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Depuis que l’humain sait communiquer, il cherche à découvrir (et à cacher) la vérité par tous les moyens. En Chine, un millénaire avant Jésus-Christ, on obligeait les personnes suspectées d’avoir menti à mâcher du riz sec avant de le recracher : si le rejet était sec (par manque de salive), on estimait qu’elles avaient menti. Au Moyen Âge, les juges utilisaient une méthode semblable. Ils faisaient avaler de la farine aux accusés dans le but d’identifier ceux qui avaient la bouche sèche. Dans le cas où un accusé avait la bouche sèche, cela signifiait qu’il n’avait pas dit la vérité. Depuis, un grand nombre de techniques, plus ou moins scientifiques, ont vu le jour. Du riz utilisé dans l’Antiquité au polygraphe employé aujourd’hui, qu'avons-nous appris sur la détection du mensonge? L’effet Pinocchio existe-t-il?

Ce texte fait le point sur ce que la science nous a appris au sujet de la détection du mensonge, par l’observation des signes verbaux et non verbaux, ainsi que des mythes qui y sont associés, et surtout, des limites liées à la détection du mensonge.

La fonction du mensonge

Mentir est un comportement normal (dans une certaine mesure) et (souvent) nécessaire. Un enfant apprend à mentir dès l'âge de 3 ans, d'abord d'une manière ludique, puis, à « l'âge de raison » (vers 6-7 ans), ses mensonges peuvent être suffisamment bien construits et crédibles pour tromper un adulte (Vrij 2000). On ne peut leur en vouloir, car nous sommes souvent les artisans de leur capacité à mentir (St-Yves, Pilon et Landry, 2004) : [le téléphone sonne] « Chut, papa n'est pas là ».

Il est également plus logique de mentir que de dire la vérité. Si on ment, on peut se sortir d'une situation embarrassante ou éviter une conséquence, alors que si on dit la vérité, on devra inévitablement faire face aux conséquences. Les enfants apprennent à mentir très tôt et leur prédisposition à mentir ou à dire la vérité sera influencée par les enjeux (punition versus récompense) qui y sont reliés. Si l’on demande à un enfant si c’est lui qui a fait une bêtise (en supposant que c’est bel et bien lui), il hésitera à répondre parce qu’il évaluera les conséquences possibles (punition) de ses actes. Il sait que la personne qui pose la question ne possède probablement pas de preuve puisqu’elle l’interroge à ce sujet. En mentant, l’enfant a la possibilité de s’en sortir indemne, alors que s’il dit la vérité, il a de fortes chances d’être puni : « Non, ce n’est pas moi ».

Nous mentons délibérément pour toutes sortes de raisons : pour se valoriser, pour dissimuler des émotions, par haine, pour éviter une conséquence, et même parfois, pour le plaisir ou pour faire plaisir. Les gens mentent en moyenne une à deux fois par jour (DePaulo, Kashy, Kirkendol, Wyer et Epstein, 1996), mais cette moyenne serait influencée par un petit groupe (à peine 5 %) de menteurs invétérés (Serota, Levine et Boster, 2010).

Lorsque vient le temps de mentir, les hommes sont généralement plus à l'aise et se sentent moins coupables que les femmes. Cependant, il n'y aurait pas de différence significative quant à la fréquence des mensonges (DePaulo, Epstein et Wyer, 1993). Toutefois, on observe des différences dans le type de mensonge. Les hommes ont plus tendance à dire des mensonges d’autoprotection dans l’intention de préserver ou d’améliorer leur propre image (les exagérations, par exemple), tandis que les femmes inventent plus souvent des mensonges altruistes (sous forme de compliments) (DePaulo, Kashy, Kirkendol, Wyer et Epstein, 1996).

Pas facile de mentir

On ne détecte pas le mensonge, mais plutôt l'anxiété qu'il génère. Chez certains individus, le simple fait de penser à mentir générera de l'anxiété, alors que chez d'autres, le mensonge causera peu d'anxiété et, par conséquent, sera moins apparent. Hitler disait « un mensonge répété dix fois, reste un mensonge; répété dix mille fois, il devient une vérité ». Une étude récente a effectivement démontré que l’on peut s’entraîner à mentir et qu'un mensonge répété finira par générer moins d'efforts sur le plan cognitif et, par conséquent, sera plus difficile à détecter (Hu, Chen et Fu, 2012).

Plusieurs chercheurs, y compris des spécialistes de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ont démontré qu’il était plus difficile de mentir que de dire la vérité (Vrij, Fisher, Mann et Leal, 2006; 2008). Alors que l’énoncé de la vérité se produit spontanément, la construction d’un mensonge est à la fois intentionnelle et réfléchie, et exige donc un effort mental. Selon Vrij et ses collègues (2008), le menteur doit inventer son histoire tout en s’assurant qu’elle est crédible et qu’elle se conforme en tout à ce que l’intervieweur sait ou pourrait apprendre. Il doit donc se rappeler de son histoire et de ses propos antérieurs le plus fidèlement possible, de manière à demeurer le plus cohérent possible. En agissant ainsi, il aura d’ailleurs tendance à réciter son mensonge en utilisant les mêmes mots, sans en ajouter ni en changer la structure. C’est l’équivalent d’un texte appris par coeur. Pour ce qui est des personnes sincères, elles ont plutôt l’habitude de raconter à nouveau leur récit en utilisant des mots différents et en modifiant parfois un peu la structure (Morgan, Mishara et Hazlett, 2008). Le menteur doit aussi faire des efforts pour paraître honnête aux yeux de l’interlocuteur. Ce contrôle sur sa conduite est très exigeant sur le plan cognitif. Il se montrera probablement plus attentif aux réactions de l’intervieweur afin de voir si son mensonge « passe ou ne passe pas » (Vrij 2014).

Des signes non verbaux de détresse, d’inconfort… et de mensonge?

Depuis les travaux d’Albert Mehrabian sur l’importance des mots dans la communication, de nombreux auteurs prétendent, erronément, que le comportement non verbal représente jusqu’à 93 % du message (voir Mehrabian, 1972). D'autres pensent que la position des yeux (haut, bas, gauche, droite) – idée issue des méthodes de communication enseignées par la programmation neurolinguistique (PNL) – peut aussi révéler ce qui se passe dans la tête d'une personne, notamment si elle dit la vérité ou ment. Pourtant, de nombreuses études ont montré qu’il n’existe aucune corrélation entre la direction des yeux et le mensonge (voir Vrij, 2008)[1]. Il en est ainsi pour les micro-expressions faciales (voir Ekman, 1992). Mais ces comportements peuvent-ils vraiment aider à détecter le mensonge?

Pendant des millions d’années, le cerveau a développé un système très sophistiqué, appelé le système limbique, grâce auquel nous traitons les menaces, les dangers et les émotions, et sur lequel des auteurs comme Gavin DeBecker (1997), Daniel Goleman (1995) et Joseph LeDoux (1996) ont rédigé de nombreux ouvrages.

Le rôle du système limbique est d’agir comme un mécanisme d’alerte précoce pour la survie ainsi que pour le contrôle des sentiments. La réponse du système limbique face à une menace ou à un élément perturbateur se traduit par trois mécanismes, l'immobilité, la fuite ou la lutte, souvent exagérément simplifiés à tort et appelés réaction de combat ou de fuite. De plus, certains types de comportements d'apaisement (ce qu’Ekman appelle gestes adaptateurs) se manifestent généralement après une réponse du système limbique. C’est pour cette raison que lorsqu’un enfant a une peur soudaine, il pleure et demande à être consolé (Navarro 2007).

Le système limbique du cerveau nous garde en vie en réagissant efficacement aux menaces et aux événements chargés d’émotions. Il canalise ce que nous ressentons et le communique par des messages non verbaux apparents (Panksepp 1998). Par exemple, si un bébé n’aime pas un aliment, son système limbique réagira et il le manifestera à sa mère comme suit : il s’éloignera de l’aliment en question, il grimacera, il se raidira ou il pincera les lèvres. De façon similaire, si une personne fait face à un chien qui grogne, son système limbique fera en sorte qu'elle restera immobile, qu'elle s’enfuira si le chien la poursuit et qu'elle se battra avec le chien si c’est nécessaire. Dans chacun des cas (immobilité, fuite, combat), la personne exprime de façon non verbale ce qu’elle ressent par un comportement inactif, angoissé, effrayé, irrité, désespéré ou déterminé (Navarro 2008).

Pendant des millions d’années, avant que l’humain sache communiquer verbalement, une menace pour un individu (telle que de la nourriture avariée, la présence d'un serpent ou d'un tigre) constituait une menace pour tout le monde. Ainsi, notre corps a évolué pour afficher des signes physiques d’émotions, d’inconfort ou de danger afin de communiquer ce que nous percevons (Navarro 2007).

Les réactions du système limbique, qui représentent des réactions émotionnelles en soi, sont en fait universelles (Ekman 2003, p. 21). Lorsqu’une personne a les sourcils froncés, les yeux écarquillés, car elle a peur ou reconnaît ce qu’elle voit, les mâchoires serrées, les muscles du visage et du cou tendus, les lèvres crispées, de la difficulté à avaler ou à respirer, nous pouvons dire qu’elle manifeste des signes non verbaux de détresse et d’inconfort.

Le système limbique réagit à un large éventail de possibilités, qu'il s'agisse d'aliments avariés, d'un affrontement dans une ruelle, d'une dispute avec nos proches, ou même de certains mots qui sont prononcés (Vrij 2003). Dans le milieu criminel, par exemple, pour la personne innocente et honnête, certains mots et certains objets n’ont pas la même valeur que pour une personne complice d’un crime ou connaissant des détails de celui-ci (Navarro 2003). Si un enquêteur demande à un individu innocent s’il possède un revolver Smith & Wesson, la question n’aura pas le même effet sur lui que si la même question est posée à un autre individu qui a utilisé ce genre d’arme pour tuer quelqu’un. Lorsque le cerveau entend la question, le comportement non verbal de ces deux individus (individu innocent et individu coupable) sera différent, même s'ils ne répondent pas à la question. Pour l’individu coupable, ces mots ont une valeur différente; ils représentent en fait « une menace », alors que pour l’individu innocent, ces mots ne veulent rien dire. Ce serait comme dire à une personne qui regarde la télévision qu’un certain vol d'avion a été annulé; cela est sans conséquence pour cette personne, alors que c’est tout à fait différent pour une autre qui attend l’arrivée d’un être cher. Dès que la personne interrogée entend les questions, des indices verbaux éveillent le système limbique et les signes de détresse commencent immédiatement à se manifester. Ces signes comprennent principalement les suivants : opter pour l’évitement (changer de sujet), rester très immobile, bouger très peu les mains ou les bras, rentrer les pieds, garder ses distances ou avoir un mouvement de recul, fermer les yeux ou pointer du pied vers une issue. Un malaise plus profond peut être exprimé par l’individu s’il se frotte rapidement le front en réfléchissant à la question, s’il se masse l’avant du cou avec les doigts, si ses lèvres s’amincissent au point de disparaître, si ses muscles se tendent, s’il se frotte les mains en entrelaçant les doigts ou s’il plisse les yeux (Navarro 2010). Verbalement, la personne pourrait répondre de façon moins directe, elle pourrait avoir un trémolo dans la voix ou parler d'une voix plus aiguë en raison du stress.

À mesure que le sentiment de détresse s'atténue, l’individu réussit à se calmer (on peut penser à un enfant qui suce son pouce après avoir fait une chute et avoir pleuré), soit en expirant par la bouche au point où les joues se gonflent, soit en se touchant. Il pourra, par exemple, se toucher ou se masser le cou, se frotter les tempes, se frotter les mains l'une contre l'autre, se lécher ou se mordre les lèvres, frotter son pantalon avec la paume des mains, etc. L’humain adopte ces comportements plusieurs fois par heure lorsqu’il fait face à des situations stressantes. Un moment éprouvant, un accident évité de justesse ou un affrontement chargé d’émotions entraînera le besoin de se calmer (Panksepp 1998). C'est par eux que le cerveau gère le stress en temps réel.

Il est quand même remarquable qu’au cours des 30 dernières années, très peu d’efforts aient été déployés pour essayer de définir ce qu’est le mensonge en tenant compte de la personnalité, des troubles de la personnalité et de l’expérience de vie. Au FBI, les agents préféreront ne pas négocier avec un individu qui s’est barricadé, ou interroger un suspect, sans comprendre sa personnalité. Il leur est ainsi plus facile de déterminer le genre de comportement qu’aura l’individu en plus de connaître la facilité avec laquelle il manipule son interlocuteur, esquive les questions ou ment.

Des indices d’un comportement non verbal ont été observés et utilisés par le passé pour résoudre un cas de viol dans la ville de Parker, en Arizona. Seul l’enquêteur connaissait les faits du cas en question, lesquels avaient été décrits par la victime, une travailleuse migrante de 42 ans, mère de trois enfants. Un suspect a rapidement été appréhendé en raison de la description précise fournie par la victime. Cependant, durant l’interrogatoire, le suspect a refusé d’admettre une quelconque implication et a insisté sur le fait que la victime se trompait sur son identité. En utilisant un élément d’information que la victime avait fourni à l’enquêteur, une phrase que le violeur avait dite et qui était inconnue de toute autre personne, le policier a demandé « À quoi avez-vous pensé lorsque vous avez posé des questions à la victime au sujet de ses enfants, pendant qu’elle se faisait violer? » À ce moment-là, l’attitude du suspect a changé, son visage a blêmi et sa tête s’est enfoncée entre ses épaules (un signe d’insécurité et de détresse); une indication claire qu’il avait honte de ce qu’il savait. Il a immédiatement craqué, a éclaté en sanglots en avouant le viol. Le système limbique du suspect l’a fait réagir émotionnellement à ce qu’il avait dit à la victime (pour d’autres exemples semblables, voir Navarro, 2008).

Dans un grand nombre de cas, cette technique reproduit ce qu’un détecteur de mensonges tente de faire, c'est-à-dire détecter des changements physiologiques plutôt que de détecter le mensonge et, dans ce cas en particulier, des réactions non verbales à une question ou à un signal précis. Dans le cas de ce viol, l’enquêteur a présumé que le suspect s’était soucié des enfants de la victime et a cru qu’en mentionnant ce détail, cela le ferait réagir en raison de la connaissance coupable du violeur.

Le mensonge « est un outil de survie sociale »; tout le monde ment et, en fin de compte, nous ne connaissons jamais toute la vérité. Nous pouvons observer des choses dans le but de déterminer s’il y a certains problèmes ou certaines inquiétudes ou découvrir ce qu'on tente de dissimuler ou d'occulter. À cette fin, le langage corporel peut nous être utile, mais bien souvent, pas plus que de tirer à pile ou face.

Les indicateurs fiables d’un mensonge

Le bilan sur la détection du mensonge dressé jusqu’à présent montre que peu d’indicateurs observables sont fiables. D’ailleurs, le discours contiendrait plus d’indicateurs intéressants que le langage non verbal. Lorsque le menteur s’exprime, son discours contient généralement plus d’hésitations, moins de mots, moins de détails contextuels, plus d’omissions. Ses réponses sont plus évasives, moins plausibles, moins structurées et manquent parfois de cohérences. Aussi, elles comportent une description plus détaillée de ce qui n’a pas eu lieu (DePaulo et al., 2003; Newman et al., 2003; Porter et ten Brinke 2010; Vrij 2007; 2008). Résultant probablement d'une surcharge cognitive, on observe également une diminution du débit verbal et des pauses plus longues lorsque le menteur parle (voir De Paulo et al., 2003; Matsumoto, Hwang, Skinner et Frank, 2014; Newman et al., 2003; Vrij, 2008; 2014).

De son côté, le comportement non verbal se limiterait principalement à des comportements figés, tels que la réduction des mouvements corporels et le regard fixe (sans clignement des yeux, regard droit dans les yeux) (De Paulo et al., 2003; Hurley et Frank, 2011; Matsumoto, Hwang, Skinner et Frank, 2014; Porter et al., 2012; Vrij, 2008; Vrij 2014). Ces comportements non verbaux (figés) seraient également liés à une surcharge cognitive (une demande cognitive soudaine et plus grande) induite par la complexité de cette opération mentale qu’est le mensonge (Ekman, 1997; Vrij, Fisher, Mann et Leal, 2006; 2008).

Comment détecter le mensonge

La plupart des gens qui mentent vivent des émotions négatives (désagréables) lorsqu’ils le font. Ces émotions sont associées soit à la crainte d'être découvert, soit à un sentiment de culpabilité. Il arrive parfois que certaines personnes ressentent des émotions positives (lesquelles ont souvent le dessus chez le menteur d’habitude); elles éprouvent du plaisir à mentir, c'est-à-dire de convaincre fallacieusement avec le plus grand naturel. Ce type de menteur devient maître de ses émotions au point de communiquer aussi aisément des émotions factices que véritables (Vrij, 2008).

Voici cinq stratégies pour mieux déjouer un menteur :

  1. Adopter une attitude d’ouverture et de soutien.

    Le style accusateur est le moins efficace. Des études ont démontré que le fait de manifester du soutien à la personne interviewée durant l’entrevue facilite la conversation et encourage les témoins coopératifs (soit les témoins véridiques) à fournir plus d’informations (Fisher 2010). Par conséquent, l'interviewé risque davantage de livrer des indices de mensonge dans son discours.

  2. Utiliser les questions ouvertes et laisser la personne parler.

    Mentir est une tâche complexe. Les personnes véridiques ont tendance à donner plus de détails que les personnes qui mentent (Johnson, 2006; Geiselman et Fisher, 2014). Les menteurs doivent construire leur mensonge, inventer des détails, ce qui rend la tâche plus difficile et plus susceptible de les trahir. Ils se retrouvent donc devant un dilemme, car le fait de fournir des réponses brèves éveille davantage la suspicion. Pour avoir l’air crédible, le menteur ajoute donc des renseignements qui ne peuvent pas être vérifiés ou qui se révéleront non fondés. C’est pour cette raison que les questions ouvertes permettent de mieux distinguer le vrai du faux : « Racontez-moi tout ce que vous avez fait aujourd’hui ».

  3. Créer une règle d’engagement. Demander à une personne de promettre de dire la vérité rend le mensonge plus difficile, car le mensonge en soi constitue déjà un manque à la règle d’engagement tacite : celle de dire la vérité. Talwar et ses collègues (2002) ont observé que le simple fait de demander aux enfants de promettre de dire la vérité augmente les probabilités qu’ils soient honnêtes. Le fait de jurer sur la bible (ou de promettre de dire la vérité) devant les tribunaux avait donc probablement sa raison d'être...

  4. Créer des surcharges cognitives. L’intervieweur peut imposer une surcharge cognitive pendant l’entrevue (rendre le déroulement de l’entrevue plus difficile pour la personne interviewée), soit en encourageant l’interlocuteur à en dire davantage, soit en posant des questions inattendues. Les mensonges planifiés sont plus faciles à dissimuler que les mensonges spontanés. Les menteurs se préparent pour l’entrevue. Ils le font en prévoyant des réponses pour des questions auxquelles ils s’attendent (voir Hartwig, Granhag et Strömwall, 2007). Cette stratégie est efficace, car les mensonges planifiés comportent moins de signes que les réponses spontanées (DePaulo et coll., 2003). Cependant, préparer des réponses comporte des limites. Cela ne réussit que si le menteur a correctement prévu les questions qui lui sont posées. Les enquêteurs peuvent tirer profit de cette limite en posant des questions auxquelles le menteur ne s’attend pas. Bien que le menteur puisse refuser de répondre et dire « je ne sais pas » ou « je ne m’en souviens pas », de telles réponses éveillent manifestement des soupçons si elles portent sur des éléments essentiels de l’entrevue (Vrij, 2014). En entrevue, il est fort probable que le menteur ait des réponses toutes prêtes aux questions prévues et peut sans aucun doute y répondre avec de nombreux détails. Cependant, dans le cas d’une question inattendue, il n’aurait aucune réponse préparée à apporter et par conséquent, aurait bien du mal à y fournir une réponse détaillée (Lancaster, Vrij, Hope et Waller, 2013; Vrij, 2014; Warmelink, Vrij, Mann, Jundi et Granhag, 2012).

    On peut également demander à l’interviewé de raconter de nouveau son histoire, mais à rebours, ou en exigeant de lui un contact visuel. Ces deux consignes créent des surcharges cognitives et peuvent aider à discriminer les personnes véridiques des menteurs (Vrij 2014). Le fait de demander à la personne interviewée de raconter une autre fois son récit en faisant un croquis des lieux peut également aider à détecter des indices de mensonge. Les croquis des personnes véridiques contiennent généralement plus de détails que ceux des menteurs (Leins, Fisher et Vrij, 2012; Vrij, Mann, Leal et Fisher, 2012).

  5. Utiliser stratégiquement les éléments de preuve

    Les suspects menteurs et les témoins véridiques emploient typiquement des stratégies différentes en entrevue (Granhag et Hartwig, 2008). Les menteurs sont enclins à utiliser une stratégie d’évitement (p. ex. : il évite de dire où il était à un certain moment) ou de négation (p. ex. : il nie avoir été à un tel endroit à un tel moment). De leur côté, les témoins véridiques sont généralement plus communicatifs et disent les choses telles qu’elles se sont vraiment passées (Hartwig, Granhag et Strömwall, 2007). Aussi, les récits des suspects innocents correspondront davantage aux renseignements connus que les récits des suspects menteurs (Granhag et Hartwig, 2008). Une recherche récente menée par Granhag et ses collègues (2013) a montré que le fait de révéler la preuve de façon progressive, en commençant par des renseignements indirects (p. ex. « Des informations révèlent que vous êtes allé récemment à la gare. »), pour ensuite passer à des renseignements plus directs et précis (p. ex. « Nous possédons un enregistrement vidéo qui montre que ce jour-là vous étiez à la gare en train de… ») permettrait d’observer plus d’indices de mensonge (et plus marqués) que le fait de présenter uniquement des renseignements directs et précis. Confrontés à une preuve indirecte, les suspects sont portés à fournir un alibi pour s’ajuster à cette preuve (p. ex. « En effet, je suis allé à la gare pour... »), mais compte tenu de leur propension à louvoyer et à nier, leur alibi s’écartera généralement des faits révélés par la preuve directe (« ... m’acheter un billet pour le train du lendemain matin »). Une fois confronté à la preuve directe, le suspect n’a donc pas le choix de modifier son alibi fourni pour l’adapter à ces faits nouveaux (dans Vrij, 2014).

S’entraîner avec de bons indicateurs

Une étude récente, réalisée par Matsumoto, Hwang, Skinner et Frank (2014) auprès d’agents du FBI, a démontré que l’on peut améliorer sa performance de 10 % avec un bon entraînement. Ainsi, le taux de succès varie entre 60 et 65 % (comparativement au seuil habituel de 50 %) (Bond et DePaulo, 2008; Vrij et Mann, 2001). Il semble que de meilleurs résultats peuvent être obtenus si les participants sont en mesure de poser les bonnes questions au bon moment – il s’agit d’un processus dynamique et non d’observation passive (Levine, Clare, Blair, McCornack, Morisson et Park 2014). En plus de formuler de bonnes questions, il faut utiliser des indices fiables.

Même si les surcharges cognitives semblent représenter de bons indices observables de mensonge, notamment lorsque le corps se fige, des chercheurs ont récemment observé le contraire (Van Der Zee, Poppe, Taylor et Anderson, 2015). En utilisant une combinaison « full-body motion capture », ils ont découvert que les mouvements du corps pouvaient permettre de détecter avec plus de précisions le mensonge (entre 75 et 82 % selon les stratégies de questionnements), et ce, peu importe les différences culturelles. Ces résultats suggèrent que le corps ne se fige pas toujours lorsqu’une personne ment, mais plutôt qu’il s’active autrement.

Pourquoi les gens sont-ils si mauvais pour détecter le mensonge?

Le fait que la plupart des gens se concentrent davantage sur le comportement non verbal que sur le discours pour poser un diagnostic pourrait expliquer, du moins en partie, les piètres résultats des observateurs : soit l'équivalent du pile ou face. À dire vrai, le problème ne se situe pas dans le taux d'erreurs, mais plutôt dans le fait que ceux qui ont suivi des formations sur la « détection » du mensonge sont plus confiants par rapport à leur diagnostic (voir Ekman, 1992 et Vrij, 2008). Ils sont donc plus vulnérables au piège de la vision tunnel (voir St-Yves, 2014).

Le manque d’objectivité explique aussi, en bonne partie, pourquoi les taux de faux positifs et de faux négatifs sont nombreux. Un grand nombre d’études réalisées sur la détection du mensonge montrent que l’opinion des gens est souvent erronée et fondée sur des indicateurs subjectifs, stéréotypés et sans fondements scientifiques (voir Vrij, 2008).

Également, beaucoup de subtilités siègent entre le vrai et le faux et le mensonge se cache bien souvent dans une portion de la vérité, ce qui le rend plus difficile à détecter. Hartwig et Bond (2011) ont conclu que l’échec des observateurs résidait dans le fait que les différences entre les menteurs et les personnes véridiques étaient trop minces, ce qui rendait la tâche irréalisable. C’est pourquoi le fait de former des gens à détecter le mensonge en leur apprenant les « signaux symptomatiques du mensonge » ne donne guère de résultats (Frank et Feeley, 2003; Vrij, 2008).

Certains menteurs font aussi des contre-mesures, c’est-à-dire qu’ils tentent de masquer certains indices qui pourraient révéler leur mensonge. Cela se traduit par des mimiques d’allures véridiques (sourires forcés, regards fixes, etc.) jusqu’à l’utilisation de sédatifs pour avoir l’air ou pour rester détendu. Nous savons que lorsque nous parlons à des psychopathes, à des criminels d’habitude ou à des membres du crime organisé, ils peuvent dire beaucoup de mensonges, et nous pouvons en détecter seulement quelques-uns. Pourquoi? Parce que ces personnes doivent vivre dans le mensonge pour survivre; ils survivent s’ils maîtrisent la tromperie. Et nous avons la modestie d'avouer que certains menteurs sont passés maîtres dans le domaine.

Conclusion

La détection du mensonge est une tâche beaucoup plus complexe et difficile que ce que prétendent la majorité des formations qui traitent du sujet. Il faut se méfier des pseudosciences – souvent attrayantes parce qu’elles offrent le « pouvoir » de détecter le mensonge – et se contenter de résultats modestes afin de faire le moins d'erreurs de diagnostic. En général, les taux de succès se situent autour de 50 %.

Le langage corporel peut aider à faire une lecture de ce que vit en temps réel une personne, mais on ne peut se fier uniquement à ces observations pour détecter le mensonge. Le plus souvent, c’est ce que les gens disent ou ne disent pas qui aidera à découvrir la vérité. Le discours contient davantage d'indicateurs utiles pour détecter le mensonge que le comportement non verbal. Parfois, le mieux que nous puissions faire, c’est de découvrir si quelque chose cloche et de poser des questions plus précises à ce sujet.

Même si certains indicateurs semblent plus fiables – parce que leur efficacité a été mesurée scientifiquement – et qu’ils peuvent aider à corroborer une opinion et la rendre plus objective, un diagnostic sur la crédibilité d’une personne doit toujours être établi avec prudence, et ce, en relation avec d’autres sources d’informations, telles que les faits, les témoignages et les expertises scientifiques. Tout doit être validé. De plus, pour évaluer la crédibilité d’une personne, il est donc essentiel de savoir comment mener de bonnes entrevues d’enquête.

Finalement, il faut retenir que l’effet Pinocchio n’existe pas et que la seule façon d’être absolument certain qu’une personne a menti, c’est de connaître la vérité.