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Il nous est récemment arrivé, dans la collection Paramètres des Presses de l’Université de Montréal, l’ouvrage collectif Le Canada dans le monde, sous la direction d’Aude-Claire Fourot, Rémi Léger, Jérémie Cornut et Nicolas Kenny.

Prenant comme base les 150 ans de la Confédération canadienne, le quatuor cherche autant à se questionner sur la manière dont son histoire politique est enseignée qu’à développer de nouvelles voies pour traiter des enjeux saillants et contemporains en politiques canadiennes. Pour ce faire, le quatuor a su réunir une trentaine de jeunes chercheurs, paritaires au niveau du genre, et provenant de l’ensemble des régions du Canada.

L’objectif de la publication est de favoriser le développement du savoir sur la politique canadienne en français. L’ouvrage est en effet construit pour être utilisé dans le cadre du Programme en affaires publiques et internationales de l’Université Simon Fraser – où les directeurs enseignent – et plus largement pour être adapté à l’enseignement en français dans un contexte minoritaire. La manière dont les thématiques sont abordées sort donc du cadre « Québec vis-à-vis le reste du Canada » présent dans les ouvrages conçus dans cette province.

En ce qui a trait à sa structure, l’ouvrage est divisé en cinq parties qui couvrent chacune une dimension importante de la matière couverte dans les premières années du baccalauréat en science politique. Elles débutent toutes par un chapitre qui brosse un portrait historique de la thématique générale afin de l’inscrire dans le temps et d’en relever l’évolution. L’un des attraits du collectif est qu’il adopte, à travers ses 25 chapitres, une approche multidisciplinaire qui conjugue, en plus de l’histoire, la science politique, la politique publique et les relations internationales.

La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux institutions et aux acteurs de la politique canadienne. Parmi les chapitres qu’elle regroupe, ceux de Thierry Giasson et Éric Montigny (p. 81-98) et d’Anahi Morales Hudon et Rachel Sarrasin (p. 99-118) se démarquent par leur substance et leur capacité à faire état des transformations récentes en politique canadienne. Les premiers décrivent adroitement la façon dont les technologies viennent bouleverser le régime partisan canadien et la manière dont la nouvelle militance s’exprime. Les secondes font état de l’évolution de la place des mouvements sociaux au Canada à l’aide d’une comparaison éclairante entre le mouvement étudiant au Québec et le mouvement autochtone à l’échelle canadienne.

La seconde partie, dédiée aux identités, débute par un chapitre qui trace l’histoire de la citoyenneté au Canada en relevant son bagage colonial et en la mettant en contraste avec les expériences britannique et étatsunienne, qui ont influencé la politique canadienne et qui continuent de le faire (Claude Couture, p. 121-137). Il ressort avantageusement des autres chapitres à vocation historique du volume. Le chapitre de Janique Dubois sur les peuples autochtones (p. 139-158) est sans contredit le point fort de cette partie. L’auteure arrive de façon habile à revenir sur la place des Autochtones durant la période de colonisation précédant la Confédération, en plus des pratiques coloniales du Canada après 1867. C’est surtout l’espace accordé à la mobilisation politique et juridique des peuples autochtones ainsi qu’à la présentation de concepts politiques autochtones, tel Miyo-Wicehtowin/vivre en harmonie (p. 142), qui rendent le chapitre si complet. Autrement, la section est hétéroclite au regard des sujets abordés. Après la lecture des deux premières parties, le lecteur ne peut que se questionner sur la manière dont celles-ci ont été construites. Pourquoi, en effet, avoir intégré les chapitres sur les peuples autochtones (Janique Dubois), sur les communautés francophones minoritaires (Martin Normand) ou la représentation des femmes (Jackie F. Steele) dans la section « identités » ? Ne sont-ils pas des acteurs de la politique canadienne au même titre que les partis ? En les considérant comme des identités, l’idée que ces groupes ne sont pas des acteurs légitimes en politique n’est-elle pas perpétuée ? Ces questions peuvent paraître triviales, mais sont justement des angles morts que les auteurs soulevaient, en introduction, dans la pratique actuelle de la science politique canadienne.

Les sections trois (idéologies politiques) et cinq (relations internationales) ont définitivement la plus grande cohérence interne au niveau du fil conducteur qui lie ensemble leurs chapitres respectifs. Le lecteur en ressort avec l’impression qu’elles sont plus substantielles que les autres sections de l’ouvrage. Les chapitres sur les idéologies examinent surtout l’évolution des grands courants (ex. : libéralisme, conservatisme) et des principales idées (ex. : social-démocratie) en politique canadienne. En la matière, l’absence de chapitre abordant les idéologies contestataires ou marginales se fait grandement ressentir. La principale force des chapitres traitant des relations internationales est de faire le choix d’un pragmatisme théorique qui emprunte à plusieurs courants pour mieux éclairer les thèmes abordés. Décloisonner ainsi l’étude d’un champ encore clivé par les débats paradigmatiques est à la fois rafraîchissant et hautement pertinent compte tenu de l’auditoire visé. C’est particulièrement le cas des chapitres de Philippe Dumas et Stéphane Roussel (p. 405-423) et de Jérémie Cornut, Christopher Kukucha et Justin Massie (p. 425-442).

La quatrième partie du collectif, qui regroupe des chapitres portant sur la gouvernance et l’action publique, ressort pour plusieurs raisons. Entre autres, il est plutôt rare de voir une portion aussi importante d’un livre d’introduction à la politique canadienne traiter de politique publique. Le choix s’avère judicieux à plusieurs égards. D’une part, la manière dont les gouvernements fédéral et provinciaux collaborent dans la mise en place des politiques publiques ainsi que les enjeux liés au rôle grandissant du secteur privé dans ce domaine sont très bien exposés dans le chapitre de Francis Garon (p. 313-329). D’autre part, cela permet de traiter de politique municipale, une des grandes oubliées de l’étude de la science politique. Aude-Claire Fourot s’y attaque (p. 347-363) en examinant la capacité politique des municipalités canadiennes, soit leur marge de manoeuvre dans l’élaboration des politiques publiques et des contraintes auxquelles elles font face dans ce domaine. La mobilisation qu’elle fait du concept de gouvernance multiniveau complète d’ailleurs bien le contenu du chapitre de Garon. Deux chapitres, ceux de Nathalie Burlone et Anne Mévellec (p. 297-312) sur la construction des problèmes publics et de Louis Simard (p. 331-346) sur les instruments d’action publique, bien que riches sur le plan théorique, manquent complètement d’ancrages avec la réalité et les enjeux canadiens. L’angle mort est important, car ils n’aident pas nécessairement non plus le lecteur à mieux comprendre les problématiques analysées dans les autres chapitres qui composent la partie.

L’un des paris que l’ouvrage fait est de favoriser un nombre élevé de chapitres afin de couvrir un très large éventail de sujets. C’est réussi dans la mesure ou des thèmes traditionnellement abordés, comme le fédéralisme, en côtoient d’autres qui restent trop souvent écartés de ce genre d’ouvrage (place des femmes, identité de genre, etc.). Cela a néanmoins ses limites. Le grand nombre de chapitres signifie que chacun d’eux se contente d’une (trop ?) brève introduction du sujet traité. Le lecteur traverse donc chaque chapitre avec le sentiment que l’espace manque aux auteurs. On notera par ailleurs l’absence de chapitre dédié aux questions juridiques (ex. : évolution du rôle des tribunaux, judiciarisation du politique). On ne saurait en tenir trop rigueur aux directeurs de l’ouvrage, ce collectif se voulant spécifiquement destiné à un public de non-initiés qui y trouveront leur compte. Nul doute que des chapitres se retrouveront (ou se retrouvent déjà !) dans la liste de lecture de plusieurs cours d’introduction à la politique canadienne.