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Introduction

Au Québec, la mesure de placement, c’est-à-dire le fait de « confier une partie plus ou moins importante de la responsabilité de son éducation à des substituts parentaux » (Gouvernement du Québec, 2005, p. 4), est une mesure de dernier recours. Celle-ci est plutôt rare sous la Loi sur le système de santé et service sociaux (LSSSS). Au nom des principes de l’attachement, on tente le plus possible de l’éviter en protection de la jeunesse. En fait, on ne met sous garde que les délinquants ayant commis les crimes les plus graves sous la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA). Pourtant, les enfants placés (en milieu institutionnel ou familial) représentent une proportion qui dépasse la moitié des enfants desservis en protection de l’enfance (52,6 %) et une part non négligeable de la population d’enfants du Québec (8,1/1000, incluant les mises sous garde et les placements en protection) (ACJQ, 2014).

Promouvoir la stabilité de ces enfants en contexte de placement est vital pour les politiques et la pratique des services à l’enfance (Pecora, 2010). Bien que la stabilité des placements ne fasse pas formellement l’objet d’un contrôle par les instances québécoises, la stabilité des enfants constitue une préoccupation qui est au coeur des politiques québécoises depuis les années 1970 (Comité d’étude sur la réadaptation des enfants et des adolescents placés en centre d’accueil, 1975). Plus spécifiquement, l’un des principes fondamentaux de la Loi sur la Protection de la Jeunesse (LPJ) qui régit les placements d’enfants au Québec souligne l’importance accordée à la stabilité des enfants :

4. Toute décision prise en vertu de la présente loi doit (...) tendre à lui assurer (...) la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge et se rapprochant le plus d’un milieu familial

LRQ, 2006, ch. P-34.1

Toutefois, selon des auteurs tels que Turcotte et al. (2010) certains jeunes placés vivent de nombreux déplacements d’une ressource d’hébergement à une autre, sans compter les allers-retours entre les milieux d’hébergement et leur famille. À ces déplacements, définis comme des « changement(s) dans le milieu de vie principal de l’enfant » (p.58), s’ajoute souvent une succession d’intervenants ayant le mandat d’encadrer et de superviser ces jeunes. Résultante de cette accumulation de changements, l’instabilité entrainerait des ruptures de liens et compromettrait le bien-être et le développement des enfants (Gauthier, Fortin et Jéliu, 2004). Notamment, l’instabilité affecterait leur capacité à se lier avec d’autres enfants et avec les adultes responsables d’eux (D’Auray, 2005; Hyde et Kammerer, 2009; Ward, 2011) et prédirait le maintien et même l’apparition de troubles de comportement (Aarons, James, Mann, Raghavan, Wells et Leslie, 2010; Newton, Litrownik et Landsverk, 2000; Rubin, O’Reilly, Luan et Localio, 2007). Au tournant de l’âge adulte, les difficultés liées à l’instabilité dans le parcours de placements augmenteraient le risque d’être soumis à un suivi en probation, d’avoir des troubles de santé mentale, de recourir à l’assistance sociale et d’avoir une faible scolarisation (Vinnerljung et Sallnas, 2008). Compte tenu de ces effets néfastes possibles, il importe d’avoir un portrait juste et nuancé de l’ampleur de l’instabilité vécue par les enfants placés et des formes que peut prendre cette instabilité.

Or, si plusieurs études se sont attardées à l’instabilité en placement, très peu d’entre elles ont évalué cette problématique dans son contexte d’ensemble, en tentant de décrire les parcours de placements dans leur entièreté (Havlicek, 2011; Usher et al., 1999; Wulczyn et al., 2003). En effet, au-delà du nombre de placements, plusieurs autres caractéristiques du parcours de placements peuvent rendre compte de l’instabilité vécue. Encore récemment, Kim, Pears et Fisher (2012) déploraient : « Bien que l’instabilité en placement ait longtemps été vue comme une problématique sérieuse par les chercheurs et les décideurs, peu d’informations détaillées sont disponibles sur les parcours longitudinaux sur l’historique de placement des enfants en centre de réadaptation ou en famille d’accueil (...)[1] » (p.1460, traduction libre). La description des parcours de placements dans leur entièreté mérite donc d’être raffinée.

Par ailleurs, certaines différences entre les sexes sont notables lorsqu’il s’agit du contexte de placement. D’une part, les mises sous garde sous la LSJPA concernent nettement plus de garçons que de filles (96,3 % vs 3,7 %)(ACJQ, 2014). D’autre part, les motifs pouvant mener à un placement en vertu de la LPJ varient selon le sexe, les filles étant par exemple plus nombreuses que les garçons à avoir un signalement retenu pour abus sexuels (Tourigny, Daigneault, Hébert et Whright, 2005). Ces différences sont susceptibles de déboucher sur des parcours de prises en charge et de placements différents selon le sexe, que ce soit en regard du type de placement ou de sa durée par exemple. À cet effet, Moreau (2007) spécifie que parmi les adolescents et les adolescentes judiciarisés en raison de leurs troubles de comportement ou de leur délinquance, les adolescentes étaient plus nombreuses à avoir à leur actif un placement en famille d’accueil (23,9 % vs 16,1 %). S’attarder spécifiquement aux parcours de placements des filles apparaît être un premier pas afin d’offrir un profil descriptif qui tienne compte des particularités de cette clientèle. Notre étude offrira un tel portrait descriptif, tout en suggérant ultérieurement une reproduction de cette description auprès d’un échantillon masculin.

La présente étude vise donc à mieux connaître les parcours de placements des adolescentes placées en centre de réadaptation, et ce, depuis leur premier placement. Nous définissons le parcours de placements comme une succession de placements depuis le tout premier placement à l’extérieur de la famille. Ceci inclut le nombre de placements, le nombre de sortie de placement infructueuse, la durée cumulée en placement, la variété des types de milieux d’hébergement ainsi que le nombre d’intervenants de type travailleurs sociaux. Une meilleure connaissance des parcours de placements des filles permettra certainement de mieux outiller les intervenants qui oeuvrent auprès de cette population dans les services de protection à l’enfance. Cette connaissance du parcours de placements pourrait effectivement venir enrichir la compréhension de l’histoire de vie de cette clientèle.

Établir l’ampleur de l’instabilité en placement

À l’heure actuelle, la littérature n’offre aucune description fine des parcours de placements des filles. Parmi les études recensées, la question des différences possibles entre les sexes est parfois évoquée (Smith, Stormshak, Chamberlain et Whaley, 2001), mais très rarement analysée malgré le fait que le pourcentage de filles au sein des échantillons varie entre 43,3 % (Smith et al., 2001) et 54 % (Carrier et Beaudoin, 1993). En fait, lorsqu’il y a mixité dans les échantillons, le sexe est généralement utilisé comme variable contrôle (voir par exemple Newton et al., 2000), ce qui ne permet pas d’isoler les caractéristiques qui pourraient différencier les parcours de placements des filles. Pourtant, l’étude de Smith et al., (2001) suggère que les filles seraient davantage à risque d’instabilité en placement et auraient significativement plus de placements antérieurs que les garçons (6,6 contre 3,3 placements). Considérant le peu d’attention portée aux différences entre les sexes, l’ampleur de l’instabilité en placement est alors décrite de façon indifférenciée selon le sexe des enfants.

À l’échelle internationale (Australie, Canada, États-Unis), la littérature suggère qu’entre le cinquième et les trois quarts des jeunes placés par les services à l’enfance sont considérés avoir un parcours de placements instable, marqué par de nombreux placements et déplacements (Barber, Delfabbro et Cooper 2001; Carrier et Beaudoin, 1993; Fanshel et Shinn, 1978; Leathers, 2002; Newton et al., 2000; Smith et al., 2001; Turcotte et al., 2010). Bien que ces proportions représentent une part non négligeable, voire importante de la population des enfants placés, leur variation d’une étude à l’autre est considérable. Comme le souligne D’Andrade (2005), la diversité des échantillons et des méthodologies utilisées réduit la capacité de la littérature scientifique à rendre compte de manière claire et cohérente de l’ampleur de l’instabilité des enfants en placement. Plusieurs autres limites méthodologiques rendent l’étude de l’instabilité en placement largement imparfaite.

D’une part, l’instabilité est souvent évaluée en regard d’un épisode de placement circonscrit dans une période de temps restreinte plutôt qu’en regard de l’ensemble du parcours de placements. Certaines études définissent une fenêtre de temps précise au cours de laquelle l’instabilité est évaluée. Cette fenêtre de temps varie grandement d’une étude à l’autre : huit années (Leathers, 2002), cinq années (Fanshel et Shinn, 1978) et 18 mois (Newton et al., 2000) alors que l’étude australienne de Barber et al. (2001) ne l’étudie que sur une période de 12 mois. Les taux d’instabilité observés sont donc hétérogènes et difficilement comparables. Plus encore, en ne considérant qu’un épisode spécifique de placement, ces études ne sont pas en mesure d’évaluer la séquence des placements et des déplacements survenus depuis le tout premier placement (Havlicek, 2011). Seule l’étude québécoise de Carrier et Beaudoin (1993) couvre l’ensemble du parcours des enfants, c’est-à-dire depuis leur premier placement, mais cela dit, cette étude date déjà de plus de vingt ans.

D’autre part, une limite méthodologique importante concerne l’opérationnalisation de l’instabilité. En 1978, l’étude new yorkaise de Fanshel et Shinn définissait l’instabilité en placement comme le fait d’avoir cumulé trois placements et plus. Ce seuil d’instabilité a ensuite été réutilisé par certains gouvernements et dans plusieurs études (Unrau, 2007). Il est également employé pour comparer les proportions retrouvées dans la littérature entre elles, menant à des taux d’instabilité variant entre 18% (Fanshel et Shinn, 1978) et 76% (Carrier et Beaudoin, 1993). Ce point de coupure ne fait toutefois pas consensus et sa validité demeure à être démontrée (Unrau, 2007). D’ailleurs, plusieurs études ne s’en tiennent qu’à un décompte des placements ou des déplacements des enfants, sans trancher sur un seuil qui viendrait attester d’une instabilité. Par exemple, Newton et al. (2000) rapportent que le nombre moyen de placements par enfant se chiffre à 4,23 au sein de leur échantillon californien. Esposito, Trocmé, Chabot, Collin-Vezina, Shlonsky et Sinha (2014) ont étudié les données relatives à l’ensemble des enfants placés au Québec entre le premier avril 2002 et le 31 mars 2011 (n = 29 040), ce qui en fait l’étude la plus récente et la plus inclusive de la littérature québécoise. Les enfants placés ont été subdivisés selon qu’ils aient vécu aucun déplacement (31 %) ou qu’ils aient vécu un (25 %), deux (16 %) ou trois et plus (28 %). Bien que fort éclairante, cette étude n’a toutefois évalué l’instabilité des placements que sur une fenêtre de temps de 36 mois par enfant.

Considérant les biais engendrés par les variations des fenêtres de temps étudiées et par le caractère ambigu des mesures catégorielles et dimensionnelles de l’instabilité, la notion d’instabilité demeure bien relative d’une étude à l’autre. Il devient clair que le décompte des placements ne suffit pas à rendre compte de toute la complexité des parcours de placements. Face à ces limites, D’Andrade (2005) propose de recourir à des stratégies de mesures plus sophistiquées que le simple décompte des placements pour rendre compte de l’instabilité des parcours des enfants placés. La prise en compte de certaines caractéristiques particulières est nécessaire pour compléter le portrait des parcours de placements.

Premièrement, le besoin de traiter de la durée cumulée des placements pour comparer les taux d’instabilité d’une étude à l’autre est évident (D’Andrade, 2005; James, Landsverk et Slymen, 2004; Pecora, 2010). Deuxièmement, le type de milieu d’hébergement aurait un rôle à jouer dans l’instabilité en placement. Les niveaux de supervision différents des milieux compliqueraient l’adaptation des enfants en placement. L’instabilité serait effectivement plus marquée chez les enfants placés en résidences de groupe (Havlicek, 2011). Troisièmement, Kim et al. (2012) déplorent le fait que les mouvements des enfants à l’intérieur des services à l’enfance soient étudiés, mais que les tentatives infructueuses de retour dans la famille (sortie infructueuse de placement) soient ignorées. Pourtant, cette caractéristique semble être un marqueur important de l’instabilité dans le parcours de placements. À cet effet, les entrevues qualitatives d’Unrau, Chambers, Seita et Putney (2010) permettent d’établir que certains jeunes perçoivent le retour à la maison comme un autre déplacement. Un participant affirme : « Your family becomes your placement »[2] (p.429). Quatrièmement, les changements d’intervenants qui surviennent parfois en parallèle des déplacements réduisent également le niveau de stabilité. Par exemple, dans l’étude québécoise D’Auray (2005), 56 % des enfants auraient été sous la supervision de plus de trois intervenants et 26 % sous la supervision de plus de cinq intervenants. Ce constat est similaire à celui de Blais, Hélie, Langlois-Coutier et Lavergne (2006). Ces auteurs québécois établissent un seuil clinique de « discontinuité relationnelle ». Ainsi, si un seul intervenant[3] était attitré à l’enfant sur une période de deux ans, l’enfant était considéré en « continuité ». Si par contre on lui assignait un intervenant par année, l’enfant était considéré en « discontinuité notable ». Enfin, si plus d’une assignation étaient comptabilisées dans une année, l’enfant était considéré en « discontinuité majeure ». Les résultats indiquent que 74% des 5 267 usagers desservis à ce moment par les services à l’enfance de la région de Montréal ont été confrontés à une « discontinuité relationnelle », dont 21 % en discontinuité notable et 53 % en discontinuité majeure.

Autant de caractéristiques pour décrire, non seulement l’instabilité selon le décompte de placements, mais également tout le contexte qui entoure cette instabilité et qui y contribue parfois substantiellement. Comme le souligne D’Andrade (2005), les enfants ayant le même nombre de placements peuvent avoir des parcours de placements qui diffèrent. Alors qu’un enfant pourrait avoir un parcours comprenant trois placements consécutifs, un autre pourrait être placé trois fois dans des circonstances différentes, et ce, en réintégrant à chaque fois son milieu familial à la fin de ses placements. L’effet cumulatif des autres caractéristiques du parcours de placements, au-delà du nombre de placements, doit donc faire partie de la conceptualisation de l’instabilité. Également, si chaque indice qui permet de mieux circonscrire l’instabilité en placement mérite une attention particulière, « l’entrée dans le réseau des ressources d’accueil est un moment clé de la trajectoire de placement » (Carrier et Beaudoin, 1993, p.25). Le contexte du premier placement occupe donc une place importante dans la description du parcours de placements dans sa globalité. Notre étude propose donc de s’y attarder.

De l’instabilité en placement aux parcours de placements : une question d’opérationnalisation

Très peu d’études rendent compte du parcours de placements des enfants. L’étude la plus récente qui permet d’analyser le plus de caractéristiques du parcours de manière simultanée est celle de Kim et al. (2012). Ces auteurs soulignent que les études dont la centration principale porte sur les parcours de placements sont des exceptions. En effet, ils n’ont recensé que trois études leur permettant d’appuyer leurs travaux sur les parcours de placements d’enfants provenant d’un échantillon étatsunien. Ces trois études, toutes menées aux Etats-Unis, sont celles de Usher et al. (1999), Wulczyn et al. (2003) ainsi que James et al. (2004). Elles se démarquent toutes trois par la prise en compte de plus d’une dimension du parcours de placements. Par exemple, en portant une attention particulière au moment de survenue des déplacements, James et al. (2004) ont identifié quatre parcours de placements selon le niveau de stabilité et le moment d’acquisition de cette stabilité. Près du cinquième (19,8 %) des enfants a emprunté un parcours « instable », comportant au moins un déplacement au cours des neuf premiers mois du placement. Si la principale force de cette étude est l’obtention de parcours de placements types qui permettent des comparaisons entre eux, James et al. (2004) n’ont étudié les parcours de placements que sur une période de 18 mois, ce qui ne tient pas compte des placements vécus avant et après cette période.

Kim et al. (2012) tracent quant à eux des parcours de placements sur quatre années. Ils décrivent également les placements antérieurs à cette fenêtre d’étude faisant en sorte que cette étude couvre une importante période de temps. Leur objectif est de proposer un outil d’analyse pour définir les parcours de placements au moyen d’un ensemble de caractéristiques : le nombre de placements, leur durée, le type des milieux d’hébergement, la séquence des placements et des retours dans la famille et le changement de parents substituts. Ces auteurs sont d’ailleurs les seuls à avoir intégré ces deux dernières caractéristiques. Leur échantillon est composé de 117 enfants âgés en moyenne de 4,4 ans au début de l’étude. Pour être admissibles à l’étude, ces enfants devaient débuter un nouveau placement (en excluant les placements chez un tiers) pour au moins trois mois, peu importe s’ils avaient ou non été placés antérieurement. Cet échantillon, puisé aléatoirement à même un échantillon plus large, comportait des enfants ayant déjà vécu quatre placements en moyenne. Les résultats indiquent que les enfants vivent en moyenne sept transitions (placements et retours dans la famille) de leur naissance à la fin de l’étude et 44,4 % d’entre eux vivent au moins une tentative de retour infructueuse dans leur famille. Également, ils rencontreraient en moyenne cinq nouveaux intervenants au cours de leur parcours. La durée moyenne des placements était de 231 jours et la durée cumulée des placements allait de 55 jours à 2988 jours.

Le modèle proposé par Kim et al. (2012) est particulièrement riche puisqu’il intègre un ensemble d’indicateurs qui permet de décrire de façon détaillée les parcours de placements des enfants. Ces auteurs qualifient eux-mêmes leur étude comme la description la plus détaillée et continue des parcours de placements d’enfants. Pourtant, si cette étude est la plus précise de la littérature, elle a tout de même certaines limites. D’abord, le groupe d’âge étudié était relativement jeune (4,4 ans au départ). Or, l’adolescence nous apparaît comme une période particulièrement névralgique lorsqu’il est question du risque d’instabilité (Wulczyn et al., 2003). Enfin, les auteurs ont proposé un modèle permettant d’illustrer des parcours sur une base individuelle, sans toutefois dégager des profils « types » pouvant caractériser des sous-groupes au sein de leur échantillon.

Objectifs de l’étude

La présente étude vise à mieux connaître les parcours de placements des adolescentes placées en centre de réadaptation à travers deux objectifs : (a) identifier des parcours de placements en fonction de divers indicateurs cumulés depuis le tout premier placement (le nombre de placements, le nombre de sortie de placement infructueuse, la durée cumulée en placement, le nombre de milieux d’hébergement différents ainsi que le nombre d’intervenants responsables); (b) décrire les variables associées aux parcours de placements, c’est-à-dire celles qui permettent un éclairage sur le contexte du premier placement des adolescentes (l’âge au premier placement, le motif d’entrée en placement, le premier milieu d’hébergement, la durée du premier placement) ainsi que celles qui offrent un aperçu global de chacun des parcours de placements (durée moyenne des placements, ratio de la durée cumulée sur l’âge de l’adolescente, prévalence des motifs de signalement fondés sous la LPJ). À notre avis, l’identification et la description de parcours de placements « types » permettra d’éclairer le problème de l’instabilité d’une manière particulière, c’est-à-dire en dévoilant les différentes formes qu’elle pourrait revêtir, mais surtout en attribuant une importance aux autres caractéristiques du parcours de placements qui peuvent accompagner l’accumulation de placements et de déplacements.

Méthode

Devis et approche analytique

Notre étude est caractérisée par un devis corrélationnel longitudinal puisqu’elle s’intéresse à l’accumulation des différents indicateurs du parcours de placements à travers le temps pour en établir des parcours « types ». Celle-ci s’inscrit également à l’intérieur d’un projet plus vaste, soit l’étude longitudinale montréalaise sur les adolescentes hébergées en centre de réadaptation (Lanctôt, 2010). Une rétrospective de l’historique de placements, jusqu’au tout premier placement des adolescentes, était menée, et ce, à partir du temps initial de l’étude Lanctôt (2010).

L’approche analytique employée pour atteindre les objectifs visés est dite centrée sur la personne. À la différence d’une approche centrée sur les variables, celle-ci utilise la personne comme unité d’analyse permettant de conserver l’intégrité holistique de leur parcours de placements. Dans notre étude, le terme holistique réfère à une conception selon laquelle un phénomène ne peut être compris qu’à travers l’étude de l’ensemble de ses constituantes puisque celles-ci forment un tout. L’approche centrée sur la personne est pertinente pour rendre compte des différences et également des ressemblances interindividuelles dans les parcours de placements et tient compte de l’ensemble des données (Brennan, Breitenbach, Dietrich, Salisbury et van Voorhis, 2012). Morizot (2003) exprime un avantage d’utiliser l’approche centrée sur la personne ainsi :

L’approche centrée sur les personnes tente de généraliser et de donner un sens adaptatif à tous les individus, incluant ceux qui dévient de la norme du groupe total, qui sont souvent implicitement considérés comme des « données extrêmes » ou pire, comme des « erreurs aléatoires » dans une approche centrée sur les variables

p.35

Il paraît d’autant plus essentiel de rendre compte de chaque parcours, lorsque ceux-ci sont teintés d’instabilité et représentent l’extrême du continuum dans l’accumulation de placements, de sortie de placement infructueuse, de milieux d’hébergement différents et d’intervenants responsables, ce qui est le cas de cette étude. Ces extrêmes sont nécessaires à l’identification des différentes formes que peuvent prendre les parcours de placements. Et bien que chaque adolescente ait un parcours de placements spécifique et unique, l’approche centrée sur la personne permet de reconnaître des patrons semblables et de les distinguer des patrons différents pour établir des parcours « types » (Brennan et al., 2012). La stratégie d’analyse de classes latentes décrite plus loin est en accord avec cette approche et vise spécifiquement cet objectif.

Participantes

La stratégie d’échantillonnage employée dans l’étude de Lanctôt (2010) ciblait toutes les adolescentes admises dans des unités de réadaptation de deux centres jeunesse du Québec au cours de la période allant de janvier 2008 à mars 2009. Au total, 373 adolescentes ont été invitées à participer à la recherche. De celles-ci, 85,5 % ont accepté d’y participer, ce qui chiffre le nombre de participantes à 319. Sur les 319 adolescentes rencontrées, les dossiers de placement de quatre d’entre elles étaient inaccessibles, ce qui établit l’échantillon final à 315 adolescentes âgées de 12 à 18 ans, soit 15,4 ans en moyenne. Parmi celles-ci, 13,7 % étaient nées à l’extérieur du Canada et 10,5 % issues de l’immigration.

Procédure

Pour avoir accès à ces informations, les adolescentes étaient invitées à participer à l’étude et à répondre à des questionnaires auto-rapportés sur plusieurs sphères de leur adaptation psychosociale environ deux semaines après leur admission dans une unité de réadaptation. Lorsqu’une adolescente acceptait de participer à l’étude en signant le formulaire de consentement, elle permettait par la même occasion l’accès à son dossier informatisé des centres jeunesse et donc, aux informations relatives à son parcours de placements. Ce sont les parents ou un tuteur qui signaient le formulaire de consentement lorsque celles-ci étaient âgées de 14 ans et moins. Les dossiers informatisés des adolescentes donnaient alors accès aux bases du Système d’Information sur les Ressources Intermédiaires et de Type Familial (SIRTF) (traitant également des placements en centre de réadaptation) et du Système Clientèle Jeunesse (SCJ) qui ont permis d’extraire des indicateurs pour tracer rétrospectivement les parcours de placements des adolescentes depuis le placement associé à l’admissibilité à l’étude de Lanctôt (2010) jusqu’à leur tout premier placement.

Mesures des indicateurs du parcours de placements

Dans un premier temps, les indicateurs permettant d’identifier les parcours de placements proviennent de deux bases de données : Le SIRTF et le SCJ. C’est le SIRTF qui permet de rendre compte des placements et des déplacements des enfants d’une ressource d’hébergement à une autre. Les placements comptabilisés sont susceptibles d’être sous les trois lois qui régissent les placements au Québec, soient la LPJ, la LSJPA et la LSSSS. Cette base de données contient les dates de début et de fin des placements ainsi que les lieux où sont placés les enfants. À défaut de fournir les données des milieux informels (par exemple chez un tiers), cette base de données est jugée très fiable pour rendre compte des placements formels puisqu’elle est notamment associée aux contributions financières qui suivent ces placements (Turcotte et al., 2010). Le nombre d’intervenants est la seule information qui ne soit pas puisée dans le système SIRTF mais plutôt dans les données clinico-administratives du SCJ. Cette base de données est souvent utilisée par les chercheurs et suit un cadre normatif pour une exploitation simplifiée (Turcotte et al., 2010).

Une série d’indicateurs a été dérivée de ces deux bases de données. Premièrement, le nombre de placements officiels se définit par le cumul de tous les placements vécus par chaque adolescente depuis leur premier placement. Tous les placements sont donc comptabilisés à l’exception de ceux qui ont lieu chez un tiers significatif ou un membre de la famille puisque cela réfère à un milieu de placement informel (donc absent des données du SIRTF). Des auteurs canadiens (Trocmé et al., 2009) proposent de restreindre le décompte des placements à ceux de 72h et plus, évitant ainsi d’inclure les placements d’urgence et les répits. Selon ces auteurs, ce point de coupure permet de restreindre la mesure aux placements significatifs. Ce critère est retenu dans la présente étude. Ainsi, le nombre de placements se définit par le décompte de placements de 72 heures et plus qui changent la localisation physique de l’adolescente et de ses biens et qui transfèrent la responsabilité de cette adolescente à un autre adulte recensé officiellement dans les bases de données des services à l’enfance. Deuxièmement, le nombre de sorties de placement infructueuses se définit par le décompte des périodes où il y a absence de placement, et ce, à partir de la fin du premier placement. Troisièmement, la durée cumulée en placement se définit comme la durée totale de l’ensemble des placements officiels de 72 heures et plus dans les services à l’enfance au fil du parcours de placements. Quatrièmement, la variété des milieux d’hébergement se définit par le décompte des types de milieux d’hébergement différents ayant accueilli officiellement l’adolescente au fil de son parcours. Quatre types de milieux d’hébergement sont possibles : les unités de réadaptation, les foyers de groupe, les familles d’accueil ainsi que les milieux autres (hôpitaux, centre de réadaptation en dépendance, appartements supervisés, etc.). Cinquièmement, le nombre d’intervenants renvoie à la somme des intervenants de type travailleurs sociaux ou agents de relations humaines ayant été responsables de l’encadrement et de la supervision de l’adolescente au fil de son parcours de placements. Malheureusement, le calcul du nombre d’éducateurs de suivi en milieu d’hébergement n’est pas une information accessible dans les bases de données consultées. Cela constitue une limite à cette mesure.

Dans un deuxième temps, et en accord avec le deuxième objectif, les variables associées aux différents parcours sont également puisées dans les bases de données SIRTF et SCJ. Celles-ci permettent d’illustrer le contexte du premier placement puis d’avoir un aperçu plus global des parcours de placements. Les variables qui réfèrent au contexte du tout premier placement du parcours sont l’âge au premier placement, le motif du premier placement, la durée de ce premier placement ainsi que le premier type de milieu d’hébergement. D’autres variables permettent de décrire les parcours de placements de manière plus globale en rendant compte de la durée moyenne de chacun des placements, du ratio de la durée en placement sur l’âge des adolescentes ainsi que de la prévalence des signalements fondés pour différents motifs de placement selon la LPJ. Ces informations complémentaires permettent de mieux qualifier les parcours de placements dans leur ensemble.

Stratégie d’analyse

En accord avec l’approche centrée sur la personne, des analyses de classes latentes ont été menées. Ce type d’analyse statistique se retrouve dans la famille des modèles d’équations structurelles (Tabachnick et Fidell, 2013). Celles-ci constituent une manière d’identifier des sous-groupes avec des individus ayant des caractéristiques semblables et de les distinguer des individus ayant des caractéristiques différentes. Cette méthode tend à déterminer le modèle avec le plus petit nombre de classes permettant d’expliquer la totalité de la variance entre les différentes variables. Dans cet article, et à l’instar de plusieurs travaux visant à établir des profils à l’aide de classes latentes, les indicateurs utilisés ont été standardisés sur l’ensemble de l’échantillon (score Z). Cela permet d’obtenir rapidement la position des membres d’une classe par rapport à l’ensemble des individus de l’échantillon. Il est convenu qu’un score au-dessus de 0,30 (et en dessous de -0,30) permette d’identifier les indicateurs qui caractérisent la classe (Brennan et al., 2012). Considérant la taille de notre échantillon, seuls les modèles ayant des classes comportant 5 % et plus de l’échantillon ont été considérés. L’analyse de classes latentes a été menée avec le logiciel MPlus version 7.2 en utilisant le TYPE=MIXTURE (Muthén et Muthén, 2015).

Résultats

Historique de placement

Globalement, la durée cumulée en placement pour l’ensemble de l’échantillon s’échelonne de 13 jours à 16,27 ans. Lorsque l’âge est pris en compte, les adolescentes ont été placées en moyenne 15,85 % de leur vie pour une durée moyenne de 2,43 ans (é.-t.=3,23 ans). Le nombre de placements s’étend d’un à 21 placements avec une moyenne de 3,48 placements (é.-t.=3,05 placements). À cela s’ajoute jusqu’à 15 sorties de placement infructueuses avec une moyenne de 1,25 sorties (é.-t.=2,06 sorties). Le nombre moyen de déplacements, qui renvoie au cumul des placements et des sorties de placement infructueuses, s’élève donc à 4,73 déplacements. Ainsi, 48,9 % des adolescentes ont eu trois placements et plus et 35,2 % ont eu trois déplacements et plus. La moyenne des types de milieux d’hébergement différents s’élève à 1,8 alors que l’écart-type est de 0,72. En parallèle, le nombre d’intervenants attitrés aux adolescentes de l’échantillon varie de un à 19 intervenants, avec une moyenne de 3,54 intervenants (é.-t.=3,53 intervenants).

Ces adolescentes ont été placées pour la première fois entre 0,32 an et presque 18 ans (17,81 ans), mais le premier placement a généralement eu lieu au début de l’adolescence (13,39 ans; é.-t.=3,2 ans). La durée moyenne du premier placement est de 0,66 an (é.-t.=1,36 an). Le principal motif du premier placement est la présence de troubles de comportement (43,1 %), suivi par la négligence (25,3 %), la maltraitance (16,7 %), les demandes de services sous la LSSSS (10,8 %), l’abandon (2,8 %) ainsi que les placements sous garde pour délinquance sous la LSJPA (1,4 %). Lors de leur premier placement, les adolescentes sont surtout placées en unité de réadaptation (76,3 %), bien qu’elles y sont également en famille d’accueil (14,8 %), en foyer de groupe (7,6 %) ainsi que dans d’autres milieux (hôpitaux, centre de réadaptation en dépendance, etc.) (1,3 %).

Sélection du modèle

Les analyses ont permis de sélectionner un modèle à trois classes. Pour ce faire, le modèle ayant les meilleurs critères d’adéquation était recherché, entre autres le Bayesian Information Criterion (BIC) et le Akaike Information Criterion (AIC) les plus petits (voir tableau 1). Bien que le BIC et que le AIC diminuent graduellement au fil de l’augmentation des classes, l’indice du Vuong-Lo-Mendell-Rubin likelihood est marginalement significatif jusqu’à l’obtention de quatre classes où il devenait non significatif. Ainsi, l’ajout d’une quatrième classe ne classifie pas mieux l’échantillon que ne le fait le modèle retenu à trois classes. Il en va de même pour le modèle à cinq classes qui a également été rejeté puisqu’il comporte une classe dont la proportion est au-dessous de 5 %. Le modèle à trois classes a donc le BIC et le AIC les plus petits par rapport aux modèles à une et deux classes et a également le meilleur niveau de classification (entropie). De plus, la répartition convient au critère d’acceptation cité ci-haut puisque les trois classes comportent chacune plus de 5 % de l’échantillon, soient 80,65 % (n=255), 13 % (n=40) ainsi que 6,37 % (n=20).

Tableau 1

Adéquation du modèle à trois classes

Adéquation du modèle à trois classes

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Trois parcours de placements

Les trois parcours de placements sont présentés au tableau 2. Alors que les scores Z ont été utilisés pour délimiter les parcours de placements, la moyenne présentée dans le tableau permet un regard concret sur les indicateurs présentés en chiffres absolus. Le nom de chacun des parcours de placements relève d’une décision des chercheurs basée sur la ou les caractéristiques qui obtiennent le score Z le plus élevé pour ces parcours. Ceux-ci ne sont donc pas des observations, mais plutôt une construction fondée sur les résultats d’analyse. L’âge moyen des adolescentes des trois groupes est respectivement 15,2 ans, 15,6 ans et 16,1 ans. La différence entre 15,2 ans et 16,1 ans s’avère significative, les adolescentes du parcours 3 étant les plus âgées. Le statut ethnique ne diffère pas significativement d’un parcours à l’autre.

Tableau 2

Les parcours de placements

Les parcours de placements

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Parcours stable. La majorité des adolescentes (80,65 %) (n=255) ont un parcours de placements stable. Ce premier parcours est intitulé « parcours stable » puisque la totalité des indicateurs de ce parcours de placements affichent des résultats inférieurs à la moyenne de l’échantillon. Les adolescentes qui le composent ont été placées en moyenne 1,21 an (Z=-0,381). Également, elles ont cumulé 2,44 placements en moyenne (Z=-0,345) et ont expérimenté, en moyenne, moins d’une sortie de placement infructueuse (Z=-0,288; X̅=0,67). Ces adolescentes ont été hébergées dans 1,47 type de milieux différents (Z=-0,347) et on leur a attitré 2,4 intervenants (Z=-0,327), ce qui une fois de plus les place sous la moyenne de l’échantillon. Bien que ce parcours soit qualifié de stable, les adolescentes qui en font partie ont elles aussi accumulé des déplacements d’une ressource à une autre, mais cela dit, de manière modérée comparativement aux autres adolescentes de l’échantillon.

Parcours d’instabilité relationnelle. Ce second parcours caractérise 13 % (n=40) de l’échantillon. Le qualificatif « instabilité relationnelle » de ce parcours réfère au nombre important d’intervenants qui ont été attitrés aux adolescentes qui le composent. Il se distingue entre autres par une importante durée en placement. Les adolescentes de ce parcours ont été en situation de placement pendant près de 8 années en moyenne ( X̅=7,84) (Z=1,653), ce qui les place à plus d’un écart-type et demi au-dessus de la moyenne de l’échantillon. Elles ont cumulé également un peu plus de six placements ( X̅=6,1) (Z=0,851) et ont vécu près de deux sorties de placement infructueuses, ce qui les situe au-dessus de la moyenne ( X̅=1,93) (Z=0,342). Ces adolescentes ont été placées, en moyenne, dans 3,15 types de milieux d’hébergement différents (Z=1,363), ce qui les sépare de plus d’un écart-type de l’ensemble des adolescentes de l’échantillon. Mais la particularité principale de ce parcours est la quantité notable d’intervenants attitrés à leur dossier au fil de leur parcours de placements. En moyenne, ces adolescentes ont été attitrées à 10,03 intervenants (Z=1,808), ce qui les place à près de deux écarts types au-dessus de la moyenne de l’échantillon.

Parcours d’instabilité physique. Ce parcours est celui qui représente le plus petit nombre d’adolescentes avec une proportion de 6,37% (n=20) de l’échantillon. Il est qualifié « d’instabilité physique » puisque le nombre de placements et de sorties de placement infructueuses, donc le nombre de déplacements, dépasse largement la moyenne de l’échantillon et celle des deux autres parcours. Les adolescentes qui le composent sont restées en placement pour une durée cumulée importante de 7,12 ans (Z=1,449). Tel que mentionné, elles ont cumulé un important nombre de placements, soit en moyenne 11,55 placements (Z=2,644) et 7,35 sorties de placement infructueuses (Z=2,962). Ces adolescentes se retrouvent aux extrêmes du continuum d’instabilité en cumulant près de deux écarts-type et demi plus de placements que la moyenne des autres adolescentes et presque trois écarts-type de plus de sorties de placement infructueuses. Ce parcours se distingue donc surtout par cette importante quantité de déplacements, soit 18,9 déplacements en moyenne. Ceux-ci ont eu lieu à travers 3,35 milieux d’hébergement différents (Z=1,616), c’est-à-dire plus d’un écart-type et demi plus de milieux d’hébergement différents que l’ensemble de l’échantillon. Ces adolescentes sont également un peu au-dessus de la moyenne de l’échantillon puisque 5,15 intervenants (Z=0,452) leur ont été attitrés au fil de leur parcours.

La description des variables associées aux parcours de placements

Le tableau 3 permet une description du contexte du premier placement des parcours alors que le tableau 4 le décrit de manière plus globale. Encore ici, les scores Z sont utilisés pour rendre compte des écarts réels entre les différents parcours et la moyenne de l’échantillon. La moyenne en chiffres absolus est utilisée pour un décompte concret des variables. Pour ce qui est du motif au premier placement et du premier type de milieu d’hébergement, les proportions sont comptabilisées sur 100. La prévalence des signalements fondés peut toutefois dépasser 100 % puisque certaines adolescentes ont eu plus d’un signalement fondé dans leur parcours.

Le parcours stable. Les adolescentes du parcours stable ont été placées pour la première fois à l’adolescence ( X̅=14,41 ans) (Z=0,319) et la durée de leur premier placement était d’un peu moins six mois (0,45 an) (Z=-0,149). Ce parcours débutait généralement pour un motif de troubles de comportement (50,9 %), et ce, en unité de réadaptation (84,6 %). Sur l’ensemble de leur parcours, chacun de leur placement avait une durée moyenne d’environ six mois ( X̅=0,54 an) (Z=-0,377). Leur parcours de placements représente 8,1 % de leur vie (Z=-0,372). Parallèlement à leur parcours de placements, 48,5 % de ces adolescentes ont eu au moins un signalement fondé pour négligence, 12,8 % ont eu au moins un signalement fondé pour mauvais traitements psychologiques, 14,9 % pour abus physiques et 14 % pour abus sexuels. Plus des deux tiers d’entre elles, soit 66,8 % ont eu au moins un signalement fondé pour troubles de comportement. Les troubles de comportement constituent donc la problématique qui mène le plus fréquemment à un placement chez les adolescentes de ce parcours.

Tableau 3

Contexte du premier placement pour les différents parcours

Contexte du premier placement pour les différents parcours

*Troubles de comportement; **Famille d’accueil; ***Foyer de groupe; ****Unité de réadaptation

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Tableau 4

Contexte global des différents parcours

Contexte global des différents parcours

*Troubles de comportement

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Parcours d’instabilité relationnelle. Ce parcours débutait généralement à l’enfance ( X̅=8,45 ans) (Z=-1,540). En fait, l’âge d’entrée en placement de ces adolescentes est de plus d’un écart-type en dessous de l’âge d’entrée de l’ensemble de l’échantillon. Elles ont été placées plus longtemps lors de leur premier placement, c’est-à-dire plus d’un écart-type plus longtemps que les adolescentes de l’ensemble de l’échantillon avec une durée moyenne de 2,03 ans (Z=1,024). Celles-ci ont généralement été placées pour la première fois sous un motif de négligence (50 %), et ce, généralement en famille d’accueil (47,5 %). En moyenne, chacun des placements des adolescentes de ce parcours était d’une durée d’un an et demi ( X̅=1,48 an) (Z=1,678). Ces adolescentes ont donc eu des placements relativement longs comparativement aux autres adolescentes de l’échantillon, leur score Z étant plus d’un écart-type et demi au-dessus de la moyenne de l’échantillon. Le temps passé en placement équivaut à plus de la moitié de leur vie ( X̅=50,24 %) (Z=1,653). Au fil de leur parcours, la prévalence des signalements fondés était de 65 % pour le motif de négligence, de 27,5 % respectivement pour les abus physiques et sexuels et de 17,5 % respectivement pour les motifs de mauvais traitements psychologiques et de troubles de comportement. Ces adolescentes sont donc majoritairement placées pour des problèmes de négligence et d’abus physiques et sexuels.

Parcours d’instabilité physique. Ce parcours débutait généralement à la fin de l’enfance ( X̅=10,24 ans) (Z=-0,983) et le premier placement durait, en moyenne, environ six mois ( X̅=0,45 an) (Z=-0,146). À l’instar du deuxième parcours, les adolescentes de ce parcours ont généralement été placées pour la première fois pour un motif de négligence (50 %). Par contre, la majorité (68,4 %) a été placée pour la première fois en unité de réadaptation. À travers leur parcours, ces adolescentes ont eu une succession de placements dont la durée moyenne de chacun était d’environ sept mois ( X̅=0,63 an) (Z=1,452). Leur parcours de placements représente près de la moitié de leur vie (45,47 %) (Z=1,424). Au fil de leur parcours, plus de la moitié des adolescentes de ce parcours (57,9 %) a eu un signalement fondé pour négligence. Environ le tiers (36,8 %) a eu un signalement fondé pour troubles de comportement et pour abus physiques (31,6 %). Un sixième des adolescentes de ce parcours a eu au moins un signalement fondé pour abus sexuels (15,8 %) et 10,5 % d’entre elles pour mauvais traitements psychologiques. À l’instar du parcours d’instabilité relationnelle, les adolescentes de ce parcours ont été majoritairement placées en raison d’une situation de négligence, mais une bonne partie d’entre elles ont aussi été placées en raison de troubles de comportement.

Discussion

En s’appuyant sur les constats les plus récents et les plus porteurs dans le domaine (Kim et al., 2012; Unrau et al., 2010), notre étude visait à identifier et décrire les parcours de placements empruntés par des adolescentes placées en centre de réadaptation. Le nombre de placements a toujours été une dimension essentielle dans les études scientifiques pour décrire l’instabilité en placement. Notre étude suggère toutefois qu’une description plus holistique (un tout formé de l’ensemble de ses constituantes) des parcours de placements exige d’aller au-delà de la mesure de ce seul indicateur en prenant en compte les placements dans leur globalité. En effet, la durée cumulée en placement, le nombre de sorties de placement infructueuses, les types de milieux d’hébergement différents ainsi que le nombre d’intervenants contribuent tout autant à la description des parcours de placement. Il ne s’agit plus de décrire « l’instabilité » comme une statistique, mais plutôt de reconnaître différentes formes d’instabilités pouvant ponctuer le parcours des adolescentes à travers leurs placements et leurs déplacements dans les ressources d’hébergement.

En définissant l’instabilité à l’aide de plusieurs indicateurs qui se cumulent tout au long du parcours de placements et en adoptant une approche centrée sur la personne, notre étude a fait ressortir trois parcours de placements. Soulignons d’abord qu’une importante majorité d’adolescentes (80,65 %) a un parcours de placements relativement stable. Contrairement aux adolescentes des deux autres parcours, celles-ci sont placées pour la première fois plus tardivement, soit vers le milieu de l’adolescence et surtout en réponse à leurs troubles de comportement sérieux selon la LPJ. Dans ce contexte, l’unité de réadaptation est le type de placement prescrit pour la majorité d’entre elles. À première vue, ce constat est rassurant puisqu’il suggère que quatre adolescentes sur cinq rencontrent des conditions de placement assez stables. Il faut néanmoins retenir qu’environ la moitié de ces adolescentes a à son actif un signalement fondé pour négligence (48,5 %) et qu’une proportion non négligeable a un signalement fondé pour un motif d’abus (entre 12,8% 14,9 %). Dès lors, force est d’admettre que derrière cette apparence de stabilité se cachent des difficultés reconnues par le service de protection de l’enfance et qui vont au-delà des troubles de comportement.

Par ailleurs, les deux autres parcours de placements identifiés reflètent de l’instabilité pouvant être qualifiée de sévère (au moins un écart type au dessus de la moyenne). Une adolescente sur cinq placée en centre de réadaptation se retrouve donc avec un parcours de placements instable. Cette instabilité à travers les ressources de placement s’échelonne sur près de la moitié de leur vie. Pour certaines adolescentes, cette instabilité se caractérise surtout par une succession d’intervenants (10 en moyenne) ayant été responsables de leur suivi, d’où le qualificatif d’instabilité « relationnelle » attribué à ce parcours. Bien que les adolescentes ayant emprunté ce parcours aient cumulé, en moyenne, environ six placements, les sorties de placement infructueuses ont été peu nombreuses, voire parfois inexistantes. Les résultats suggèrent que ces adolescentes sont placées pour la première fois vers l’âge de huit ans, et que par la suite, elles naviguent entre différents milieux d’hébergement, allant de la famille d’accueil jusqu’en unité de réadaptation, et ce, jusqu’à l’adolescence. Moins de 20 % des adolescentes de ce parcours ont déjà eu un signalement fondé en raison de leurs troubles de comportement. Par contre, ces adolescentes sont celles qui affichent les prévalences de signalements fondés les plus élevées à la fois pour les motifs de négligence (65 %) et de maltraitance (45 %). Considérant que les deux tiers de ces adolescentes se trouvaient dans des situations de négligence au cours de l’enfance, caractérisée par une omission des donneurs de soin à combler les besoins physiques ou affectifs fondamentaux, et que près de la moitié a été exposée à de la maltraitance suffisamment grave pour que la compromission de leur sécurité et de leur développement soit jugée fondée, l’instabilité relationnelle qu’elles vivent à travers leurs déplacements est hautement préoccupante. En effet, établir un projet de vie, tel que le préconise le cadre de référence du Gouvernement du Québec (2010), devient nettement plus ardu dans un tel contexte d’instabilité. De plus, la capacité de ces adolescentes à accorder leur confiance aux adultes qui les entourent pourrait, à notre avis, être déficiente, d’autant plus si elles ont vécu une rupture définitive avec leur famille et avec les nombreux intervenants qui se sont succédés dans leur parcours. Des auteurs parlent de « ruptures dans les liens relationnels, ce qui peut engendrer un sentiment d’abandon » (D’Auray, 2005, p.28) et d’« une incapacité profonde de créer des liens de confiance avec les adultes qui veulent prendre soin d’eux » (Gauthier et al., 2004, p.112).

D’autre part, l’instabilité du parcours de placements s’actualise, pour un faible pourcentage des adolescentes (6 %), par un nombre très élevé de déplacements, d’où le qualificatif d’instabilité « physique » attribué à ce parcours. Les adolescentes qui empruntent ce parcours ont cumulé chacune, en moyenne, presque 20 déplacements (nombre de placements et de sorties de placement infructueuses), ce qui excède largement ce que la littérature établit comme de l’instabilité en placement. Ces résultats signifient que ces adolescentes ont, depuis leur enfance, fait, défait et refait leurs valises environ une vingtaine de fois, pour aller soit d’un milieu d’hébergement à un autre ou pour retourner, sans succès, dans leur famille. Leur parcours de placements est erratique. Elles ont été placées peu longtemps lors de leur premier placement et n’ont cessé de se déplacer par la suite, autant entre les différents milieux d’hébergement qu’entre ces structures et leur famille. Bien qu’elles n’aient que 10 ans au moment de leur premier placement, plus des deux tiers (68 %) ont alors été placés en unité de réadaptation. Pourtant, elles étaient placées pour la première fois pour des raisons très semblables aux adolescentes du parcours d’instabilité relationnelle (négligence, maltraitance). Par la suite, au fil de leur parcours, elles ont été deux fois plus nombreuses que les adolescentes du parcours d’instabilité relationnelle à avoir à leur actif un signalement fondé en raison de troubles sérieux de comportement. À notre avis, la perception que ces adolescentes peuvent avoir du pouvoir et du contrôle sur leur propre vie pourrait être significativement altérée au fil des déplacements. Il est raisonnable de se demander comment ces adolescentes, ballotées d’un milieu d’hébergement à un autre pendant une importante partie de leur vie, peuvent se projeter dans l’avenir, ne fut-ce qu’un avenir rapproché? Frustration, anxiété et résignation ne sont que des exemples de ce que pourrait provoquer une absence de repères stables. Dans ce cas, l’absence de repères stables ne signifie pas seulement la rupture des liens avec des personnes significatives. Nous émettons l’hypothèse que le déracinement progressif et chronique de ces adolescentes impliquerait des ruptures à plusieurs niveaux. Lorsqu’elles sont déplacées, elles perdent un quartier, une école, un cercle d’amis. La perte de repères s’étendrait ainsi sur la communauté et les institutions. Un détachement à tous les niveaux qui devrait préoccuper les professionnels qui accueillent ces adolescentes.

Les résultats de notre étude montrent des similitudes avec ceux trouvés dans l’étude panquébécoise d’Esposito et al. (2014) puisque près de la moitié des adolescentes placées (48,9 %) atteignent le seuil de trois placements et plus (comparativement à 44 %). Malgré la spécificité de notre échantillon, constitué uniquement d’adolescentes placées en milieu urbain, cette ressemblance semble un indice favorable à la généralisation de nos résultats. Également, James et al. (2004) identifient un parcours instable représentant 19,8 % de leur échantillon, soit le cinquième de celui-ci, ce qui concorde avec la proportion de parcours instables identifiés dans la présente étude. Bien que les définitions de l’instabilité diffèrent, elles réfèrent tout de même à la notion cumulative des placements et à ce qui l’accompagne. Par contre, certaines différences sont marquées entre les résultats de notre étude et celle de Kim et al. (2012). Des dissemblances qui pourraient bien s’expliquer d’une part la nature de notre échantillon strictement féminin et, d’autre part, par les distinctions entre les systèmes de services à l’enfance québécois et ceux de certaines régions étatsuniennes.

Sur le plan des retombées, une meilleure connaissance des parcours de placements des adolescentes permettrait aux intervenants de mieux comprendre le contexte d’arrivée des adolescentes dans leur nouveau milieu d’hébergement, mais aussi, de mieux comprendre les diverses réactions pouvant être exprimées en regard du placement. Cela pourrait également mieux outiller les intervenants dans l’accompagnement qu’ils offrent à ces adolescentes, notamment à travers les transitions entre deux milieux d’hébergement. En effet, les ruptures et les déconnexions vécues au fil des parcours de placements pourraient façonner des comportements particuliers, adaptatifs à leurs conditions d’hébergement.

Cette étude met également en lumière certaines limites des structures de services à l’enfance. Premièrement, alors que la LPJ prône la stabilité des liens, les nombreux déplacements d’un milieu à l’autre, mais aussi et surtout, des milieux d’hébergement à la famille restent préoccupants. Deuxièmement, même en évitant le plus possible les changements de milieux de vie, une instabilité plus sournoise continue d’exister, et ce, même à travers les placements à long terme. En effet, l’instabilité relationnelle créée par les changements d’intervenants devrait également être une cible d’intervention pour les gestionnaires, d’autant plus dans un milieu où les bénéficiaires des services sont déjà fragilisés au point de vue de l’attachement (Gauthier et al., 2004). Il y a quelques années, les services à l’enfance se sont dotés d’un cadre de référence permettant d’assurer à chaque enfant un « projet de vie ». On y affirme qu’un « projet de vie » pour un enfant « c’est vivre dans un milieu stable auprès d’une personne significative qui répond à ses besoins et avec qui il développe un attachement permanent » (Gouvernement du Québec, 2010, p.6). Alors que cet objectif est clair, il demeure que des actions doivent encore être posées pour rendre ce projet actuel pour l’ensemble des enfants desservis. Pour l’instant, ce « projet de vie » échappe à une adolescente hébergée sur cinq.

Limites et recommandations

Cette étude n’est pas exempte de limites. D’abord, elle ne fait qu’un pas vers une meilleure compréhension des parcours de placement, en ne s’étant attardée qu’aux parcours des filles. Une reproduction avec un échantillon masculin s’avère nécessaire. De plus, notre étude ne permet pas de tracer des parcours de l’entrée en placement jusqu’à la sortie définitive du système de services à l’enfance. En effet, le compte à rebours a débuté lorsque les adolescentes étaient âgées en moyenne de 15,4 ans. Une rétrospective de l’ensemble de leur parcours c’est-à-dire jusqu’à 18 ans aurait été préférable. Également, l’une des limites inhérentes à l’étude d’une population adolescente est l’absence de donnée sur des filles qui auraient été placées uniquement au cours de l’enfance, sans être replacées à l’adolescence. Enfin, puisque les placements chez des tiers significatifs n’étaient pas intégrés au décompte de l’ensemble des placements, cela occulte les déplacements des adolescentes entre les membres de leur famille (oncles, tantes, grands-parents, amis de la famille, etc.).

Malgré ces limites notre étude apporte un éclairage nouveau sur la problématique de l’instabilité en placement. Nos résultats n’encouragent pas l’utilisation du seul seuil de trois placements et plus pour identifier l’instabilité en placement. Bien qu’il permette un début de comparaison entre les études, un tel indicateur ne permet pas d’aborder les parcours de placements avec les nuances qui s’imposent. Tracer une ligne entre la stabilité et l’instabilité sur la base du nombre de placements n’apparaît pas être la meilleure avenue pour bien rendre compte de l’instabilité sous ses différentes formes et sous ses différents contextes. Une approche centrée sur la personne permet quant à elle de rendre compte de manière plus globale des parcours de placements en mettant l’enfant, et non les variables, au centre des analyses. Cette approche est d’autant plus pertinente pour percevoir la variance entre les individus dans une population clinique relativement homogène comme celle des centres jeunesse. Elle a permis de capter les situations extrêmes et de leur donner un sens. Pour ce faire, il apparaît que l’utilisation des scores Z pour situer les résultats par rapport à la moyenne est une avenue intéressante puisqu’elle laisse l’échantillon tracer le seuil plutôt que de l’établir arbitrairement.

Certaines pistes de recherche découlent de notre étude. Une première piste dirige vers un approfondissement de la description des parcours de placements en y intégrant les raisons des déplacements. Cette proposition permettrait de mieux établir pourquoi les jeunes sont déplacés. S’il y a des déplacements liés à l’offre de service, il y a fort à croire que ceux-ci peuvent également être provoqués par les jeunes eux-mêmes. À notre avis, la présence de fugues répétées pourrait venir noircir les parcours de placements déjà très instables. Mais pour cela, il apparaît nécessaire de traiter l’instabilité en placement, non comme un phénomène dichotomique divisé par un seuil, mais comme un phénomène plus global. Une telle approche holistique exige de mieux comprendre la signification que prend le parcours de placements pour les enfants, motivant ainsi une autre piste d’ouverture pour les recherches futures. Les données administratives relatives aux placements permettent sans aucun doute d’établir des tendances importantes quant aux parcours de placements. Mais comme le souligne Unrau (2007) : « Sans mesure de qualité, tout sens donné aux nombres plus élevés ou plus bas de déplacements est sujet à questionnement4 » (p.129, traduction libre). Un intérêt marqué devrait ainsi être accordé à la perception que ces enfants ont de leur propre parcours de placements. Loin d’être en contradiction avec l’approche centrée sur la personne, des analyses qualitatives permettraient de raffiner le portrait du phénomène de l’instabilité en placement à travers la conception même que les enfants ont de leur parcours.