de l’Internet et de sa relation aux médias traditionnels ainsi que la façon dont, dans le cas qui nous concerne, les jeunes citoyens canadiens utilisent ces médias. Dans cette étude, nous nous concentrons sur l’intérêt politique, le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) et la confiance. De plus, nous différencions trois dimensions des usages de l’Internet tout en contrôlant les sources d’information traditionnelles et d’autres vecteurs de socialisation politique. Nous développons donc trois hypothèses concernant spécifiquement chaque dimension de l’usage de l’Internet.

  • H1 : Nous nous attendons d’abord à ce que, en raison de l’accumulation de capital social, le réseautage en ligne ait un effet positif sur le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) et surtout sur la confiance.

  • H2 : Ensuite, nous nous concentrons sur la consommation et la recherche d’information, qui devraient être associées à une augmentation de l’intérêt politique et du sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) (Kenski et Stroud, 2006). Considérant la littérature divisée quant à l’effet de la consommation d’information politique sur la confiance ainsi que le flou entourant la distinction entre sources traditionnelles et non traditionnelles d’information en ligne, nous évitons de formuler une hypothèse formelle sur cette relation.

  • H3 : Finalement, nous nous attendons à ce que les effets les plus forts proviennent des discussions politiques en ligne, étant donné le degré d’engagement qu’elles exigent et le sentiment d’« encapacitement » qui peut en découler (Tedesco, 2007). Les discussions politiques en ligne devraient être associées à une augmentation de l’intérêt politique et du sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi). Cependant, les caractéristiques des discussions en ligne ne nous permettent pas de nous attendre à un effet similaire en ce qui concerne la confiance.

En plus de ces trois hypothèses liées à différentes dimensions de l’usage de l’Internet, nous explorons l’effet de l’adoption précoce de comportements liés à la consommation d’information politique et sociale, à la socialisation avec les membres de la famille et à l’usage de l’Internet sur nos variables d’intérêts afin de profiter de la nature longitudinale de nos données. En d’autres mots, est-ce que les effets des différents usages de l’Internet et d’autres formes de socialisation politique sont cumulatifs à travers le temps ?

Données et méthodes

Les données utilisées dans cette étude sont tirées de l’Étude canadienne de la jeunesse (ECJ), dont la première vague a été conduite auprès de répondants en quatrième ou cinquième année du secondaire (ou l’équivalent dans le système anglophone) dans sept villes d’Ontario et du Québec[2] durant l’année scolaire 2005-2006 (âge moyen = 16 ans) (Harell et al., 2008). Le profil socioéconomique et linguistique des élèves participant à l’étude correspond à celui de la population générale de chaque ville visée par l’échantillonnage. Les écoles sélectionnées reflètent également la distribution québécoise et ontarienne des écoles privées (respectivement 30 % et 51 %) ainsi que des écoles anglophones et francophones. Bien que l’échantillon ne soit pas représentatif, il reflète adéquatement le profil sociodémographique des sept villes échantillonnées. Un total de 3334 participants ont complété le sondage autoadministré durant la première vague[3].

Dès l’automne 2013, les répondants de la première vague ont été contactés de nouveau pour participer à un second sondage autoadministré disponible en ligne. Les participants ont été recontactés par courriel lorsque possible, mais également par la poste et par téléphone en fonction des coordonnées fournies et acceptées lors de la première vague. Dans le cadre de la seconde vague, un taux de rétention de 30 % de l’échantillon original nous permet de disposer d’un panel de deux vagues comprenant 977 répondants. Notons que huit ans après la première collecte de données, on détenait des coordonnées valides pour seulement 1779 répondants et donc que le taux de rétention auprès des participants contactés une seconde fois est de 54 %. La moyenne d’âge des répondants lors de la seconde vague est de 24 ans[4].

Cette étude nous procure de nombreuses données longitudinales sur nos variables d’intérêts, bien que dans certains cas des modifications ont dû être apportées aux questions en fonction des changements substantiels du paysage communicationnel et des TIC entre les deux vagues de l’étude. Nous décrirons d’abord nos variables indépendantes pour ensuite développer nos variables dépendantes.

Le temps passé en ligne

Dans la première vague, on a demandé aux répondants combien d’heures ils passent en ligne dans le cadre d’une journée typique en utilisant une échelle de 5 points (0 = aucune, 1 = moins d’une heure, 2 = 1-2 heures, 3 = 3-4 heures, 4 = 5 heures ou plus). Pour la seconde vague, les répondants pouvaient indiquer n’importe quel chiffre entre 0 et 24 heures. Afin de rendre commensurables ces variables, nous avons recodé les variables de la seconde vague en fonction de celles de la première vague lorsqu’utilisées ensemble (vague 1 : moyenne = 1,45, écart type = 1,07 ; vague 2 : moyenne = 2,37, écart type = 0,79). Sans surprise, le temps passé en ligne a augmenté considérablement entre les deux vagues de l’étude. Alors que dans la première vague, 55 % des répondants passaient moins de deux heures par jour en ligne, ce chiffre est de seulement 18 % pour la seconde vague. En outre, 57 % d’entre eux clament passer plus de cinq heures en ligne par jour, soit le double des chiffres obtenus en 2006.

Le réseautage en ligne

Dans la première vague, les répondants ont dû identifier les types d’activités auxquelles ils s’adonnaient en ligne. Pour mesurer le réseautage en ligne, on leur a demandé d’indiquer s’ils clavardaient avec leurs amis sur une base quotidienne (0 = non, 1 = oui). Dans le second questionnaire, on a plutôt demandé la fréquence à laquelle ils entraient en contact avec des amis ou de la famille en ligne dans une journée typique (0 = jamais, 1 = une fois, 2 = deux fois, 3 = trois fois ou plus). Nous avons dichotomisé les variables de la seconde vague pour les comparer à celles de la première vague (vague 1 : moyenne = 0,84, écart type = 0,37 ; vague 2 : moyenne = 0,91, écart type = 0,29).

La participation à des discussions en ligne

Lors de la première vague, les répondants devaient indiquer s’ils s’engageaient dans des discussions sur des blogues ou ailleurs (0 = non, 1 = oui). Ils devaient préciser dans la seconde vague à quelle fréquence dans une journée typique ils discutaient d’enjeux politiques ou sociaux en ligne (0 = jamais, 1 = une fois, 2 = deux fois, 3 = fois ou plus). La seconde vague a été dichotomisée pour être comparée ou modélisée avec les données de la première vague (vague 1 : moyenne = 0,11, écart type = 0,32 ; vague 2 : moyenne = 0,39, écart type = 0,49).

La recherche d’information 

Finalement, on a demandé aux répondants s’ils passaient du temps à regarder des sites Web (0 = non, 1 = oui) dans le cadre de la première vague, alors qu’on leur a demandé, dans la seconde, à quelle fréquence dans une journée typique ils cherchaient de l’information sur des enjeux sociaux ou politiques en ligne (0 = jamais, 1 = une fois, 2 = deux fois, 3 = trois fois ou plus). Comme dans le cas des autres variables d’intérêts, les données de la seconde vague ont été recodées pour être comparées à celles de la première vague (vague 1 : moyenne = 0,56, écart type = 0,50 ; vague 2 : moyenne = 0,76, écart type = 0,43).

Alors que de nombreuses questions sont identiques dans les deux vagues, ce n’est pas le cas pour les différents usages de l’Internet. En effet, les nouvelles questions reflètent l’évolution rapide des technologies numériques, des diverses plateformes et de leurs usages. Il faut également prendre en compte qu’entre 2005 et 2013, non seulement la terminologie spécifique à de nombreuses plateformes s’est transformée, mais les répondants sont passés de l’adolescence à l’âge adulte. Aussi, le maintien de questions identiques dans les deux vagues ne nous aurait pas nécessairement permis de mesurer la même chose. Si le premier questionnaire n’a pu anticiper les transformations à venir et prévoir les mesures qui deviendraient utiles plus tard, les deux séries de variables ont néanmoins été pensées de façon à rapporter des mesures comparables, soit la propension à maintenir son réseau social, à s’engager dans des discussions et à rechercher de l’information en ligne. Ainsi, les variables de la seconde vague nous apportent plus de précisions sur la fréquence des usages et ont été réfléchies et écrites de façon à mesurer autant que possible les mêmes choses que lors de la première vague.

Adoption précoce de l’Internet

Notre dernière variable indépendante est un indice construit à partir de toutes les autres mesures d’activités en ligne de nos répondants lors de la vague 1 (y compris donc les jeux en ligne, le magasinage en ligne, la consommation de musique et les courriels). Cet indice a été standardisé sur une échelle de 0 à 1 (moyenne = 0,20, écart type = 0,12, alpha = 0,26) et recodé en tiers de taille égale (1 = adoption précoce faible, 2 = adoption précoce moyenne, 3 = adoption précoce forte) mesurant l’adoption précoce de l’Internet. Alors que certains de ces usages ne sont pas particulièrement d’intérêt pour notre recherche et ne semblent pas montrer de covariance, nous croyons que, combinés, ils peuvent être utilisés comme une mesure de familiarité avec l’Internet et éventuellement comme une mesure de sophistication technologique pendant l’adolescence.

Nos variables dépendantes sont constituées de trois mesures d’attitudes générales à l’égard de la politique. L’intérêt envers les affaires publiques et la politique est mesuré sur une échelle de quatre points allant de 0 à 1 (pas intéressé, un peu intéressé, intéressé et très intéressé) (vague 1 : moyenne = 0,63, écart type = 0,22 ; vague 2 : moyenne = 0,65, écart type = 0,22). L’ECJ mesure le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) par le niveau d’accord (fortement en désaccord, en désaccord, en accord, fortement en accord), recodé de 0 à 1 (vague 1 : moyenne = 0,49, écart type = 0,20 ; vague 2 : moyenne = 0,53, écart type = 0,20). Finalement, la confiance envers le gouvernement fédéral[5] est construite sur une échelle de 11 points recodés de 0 à 1 (vague 1 : moyenne = 0,50, écart type = 0,22 ; vague 2 : moyenne = 0,51, écart type = 0,22).

Dans les deux vagues, les données montrent une augmentation générale des trois mesures d’attitudes à l’égard du politique, un phénomène observé également dans les analyses d’Anne Muxel (2001). La distribution du changement (c’est-à-dire : vague 2 - vague 1) est normale, mais montre une tendance vers les changements positifs.

Notons que nous avons inclus une série de variables de contrôle dans nos modèles afin de tenir compte de la « fracture numérique ». Celle-ci décrit à l’origine les inégalités socioéconomiques d’accès à l’Internet et, de façon plus récente, les inégalités d’usages, de compétences et de littératie numérique (van Deursen et van Dijk, 2014). Outre les facteurs tels que l’éducation et le revenu, cette fracture se fait aussi ressentir sur le plan du genre ; les hommes ont tendance à être plus connectés et compétents en ligne. Une des variables les plus importantes de la fracture numérique est l’âge, les jeunes étant de loin les plus actifs et engagés en ligne. Pour cette raison, l’effet de l’Internet sur les attitudes et les comportements politiques ne peut pas être ressenti uniformément sur tous les segments de la population (Gibson et al., 2005 ; Schlozman et al., 2010). Dans le contexte canadien, bien que la fracture numérique classique tende à s’atténuer, elle demeure un facteur non négligeable sur le plan des usages de l’Internet (Bastien, 2004). Par exemple, dans le cas de la délibération en ligne, les intervenants sont souvent de jeunes hommes blancs (Albrecht, 2006 ; Baek et al., 2011). En général, les hommes participent plus en ligne et tendent à chercher de l’information plus fréquemment (Cicognani et al., 2012 ; van Deursen et van Dijk, 2014 ; van Deursen et al., 2015). Le niveau d’éducation est également corrélé avec une plus grande sophistication technologique et, conséquemment, avec un éventail plus diversifié d’usages de l’Internet, y compris comme une source d’information et une avenue pour l’engagement politique (van Deursen et van Dijk, 2010). Certaines recherches canadiennes suggèrent également que le fait d’être un immigrant récent est corrélé avec un plus grand nombre d’activités en ligne comparativement aux citoyens canadiens ou aux immigrants de longue date (Haight et al., 2014).

De façon complémentaire aux contrôles sociodémographiques évoqués, nous incluons aussi des mesures de discussions politiques et de consommation médiatique hors ligne qui sont traditionnellement associées de manière positive aux attitudes générales à l’égard de la politique. L’ECJ a demandé aux répondants de la première vague à quelle fréquence ils discutent de politique avec leurs parents. Nous utilisons cette mesure comme un indicateur de socialisation politique précoce. On leur a pareillement demandé à quelle fréquence ils lisent, regardent ou écoutent les nouvelles, et nous utilisons cette mesure comme un indicateur de consommation médiatique précoce.

Résultats

Si nous considérons seulement le temps passé en ligne dans la vague 2, une mesure commune dans la littérature, il n’y a pas de relation significative avec nos mesures d’attitudes générales à l’égard du politique. Comme nous l’avons déjà mentionné, le temps passé en ligne est une mesure rapportant inadéquatement la myriade de façons dont de jeunes individus peuvent utiliser l’Internet et ces usages peuvent avoir des effets politiques différents.

En regardant plutôt la relation bivariée avec les usages quotidiens de l’Internet retenue dans la seconde vague, nous remarquons qu’en moyenne les répondants qui utilisent l’Internet à des fins de réseautage sur une base quotidienne ont significativement plus confiance au gouvernement. Discuter d’enjeux publics et politiques en ligne et rechercher de l’information politique et sociale sont également corrélés avec une augmentation significative de l’intérêt politique. Ces effets sont largement limités aux données de la vague 2. La seule relation perdurant à travers le temps est celle entre la participation quotidienne à des discussions en ligne et l’augmentation de l’intérêt politique.

Ces résultats suggèrent que certains usages de l’Internet peuvent constituer des facteurs importants pour expliquer les attitudes générales à l’égard de la politique. Cependant, dans cet environnement bivarié, nous ne pouvons pas exclure les biais d’autosélection, un enjeu commun dans la plupart des recherches sur l’effet de l’Internet sur le politique, étant donné que nous ne contrôlons pas les mesures de la première vague.

Afin de tester ces effets dans un environnement multivarié, nous présentons au tableau 1 les résultats d’un modèle de régression linéaire permettant de prédire nos variables dépendantes dans la seconde vague avec nos variables dépendantes de la première vague. Plutôt que de regarder seulement les effets des variables de la vague 1, nous contrôlons également la différence entre les mesures de la vague 2 et de la vague 1.

Nous observons dans ce tableau que le fait de discuter en ligne et de chercher de l’information quotidiennement a un effet positif sur l’intérêt politique, comme illustré dans la figure 1. En d’autres termes, après avoir contrôlé les résultats pour les variables mentionnées précédemment, nous observons que deux formes d’usage de l’Internet, soit l’engagement dans des discussions de nature politique et sociale ainsi que la recherche d’information, semblent avoir un effet positif significatif sur l’intérêt politique, mais aucun effet équivalent n’est observé sur la confiance. Quant au sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi), nous constatons un effet moindre, mais tout aussi significatif pour la recherche d’information.

Tableau 1

Résumé des analyses de régression linéaire pour les variables intérêt politique (N = 808), efficacité politique externe (N = 800) et confiance à l’égard du gouvernement fédéral (N = 793), dans la seconde vague

Résumé des analyses de régression linéaire pour les variables intérêt politique (N = 808), efficacité politique externe (N = 800) et confiance à l’égard du gouvernement fédéral (N = 793), dans la seconde vague
Source : Étude canadienne de la jeunesse

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Figure 1

Les probabilités prédites de l’intérêt politique avec les discussions en ligne et la recherche d’information en ligne

Les probabilités prédites de l’intérêt politique avec les discussions en ligne et la recherche d’information en ligne

Note : La figure présente les probabilités prédites basées sur les modèles présentés au tableau 2, avec les intervalles de confiance de 95 %.

Source : Étude canadienne de la jeunesse

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Le tableau 2 présente une seconde analyse avec un modèle d’effets aléatoires afin de mesurer les changements à travers le temps à l’intérieur d’un groupe tout en éliminant le biais de variables omises. Considérant la littérature sur la fracture numérique, nous avons des raisons de croire que les différences entre nos répondants ont des effets sur les attitudes à l’égard de la politique, faisant du modèle d’effets aléatoires un modèle préférable au modèle d’effets fixes. De plus, afin de capter plus précisément les effets longitudinaux, le modèle d’effets aléatoires nous permet d’estimer des coefficients pour les variables constantes à travers le temps (comme le genre) et ainsi de contrôler pour tenir compte des variables de la première vague (comme nos mesures d’adoption précoce). Ce tableau nous fournit donc un test beaucoup plus robuste des effets à travers le temps. Cela dit, le fait que le libellé des questions des variables indépendantes ne soit pas identique en diminue la portée et l’inférence causale.

Tableau 2

Résumé des analyses de modèle d’effets aléatoires pour les variables intérêt politique (N = 808), efficacité politique externe (N = 800) et confiance à l’égard du gouvernement fédéral (N = 793), dans la seconde vague

Résumé des analyses de modèle d’effets aléatoires pour les variables intérêt politique (N = 808), efficacité politique externe (N = 800) et confiance à l’égard du gouvernement fédéral (N = 793), dans la seconde vague
Source : Étude canadienne de la jeunesse

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Les modèles du tableau 2 suggèrent que si un répondant a connu une augmentation d’une unité dans la variable de discussion ou de recherche d’information (autrement dit, est passé de 0 à 1), son intérêt politique augmenterait d’environ 7 % dans la seconde vague. Si nous considérons plutôt les variables qui sont constantes dans le temps, le fait d’être une femme est sans surprise associé à un intérêt politique plus faible, alors que le fait d’avoir un SSE plus élevé et d’avoir fait des études universitaires induit un intérêt politique accru. Alors que l’adoption précoce de l’Internet est associée à un intérêt politique moindre, les habitudes précoces de consommation de médias et de discussions politiques avec la famille sont associées à un plus grand intérêt politique lors de la deuxième vague, et ce, de façon plus importante que nos variables indépendantes d’intérêt.

Nous pouvons noter que l’effet sur le sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) est de beaucoup inférieur à celui observé pour l’intérêt politique. Cependant, en contrôlant pour prendre en considération la variable temporelle et les autres variables mentionnées, l’effet s’avère significatif. De plus, les différences entre les deux vagues sont un prédicteur significatif d’une augmentation du sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi), tout comme l’est le fait de rechercher de l’information sociale et politique. Le fait d’être une femme, d’avoir un SSE plus élevé et d’avoir étudié à l’université est associé à un plus grand sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi), alors que l’inverse est vrai pour les minorités visibles.

Dans l’environnement bivarié, la confiance envers le gouvernement fédéral n’était reliée significativement qu’avec la variable de réseautage en ligne en vague 2. Le modèle d’effets aléatoires suggère que l’augmentation de la recherche d’information en ligne est associée à une augmentation de la confiance. De plus, la figure 2 montre que la propension à discuter de politique et d’enjeux sociaux en ligne est associée à un déclin de la confiance envers le gouvernement. En d’autres mots, les répondants qui discutent de politique en ligne sur une base quotidienne tendent à montrer moins de confiance à l’égard du gouvernement. Les données indiquent également un niveau significativement inférieur de confiance parmi les francophones[6]. L’éducation supérieure est aussi corrélée avec une augmentation de la confiance envers le gouvernement.

Considérant nos hypothèses de départ, nos modèles semblent prédire l’intérêt politique beaucoup plus efficacement que nos autres variables dépendantes. Nos contrôles liés à l’adoption précoce de discussions politiques ou de consommation médiatique ne montrent aucun effet sur nos variables dépendantes. De plus, nos variables indépendantes n’ont pas d’effet uniforme sur les attitudes générales à l’égard de la politique. Par exemple, la confiance envers le gouvernement est simultanément positivement corrélée avec les activités de réseautage en ligne et négativement corrélée avec les discussions en ligne. Dans l’ensemble, nos données nous amènent à confirmer partiellement H1 considérant l’augmentation de la confiance qu’accompagne le réseautage en ligne, alors qu’aucun effet n’est mesuré quant au sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi). H2 est également confirmée puisque les deux analyses montrent une augmentation de l’intérêt et du sentiment que le gouvernement fait quelque chose pour les personnes (comme soi) associée à la recherche d’information en ligne. H3 est aussi partiellement confirmée : les effets des discussions en ligne sont significatifs et positifs sur l’intérêt politique. De surcroît, les discussions en ligne semblent diminuer la confiance à l’égard du gouvernement. En général, nous trouvons aussi des effets sur les autres facteurs de socialisation. Les habitudes de discussions politiques précoces et de consommation médiatique précoce sont associées à un plus grand intérêt, sans pour autant avoir d’effet sur les autres variables dépendantes.

Figure 2

Les marges prévisionnelles de la confiance envers le gouvernement fédéral avec le réseautage en ligne et les discussions en ligne

Les marges prévisionnelles de la confiance envers le gouvernement fédéral avec le réseautage en ligne et les discussions en ligne

Note : La figure présente les probabilités prédites basées sur les modèles présentés au tableau 2, avec les intervalles de confiance de 95 %.

Source : Étude canadienne de la jeunesse

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En résumé, en distinguant différents types d’usage de l’Internet, nous soulignons les effets différenciés que les comportements en ligne des citoyens peuvent avoir sur les attitudes à l’égard de la politique des jeunes citoyens. Ce n’est effectivement pas le simple fait d’être en ligne qui compte, mais bien le genre d’activité qui y est accomplie. Ce point est d’autant renforcé par le fait que, dans tous les modèles, la variable de temps passé en ligne ne donne pas de résultats significatifs, ce qui est également vrai pour la mesure d’adoption précoce de l’Internet qui exclut nos autres variables indépendantes. Cela illustre l’inutilité de la mesure du temps passé en ligne.

Discussion

Tant la participation en ligne que les interactions interpersonnelles sont enracinées dans un processus de socialisation. La participation dans des organisations, politiques ou non, est un comportement s’autoreproduisant par la socialisation des individus (Youniss et al., 1997). Ainsi, la participation en ligne et les interactions en ligne entraînent elles aussi une augmentation de la participation en ligne et hors ligne en procurant aux individus des ressources qui permettent le développement de compétences tout en encourageant les individus à chercher davantage d’engagement et de connexion au sein d’une communauté (Jenkins, 2009). Nos résultats suggèrent que le réseautage en ligne fonctionne de façon similaire aux mécanismes des interactions en face à face en ce qui a trait à l’augmentation de la confiance. Interagir et garder contact avec ses amis, ses collègues et sa famille, tant en ligne que hors ligne, est constitutif de relations plus fortes procurant le capital social nécessaire à l’augmentation de la confiance autant à l’égard d’autrui que des institutions. Les discussions en ligne, quant à elles, sont associées à un plus grand intérêt pour la politique, mais à une diminution de la confiance envers le gouvernement. Cette diminution peut être le fruit de la transformation du nexus savoir/pouvoir entraîné par la démocratisation de l’Internet et du déclin subséquent du rôle des journalistes et des experts. Elle peut aussi être liée à la multiplication des sources de nouvelles, possiblement associées à la politique post-factuelle ou post-vérité. Diana C. Mutz et Byron Reeves (2005) démontrent également que l’incivilité tend à diminuer la confiance à l’égard des politiciens ainsi qu’à l’égard du système, des résultats qui peuvent être extrapolés aux discussions en ligne, souvent inciviles. Pour l’essentiel, nos effets sont significatifs, mais plutôt modestes, et les modèles, même en considérant les variables sociodémographiques, ne peuvent expliquer que partiellement la complexité de la variation des attitudes à l’égard du politique à travers le temps. Sans surprise, les effets du statut socioéconomique et des études universitaires sont positifs, presque à tous les niveaux, sur les attitudes générales à l’égard de la politique.

Bien que les premiers modèles ne peuvent qu’inférer une corrélation et que les modèles longitudinaux comparent des mesures qui ne sont pas identiques, nos résultats sont cohérents et conséquents et reproduisent auprès d’un échantillon de millénariaux canadiens les résultats d’études réalisées dans d’autres contextes. Il faut aussi noter le biais d’autosélection lors de la seconde vague, ce qui, malgré les contrôles dans les modèles, peut entraîner des erreurs de mesures. Prenant en compte la fracture numérique, nos résultats révèlent que les individus les plus actifs et qui passent le plus de temps en ligne sont effectivement des hommes et que leur statut socioéconomique et leur éducation constituent des variables clés à cet égard. Le fait que nos modèles contrôlant ces variables continuent de produire des effets significatifs renforce notre thèse selon laquelle certains usages de l’Internet ont une influence sur nos variables d’intérêts, quoique surtout sur la variable de l’intérêt pour le politique.

Dans cette perspective, notre contribution se décline en trois points. Premièrement, en observant plus spécifiquement nos variables d’intérêts (variables intermédiaires de l’effet de l’Internet sur la participation politique) et la façon dont différentes formes de socialisation influencent les jeunes millénariaux, nous contribuons à démêler la complexité des effets de l’Internet. Nos données témoignent que la participation à des discussions politiques a des effets sur l’intérêt politique comparables à ceux de discuter de politique avec sa famille, lorsqu’adolescent. En effet, l’incidence de cet usage de l’Internet sur l’intérêt politique est non négligeable et la façon dont elle se juxtapose à un effet négatif sur la confiance est digne de mention. Deuxièmement, nos résultats réitèrent la nécessité d’évacuer le temps passé en ligne comme variable d’intérêt dans n’importe quel modèle cherchant à nous éclairer sur un monde de plus en plus connecté (Ekström et Östmann, 2015 ; Ohme et al., 2016). Cette mesure est devenue aussi utile que demander le temps passé hors ligne et, conséquemment, son usage et toute inférence qui en découle sont problématiques. Alors que les nombreux usages possibles de l’Internet nous donnent de multiples possibilités de modélisation, il semble que l’acte spécifique de discuter d’enjeux sociaux et politiques en ligne, de façon intrinsèque et peu importe la plateforme ou le site, est central à tout effet que peut avoir l’Internet sur le politique. Troisièmement, alors que l’adoption précoce de discussions politiques et de consommation médiatique a un effet positif sur l’intérêt politique, l’adoption précoce de l’Internet (excluant nos variables indépendantes d’intérêts) tend à diminuer l’intérêt politique. Alors que l’adoption lors de la première vague de comportements liés aux discussions en ligne, à la recherche d’information et au réseautage a un effet positif sur nos variables dépendantes, les autres usages ne démontrent aucun bénéfice du genre. Dans l’ensemble, conformément à nos attentes, nos résultats sont relativement faibles et nos modèles n’expliquent que quelques pourcentages de la variance de nos variables dépendantes. Cependant, les effets concernant l’intérêt politique sont encourageants pour les études futures sur des effets similaires.

Dans le cas des trois variables dépendantes que nous avons analysées, nos résultats démontrent comment chaque attitude est influencée par des variables spécifiques. Par exemple, alors que l’intérêt pour le politique et la confiance envers le gouvernement sont positivement associés à l’usage de médias traditionnels et à la participation à des discussions politiques en ligne, l’intérêt pour la politique demeure significativement plus élevé chez les hommes. Que nous étudiions des mesures d’attitudes générales ou des attitudes de nature plus idéologique, des nuances spécifiques propres à chacune d’entre elles doivent être prises en considération dans la modélisation.

Dans ce contexte, nous croyons que la littérature portant sur les influences de l’Internet sur les attitudes et les comportements politiques peut bénéficier de ce genre de nuances. Les recherches futures devraient prendre en considération les contextes sociaux qui expliquent en amont une partie importante de la variance des attitudes afin de nous éclairer sur l’effet spécifique de l’usage de l’Internet.