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Introduction

Chaque année, en Europe, 1,6 million de personnes ayant subi un traumatisme craniocérébral (TCC) sont admises en centres hospitaliers (Andlin-Sobocki, Jonsson, Wittchen etOlesen, 2005; Taglaiferri, Compagnone, Korsic, Servadei et Kraus, 2006). Aux États-Unis, 1,7 millions de personnes par année subissent un TCC, et 43 % d’entre elles présenteront des incapacités permanentes (Faul, Xu, Wald et Coronado, 2010; Rutland-Brown, Langlois etThomas, 2003). Au Québec, environ 3 600 personnes ont été hospitalisées en 2009 à la suite d’un TCC (Institut national de santé publique du Québec, 2012). Le nombre d’hospitalisations reliées à un TCC tend à diminuer depuis 2005 et le taux de mortalité relié à des traumatismes majeurs (incluant le TCC) est passé de 56,2 % à 8 % au Québec de 1992 à 2002. De plus, bien que le nombre d’hospitalisations associées à des TCC ne mettant pas en danger la vie des personnes ait diminué, celles reliées à un TCC avec un taux de létalité élevé est resté stable au fil du temps (Institut national de santé publique du Québec, 2012; Institut national d’excellence en santé et services sociaux, 2012). Il est également important de mentionner que le TCC étant une condition permanente, le nombre de personnes vivant avec les séquelles de ce type de traumatisme tend inévitablement à augmenter avec le temps.

Des trois niveaux de sévérité (léger, modéré et grave), le TCC grave (TCC G) est celui pour lequel les séquelles sont habituellement les plus importantes puisqu’elles sont directement reliées aux dommages cérébraux. Bien que les capacités de la personne ayant subi un TCC s’améliorent grâce aux services de réadaptation en déficience physique, la récupération est limitée par l’ampleur des lésions cérébrales (Société d’assurance automobile du Québec, 2003). Ainsi, la personne est appelée à vivre avec des séquelles souvent permanentes et invalidantes aux plans physique, cognitif, psychologique et social (De Guise, LeBlanc, Feyz, Duplantie, Thornas et Roger, 2008; Faul, Xu, Wald et Coronado, 2010).

Au plan physique, les séquelles se concentrent autour d’atteintes motrices (p. ex. : parésie, hémiplégie, spasticité), d’altération des fonctions sensorielles et d’autres problèmes connexes (p. ex. : douleurs, céphalées, étourdissements, fatigue) (Gadoury, 1999). Au plan cognitif, les difficultés les plus fréquemment rencontrées se traduisent par un ralentissement psychomoteur (31 %), des symptômes de fatigue (46 %), des troubles mnésiques (31 %), et une faible concentration (38 %) (Fleminger, Oliver, William et Evans, 2003). Draper et Ponsford (2008) ont montré que les personnes ayant subi un TCC présentent un fonctionnement cognitif significativement moindre que celui de personnes n’ayant jamais subi de TCC, et ce, selon des mesures prises jusqu’à 30 ans après le traumatisme. Cette différence est associée à la sévérité du TCC: plus celle-ci est importante, plus le fonctionnement cognitif s’écarte de celui des personnes n’ayant pas subi de TCC. Les différences les plus marquantes apparaissent au plan de la vitesse du traitement de l’information, de la mémoire (mémoire de travail, nouveaux apprentissages et mémoire prospective) et des fonctions exécutives (désorganisation, désinhibition et rigidité) (Draper et Ponsford, 2008). Au plan psychologique, les troubles de l’humeur et d’anxiété constituent les problèmes les plus fréquemment rapportés (Fleminger, Oliver, William et Evans, 2003; Gordon et al., 2006). Une augmentation du risque de suicide est également observée. Il semblerait que plus les lésions cérébrales sont importantes, plus le risque de passage à l’acte est élevé (Mateer, Sira et O’Connell, 2005; Wasserman, Shaw, Vu, Ko, Bollegala et Bhalerao, 2008). S’ajoutent à cela de l’apathie, des difficultés à initier les actions, une diminution de la confiance en soi ou de l’estime de soi, de la frustration et un retrait social (Andersson, 2000; Handel, Ovitt, Spiro et Rao, 2007). D’autres constats se rapportent à une humeur changeante ou généralement dépressive, une labilité émotionnelle, de l’irritabilité et de l’agressivité (Dumont, 2003). Au plan social, les séquelles affectives et cognitives entraînent la stigmatisation et l’isolement social, ce qui est un obstacle majeur à l’adaptation et à l’intégration sociale des personnes traumatisées craniocérébrales (Wood et McMillan, 2001; Kneipp et Rubin, 2007). Un nombre considérable de comportements externalisés sont aussi présents et expliquent en partie les difficultés d’intégration sociale. Par exemple, Wood et McMillan (2001) relèvent des manifestations telles que l’impulsivité, le trouble oppositionnel, les comportements agressifs envers autrui, la désinhibition, la confabulation et les comportements sexuels parfois inappropriés. À très long terme (plus de 14 ans post-traumatisme), les symptômes psychiatriques ainsi que les difficultés de fonctionnement social et d’intégration familiale font souvent partie du profil des personnes ayant subi un TCC G (Hoofien, Gilboa, Vakil et Donovick, 2001).

Alors que les séquelles du TCC G ont un impact direct sur la réalisation des habitudes de vie de la personne, les proches sont également appelés à vivre certaines difficultés. Ainsi, les membres de la famille sont non seulement déstabilisés par les conséquences immédiates de l’accident, mais aussi à moyen et long termes par les difficultés comportementales présentées par la personne ayant subi un TCC G, par le fardeau du soutien que nécessite cette personne, par l’effritement du réseau social et la perturbation de la structure relationnelle familiale (Hanks, Rapport et Vangel, 2007; Hoofien, Gilboa, Vakil et Donovick, 2001). Ces conséquences rendent les proches susceptibles de vivre certaines difficultés telles que des troubles anxieux, des troubles de l’humeur et de l’isolement social (Devany Serio, Kreutzer et Gervasio, 1995; Hanks, Rapport et Vangel, 2007).

Les conséquences du TCC G pour la personne et pour ses proches suggèrent que des difficultés dans la réalisation du rôle parental pourraient être présentes et avoir un impact sur le fonctionnement familial. Une étude de Kieffer-Kristensen et Teasdale (2011) montre que des parents ayant subi un TCC éprouvent davantage de détresse et présentent un degré de fonctionnement familial diminué comparativement à des parents diabétiques. Ces auteurs rapportent également que les conjoints de personnes ayant subi un TCC éprouvent un degré de satisfaction maritale moindre et semblent plus déprimés que les conjoints de personnes n’ayant pas subi de TCC, ce qui occasionne des répercussions sur le fonctionnement familial. En ce qui concerne les enfants des personnes ayant subi un TCC, ceux-ci sont susceptibles de développer des comportements d’évitement et d’opposition à l’égard de leurs parents et sont à risque élevé de présenter des difficultés comportementales et émotionnelles ayant des conséquences sur leur développement, leur scolarité, leur sentiment de sécurité et leurs relations interpersonnelles (Pessar, Coas, Linn et Willer, 1993; Urbach, Sonenklar et Culbert, 1994). Lorsque le TCC survient plusieurs années après la naissance de l’enfant, celui-ci doit faire face à la perte du parent tel qu’il le percevait avant l’événement traumatique (Urbach, Sonenklar et Culbert, 1994). Ces enfants vivent un deuil non affranchi, c’est-à-dire un deuil jamais résolu (Boss, 1991; 2006). Alors qu’il est reconnu que les enfants confrontés au décès d’un de leurs parents subissent une perte, dans le cas des enfants dont un parent a subi un TCC, cette reconnaissance est bien moins évidente et parfois inexistante. Par conséquent, le soutien qui leur est offert est moindre avec les implications que cela entraîne sur leur développement (Griffith, 1997).

L’ensemble de ce tableau est particulièrement lourd de conséquences lorsque les personnes ayant subi un TCC ont à assumer leur rôle de parent (Pessar, Coad, Linn et Willer, 1993). Toutefois, aucune étude portant spécifiquement sur les besoins de ces personnes quant à leurs habiletés parentales n’a été recensée. Ces besoins semblent par conséquent peu connus. L’objectif de cette étude est d’identifier les difficultés rencontrées dans la réalisation du rôle parental des parents ayant subi un TCC G, les impacts de ces difficultés, les besoins perçus dans la réalisation du rôle parental et les pistes de solutions envisagées selon : 1) la perspective du parent ayant subi un TCC G; 2) celle de leur proche ainsi que; 3) celle des intervenants.

Méthode

Une approche exploratoire utilisant un devis mixte –qualitatif et quantitatif- a été utilisée afin de documenter les difficultés et les besoins rencontrées par les parents ayant subi un TCC G quant à leurs attitudes parentales. En effet, considérant la taille des groupes consultés, l’approche basée sur la Démarche réflexive d’analyse en partenariat (DRAP) (Boudreault et Kalubi, 2006) permet d’explorer un sujet auprès de différents acteurs concernés (phase qualitative) pour ensuite éliminer le contenu qui n’est pas généralisable à la population étudiée à l’aide d’une évaluation des données colligées dans les groupes (phase quantitative).

Participants

Le recrutement des participants a été effectué par l’intermédiaire d’une ressource communautaire offrant des services dans la région 04, Mauricie et Centre-du-Québec, aux personnes TCC et à leurs proches. Trois (3) groupes ont été formés : le Groupe 1 (TCC G) était constitué de personnes ayant subi un TCC G. Les critères d’inclusion étaient les suivants : avoir subi un TCC G depuis au moins 5 ans, être un parent d’au moins un enfant ou avoir eu des enfants à charge après la survenue du TCC. Le Groupe 2 (proches) réunissait des proches (parent ou conjoint) de parents ayant subi un TCC G et ayant au moins un enfant à charge. Le Groupe 3 (intervenants) était composé d’intervenants pratiquant auprès de la clientèle ayant subi un TCC G depuis au moins un an. Toute personne démontrant des limites cognitives entravant les habiletés de communication orale ou écrite était exclue. Les enfants âgés de 15 ans et moins des parents ayant subi un TCC n’ont pas été sollicités afin d’éviter tout bouleversement psychologique sans pouvoir leur offrir actuellement des services de soutien qui s’avéreraient nécessaires, la ressource communautaire ayant des ressources financières et humaines limitées. Ceux âgés de 16 ans et plus ont été sollicités, mais ont refusé de participer à l’étude.

Déroulement

Un certificat d’éthique a d’abord été obtenu auprès du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Chaque groupe de participants a été rencontré durant une période de deux heures dans un local fermé mis à disposition par la ressource communautaire. Au début de la rencontre de chaque groupe, les informations relatives au projet de recherche ont été remises verbalement et par écrit aux participants et le formulaire de consentement à participer à l’étude a été signé par chaque participant.

La collecte des données a été effectuée à l’aide de la méthode de type mixte de la DRAP (Boudreault et Kalubi, 2006). Cette méthode basée sur la tenue de groupe de réflexion permet, à l’aide d’un logiciel informatisé, de colliger systématiquement les idées émises par les participants, de les valider pendant la tenue du groupe pour ensuite les organiser selon différentes catégories sémantiques de façon à faciliter l’analyse du contenu (codification et catégorisation thématique).

L’objectif de la rencontre groupe a été d’abord clairement énoncé aux participants : connaître leurs points de vue sur la situation des parents vivant avec les séquelles d’un TCC G. Par la suite, les participants étaient invités par le chercheur principal, qui tenait le rôle d’animateur de chaque groupe, à répondre à trois questions, posées dans le même ordre :

  1. Quels sont les principales difficultés rencontrées et les besoins présentés par les parents vivant avec les séquelles d’un TCC G dans la réalisation de leur rôle parental?

  2. Quels impacts les difficultés et les besoins rencontrés ont-ils sur la vie familiale et le bien-être des membres de la famille?

  3. Quelles seraient des pistes de solutions afin de soutenir les personnes TCC G dans la réalisation de leur rôle parental?

L’animateur a donné un ou deux exemples d’énoncés afin de stimuler la production d’idées de la part des participants ce qui constitue une source de motivation pour chaque participant à répondre à l’objectif visé (Ramond, 2002). Les idées énoncées par les participants étaient synthétisées par une personne que l’on nomme «secrétaire» (auxiliaire de recherche préalablement formé). Chaque idée énoncée était projetée sur un écran, accessible en tout temps visuellement. Durant les rencontres, les participants étaient invités à se référer à l’écran projecteur afin de modifier ou préciser l’idée synthétisée s’il y a lieu, ce qui assurait une validité de contenu (crédibilité). Les rencontres n’ont donc pas été enregistrées sur bande audio. Les participants ont été informés dès le début de la première rencontre que toutes les idées émises étaient acceptées et qu’il ne s’agissait pas d’une rencontre d’argumentation ou de débat d’idées, de sorte que chaque idée en entraînant une autre, il n’a pas été nécessaire à l’animateur d’utiliser de questions de relance.

Cette première étape qualitative est suivie de l’étape quantitative. Afin de se centrer sur les facteurs déterminants présents de façon générale chez les personnes ayant subi un TCC G et d’éliminer les perceptions ou les vécus uniques, la méthodologie DRAP inclut une évaluation des idées énoncées lors de la tenue du groupe de réflexion. Après la première rencontre, chaque participant a reçu (par la poste ou par courriel) la liste des idées énoncées dans son groupe respectif. Les participants devaient évaluer chacune des idées émises par les participants de son groupe selon sa conformité avec leurs observations, leurs vécus ou leurs perceptions associées à la réalisation du rôle parental du parent ayant subi un TCC G. Un continuum évaluatif de «0» à «9» a été proposé, où «0» signifiait que l’idée énoncée ne concordait aucunement avec leurs perceptions ou leurs vécus par rapport à la réalisation du rôle parental du parent TCC G alors que «9» correspondait à une idée représentant parfaitement leurs vécus ou leurs perceptions. Une fois complétée, cette évaluation a été retournée aux chercheurs (par courriel ou par la poste). Ceux-ci ont effectué une analyse quantitative afin de dégager les aspects dominants et d’illustrer les points convergents. Les idées ayant obtenu une forte moyenne et un petit écart-type sont celles qui suggèrent une perception partagée par le plus grand nombre de participants, ce qui augmente ainsi la transférabilité des résultats. Finalement, une codification thématique a permis de dégager les principaux thèmes à partir d’une analyse approfondie du contenu.

Résultats

Parmi les 15 personnes ayant subi un TCC G sollicitées, deux d’entre elles n’étaient pas disponibles. Dans ce groupe, tous les participants étaient considérés inaptes à tout emploi. La plupart d’entre eux ont peu d’occupations personnelles, hormis la participation à quelques activités offertes dans le cadre du mandat de la ressource communautaire. Sur les neuf proches sollicités, trois n’ont pas souhaité participer à l’étude. Les huit intervenants sollicités ont accepté de participer. Finalement, 27 participants ont été rencontrés en trois groupes de réflexion (Tableaux 1, 2 et 3).

Un total de 225 idées a été colligé pour les trois groupes. Dix-sept idées ont été rejetées, en raison de la moyenne inférieure à 8/10 obtenue à l’évaluation. Finalement, 208 idées ont été retenues. Le Groupe 3 (Intervenants) a rapporté 86 idées, alors que les Groupes 1 (TCC G) et 2 (proches) en ont produit respectivement 68 et 52. Les idées prédominantes et consensuelles ont été classifiées selon dix catégories de besoins à la suite de la codification thématique (Tableau 4).

Tableau 1

Répartition des participants du Groupe 1 (TCC G) (n=13)

Répartition des participants du Groupe 1 (TCC G) (n=13)

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Tableau 2

Répartition des participants du Groupe 2 (Proches) (n=6)

Répartition des participants du Groupe 2 (Proches) (n=6)

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Tableau 3

Répartition des participants du Groupe 3 (Intervenants) (n=8)

Répartition des participants du Groupe 3 (Intervenants) (n=8)

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Tableau 4

Définition des dix catégories de besoins

Définition des dix catégories de besoins

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Le Tableau 5 présente quelques exemples d’idées énoncées en référence aux besoins identifiés.

Tableau 5

Exemples d’idées énoncées en fonction des besoins

Exemples d’idées énoncées en fonction des besoins

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Des différences de contenu ont été constatées selon le groupe consulté. En effet, les propos des personnes ayant subi un TCC G étaient majoritairement centrés sur leurs propres besoins socio-affectifs ainsi que sur leurs besoins au plan de la réalisation des responsabilités familiales. Ces personnes semblaient avoir peu conscience de l’impact de leurs difficultés sur les autres membres de la famille comme en témoigne le peu d’idées associées aux besoins socio-affectifs et cognitifs de l’enfant ou du proche. Du côté des proches, une réticence à répondre aisément aux questions posées a été constatée chez trois des six participants. Pour ceux-ci, aucun besoin ou difficulté n’était relevé lors de la tenue du groupe de réflexion. Toutefois, l’évaluation individuelle des idées énoncées suggère que des besoins sont manifestement présents, mais que des facteurs ont pu influencer leur émergence lors de la rencontre, par exemple, la crainte de nuire au parent ayant subi un TCC G s’ils énoncent ses difficultés ou la crainte qu’un signalement à la protection de la jeunesse soit effectué. Du côté des intervenants, le contenu était davantage centré sur les impacts des difficultés rencontrées et le manque de ressources familiales, sociales et communautaires permettant la réalisation des responsabilités familiales. Des préoccupations ont également été relevées à l’égard des besoins socio-affectifs de l’enfant et du parent de même que dans la réponse aux besoins de base. Le Tableau 6 expose la répartition des idées énoncées dans les groupes en fonction des besoins.

Tableau 6

Nombre d’idées obtenues selon le groupe d’appartenance et les besoins

Nombre d’idées obtenues selon le groupe d’appartenance et les besoins

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Certaines des idées colligées se répètent d’un groupe à l’autre (26 idées convergent dans les trois groupes), témoignant de leur importance. Il s’agit d’idées se référant aux besoins liés aux responsabilités familiales (p. ex., difficultés dans l’éducation des enfants, désorganisation dans les tâches, manque de jugement), aux relations sociocommunautaires (p. ex., demande d’aide difficile) aux relations familiales (p. ex., climat familial tendu, relation conjugale difficile). Ce sont également les idées se référant à ces besoins pour lesquelles le plus haut niveau d’accord dans chacun des groupes a été obtenu. Plus précisément, les réponses retenues sont présentées dans le texte qui suit, en fonction de chaque question posée aux trois groupes consultés.

Question #1 : Difficultés rencontrées et besoins présentés. Du côté du groupe des personnes ayant subi un TCC G, les difficultés vécues dans l’accomplissement de leur rôle parental renvoient majoritairement à la gestion des responsabilités et à la surcharge qu’elles occasionnent conséquemment aux séquelles présentées (fatigue, irritabilité, désorganisation, difficultés attentionnelles et mnésiques). Malgré ce constat, la demande d’aide auprès des réseaux public et communautaire semble toutefois plus difficile, de même que l’acceptation de l’aide offerte. Certains participants de ce groupe mentionnent «On est épuisé, on constate les difficultés à arriver dans toutes les tâches. Mais demander de l’aide en vient à dire que je suis pas capable d’être un parent. Pourquoi les autres y arrivent et pas moi?» Par contre, l’aide du réseau familial est sollicitée et considérée comme essentielle. Les participants de ce groupe affirment qu’il est «… stressant de rester seul avec les enfants, parce que je ne sais pas quoi faire s’il y a quelque chose qui arrive. Les demandes des enfants, les crises à gérer : ça me fait paniquer.»

Les proches reconnaissent également que les difficultés au plan de la réalisation de l’ensemble des tâches éducatives et ménagères quotidiennes exigent un soutien continuel. La nature des relations se modifie puisque le parent ayant subi un TCC G a besoin d’aide pour fonctionner adéquatement. La surcharge des problèmes apparaît alors rapidement, augmentant ainsi les difficultés vécus au plan des responsabilités familiales et des relations interpersonnelles. Des préoccupations sont soulevées quant au développement socio-affectif des enfants en raison de l’inconstance des méthodes éducatives. En effet, certains proches se questionnent : «…quelle sorte d’adulte ça va faire! Des fois les enfants imitent leur parent qui a un TCC sans savoir que c’est inadéquat leur comportement. Pis souvent ils comprennent pas les règles : pourquoi eux-autres peuvent pas faire ce que le parent fait. » Un grand-parent rapporte également que « …des fois, ils (les enfants) ont honte d’amener des amis à la maison. »

Selon les intervenants, des besoins apparaissent au plan de l’utilisation des stratégies éducatives. En effet, les personnes ayant subi un TCC G démontrent des difficultés à appliquer un encadrement constant. Le jugement du parent ayant un TCC étant généralement affecté, les stratégies éducatives sont d’autant plus déficientes. De plus, les difficultés importantes à identifier les besoins de l’enfant constituent un obstacle majeur à y répondre adéquatement. La désorganisation familiale (du milieu de vie, des règles éducatives et des responsabilités) semble être un élément déterminant affectant le fonctionnement et le climat familial. Un intervenant rapporte que « … tout est désorganisé : le ménage n’est pas fait, il n’y a pas de routine, la planification est difficile, la gestion des émotions est très affectée, il n’y a aucune constance dans les règles éducatives. La lenteur de traitement des problèmes rencontrés entraîne une surcharge perpétuelle et les proches qui tentent de compenser sont épuisés. »

Question #2 : Impacts sur la vie familiale et le bien-être des membres de la famille. Les personnes faisant partie du groupe TCC G voient peu l’impact de leurs difficultés sur la vie familiale et le bien-être des autres membres de la famille. Elles sont conscientes que la fatigabilité provoquée par la surcharge occasionne des difficultés personnelles, mais elles ne parviennent guère à reconnaître les besoins des autres. Peu de stratégies éducatives sont connues et appliquées par les parents ayant subi un TCC G. Les séquelles cognitives et affectives (désinhibition, difficultés attentionnelles, irritabilité, fatigabilité accrue) amènent des éléments dépressifs et de la détresse de ces parents face aux réactions émotionnelles des enfants, car ils se perçoivent comme étant inadéquats dans la réalisation de leur rôle parental : « Comment ça se fait que je suis pas capable d’être un parent comme tout le monde? J’ai juste ça à faire et même ça, je suis pas capable. »

Les proches sont préoccupés par le développement socio-affectif des enfants qui ont parfois des réactions émotionnelles inappropriées face aux frustrations vécues. Les habiletés sociales des enfants semblent également affectées et un retrait social est parfois observable chez l’enfant. De la honte et un sentiment de responsabilité de l’enfant à l’égard de son parent sont également décrits. Une tension dans le climat familial est rapportée, engendrée par le manque d’organisation, la surcharge de responsabilités et les changements relationnels. Une conjointe soulève le fait que « … les enfants sont souvent plus matures que le parent TCC. Ils deviennent le parent du parent. C’est lourd à porter pour un enfant. »

Les intervenants constatent souvent des retards développementaux chez les enfants de personnes ayant subi un TCC G sur le plan du langage, de la motricité, de la cognition, des habiletés relationnelles et du contrôle émotionnel. Les limites au plan du jugement sociopragmatique de ces parents amènent des prises de décisions inadéquates, pouvant mettre en danger la sécurité de l’enfant et celle du parent lui-même. Dans certains cas, des problèmes de santé mentale se développent chez les enfants. Par contre, les signalements à la Direction de la protection de la jeunesse par les intervenants constituent une stratégie rarement utilisée en raison du risque de bris de confiance du seul soutien social existant : « La rigidité cognitive fait en sorte que l’adaptation est très difficile pour le parent TCC et l’impulsivité entraîne un manque de contrôle des émotions devant l’enfant. Mais étant donné qu’ils ont peur du jugement, l’acceptation de l’aide prend beaucoup de temps et on ne veut pas détruire ce lien de confiance une fois établi. »

Question #3 : Pistes de solutions proposées. Dans les trois groupes, l’importance du soutien tant formel qu’informel s’avère déterminante. Pour les personnes du groupe TCC G, le soutien du conjoint et de la famille, une liste de stratégies éducatives à utiliser en fonction de l’âge de l’enfant et une liste des ressources sociocommunautaires existantes ont été proposées. Du côté des proches, l’importance du soutien extérieur à la famille pourrait permettre l’organisation de moments de répit dont ils ont besoin. D’ailleurs, un grand-parent est arrivé avec une liste de suggestions concrètes pour pallier à la situation : « Il faudrait des groupes de discussion et de soutien autant pour les proches que pour les enfants, que chacun ait sa place pour parler, pour vider son sac. Aussi, ça prend une supervision constante pour les tâches quotidiennes, comme du coaching parental. L’aide à domicile est également importante, mais c’est tellement dur à obtenir. Pis un bottin des ressources disponibles aussi. Ça les aiderait à savoir qui appeler quand ça va pas, au lieu qu’on (les proches) soit constamment sollicités et préoccupés.». Finalement, les intervenants reconnaissent l’importance du soutien continu à tous les niveaux (tâches ménagères, éducation des enfants, prise de décision, organisation de la vie familiale, etc.) tant pour le parent que pour les enfants et les proches.

Discussion

Les résultats obtenus dans cette étude confirment ceux de recherches antérieures sur les difficultés rencontrées dans la réalisation du rôle parental ainsi que sur les répercussions pour les membres de la famille (Pessar, Coas, Linn et Willer, 1993; Hanks, Rapport et Vangel, 2007; Uysal, Hibbard, Robillard, Pappadopoulos et Jaffe, 1998; Hoofien, Gilboa, Vakil et Donovick, 2001; Kieffer-Kristensen et Teasdale, 2011). Toutefois, il s’agit de la première étude identifiant les besoins quant à la réalisation du rôle parental perçu selon la perspective du parent ayant subi un TCC G, selon celle du proche de ce parent et selon celle des intervenants oeuvrant auprès de ces familles.

Les résultats obtenus au plan des difficultés vécues par les parents ayant subi un TCC G et leurs proches démontrent bien l’ampleur de la situation. Toutefois, la rigidité cognitive des parents TCC G ainsi que leurs difficultés à identifier les besoins des autres membres de la famille constituent des obstacles au changement. De plus, les résultats suggèrent que la peur d’un éventuel jugement de la part des professionnels du réseau public et communautaire entraîne une réticence du parent ayant subi un TCC G à demander formellement de l’aide. Ce faisant, cela provoque une responsabilité accrue de la part des proches pour tenter de compenser les difficultés vécues. Les changements relationnels sont alors inévitables ainsi que l’épuisement des proches. L’ensemble de la situation affecte le climat familial et le développement des enfants. Une piste de solution fait consensus à l’intérieur des groupes : l’importance d’un soutien formel adapté à la réalité de cette population. En ce sens, le psychoéducateur devrait faire partie des équipes de professionnels qui offrent des services à court et à long termes aux personnes ayant subi un TCC G et à leur famille. Celui-ci est en effet formé pour répondre au type de besoins que présentent ces personnes et pour intervenir en considérant leurs limites cognitives et comportementales ainsi que leurs forces et leurs ressources. Ses compétences professionnelles pourraient davantage être mises à profit tant au plan de la prévention primaire que secondaire et tertiaire, ce qui aurait un impact sur les jugements sociaux et la demande d’aide.

D’ailleurs, selon l’analyse du contenu recueilli auprès des trois groupes consultés, l’accompagnement et le soutien des personnes ayant subi un TCC G et des proches devraient être élaborés autour de trois aspects principaux : 1- Informer le parent sur les étapes de développement de l’enfant et les besoins associés à chacune de ces étapes; 2- Offrir des stratégies éducatives selon l’âge de l’enfant et son étape de développement; 3- Offrir un soutien environnemental adapté à la condition des parents TCC G.

Informer le parent sur les étapes de développement et les besoins associés. Des lacunes au plan des connaissances ont été constatées. Les personnes ayant subi un TCC G éprouvent des difficultés à répondre aux besoins de base de l’enfant engendrées notamment par leur regard égocentrique à propos des problèmes vécus. Ainsi, étant peu informées et peu sensibilisées aux besoins de l’enfant, les stratégies utilisées sont souvent inadéquates et ne visent que la suppression immédiate de la tension ressentie. Les intervenants observent des difficultés quant au jugement : « Lorsque des interventions sont recommandées, les personnes TCC G les appliquent, mais ne savent pas pourquoi, même si on leur explique. Elles le font systématiquement, parce qu’on le leur a demandé. Mais si on change de contexte, l’intervention disparaît et la compromission apparaît. » En enseignant les principes de base du développement de l’enfant au parent ayant un TCC G de façon simple, concrète et par des stratégies facilitant l’emmagasinage des informations, certaines difficultés pourraient être évitées, ou tout au moins atténuées. De plus, cela offrirait un contrôle accru aux parents sur les situations vécues.

Offrir des stratégies éducatives selon l’âge de l’enfant. Pour le parent ayant subi un TCC G, l’apprentissage de connaissances relatives au développement de l’enfant et aux besoins associés permettra ensuite de faire le pont avec quelques stratégies éducatives simples, lesquelles pourront être révisées avec l’intervenant concerné. Évidemment, un certain degré de rigidité psychologique de ces parents devrait être pris en considération afin de prévoir des stratégies qui pourront être exportables en fonction des contextes et du développement de l’enfant. Ainsi, à partir d’exemples concrets de situations difficiles à gérer pour les parents recevant un soutien, l’intervenant serait en mesure d’enseigner d’une stratégie éducative qui concerne directement un besoin du parent. Par la suite, une réflexion pourrait s’amorcer sur la possibilité d’appliquer cette même stratégie à d’autres contextes.

Offrir un soutien environnemental adapté à la condition des parents ayant subi TCC G. Il apparait également que le soutien environnemental continu est déterminant et essentiel dans l’accomplissement du rôle parental. Cela implique non seulement les proches, mais également les autres acteurs de la société. Qu’il s’agisse des intervenants des réseaux de la santé, de l’éducation, de la sécurité publique ou de la Direction de la protection de la jeunesse, les partenaires doivent être sensibilisés à la problématique du TCC G afin d’ajuster leurs perceptions relatives au parent ayant subi un TCC et d’adapter leurs interventions aux divers profils présentés. En effet, la peur du jugement social constitue un obstacle important à la demande d’aide de la part des parents tel que suggéré par les propos de plusieurs participants ayant subi un TCC G: « Si je demande de l’aide, c’est que je suis pas bon et pas capable. Mais je devrais être capable puisque c’est la seule chose que j’ai à faire. Il va encore falloir que j’essaie d’expliquer à l’intervenant c’est quoi un TCC et pourquoi j’ai de la misère. Et je vais encore me sentir jugé parce que mon TCC, il ne paraît pas physiquement et le monde a de la misère à comprendre ça. Plus souvent qu’autrement, on pense que je suis lâche. » D’autre part, les ressources offertes à la personne traumatisée craniocérébrale par les agents payeurs pourraient être modulées selon les périodes de vie et les situations vécues. Par exemple, une personne ayant subi un TCC G peut être autonome dans la réalisation de ses habitudes de vie personnelles, mais vivre d’importantes difficultés de fonctionnement lors de la naissance d’un enfant.

Considérant l’ampleur des difficultés relevées lors de cette étude et les répercussions sur la vie familiale et le développement des enfants, le rôle parental devrait être examiné durant le processus de réadaptation, bien avant la consolidation d’une situation dommageable pour l’ensemble de la famille. En effet, dans cette étude, nous avons constaté que les participants ayant subi un TCC G démontrent des limites à percevoir les besoins de l’entourage et les répercussions de leurs difficultés sur les membres de la famille. Ces difficultés entraînent inévitablement des besoins récurrents et affectent le climat et le fonctionnement familial. De plus, en raison d’incapacités résiduelles, l’accumulation des tâches et la surcharge des responsabilités deviennent très rapidement difficiles à gérer pour ces parents. En conséquence, des actions préventives devraient être envisagées, telles que l’évaluation des capacités parentales qu’il serait nécessaire d’effectuer avant la fin du processus de réadaptation physique, afin de préparer la personne ayant subi un TCC G, ses proches et les enfants s’il y a lieu, aux changements familiaux potentiels. De plus, des interventions préventives devraient également être envisagées lorsqu’une personne ayant subi un TCC G prévoit avoir des enfants.

Les interventions devraient être orientées tant vers les parents ayant subi un TCC G que leur conjoint(e) et leurs enfants. Le conjoint(e) constitue le principal soutien informel du parent, alors que les enfants subissent les contrecoups de la situation. De plus, les proches devraient pouvoir bénéficier de soutien sur les plans psychologique et financier ainsi que des services de répit, considérant que les risques de séparation conjugale sont très élevés chez cette population (Colantonio et al., 2004; Hoofien et al., 2001; Ratcliff, Colantonio, Escobar, Chase et Vernich, 2005; Wood et Rutterford, 2006). Être un proche d’un parent ayant subi un TCC G suscite préoccupations et épuisement durant de longues années. Ainsi, avoir l’occasion de partager son vécu et d’être entendu offre un potentiel de prise de conscience de l’événement vécu avec l’autre en plus de faciliter l’identification des besoins et des pistes de solutions (Gendreau, 2001).

Cette recherche présente des forces telles que le caractère novateur du sujet exploré, les apports aux plans clinique et scientifique en termes de connaissances, la force du partenariat comme moyen de production de connaissances et de recherche de solutions ainsi que la validité du contenu présenté compte tenu de la méthode de collecte et d’analyse des données (DRAP) utilisée. En contrepartie, certaines limites sont présentes. Ainsi, la perception des enfants des personnes ayant subi un TCCG n’ayant pas été examinée, elle devrait faire l’objet de recherches ultérieures compte tenu des impacts du TCC G sur leur développement. Les inconvénients et les préjudices psychologiques associés au fait d’aborder les difficultés vécues pour les enfants sans avoir la possibilité de leur offrir un soutien à court ou moyen terme a constitué un obstacle majeur à la collecte d’informations auprès des enfants. D’ailleurs, les enfants plus âgés n’ont pas souhaité participer à cette étude. La ressource communautaire explique ce comportement par l’important besoin de distanciation des enfants de leurs parents ayant subi un TCC G à l’approche de l’âge adulte. Les relations familiales tendues, marquées par la dépendance et l’inversement des rôles familiaux (tel que relevé dans la collecte de données), pourrait contribuer à cette mise à distance de la part de ces enfants en réponse à une recherche d’autonomie et d’épanouissement personnel. Ce refus de participer pourrait confirmer l’ampleur des difficultés vécues, l’impact psychologique ressenti et la détresse éprouvés par ces enfants. Puisque les proches et les intervenants ont rapporté, que selon leur expérience, des sentiments de honte, de culpabilité ou de responsabilité étaient fréquemment observés chez les enfants, des interventions spécifiquement destinées aux enfants devraient être envisagées afin d’éviter l’apparition de problèmes de santé mentale ou de trajectoires développementales risquant de compromettre leur fonctionnement personnel, familial et social.

De plus, cette étude ne permet pas de différencier l’impact du TCC par rapport au moment de sa survenue au moment de la naissance des enfants. On ne peut distinguer de différence entre les personnes ayant subi un TCC G avant d’avoir des enfants de celles ayant eu un TCC G après la naissance des enfants. Or, une différence pourrait exister puisque l’enfant qui a connu son parent avant le TCC sera exposé à des changements soudains et chroniques chez son parent, lesquels affecteront probablement leur relation. Un processus de deuil non affranchi sera relevé, à la différence des enfants n’ayant jamais connu un parent différent. À l’opposé, l’enfant n’ayant jamais connu son parent différemment n’a pas de processus de deuil à traverser, mais pourrait naturellement adopter certains comportements problématiques du parent puisque ces derniers font partie de son cadre de référence. Il serait également intéressant de documenter les difficultés rencontrées par les parents ayant subi un TCC de sévérité modérée ou légère. Il se pourrait que certaines difficultés soient différentes compte tenu de l’ampleur des séquelles qui sont habituellement moindres, mais néanmoins présentes, dans ces situations.

En conclusion, un programme de soutien spécifique destiné aux parents ayant subi un TCC G et à leurs proches devrait être élaboré. Ce programme pourrait être proposé aux parents et à leurs proches, tant par les ressources de première ligne que de seconde ou de troisième ligne. Un tel programme devrait tenir compte des limites cognitives des parents ayant subi un TCC G ainsi que des processus d’apprentissage optimisant l’intégration et la rétention d’informations et leur utilisation dans les situations de la vie quotidienne. Toutefois, pour cela, la mise en place d’un véritable partenariat entre les diverses ressources de santé, sociales et communautaires, est nécessaire afin d’assurer la planification et la mise en oeuvre du programme et des outils en soutien au rôle parental afin de maximiser l’empowerment et l’autodétermination de ces personnes et de leur famille.