Corps de l’article

Pierre Morency publie en 2002 une première version de Demandez et vous recevrez, dans laquelle il entendait dévoiler les principes de la réussite dans une vie plus épanouie. Il s’efforçait alors de démontrer que la Terre est un paradis et qu’il suffit de demander pour obtenir ce qu’on désire. L’auteur serait-il un visionnaire ou un fumiste apparenté à Rhonda Byrne? En effet, en 2006, paraissait un ouvrage carrément ésotérique branché sur la pensée dite positive, The Secret (Byrne), traduit en français en 2007. Un an plus tard, dans leur Enquête sur Le Secret, Condo et Condo (2008) tenaient ce livre, traduit en plusieurs langues et vendu à plus de dix millions d’exemplaires, pour une immense fumisterie. Le soi-disant secret de Byrne se résumait à ce que son auteur appelle « la loi de l’attraction ». Comment cette loi fonctionne-t-elle? Il s’agirait tout simplement de vouloir quelque chose très fort pour l’obtenir, puisque paraît-il, c’est bien connu, les pensées et les émotions peuvent modifier des éléments de notre vie, à condition bien sûr d’y croire. La loi de Byrne (2007) s’énonce finalement ainsi : « demandez, croyez et recevez » (p.94).

Vu le succès populaire de ce genre d’ouvrages, on peut s’attendre à ce que d’autres ouvrages puisent dans cette loi sublime pour atteindre d’autres cibles. À cet égard, l’entreprise de Morency et Fontaine (2015) adressée, cette fois, aux adolescents de 12 ans et plus se révèle aussi funeste que fumiste. L’auteur détourne en effet les jeunes de l’effort que demande l’accès à la maturité intellectuelle pour les orienter vers le paradis sur terre : ils n’ont qu’à se réfugier dans la pensée magique qui caractérise celle des enfants de quatre ans dont ils devront garder précieusement la mentalité. Pour convaincre, l’auteur n’hésite aucunement à s’inspirer de certains résultats de la recherche scientifique dont il manipule fallacieusement les principes sous-jacents. Demande et reçois comprend quatre parties dont voici les titres : L’échauffement; Les principes scientifiques; Action (Bien comprendre) et Les règles du jeu. En vue de comprendre la logique de l’auteur, ma critique suivra le plan du livre et débouchera sur quelques réflexions.

Dès la première page, le jeune se trouve personnellement interpellé à s’immerger dans l’illusion : « Je te félicite, car tu viens de plonger le nez dans un livre qui te donnera toutes les clés pour ouvrir toutes les portes du SUCCÈS. Tu as une longueur d’avance sur tes parents…[3] je crois bien qu’à partir de maintenant, tu pourras devenir leur entraîneur privé vers la conquête du bonheur! Enfonce bien ton casque de bain, il ne faut pas avoir peur de se mouiller pour sauter dans cette mer de nouvelles possibilités » (p.5). Rien de moins!

L’échauffement

La première partie s’ouvre sur une courte bande dessinée (p.7-9) dont les propos et de belles illustrations avancent une affirmation surprenante : l’école et la vie, c’est ennuyant! Que pour s’attirer la sympathie de jeunes lecteurs, un adulte déclare qu’on s’ennuie à l’école et que la vie est une routine sans relief sonne quelque peu pervers. Un certain nombre d’élèves ont en effet du mal à s’installer dans le cursus du secondaire. Ils sont alors encouragés par leurs maîtres et par la plupart des parents à y mettre l’effort, car chacun sait que les apprentissages scolaires font partie des ingrédients utiles, voire nécessaires pour fonctionner normalement dans la société actuelle et pour conquérir la liberté de choisir son métier.

Qu’à cela ne tienne, prophétisent Morency et Fontaine, une vie intéressante est possible et cette possibilité dépend uniquement du lecteur. Pour rendre sa vie merveilleuse, il lui suffira d’écrire trois souhaits sur un papier. « Mais attention, chacun d’eux doit correspondre à un critère précis […] et la vie s’occupera d’exaucer tes souhaits les plus chers! » (p.11-12). Adieu les efforts... Armé de cet optimisme délirant centré sur la valorisation de l’égocentrisme propre au début de l’adolescence, Morency et Fontaine affirment : « le voyage sur Terre est digne d’un séjour tout inclus. Tu peux y faire tout ce que tu désires, vas-y rêve en grand! Comment peux-tu te payer un tel voyage? Avec le gros lot que tu as gagné lors de ta conception dans le ventre de ta mère! TU ES LE SPERMATOZOÏDE ÉLU! » (p. 14). Et voilà, tout va bien dans le meilleur des mondes puisque « dès aujourd’hui, c’est toi le boss! C’est toi qui détiens la clé de ta réussite dans plusieurs sphères de ta vie » (p. 19).

Les principes scientifiques

La deuxième partie comprend quatre sections : Allez, demande! (p. 21-44), Les états d’esprit (p. 45 62), Les ennemis du succès (p. 63-74) et Les alliés du succès (p. 75-80).

Allez, demande!

L’objectif des auteurs est clair : le jeune lecteur doit devenir un « Maître en demande » (p.25), et pour l’aider, une leçon de science est mise à sa disposition. « Présentement, tu vis exactement la vie que tu as choisi de vivre. Elle est le miroir de toutes tes pensées. Ce processus crée de l’énergie. Cette énergie, bonne ou mauvaise, fait en sorte que tes pensées deviennent créatrices. Bon, c’est un peu fou tout ce charabia, mais quand tu y penses avec calme, c’est assez simple à comprendre. C’est ainsi que tes demandes se matérialisent! C’est aussi simple que ça! C’est la raison pour laquelle tantôt je te disais que c’est important d’avoir de belles pensées et d’être positif dans ta vie » (p. 24). Puis Morency et Fontaine, qui anticipent les interrogations de lecteurs moins crédules, s’empressent de lui clouer le bec : « Tu n’as pas à te poser de question, tu n’as qu’à recevoir […] Si tu t’entêtes à tout remettre en question […] » (p. 26). Autrement dit, troquons l’esprit critique contre la nigauderie!

Au cours des pages suivantes, changement de programme : de pertinents conseils apparaissent dont en voici un échantillon :

  • « Tu es jeune et toutes ces croyances te tournent déjà dans la tête! Prends le temps d’analyser chacune d’elles » (p.31).[4]

  • « Fonce vers tes rêves […] la pire chose qu’il puisse t’arriver, c’est de te tromper […] si tu ne tentes rien, eh bien, tu n’obtiendras rien non plus! (p.32).

  • « Prends le temps d’écouter les arguments de l’autre, teste ce qu’il dit et choisis ensuite. N’hésite pas à démontrer aussi ton point de vue » (p. 34).

  • « Ah, l’erreur, cette mal-aimée! […] Pourtant, l’erreur amène le changement […] Risquer, c’est risquer de se tromper, bien sûr, mais c’est aussi courir la chance de vivre et d’accomplir de belles et grandes choses » (p.39-40).

Puis soudain, retour en arrière : « Les gens qui ont des succès agissent. Ceux qui aimeraient en avoir réfléchissent. Alors, cesse de réfléchir et demande! » (p.40).

Les états d’esprit

Cette partie de l’ouvrage annonçait plus de rationalité puisque, de l’avis des auteurs, « c’est le moment d’utiliser l’approche scientifique! » (p.45) pour que les demandes se réalisent. Par exemple, « dès que quelqu’un t’affirme quelque chose, teste-le. Vérifie par toi-même! […] arrête d’argumenter et essaie. Tu éviteras de perdre ton temps à débattre pour des opinions […] (p. 46, 49).

Puis, soudainement, l’approche scientifique se réduit de nouveau à l’intuition : « Selon toi, les gens qui réussissent sont-ils davantage rationnels (ils réfléchissent longtemps avant d’agir) ou intuitifs (ils écoutent leur petite voix intérieure et ils foncent)? » (p.53). Les auteurs tapent ici sur un clou planté dès la page 40 : « Combien de temps dois-tu réfléchir aux erreurs et aux refus possibles avant de faire un pas? Zéro minute. ALORS CESSE DE RÉFLÉCHIR ET DEMANDE! »

Rappelant au lecteur qu’il est au seuil de l’adolescence, un moment important de sa vie, les auteurs l’enjoignent à plusieurs reprises de garder l’âge mental d’un enfant de quatre ans » (p.55). Ils lui rappellent en outre que même si « l’opinion des autres ne compte pas », ils signalent à juste titre dans un encadré que « se ficher de l’opinion des autres ne veut pas dire se ficher des autres » (p. 57). Le dernier défi du lecteur sera d’avoir « un mental en béton » (p.58), mais l’histoire ne dit pas si c’est celui d’un enfant de quatre ans.

Les ennemis du succès

Morency et Fontaine identifient cinq ennemis du succès chez les jeunes : leur propre peur, leur souci de sécurité, la surprotection de leurs parents, les opinions de leurs amis, la routine associée à l’école et à la société. Illustrons ici les suggestions pour vaincre la peur.

« Dès que tu choisis un projet, vis-le tout de suite […] Si tu lui donnes vie dans tes pensées, l’univers se chargera de le réaliser. C’est obligé, c’est une loi! N’essaie pas de comprendre pourquoi, utilise-la, c’est tout! » (p. 67). Et de quelle loi s’agit-il? Une loi de la physique bien sûr, selon laquelle « il n’y a pas de différence réelle entre une pensée (qui est une onde d’énergie) et la matière » (p. 67). Par exemple, si un jeune lecteur futé demandait pourquoi le hamburger auquel il pense très fort n’apparaît pas (p. 67), les auteurs lui répondraient : « Manque d’énergie. […] » (p.68). Ça prend énormément d’énergie, en effet, continuerait-il pour matérialiser une boulette de viande dont l’énergie interne pourrait alimenter la ville de New York en électricité une année entière! » (p. 68). Et les auteurs de conclure : « Donc, pour que ta pensée se matérialise rapidement, il faut qu’elle soit en permanence dans ton esprit et que tu sois rempli d’énergie. Chaque doute, chaque inquiétude, chaque sentiment de peur siphonnent complètement tes pensées de l’énergie qui leur permettrait de se réaliser » (p.68).

Entre temps, ne pourrait-on pas penser que les dirigeants de la ville de New York y auraient rapidement donné suite si cette affirmation pouvait se réaliser. Je serais également curieux d’obtenir la réaction de la direction d’Hydro-Québec à ce sujet. Ne devrait-elle pas investir dans le steak haché? Par ailleurs, les propriétaires de McDonald sont décidément dans le champ. Qu’attendent-ils pour transformer leurs restaurants en centrales électriques? La santé des citoyens s’en porterait peut-être mieux. Pour démontrer l’imposture à laquelle se prêtent ici consciemment ou non Morency et Fontaine, lire l’encadré 1.

Et, dans un moment de lucidité, Morency et Fontaine concluent leurs propos quant au premier ennemi : « Je n’ai pas dit qu’il suffisait de penser pour que tes projets se réalisent, il faut poser les gestes en collaboration avec tes pensées » (p.69). À la fin de la présentation des autres ennemis du succès, ils reviennent toutefois avec leur leitmotiv : « Dès qu’il y a un problème, il y a une solution. Il suffit de la demander », mais Morency et Fontaine protègent leurs arrières, au cas où la solution demandée n’arriverait pas ou ne serait pas la bonne : « Il arrive que la solution ne soit pas celle que tu attendais ». Qu’à cela ne tienne. « Dis-toi bien que tu comprendras tôt ou tard à quoi sa venue pouvait bien te servir (p.73). En somme la « méthode » est infaillible, c’est merveilleux!

Les alliés du succès

Selon les auteurs, il y aurait trois alliés du succès : la curiosité, l’insécurité et la passion active. Avec la curiosité, admettons qu’on part du bon pied : poser des questions est un bon indice de curiosité, et celle-ci, un bon ingrédient pour acquérir des connaissances.

Puis, pour approfondir la manière de s’allier au succès, l’auteur recourt à l’exemple des poissons, ces champions de la nage synchronisée. Et pourquoi les poissons sont-ils les champions de la nage synchronisée? Eh bien, tout simplement parce qu’ « ils partagent le même cerveau » (p.77) en vertu du concept de résonance morphique. N’est-ce pas évident? Pour appuyer cette révélation, Morency et Fontaine font appel à Rupert Sheldrake, titulaire d’un doctorat en biochimie (1967), qui a délaissé la science pour devenir parapsychologue et s’intéresser, entre autres sujets paranormaux, à la télépathie et aux perceptions extrasensorielles. Même si son concept de résonance morphique a encore ses défenseurs, il a nettement été invalidé. En bref, malgré ses diplômes et sa formation scientifique, Sheldrake, tout comme Morency et Fontaine, semble avoir abandonné la science pour se tourner vers la pensée magique (Carroll, 2003). Pour plus de détails sur la résonance morphique, lire l’encadré 2.

Selon Morency et Fontaine, il n’y a pas que les bancs de poissons qui partagent le même cerveau. Les humains également. « C’est d’ailleurs ce qui expliquerait pourquoi tu comprends mieux comment fonctionne la télévision que ta mère. Tu as accès à ces connaissances grâce au cerveau collectif, c’est inscrit en toi depuis que tu es né, alors que ta mère doit l’apprendre, puisque ça n’existait pas à sa naissance […]. J’ai un petit truc pour toi : en plus d’exercer ton intuition (qui est constitué de messages que tu captes de quelque part!), commence à méditer! […] Ainsi, tu seras en mesure de prendre des décisions éclairées, de trouver des solutions lumineuses; tout sera plus facile, car tu auras inconsciemment pigé dans le cerveau collectif » (p. 77-78).

Méditer n’est pas une mauvaise suggestion. Il y a quantité de travaux qui en montrent les bienfaits (André, 2015/2016). J’ai cependant ici un petit dilemme. Selon Mathieu Ricard (2008), un champion de la méditation, méditer, c’est réfléchir. Or, Morency et Fontaine demandent aux enfants, comme on l’a vu précédemment, de ne pas réfléchir, mais de suivre plutôt leurs intuitions. Des propos qu’il se plaît à répéter : « Ne pense pas avec ta tête, pense avec ton coeur, et écoute-le bien lorsqu’il bat plus fort » (p. 80).

Action

La troisième partie s’échelonne sur trois thèmes : L’équilibre, La sélection des désirs et Petit-looooooong résumé.

L’équilibre

Ce thème tient dans une seule page. Selon les auteurs, comme « les gens qui ont les plus belles vies sont des extrémistes équilibrés […], l’objectif est donc de t’amener à utiliser tes pensées pour équilibrer toutes les facettes de ta vie » (p. 82). « Des extrémistes équilibrés », voilà un autre abus de langage qui non seulement comporte en soi une contradiction, mais évoque une problématique particulièrement inquiétante par les temps qui courent.

La sélection des désirs

« C’est le moment de choisir ce que tu désires être, devenir, faire ou avoir » en faisant des demandes claires (p. 82-83). « Toutes les possibilités de ta vie existent déjà. Elles sont programmées et tournent toutes en même temps comme les émissions aux différents postes à la télévision […] Tes pensées agissent comme une télécommande […] Concentre-toi sur celle qui passe maintenant […] Tout part de ton monde intérieur […], plus tes pensées seront puissantes, précises et sans bruit de fond (doute, peur...), plus elles se réaliseront rapidement » (p. 84-85). Au début de l’adolescence, il reste encore pas mal de découvertes, pas mal d’apprentissages, et une foule d’interactions avec des personnes qui éclaireront les choix les plus déterminants. Autant de types d’expériences qui contredisent la donnée initiale de Morency et Fontaine qui prétendent que tout part du monde de l’ado lui-même : comment peut-on se développer sans interactions? D’ailleurs l’idée qu’il suffit de penser l’avenir pour qu’il se réalise va tout à fait dans le sens de la mentalité d’un enfant de quatre ans qui est persuadé qu’il fera peur à ses cauchemars s’il dort dans un pyjama dont le tissu est parsemé de lions. Qu’à cela ne tienne, Morency et Fontaine avancent des preuves dites scientifiques pour démontrer que la pensée détient bien le pouvoir de matérialiser un rêve, un projet, ou même ce qu’on veut devenir. Pour appuyer leur point de vue, Morency et Fontaine se lancent dans une leçon d’électricité dont les conclusions débouchent sur deux inepties incompréhensibles pour quelqu’un qui se décrit comme un « explorateur scientifique » (p. 124). La première témoigne d’une totale incompréhension de la notion de hasard et la seconde montre que les auteurs nagent en plein ésotérisme.

Examinons la première. « Tu veux téléphoner à ton ami et il te téléphone au moment où tu saisis le combiné. Est-ce un hasard? Non. Tu as capté son onde magnétique, c’est tout » (p. 88).

La chute d’une tuile qui tombe sur la tête d’un passant constitue l’exemple classique de ce qu’est le hasard : la coïncidence fortuite d’événements totalement indépendants les uns des autres. Autrement dit, les raisons de la chute de la tuile et la présence du passant sont deux événements totalement indépendants l’un de l’autre. Mais l’esprit a quand même besoin de trouver une explication à cette situation totalement accidentelle (sans jeux de mots). Les rêves dits prémonitoires constituent un autre exemple de non-compréhension de la notion de hasard. Sur les milliers de rêves qui ont court quotidiennement, il est inévitable que le contenu de quelques-uns coïncide avec des événements qui se produiront (Alcock, 1989; Charpak et Broch, 2002; Lett, 1992).

Il en est de même des nombreux téléphones reçus au cours d’une année. Il est inévitable qu’il y en ait quelques-uns qui surviennent à un moment où les deux amis se téléphonent en même temps, surtout si ceux-ci tentent de se contacter au moins cinq fois par jour. Préoccupés de trouver des causes à ce qui leur arrive, les humains abusent en quelque sorte des relations de cause à effet, même en leur absence. Ils sont alors souvent victimes d’une illusion de corrélation doublée d’un biais de confirmation, une tendance des individus à rechercher et à interpréter les événements de façon conforme à leurs hypothèses tout en négligeant celles qui ne les confirment pas (Bronner, 2007; Mlodinow, 2008; Nickerson, 1998).

Examinons la deuxième ineptie relative à la théorie des ondes électromagnétiques. « Ta colonne vertébrale est comme une antenne avec laquelle tu envoies et tu reçois des ondes ou des pensées. Le long de ton antenne, il existe sept noeuds où la concentration en terminaisons nerveuses est plus grande. On les appelle les chakras » (p. 88). Diantre, on pourrait enfin prendre les mesures d’un objet qui n’a aucun substrat biologique!

Un coup d’oeil sur Wikipédia nous apprend de bien belles choses sur les chakras du yoga, sur la vision mystique des chakras, sur les liens entre les chakras et la psychanalyse, les chakras et le bouddhisme ainsi que l’utilisation des chakras que font d’autres approches, dont le Reiki, les rosicruciens et le mouvement Nouvel-Âge. Une leçon de sciences? Non, une invitation à la pensée magique comme en témoigne la conclusion de cette section. « Tu poses des questions à l’univers, tu fais attention d’être bien ancré dans le moment présent, et tu attends les réponses. Tu recevras tes réponses à travers des signes ou des coïncidences. Les hasards et les coïncidences n’existent pas vraiment […] Tu n’as donc qu’à écrire une question précise et attendre la réponse […] En faisant comme si ton souhait était désormais réalisé, tu émets une onde encore plus forte et le tout se matérialisera! » (p. 96). Quelle imposture!

Les règles du jeu

Voici l’objectif de la troisième partie qu’un gourou n’exprimerait pas plus clairement pour lessiver un cerveau : « … Approfondir quelques notions sur le fonctionnement de l’univers, histoire de fermer le clapet de ton cerveau rationnel une fois pour toutes![5] […] et que tu laisses ton cerveau croire en la puissance de tout ce que tu ne connais pas, mais qui existe! (p. 101). Pour ce faire, les auteurs présentent cinq grandes lois qu’ils traduisent en « petites leçons de physique » (p. 101) : la loi de l’action-réaction; la loi des analogies, la loi de la création; la loi des vibrations et du mouvement; enfin, la loi de la conservation de l’énergie. Voyons comment les auteurs présentent la première au lecteur.

La loi de l’action-réaction est illustrée par un enfant qui pousse très fort sur un mur. Morency et Fontaine expliquent alors que si le mur ne bouge pas, c’est que celui-ci pousse en sens inverse. Et dès qu’on cesse de pousser sur le mur, celui-ci en fait de même. « Tu ne comprends rien? PARFAIT! », ajoutent Morency et Fontaine (p. 102). « Cette expérience prouve que l’univers aime l’équilibre [… et qu’il] est paresseux » (p. 103). « Tu veux créer quelque chose? Mise sur le fait que l’univers préfère la loi du moindre effort et dérange-le sans arrêt avec tes ondes de demande. Plus tu y penseras fort, plus tu déséquilibreras l’univers qui te trouvera bien achalant! Par exemple avec une vision précise de la décoration de ta chambre idéale (la couleur des murs, les meubles choisis, les objets décoratifs, etc.), ton onde sera assez puissante pour déranger l’univers. Puisqu’il doit bouger, il fera tout pour te faire taire : donc, il te donnera ce que tu veux. À moins que tu finisses par détruire toi-même ton onde avec des pensées destructives comme le doute... » (p. 103-104). Dans la réalité, pour changer la couleur des murs d’une chambre, nul besoin de déranger l’univers, un peintre suffira.

Puis, le jeune lecteur apprend non seulement qu’il vibre à la fréquence des couleurs qu’il porte, de la musique qu’il écoute et des odeurs qu’il respire , mais qu’il a trois corps : le corps physique (ton vrai corps), le corps astral (tes pensées, tes émotions) et le corps causal (le corps du penseur, celui qui a les pensées) (p.110). Qui plus est, en plus de nourrir son sang en oxygène, lorsque le lecteur respire, il absorbe aussi du prana, l’oxygène destiné au corps astral. « Lorsque le prana est abondant et circule bien dans ton corps astral, tes ondes-pensées obtiennent une puissance exceptionnelle […] Ajoute le pranayama sur ta liste de tests, c’est une technique qui t’apprendra la maîtrise du souffle » (p. 110). Dans la théorie préscientifique, sinon mystique, du prana, celui-ci représente une force vitale à la base de toute vie et toute conscience. Indépendamment de ce charabia, il est certain que bien respirer oxygène favorablement le cerveau.

Quoi qu’il en soit, Morency et Fontaine poursuivent leur enseignement en invitant les lecteurs à programmer leurs croyances. Rien de plus facile : « La meilleure façon de reprogrammer tes croyances est d’inventer une phrase que tu vas répéter plusieurs fois par jour […]; par exemple, Je comprends bien les mathématiques et je réussis facilement mon examen (p. 112). Et l’effort, ça ne sert à rien? Il semble bien que non. Morency préfère des formules magiques qui commencent par « Je suis capable, je fonce, je fais! Tu reprogrammeras ainsi ton esprit, et tu utiliseras la force de ton onde-pensée pour réaliser toutes tes demandes […], Ça s’appelle la puissance du subconscient » (p. 112-113). Maintenant que « tes ondes-pensées sont hyper puissantes […] auras-tu assez d’énergie pour profiter de tes demandes si elles se réalisent? » (p.113). Oups! Un petit doute ici : elles pourraient ne pas se réaliser.

Par ailleurs, « la musique est un excellent moyen pour avoir du contrôle sur les fréquences qui t’entourent. Tu peux commencer par faire cette expérience. Place deux plantes de même type dans deux pièces différentes. Pour l’une, fais jouer du Mozart et pour l’autre, du Heavy métal. Le résultat? À toi de faire l’expérience! » (p. 113). Effectivement des travaux publiés, soit dans des revues de sciences végétales (par exemple, Ekici, Dane, Mamedova, Metin et Huseyinov, 2007) ou dans des revues de médecines alternatives et complémentaires (par exemple, Creath et Schwartz, 2004), montrent que la musique a un effet sur différents aspects de la croissance des plantes. Cependant, aucune étude, sauf erreur, n’a comparé les effets de la musique de Mozart à celle du Heavy Metal sur les plantes ou les humains. Cela serait une première.

Toutefois, évoquer les pouvoirs de la musique n’est pas surprenant puisqu’au début des années 90, Rauscher, Shaw et Ky (1993) suggéraient que l’écoute de la Sonate pour deux pianos en ré majeur K448 de Mozart améliorait à court terme le raisonnement spatial. Popularisé sous le nom d’ « effet Mozart », ce résultat a suscité un engouement scientifique, social et commercial. Par exemple, une série de dix disques compacts a été créée sous le titre : « The Mozart Effect » dont chacun détenait une fonction spécifique : fortifier l’esprit, libérer la créativité, favoriser la clarté et la concentration, l’intelligence, etc. (Mozart Effect Resources Center, 2003). Après avoir analysé 26 études sur le sujet, Latendresse, Larivée et Miranda (2006) ont montré que 65,4 % des études ne reproduisent pas l’« effet Mozart ». Baillargeon (2013) considère même l’effet Mozart comme une légende pédagogique et un neuromythe.

Quelques réflexions supplémentaires

Compte tenu de ce qui précède, voici quelques considérations dont certaines à connotation éthique.

a) À 12 ans, l’âge de la croyance au père Noël est passé

Que des adultes apprécient les ouvrages basés sur des croyances paranormales, c’est un choix qui leur est propre. Mais qu’un auteur pollue l’intelligence des jeunes par des propos qui encouragent un retour à la pensée magique ne devrait pas passer inaperçu. À cet égard, Cornellier (2015), dans sa critique de Demande et reçois, n’hésite pas à affirmer que « mettre ce livre dans les mains d’enfants mal outillés pour en démasquer la fourberie intellectuelle reviendrait à trahir notre devoir d’éducateurs » (p. B6). Aussi s’étonne-t-on que l’ouvrage de Morency a été adapté par une enseignante, Valérie Fontaine, qui « adore se promener dans les écoles du Québec pour offrir des animations inspirantes pour les grands comme les petits! » (p. 126). Sa conviction semble d’ailleurs à toute épreuve puisqu’elle n’hésite pas à affirmer sans ambages qu’« elle met en pratique les enseignements de ce livre et jure que tout cela fonctionne réellement! La preuve : travailler sur ce projet, elle l’avait demandé! » (p. 126). Avec une telle preuve, la science vient de faire un pas de géant dans l’art de la démonstration par le raisonnement circulaire.

Je croyais révolue l’ère où les enseignantes détenaient la palme de la diffusion du paranormal et de ses dérives auprès des enfants et des adolescents (Larivée, 2002). Comme ce sont les parents qui achètent des livres à leurs enfants et que de nombreux adultes se montrent friands des propos tenus par Morency, doit-on y voir un nouveau marché pour les gourous de tout acabit?

Lorsque Morency et Fontaine demandent à leurs jeunes lecteurs de croire d’emblée ce qu’ils disent et surtout de ne pas réfléchir, ils ont raison : réfléchir c’est fatiguant. Il vaut mieux conserver un esprit de quatre ans comme il le suggère, cela est beaucoup plus efficace pour croire à la magie et au Père Noël.

b) Les pseudosciences dans les librairies

Lors d’une recherche longitudinale sur l’espace occupée par les sciences et par les pseudosciences (ésotérisme, paranormal, nouvel âge, croissance personnelle, arts divinatoires, spiritualité – à distinguer de l’étude des religions, etc.) dans les librairies du Québec en 2001 (n=55) et en 2011 (n=72), nous avons constaté que la proportion d’espace est nettement en faveur des pseudosciences : 89,1 % (ET :7,3) en 2001 et 86,5 % (ET :8,6) en 2011 (Larivée, 2002; Larivée, Sénéchal, Miranda et Vaugon, 2013).

En 2001, la collecte des données relatives aux livres pour enfants n’avait pas été prévue. Cependant, dès la deuxième librairie visitée, le libraire suggéra d’effectuer la même mesure pour les livres destinés aux enfants. Cette mesure posait un problème. Il n’existe pas, sauf erreur, de livres pour enfants qui traitent de pseudosciences selon notre acception du terme. La suggestion d’un libraire d’utiliser les livres de spiritualité nous était apparue d’autant plus justifiée que, chez les adultes, les ouvrages de spiritualité et d’ésotérisme sont regroupés sous la même rubrique. Par la suite, nous avons soumis cette décision à un certain nombre de libraires et tous ont convenu de la pertinence de cette suggestion.

Les résultats sont clairs. En 2001, la proportion d’espace consacré aux ouvrages de spiritualité est de 10,1 % (ÉT : 7,0) et également de 10,1 % (ÉT : 14,6) en 2011. Alors qu’en 2001, il n’y avait aucun livre pour enfants à saveur nouvel âge ou ésotérique, en 2011, les auteurs et les éditeurs semblent avoir pressenti un marché prometteur pour les enfants. En effet, on retrouve dans au moins une librairie trois livres portant sur le thème de l’âme, dont un de Grimard (2010) publié à compte d’auteurs, La petite âme, d’où vient-elle? Le classement de ces trois livres par la librairie sous la rubrique nouvel âge à proximité de la rubrique spiritualité correspond à ce qu’on observe dans les livres pour adultes.

Il ne reste plus qu’à souhaiter que les parents continuent de faire ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant : offrir à leurs enfants des ouvrages consacrés à la connaissance, c’est-à-dire à l’initiation aux sciences et à la technologie, à l’histoire, aux grandes découvertes, à l’astronomie, à la théorie de l’évolution et aux animaux.

c) Avoir un diplôme universitaire n’empêche malheureusement pas de dire n’importe quoi

Le fait de détenir un baccalauréat en génie physique pourrait octroyer à Morency de la crédibilité aux yeux des parents et des adolescents. Auréolé de son diplôme universitaire, ceux-ci pourraient considérer que ses propos ont probablement un fond de vérité scientifique. La stratégie est connue : appliquer au discours charlatanesque un vernis scientifique doublé de quelques propos sensés proches de l’évidence dont voici deux exemples :

  • « La pire chose qu’il puisse t’arriver, c’est de te tromper, ou que ta tentative échoue. C’est certain que si tu ne tentes rien, eh bien tu n’obtiendras rien non plus! » (p. 32).

  • « Ah l’erreur, cette mal-aimée! […] Pourtant, l’erreur amène le changement […]. Un peu plus d’effort […] et un jour ça y est, c’est réussi. Est-ce si mal que ça de faire des erreurs quand on les utilise pour avancer? Non! » (p. 39).

Avec de tels propos pleins de bon sens, ne peut-on pas penser que le jeune adolescent aura tendance à donner son accord à l’ensemble des propos de l’auteur, même les plus farfelus? Confronté à des messages contradictoires, ce mélange de gros bon sens et d’inepties risque de semer la confusion chez l’adolescent dont l’esprit critique n’est pas nécessairement bien développé et qui, par conséquent, n’a guère la possibilité de départager le bon grain de l’ivraie. En effet, Morency, aidé de Fontaine, lance des concepts qu’un jeune lecteur ne peut pas comprendre, ce que l’auteur reconnaît puisqu’il lui demande de ne pas essayer de comprendre. Quelle incohérence! Il demande à de jeunes adolescents d’adhérer à des croyances dites scientifiques, en utilisant la méthode d’autorité, une méthode préscientifique d’acquisition de connaissances (Blackburn, 1994; Larivée, 2014). Pour s’assurer que le jeune lecteur adhère à leur échafaudage intellectuel, qui relève strictement de la pensée magique (Cornellier, 2015), Morency et Fontaine lui demandent même de garder un âge mental de 4 ans (p. 55)! Il ne reste plus qu’à souhaiter que le mental en béton qu’ils lui demandent également d’avoir (p.58) ne soit pas celui d’un enfant de 4 ans, marqué par la pensée magique.

Quoi qu’il en soit, si à la fin du livre le jeune adolescent est perdu, son esprit est embrouillé ou commence à avoir des doutes, Morency et Fontaine le rassurent – à moins qu’il n’ait prévu le coup - « Tout est mystérieux et c’est tant mieux! Tu vois le livre qui s’achève et tu as l’impression de ne pas avoir tout compris? Pourquoi vouloir tout comprendre tout de suite? Joue le jeu de la vie en te disant qu’il n’y a pas de problèmes réels […] Amuse-toi donc et cesse de réfléchir! » (p.116).

d) Utiliser un vocabulaire scientifique ne garantit pas l’utilisation de la démarche scientifique

Un des procédés les plus utilisés par les pseudo-scientifiques pour assurer leur crédibilité est de dire qu’ils utilisent des principes scientifiques tout en occultant la démarche scientifique (Hill, 2012). Demande et reçois est à cet égard un petit bijou.

Comme un bon nombre d’adultes ne maitrisent pas les bases de la démarche scientifique, difficilement applicable, par ailleurs, dans la vie courante, ils peuvent facilement se laisser séduire par des déclarations extravagantes si celles-ci sont traduites dans un langage qui a toute les apparences de la science. Imaginez des enfants au seuil de l’adolescence qui sont encore loin de maitriser les schèmes nécessaires à la compréhension de la démarche scientifique. Les schèmes en question prennent place dans le développement cognitif avec l’émergence de la pensée formelle (Inelder et Piaget, 1955). Parmi les schèmes opératoires formels, celui du contrôle des variables (l’application du principe « toute chose étant égales par ailleurs ») est au coeur de l’attitude scientifique, de la méthode expérimentale et de la pensée critique. Or, à 12-13 ans, au début de la puberté cognitive, à peine 3 % des adolescents maitrisent ce schème (Larivée, 2007; Shelmesh, Eckstein et Lazarowitz, 1992). La plus grosse vérification empirique de l’atteinte de la pensée formelle a été réalisée en Angleterre auprès d’un échantillon de 11 200 individus de 10 à 17 ans (Shayer et Williams, 1978). Or, à 12 ans seul 3 % maitrisent le schème du contrôle des variables, à 13 ans, 5,7 %, à 14 ans, 8,2 %, à 15 ans, 12,4 %, et à 16 ans, 12,9 %. Trente ans plus tard, les résultats sont demeurés sensiblement les mêmes (Shayer et Ginsburg, 2009). Qui plus est, chez les étudiants universitaires, les pourcentages de la maitrise du même schème varie entre 62 % et 84 % selon les disciplines (Pelletier, Larivée, Coutu et Parent, 1989).

e) Où sont passés les ingrédients habituels de la réussite, dont l’effort, le talent et d’autres variables hors de notre contrôle?

Bien sûr, les auteurs soulignent la nécessité pour les enfants d’agir en fonction de leur demande s’ils veulent que celle-ci se réalise. Mais le talent et l’effort, deux variables du succès, ne semblent pas, pour Morency et Fontaine, faire partie des « clés pour ouvrir les portes du succès » (4e de couverture). Faire croire à des enfants que s’ils demandent, ils recevront, pose un problème éthique. En effet, c’est à la fois promouvoir la pensée magique et mettre un grand nombre d’entre eux en situation d’échec. À aucun moment suggèrent-ils aux enfants de faire leur demande en fonction de leur talent ou de leurs capacités ou des sacrifices qu’ils sont prêts à consentir. Mais il y a plus. L’effort et le talent ne suffisent pas toujours pour obtenir ce que l’on veut. La vie conserve indéniablement son lot d’injustices et le garçon doué pour le hockey, qui souhaiterait à tout prix faire partie de l’équipe des Canadiens de Montréal et qui consacre à ce rêve des efforts méritoires pourrait tout de même ne jamais être sélectionné. Rottenberg (2014) a bien montré que les individus qui se fixent des buts inatteignables peuvent devenir dépressifs. Ce résultat pointe l’un des effets nocifs de l’ouvrage. On ne doit pas prendre à la légère un beau petit livre qui fait miroiter la puissance de la pensée au détriment de l’adaptation à la réalité. Par exemple, quel serait l’impact sur une petite fille de douze ans qui demanderait très fortement à l’univers de guérir son grand-père et que celui-ci meurt. Contrairement aux prétentions des auteurs, l’univers ne se serait donc pas occupé d’exaucer son souhait le plus cher. Le pouvoir de la pensée aurait donc des limites!

f) Morency et Fontaine poussent les jeunes vers la régression[6]

Quand on parcourt leurs propos en gardant à l’esprit les conditions psychosociales qui favorisent les différentes facettes du développement de l’adolescent, on est surtout frappé par le caractère égocentrique du propos. Quand Erikson (1972), identifie la construction d’un sentiment d’identité au coeur du défi psychosocial de l’âge adolescent, il insiste fondamentalement sur l’expérimentation et le choix progressif des valeurs qui donnent du sens à la vie humaine. Ces valeurs prennent le trait d’orientations dynamiques qui stimulent les projets, valorisent les actions, activent l’engagement social, consolident le sentiment d’identité et inspirent les choix les plus déterminants. La découverte et l’exercice des valeurs ont lieu dans l’expérience multiple des ados dans leur identification à des témoins des plus hautes valeurs humaines, dans la réflexion morale que permet dorénavant leur pensée parvenue à la maturité. Or, le livre que Morency et Fontaine destinent à la jeunesse parle de leur vie comme d’un paradis sur terre, éclipsant d’entrée de jeu le conflit des valeurs de la société où elle s’inscrit. Le type d’expérience qu’ils privilégient, tout centré sur l’ado lui-même, consiste à penser fort, à rêver beaucoup, à laisser l’univers réaliser ses projets, à déployer la mentalité d’un enfant de quatre ans.

Au lieu de favoriser l’adaptation aux diverses réalités nouvelles auxquelles sont confrontés les garçons et les filles pubères, ils les enjoignent de se réfugier dans une conception idéale du monde, indépendamment des autres (sauf une ou deux petites insertions), à faire confiance à l’univers plutôt qu’aux maîtres d’une école tenue pour insignifiante et à laisser les projets se réaliser par le biais des puissances magiques dont disposerait la pensée. Les valeurs promues dans ce livre n’ont aucun caractère social, moral, intellectuel ou esthétique. Les expériences proposées échappent complètement aux interactions avec autrui. L’ensemble du propos est un détournement de l’envol possible que détient l’éclosion de l’intelligence, du corps, de l’ouverture à l’autre et des perspectives d’avenir chez les adolescents.

Cet aspect de la présente critique met en lumière le caractère nettement néfaste d’une telle publication qui devrait à tout le moins se voir interdite dans les écoles. Car comment tolérer la diffusion d’un texte ou, pire, d’une approche qui détourne les élèves de l’effort, de l’apprentissage et du sens de l’altérité au profit d’une régression vers la pensée magique, l’égocentrisme, les croyances ésotériques et qui prône une nette dévalorisation de l’école.

Conclusion

Comme la liberté d’expression est une valeur fondamentale, on ne peut empêcher les gens d’écrire ce qu’ils veulent, y compris des sottises, ce qui n’empêche pas de déplorer, dans ce cas-ci, qu’un minimum de préoccupations éthiques n’aient pas guidé les auteurs. À cet égard, Cornelier (2015) a raison d’affirmer que Demande et reçois est un « recueil d’âneries faussement scientifiques qui incite à un dangereux solipsisme (penser, c’est seulement penser de soi-même, à soi-même, insiste l’auteur), cet ouvrage est une ordure intellectuelle remplie d’un poison qui tue l’intelligence. Peut-on le laisser entrer dans nos écoles? » (p. B6). En terminant, laissons la parole à deux jeunes lectrices de 11 ans, Laure Villeneuve et Frédérique Forest :

« J’aime bien le livre avec ses images amusantes. Il y a quelques infos scientifiques, mais pas beaucoup. Par exemple, le test de Galilée avec des poids... Il y en a une qui m’a fait douter. Ils disent que si j’appelle mon amie et qu’à CE moment elle m’appelle pour la même raison, c’est parce que j’ai capté ses ondes... C’est un peu étrange. Il y a une bonne partie du livre qui veut tout simplement dire Demande et reçois. Certaines personnes pourraient trouver que ce livre les aide, mais je le lirais plus en tant que roman plutôt qu’en livre scientifique ».

Laure Villeneuve

« Ça se lit bien, les dessins sont beaux. Par contre, cet ouvrage est assez contradictoire : une ligne c’est oui, une autre c’est non. Les idées proposées ne sont pas toujours très, disons… sécuritaires. Non, mais sérieusement, leur idée de la jeunesse actuelle est totalement fausse. Les stéréotypes énoncés sont totalement erronés dont ceux écrits aux pages 30-31. Le mot « demande » est assez redondant, mais bon, je vais être clémente vu que c’est le mot principal du titre. Je vais tout de même rendre justice au livre en disant qu’il a les capacités pour redonner confiance à lui-même à un jeune ».

Frédérique Forest