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Le 2 décembre 2008, les Métis de l’Alberta engageaient une poursuite contre le gouvernement albertain et déposaient une plainte auprès de la Cour du banc de la Reine en Alberta. La déclaration émise par les Métis soulignait ceci :

Les lois en vigueur en Alberta ne reconnaissent pas et n’affirment pas les droits des Métis et rendent virtuellement impossible l’exercice de leurs pratiques traditionnelles de cueillette. Les Métis en Alberta ont intenté ce procès afin de pouvoir exercer leurs pratiques traditionnelles de chasse, vivre sur la terre et transmettre aux générations futures leurs traditions de chasse.

Alberta 2008 : 1

Depuis l’arrêt de la Cour suprême Powley (2003) qui reconnaît que les Métis ont des droits de chasse et qu’ils forment un peuple autochtone distinct des premières nations, les Métis de l’Alberta tentent de faire prévaloir ces droits mais sans succès. Engagés depuis 2004, peu de temps après Powley, dans la négociation d’un accord intérimaire avec la province – l’Interim Métis Harvesting Agreement (IMHA) – les Métis se buttent à un mur d’incompréhension et de contestation.

Sur le plan politique, l’espoir que représentait l’arrêt Powley en 2003 a laissé place à la désillusion. Seuls l’Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest, Terre-Neuve et l’Alberta sont entrés en négociation avec les Métis. Ces tentatives de rapprochement n’ont, à ce jour, donné aucun résultat malgré certaines victoires juridiques provinciales qui ont suivi l’arres­tation individuelle de chasseurs, notamment R. c. Laviolette, R. c. Belhumeur et R. c. Goodon. Le cas de l’Alberta est particulièrement intéressant car, malgré une bonne volonté de départ qui tendait vers la réconciliation, les négociations ont finalement mené vers l’impasse sous le poids de groupes de pression. En se basant sur la couverture médiatique des deux principaux journaux provinciaux – , l’Edmonton Journal et le Calgary Herald – à partir de 2003, ainsi que sur les documents officiels du gouvernement albertain et sur les sources publiées par les Métis eux-mêmes, notamment dans leur magazine Otipemisiwak: The Voice of the Métis Nation in Alberta, dans les communiqués de presse de la Métis Nation of Alberta (MNA) et dans les documents juridiques présentés devant la Cour du banc de la Reine[1], cet article aborde les raisons qui sous-tendent les tensions en retraçant les événements clés qui ont amené les Métis à imaginer des stratégies de résistance pour que leurs demandes soient prises au sérieux. Cette troisième « résistance », bien que très différente des deux premières (celles de 1869-1870 au Manitoba et de 1885 en Saskatchewan), a pourtant les mêmes fondements historiques. Toutefois, ces derniers passent souvent inaperçus dans les médias, auprès des groupes de pression et, jusqu’à un certain point, du gouvernement albertain.

Le but de cette étude est, avant tout, de comprendre les lignes de fractures qui existent dans la société albertaine, exacerbées par la tentative de mise en application d’un arrêt de la Cour suprême et par une couverture médiatique qui formule et diffuse les divers messages sans vraiment entrer dans le coeur de l’argumentation métisse. En retraçant les événements qui ont touché les Métis de l’Alberta depuis 2003, nous visons essentiellement à éclairer certains des mécanismes à l’oeuvre – notamment le poids des groupes de pression – qui ont orienté le processus d’élaboration de la politique métisse provinciale et qui ont conduit le gouvernement albertain à changer de cap pour finalement baliser plus étroitement les droits de chasse des Métis.

Dans un premier temps, je ferai un rappel historique rapide qui permettra de situer l’arrêt Powley et l’accord intérimaire (IMHA) dans un contexte provincial et national plus large. Dans un deuxième temps, je porterai mon attention sur les opinions exprimées dans les médias par des groupes de pression et sur les circonstances qui ont amené le gouvernement albertain à changer d’avis quant à la reconnaissance des droits des Métis afin de comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la désobéissance civile des Métis. Dans un troisième temps, il sera question d’analyser les fondements de la résistance métisse.

Ce texte met l’accent sur les faits et gestes des Métis représentés par la MNA, leur porte-parole officiel[2]. Il ne sera donc pas question des huit établissements métis établis en 1938 et gouvernés par le Métis Settlements General Council (MSGC). Quoique dans certains dossiers la MNA et le MSGC travaillent ensemble, ils ont une gouvernance et une représentation politique distinctes (Sawchuk 1998).

La constitution canadienne, Powley et l’accord intérimaire albertain

En octobre 2004, Audrey Poitras, présidente de la nation métisse de l’Alberta, annonçait, dans le magazine Otipemisiwak: The Voice of the Métis Nation in Alberta, que les Métis de l’Alberta pouvaient exercer leurs droits de chasse et de pêche toute l’année, droit constitutionnellement protégé, sans avoir à acheter de permis (Russel 2004 : 28). Cet accord intérimaire négocié entre le gouvernement provincial et la MNA, un an après l’arrêt de la Cour suprême, devait permettre aux Métis de l’Alberta de chasser, de pêcher et de piéger pour leurs propres besoins de subsistance en toute saison sur les terres non occupées de la Couronne sans avoir à acheter de permis spécial et ce, à travers la province. Les chasseurs métis devaient s’identifier en montrant leur carte de membre de la MNA (ibid. : 29). En outre, les pratiques de chasse, de pêche et de piégeage devaient être menées selon les règles et les lois de conservation de la province. L’accord indique que « Les Métis doivent chasser en conformité avec les lois et règlements en matière de conservation et de sécurité […] Chasser de façon à causer ou à risquer de causer un danger au bétail ou des dommages matériels constituera une offense à la Loi sur la faune sauvage » (Alberta 2004 : 4). D’ailleurs, la présidente de la MNA, Audrey Poitras, dans ses interventions médiatiques, exploite cette image du Métis-chasseur et protecteur de l’environnement. Elle utilise ces « traits culturels comme signaux et emblèmes de différence », pour reprendre les mots de l’anthropologue Fredrik Barth (1995 : 211). Dans ses propos, elle insiste sur le fait que les Métis protègent la nature :

Nous croyons qu’il est sage d’utiliser nos ressources naturelles de façon à ce que les stocks de poissons et d’animaux sauvages demeurent en santé pour le bénéfice de nos enfants et nos petits-enfants. C’est comme ça que fonctionnent nos pratiques ancestrales et communales. Nos pratiques traditionnelles de chasse sont un bon exemple à suivre pour les chasseurs partout au pays.

citée dans Russel 2004 : 29

L’annonce de l’IMHA positionnait l’Alberta comme leader incontestable au Canada dans la reconnaissance des droits des Métis et représentait une victoire retentissante pour les Métis. Cette victoire était d’autant plus retentissante que, depuis l’entrée du Manitoba dans la Confédération canadienne en 1870, les Métis ont été maintenus dans un vide juridique malgré la reconnaissance de leurs droits autochtones dans la Loi constitutionnelle de 1982 (Gagnon 2006 : 95).

Historiquement, le gouvernement fédéral (et par extension les provinces) n’a jamais reconnu les droits collectifs des Métis comme il a pu le faire par la signature de traités numérotés dans l’Ouest canadien. Quoique l’Alberta puisse paraître comme une exception à cette règle du fait de la création en 1938 de douze établissements métis sur les terres publiques fournies par la Couronne, la majorité des Métis de l’Alberta, vivant hors des établissements, n’a pas d’assise territoriale, amenuisant ainsi leur reconnaissance provinciale.

Powley a donc ouvert la porte à une plus grande reconnaissance de leurs droits et à l’établissement d’une relation plus étroite avec les différents niveaux de gouvernement. Il est important de souligner que la jurisprudence canadienne a surtout entendu des causes touchant les droits des premières nations. Les arrêts Powley et Blais sont les deux seules décisions ayant les Métis comme centre d’intérêt. Powley touche exclusivement la région du Sault-Sainte-Marie en Ontario mais, selon les avocats métis, les éléments définis dans l’arrêt peuvent aussi ­s’appliquer à l’ensemble du territoire de la nation métisse[3]. La Cour suprême du Canada confirme, entre autres, l’existence de communautés métisses au Canada mais elle précise aussi que leurs droits sont protégés par la Constitution canadienne puisque l’article 35 les reconnaît comme un des peuples autochtones du Canada (R. c. Powley 2003 : paragr. 11 et 12). Elle reconnaît que la chasse de subsistance est non seulement un aspect très important de la vie des Métis mais aussi une caractéristique fondamentale de leur relation privilégiée avec la terre (ibid. : paragr. 41). Elle s’exprime également sur la nécessité de développer des méthodes systématiques pour identifier les ayants droit métis. Elle définit trois com­posantes importantes, notamment l’auto-­identification, le lien ancestral à une communauté historique métisse et la reconnaissance communautaire (ibid. : paragr. 30). La décision de la Cour suprême est d’importance historique du fait que les Métis ont été marginalisés et dépossédés à différentes époques, selon la région où ils vivaient. Un rappel historique permettra d’en retracer les grandes lignes.

L’Ouest canadien a été le théâtre de deux expéditions militaires, l’une en 1870 et l’autre en 1885, envoyées spécialement pour écraser deux soulèvements autochtones, dans les deux cas impliquant majoritairement des Métis (Carter 1999 : 101). Privés de leur base territoriale, nombre de Métis deviennent des squatters, vivant sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Certains, pour reprendre une expression de l’écrivaine Maria Campbell, deviennent même des « road allowance people » (Campbell et Racette 1995). Le système de concessions de terre (scrip) imposé par le gouvernement fédéral « dans le but d'éteindre le titre ancestral » des Métis, prévu par ­l'article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et en vertu de la Loi des terres fédérales de 1879, est devenu le symbole de la relation historique entre le gouvernement fédéral (et par extension les provinces) et les Métis, c’est-à-dire une relation basée sur les promesses non tenues, sur la marginalisation et pour certaines communautés, sur l’oubli (Tough et McGregor 2007 : 38).

Pour la majorité des Canadiens, l'histoire de la nation métisse se termine en 1885 avec la pendaison de Louis Riel. Les « troubles » de 1885 ont certes affaibli les revendications des Métis auprès du gouvernement fédéral, mais la grande majorité d’entre eux garde une allégeance à la lutte menée par Louis Riel et se raccroche à l’idée d'une nation métisse. La paupérisation des Métis engendre à la fin des années 1920, et au début des années 1930, un regain nationaliste métis. Leurs activités traditionnelles mises en péril par l’empiètement toujours grandissant de l’agriculture, ainsi que des lois de chasse de plus en plus restrictives, poussent les plus militants d’entre eux à sensibiliser les gouvernements provinciaux au sort de leur peuple. En Alberta, en 1928, un petit groupe de Métis vivant dans la région de Cold Lake crée l'Association des Métis de l'Alberta et des Territoires du Nord-Ouest, qui prendra ensuite le nom d’Association des Métis de l’Alberta en 1932, pour devenir enfin la Nation métisse de l’Alberta (Métis Nation of Alberta - MNA). D’autres suivront en Saskatchewan et au Manitoba. Ces mouvements politiques ont revitalisé les aspirations de la nation métisse et sa volonté de faire reconnaître ses droits. Ces mouvements politiques et leurs manifestations initiales forment les structures fondatrices de la gouvernance contemporaine des Métis. La crise économique de 1929 ainsi que le transfert des terres fédérales aux provinces en 1930 engendrent de nouvelles inquiétudes. Afin de parer à une nouvelle dépossession, certains militants comme Jim Brady, Malcom Norris et Peter Tomkins « demandent au gouvernement albertain de mettre en place une commission spéciale (la Commission Ewing) ayant comme mandat d’étudier les conditions de vie des Métis et la possibilité de créer une assise terri­toriale » (Dobbin 1981 ; Kermoal 2010 : 187). Grâce au Métis Betterment Act daté de 1938, l’Alberta crée douze colonies situées dans le nord de la province. De ces douze établissements, quatre seront abandonnés. Les huit restants sont Fishing Lake, Elizabeth, Little Buffalo, Kikino, Paddle Prairie, Gift Lake, Peavine et East Prairie (Bell 1994 ; Sawchuck et al. 1981 ; Wall 2008 ; Weinstein 2007).

Il est important de souligner ici que les Métis de ­l’Alberta n’ont pas tous la même relation avec le gouvernement provincial. Les limites de cet article ne nous permettent pas d’en élaborer les raisons politiques et historiques. On peut toutefois préciser qu’au fil du temps la province va entretenir un rapport privilégié avec les huit établissements métis (qui ont une population totale de 7 990 personnes [2006]) qui, au-delà d’une base ­terri­toriale, ont aujourd’hui leur propre structure de gouvernance (la MSGC) et une certaine autonomie gouvernementale. Si d’un côté la province fait preuve d’ouverture, de l’autre elle limite ses échanges avec les Métis qui n’ont pas d’assise territoriale (dans ce cas-ci la majorité des Métis) à la mise en place de programmes et à la prestation de service (Sawchuck 1998).

Pendant les années 1960 et 1970, les organisations métisses travaillent dur pour la reconnaissance de leurs droits. Cet effort collectif aboutit en 1982 à une inclusion constitutionnelle reconnaissant les Métis comme un des peuples autochtones du Canada. Cette légitimation n’engendre pas automatiquement la reconnaissance de leurs droits ni la réparation des injustices passées. La négligence des différents niveaux de gouvernements persiste et les pousse à se battre pour qu’une place leur soit réservée aux différentes tables de négociations constitutionnelles dans les années 1980 et 1990. Face aux atermoiements, les Métis s’orientent vers une solution de rechange : la voie des tribunaux. Selon Joyce Green, dans un sens, Powley a permis de sortir les Métis d’un purgatoire conceptuel, car on reconnaît qu’ils étaient autochtones mais sans droits reconnus (Green 2004 : 24).

Powley envoie un message très clair aux gouvernements « qui croient qu’ils peuvent tout simplement ignorer une promesse constitutionnelle. Powley répond aussi à la question de savoir si les promesses faites aux Métis en 1982 seront tenues » (Stevenson 2003 : 85). Le but est non seulement de favoriser une relation renouvelée avec les différents niveaux de gouvernement, mais la consultation doit se faire de bonne foi, comme l’ont d’ailleurs confirmé les arrêts Haïda et Taku en 2004[4]. La Cour a statué que la Couronne a l’obligation légale de consulter les premières nations et, s’il y a lieu, de tenir compte de leurs intérêts. Cela repose sur le principe de l’honneur de la Couronne (AINC 2005). Selon Jean Teillet, « la nouvelle consultation constitutionnelle telle que présentée dans les arrêts Haida et Taku, auquels s’ajoute l’impact de l’arrêt Powley, va très loin. Cela requiert un changement à la fois procédural et substantif. Sont également requises la participation et la ­coopération des Métis » (Teillet 2007 : 73). Cette condition sine qua non, bien qu’ayant été dans un premier temps suivie par le gouvernement albertain a finalement mené vers l’impasse.

La mobilisation des groupes de pression

L’accord intérimaire négocié en 2004 représentait un pas de géant dans la reconnaissance des droits des Métis en Alberta et une ouverture extraordinaire et exceptionnelle pour les Métis qui ont comme porte-parole officiel la MNA. Toutefois, la victoire sera de courte durée. L’annonce de l’accord suscite de vives réactions dans les médias, de même qu’auprès des chasseurs albertains et auprès de quelques députés conservateurs de la province. Selon le Calgary Herald du 9 avril 2005, des centaines d’Albertains « mettent sérieusement en question l’Interim Métis Harvesting Agreement, et pour l’instant les seules réponses sont des autoproclamations de droits spéciaux, que nous entendons sans cesse de la part des groupes d’intérêt qui se prévalent d’un bien commun » (Scammel 2005 : E 8). L’accord est perçu comme étant trop permissif puisqu’il devait permettre aux Métis de chasser partout dans la province. On se demande également qui sont les Métis et on rappelle aux lecteurs que la préservation du gibier est au coeur du problème (Scammel 2005 : E 8). Dans la même lancée, on mentionne que, tout comme les Indiens et les Blancs, les Métis ont massacré les bisons. On ajoute notamment que, malgré la disparition massive des troupeaux, les Métis ont contesté, il y a cent ans de cela, une loi adoptée par les Territoires de Nord-Ouest pour la préservation de l’animal, loi qui a d’ailleurs été abrogée en 1888 (voir Kermoal 2009). Dans l’article, on omet cependant de souligner les raisons de ce refus, qui relève plus d’un manque de consultation que d’un désintérêt des Métis concernant la protection de l’animal (Kermoal 2009). Le journaliste conclut en ces termes :

Un peu plus de cent ans plus tard, nous sommes et serons pour toujours bloqués à cause d’une entente sur les droits de chasse des Indiens que nous avons conclue afin d’avoir accès à des terres et à des ressources naturelles […] Cela fait plus de cent ans que nous nous conformons, ainsi que la majorité des Métis, aux lois sur la protection des poissons et de la faune sauvage, et soudain nous exemptons potentiellement plus de 65 000 Métis.

Scammel 2005 : E 8

On insiste aussi sur le fait que deux des trois signataires de l’accord intérimaire étaient des Métis, notamment Pearl Calahasen, alors ministre provincial des Affaires autochtones, et Mike Cardinal, alors ministre provincial du Développement durable (ibid.).

Les chasseurs albertains, quant à eux, se disent inquiets que les Métis risquent d’épuiser le gibier, notamment les ours et les mouflons (Semmens 2005 : B3). Dans un rapport préparé en janvier 2005 par l’Alberta Fish and Game Association et dans une lettre publiée dans ­l’Edmonton Journal, l’égalité de tous les Albertains, ainsi que la préservation des poissons et du gibier et la consultation publique deviennent le fer de lance des récrimi­nations contre les Métis. Dans cette lettre à l’éditeur, on peut lire qu’il n’y a pas de place « pour quelque groupe d’intérêt que ce soit […] de jouir de privilèges exagérés en ce qui concerne des ressources naturelles précieuses qui appartiennent à tous les Albertains » (Franklin 2005 : A 11). Cela malgré le fait que l’accord insiste sur la préservation du gibier et que les Métis sont soumis aux mêmes règles de préservation que les autres chasseurs (Alberta 2004 : 2). La presse albertaine prédisait ­qu’environ 65 000 métis pourraient être exemptés de l’achat d’un permis de chasse (Scammel 2005 : E 8 ; Franklin 2005 : A 11) ; cependant la MNA n’avait en 2005 que 31 200 membres inscrits, dont moins de 10 % étaient de sérieux chasseurs (MNA, s.d.). Selon l’IMHA, seuls les membres inscrits à la MNA pouvaient avoir un permis de chasse (Alberta 2004 : 2). Conformément à la définition adoptée à Edmonton en 2002 par le Ralliement national métis (Métis National Council) – dont l’un des membres est la MNA –, être « Métis désigne une personne qui s'identifie comme Métis, qui appartient à la nation métisse historique, qui se distingue des autres peuples autochtones et qui est accepté par la nation métisse » (MNA 2009 : 5). Pour rencontrer les critères d’admissibilité de la MNA, le demandeur doit présenter des preuves généalogiques vérifiables (sous la forme de documents historiques gouvernementaux ou baptis­maux ainsi qu’un arbre généalogique remontant aux années 1800) et un acte de naissance, afin de certifier qu’il ou elle a, bel et bien, un lien ancestral à la nation métisse historique ainsi qu’un lien continuel avec une communauté métisse (ibid. : 3). D’ailleurs, MNA met à la disposition des demandeurs un employé pour les aider à faire les recherches généalogiques nécessaires (MNA [s.d.][5]). Selon Statistique Canada, en 2006, sur les 389 000 Métis recensés au Canada, 15 % de tous les Métis adultes étaient allés à la chasse dans les douze mois précédents, et la plupart ont déclaré chasser à des fins alimentaires (89 %) [Kumar et Janz 2010 : 73-74]. Par contre, en 2005, 98 000 chasseurs non autochtones avaient un permis de chasse en Alberta. En 2006, la province accordait 381 000 permis pour la chasse au gros gibier et 100 000 permis pour la chasse aux oiseaux, ce qui représente un revenu de 100 millions de dollars (Métis Matters 2007 : 5). En 2007, les Métis ont tué 650 animaux, en comparaison des 90 000 tués par des non-autochtones (Tripp 2008 : A5). À la campagne médiatique négative et à la colère des chasseurs s’ajoutent les voix de certains députés conservateurs. Un des députés, Ted Morton, se fait l’écho de la position des chasseurs. Dans l’Edmonton Journal, il avertit les citoyens albertains « que les mouflons, les ours gris et quelques stocks de poissons déjà épuisés le seront davantage puisque les Métis y ont un accès quasi illimité » (Edmonton Journal 2006). Il fait aussi partie de ceux qui demandent à ce que l’arrêt de la Cour suprême soit ignoré en faisant appel à la clause dérogatoire (ibid.). Lors des élections provinciales de 2006, Morton, alors en lice, promet à ses électeurs d’abolir l’accord (Henton 2008a : A2).

Ted Morton, tenant du libéralisme classique, est connu des milieux intellectuels, avec Ian Brodie et Rainer Knopff, pour ses écrits sur la Charte et son aversion envers la Cour suprême du Canada. Sa critique « s’adresse beaucoup plus personnellement aux juges – principaux instigateurs […] de la révolution chartiste – qu’à l’existence même de la Charte » (Boisvert 2007 : 100). L’activisme judiciaire engendre, selon lui, une perversion du pouvoir judiciaire.

Les pressions des groupes de citoyens albertains et de certains membres du parti conservateur poussent le gouvernement Klein à mettre en place, en juin 2005, un comité de trois députés albertains chargés d’étudier les tensions. Ce dernier avait pour mandat d’analyser les commentaires des Albertains mécontents envoyés aux députés, de reprendre les négociations avec les Métis, de donner des directives à l’équipe responsable des négociations et de développer des stratégies de conservation à long terme (Alberta 2006 : 1).

Dans les commentaires envoyés aux députés, les mécontents (les groupes de chasseurs et deux groupes des nations Siksika First Nation et Kainaiwa) reprochent à l’IMHA d’aller plus loin que ce qui avait été spécifié par l’arrêt de la Cour suprême, car, selon eux, l’accord ne définit pas de sites particuliers de chasse mais devait, en revanche, permettre aux Métis de chasser sur les terres non occupées de la Couronne et ce, à l’échelle de la province. À cela s’ajoutent des critiques concernant la ­protection et la conservation des animaux ainsi que la transgression potentielle des traités dans le cas des premières nations (ibid. : 3). Le rapport soumis par le comité reconnaît que les Métis ont des droits de chasse de subsistance mais recommande d’amender l’IMHA, d’établir de nouveaux critères afin de déterminer qui peut chasser et où, en enclenchant un processus de consultation élargi. En outre, il recommande au gouvernement albertain de ne pas signer d’accord final

qui permettrait au gouvernement d’Alberta de répondre aux développements liés à la reconnaissance légale croissante des droits des autochtones, à la recherche portant sur les communautés existantes de Métis, ainsi qu’aux exigences de préservation des ressources halieutiques et de faune sauvage de l’Alberta.

ibid. : 4

Quoique préférant une solution négociée, le comité indique également dans ses recommandations qu’une approche unilatérale pourrait aussi être instituée (ibid. : 4). Le gouvernement albertain déterminerait alors des critères d’identification des communautés et, des chasseurs, ainsi que concernant l’étendue de la cueillette : « Ces critères seraient rendus publics et les chasseurs métis seraient avertis que s’ils choisissaient d’exercer des droits revendiqués qui ne sont pas en conformité avec la politique de l’Alberta, ils pourraient être poursuivis. » (ibid.).

En même temps, un arrêt provincial, R. c. Kipp Kelley (2007), déclarait que l’IMHA n’avait pas de force légale puisqu’il n’était qu’un accord intérimaire établi entre la province et les Métis. Par conséquent, le gouvernement albertain ne pouvait pas accorder de droits de chasse, de pêche et de piégeage non restreints géographiquement à un groupe particulier de citoyens : « À moins que le gouvernement fasse de l’IMHA un règlement, il ne s’agit pas d’une loi, et ainsi M. Kelly et d’autres Métis albertains ne pourraient pas y avoir recours en tant que protection ni l’utiliser comme défense en cour » (R. c. Kelley 2007 : paragr. 85). Le juge Verville reconnaît toutefois qu’« à la suite de Powley, le gouvernement a adopté l’IMHA avec la MNA afin de tenter de respecter ses obligations constitutionnelles telles que décrites dans la section 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et afin de respecter l’honneur de la Couronne » (ibid. : paragr. 67).

Tous ces événements combinés à la baisse de popularité de Ralph Klein et à son départ de la politique albertaine à l’automne 2006, ainsi qu’à l’arrivée d’Ed Stelmach comme premier ministre de la province, sonneront le glas de l’accord intérimaire. Incapable de pouvoir renégocier l’accord dans un délai de quatre-vingt-dix jours, le dialogue entre les Métis et la province ayant échoué, le ­gouvernement albertain décide alors de l’abandonner. Peu de temps après et sous l’influence du ministre du Développement durable, Ted Morton, le gouvernement Stelmach impose de nouvelles règles en août 2007. L’IMHA est remplacé par une politique déterminant que seules dix-sept communautés (Fort Chipewyan, Fort McKay, Fort Vermillion, Peace River, Cadotte Lake, Grouard, Wabasca, Trout Lake, Concklin, Lac La Biche, Smoky Lake, St. Paul, Bonnyville, Wolf Lake, Cold Lake, Lac Sainte-Anne et Slave Lake) ainsi que les huit établissements métis situés dans le nord de la province peuvent chasser et ce, pour chacun d’entre eux, dans un rayon de 160 km, excluant ainsi de nombreuses communautés dans le centre et le sud de la province (Alberta 2007 : 2). La chasse hors saison est interdite. Cette décision, on l’aura compris, ne peut satisfaire les Métis de l’Alberta (Cryderman 2006 : A2[6]).

Les fondements de l’impasse

En nommant Ted Morton ministre du Développement durable, le nouveau premier ministre albertain Ed Stelmach amorce ainsi un virage politique déterminant qui vise à restreindre un accord perçu comme trop permissif par la majorité. Les groupes de pression se sont mobilisés autour d'un système de valeurs explicitement formulées : l’égalité et le partage. Une lecture attentive de la presse entre 2003 et 2007 présente l’arrêt Powley et l’IMHA comme un problème qui divise les citoyens albertains (autochtones vs non autochtones) en minimisant les droits individuels de la majorité au profit de la reconnaissance des droits de la minorité (dans ce cas-ci les Métis). Le partage des ressources est au coeur de la querelle. Alors que, d’un côté, la majorité aimerait voir les autochtones gérer leurs propres affaires, de l’autre elle doute de leur habileté à le faire, remettant notamment en question la capacité des Métis à protéger l’environnement. Aucun des articles répertoriés de 2003 à 2007 n’explique les habitudes et les coutumes de chasse des Métis, ni l’importance du lien qu’ils entretiennent avec la terre ou la façon dont ils perçoivent leur territoire. La couverture médiatique passe sous silence la perspective des Métis. Certes, quelques citations parsemées ici et là donnent une voix aux Métis mais elle est vite entrecoupée par la prédominance des voix non-autochtones. Pour reprendre les mots de Renée Dupuis, les médias ont indéniablement le pouvoir « de créer et de défaire une image, jouant un rôle déterminant sur la perception que l’opinion publique se fait d’un sujet » (Dupuis 2001 : 35).

Ces réactions « épidermiques » face aux droits des Métis font écho aux idées qui circulent dans les cercles politiques et intellectuels albertains et qui ont été exprimées très ouvertement par l’École de Calgary[7]. Ces tenants du libéralisme classique croient que les droits individuels priment sur les droits collectifs. Ils reprochent au pouvoir judiciaire d’avoir succombé aux pressions des groupes d’intérêts en adoptant une conception substantive de l’égalité. Ils mettent l’accent sur le traitement préférentiel reçu par les autochtones plutôt que sur l’égalité des droits pour rétablir les injustices du passé, le colonialisme et l’oppression. Tel qu’indiqué par Colin Scott, « les droits collectifs des peuples autochtones sont représentés faussement comme étant des attaques, basées sur la race, contre l’égalité des individus et leur liberté d’association » (Scott 2004 : 310).

Alors que les fondements historiques de la revendication des droits des Métis sont ignorés dans les médias, les sources écrites métisses publiées par la MNA reviennent constamment sur cette réalité, constituant ainsi un contre-discours aux nouvelles diffusées par les médias. En premier lieu, les Métis remettent en question le choix des dix-sept communautés désignées unilatéralement par le gouvernement albertain (MNA 2007 : 4). Ils interrogent les critères retenus par la province pour désigner une communauté ayant des droits de chasse, plutôt qu’une autre. Par exemple, une ville comme St. Albert (située au nord-ouest d’Edmonton) représentait au milieu du xixe siècle une des plus grandes communautés métisses de la région. Pourtant St. Albert ne fait pas partie des dix-sept communautés reconnues par la province (Foster 1992 ; Kermoal 2009). En outre, tout le sud de l’Alberta a été ignoré, notamment la région de Medicine Hat et des collines aux Cyprès, alors qu’historiquement, il existe des preuves que les Métis vivaient et chassaient dans ces contrées (Foster 1992 ; Kermoal 2009).

Dans la mesure où la mobilité représentait l’un des modes de fonctionnement de la société métisse de l’Ouest canadien, les Métis de l’Alberta insistent sur l’importance de tenir compte de ce critère dans la reconnaissance de leurs droits de chasse (MNA 2008 : 6). Selon eux, sur le grand territoire couvert par leurs ancêtres – qui allait du Manitoba jusqu’en Alberta –, il existait une cohésion sociale au sein de la société métisse, une conscience de soi collective et une spécificité culturelle qui s’exprimait à travers une langue commune, des coutumes et un passé commun (MNA 2008b : 6). Par conséquent, pour les Métis de l’Alberta, les Métis du Nord-Ouest constituent la communauté métisse historique à identifier (MNA 2010 : 2). Selon Jean Teillet, avocate et conseillère légale de la MNA,

[…] le territoire où vivaient les Métis du Nord-Ouest, qu’ils utilisaient ou qu’ils occupaient, était vaste […] une des caractéristiques principales était leur mobilité. À la lumière de cette considération, on propose que l’ayant droit métis, d’un point de vue historique et collectif, soit identifié en se référant non pas aux Métis résidant dans une collectivité locale telle que Medicine Hat, mais plutôt par rapport à un collectif historique plus large – les Métis du Nord-Ouest.

Alberta 2010 : 37 ; MNA 2010 : 2

Isoler les communautés les unes des autres serait, selon les Métis, une aberration :

Une définition si limitée serait arbitraire et incompatible avec les directions de la Cour suprême qui indiquaient qu’une communauté métisse soit définie de manière à refléter « les pratiques continues des membres de la communauté plutôt que, de façon plus générale, la communauté en elle-même ». Limiter la définition d’une communauté métisse à Medicine Hat ou ses environs nierait une des caractéristiques les plus distinctives des Métis – leur mobilité. Il est proposé que la mobilité des Métis se reflète dans la définition de la communauté métisse contemporaine.

Alberta 2010 : 99-100

Également, limiter les droits de chasse en choisissant une communauté plutôt qu’une autre constituerait, selon les Métis de l’Alberta, une erreur historique puisque les Métis du centre et du nord de l’Alberta, du sud de la Saskatchewan, de la Rivière Rouge et du Montana vivaient, se déplaçaient et chassaient à travers les Prairies. C’est cette réalité historique coutumière, que de nombreux Métis perpétuent encore aujourd’hui, qui leur donne un droit constitutionnel de chasser sur tout le territoire de l’Alberta (MNA 2010). La stratégie avancée par les Métis de l’Alberta est unique. Elle diffère grandement de celle adoptée par les Métis des autres provinces dans la mesure où on ne parle pas de la reconnaissance des droits de quelques chasseurs sur un territoire limité comme dans les victoires juridiques de Powley (Ontario), Laviolette (Saskatchewan), Belhumeur (Saskatchewan) et Goodon (Manitoba), mais il est plutôt question, en mettant l’accent sur la mobilité, de la reconnaissance des droits de tous les chasseurs métis et ce, sur l’ensemble du territoire de la province de l’Alberta (MNA 2009 : 6).

Pour faire valoir leur vision du monde et faire face aux pressions politiques externes, lors de leur assemblée annuelle de 2007 qui avait lieu à St-Paul (situé au nord-est de la province), les Métis conviennent d’organiser des chasses communautaires illégales à l’extérieur des zones déterminées par le gouvernement – espérant ainsi des arrestations – mais sur leurs territoires traditionnels de chasse et, par la même occasion, de raviver ainsi la tradition des capitaines de chasse, tradition datant de l’époque des grandes chasses aux bisons (Cotter 2007 : A7). Le rôle des capitaines de chasse est d’exercer un contrôle afin d’éviter d’éventuels abus et de protéger les espèces animales (MNA 2007b : 5). En outre, ces chasses communautaires devaient se dérouler selon la politique de cueillette établie par l’Assemblée générale annuelle de la MNA en 2007 :

« La cueillette métisse » signifie le fait de prendre, attraper, pêcher (avec une canne, un moulinet ou un filet) ou cueillir des ressources renouvelables pour un usage personnel ou communautaire raisonnable par des membres de la MNA. Une telle cueillette vise des plantes, des baies, des poissons, de la faune sauvage, du bois et de l’eau, pris pour la subsistance, la nourriture ou des raisons médicinales, sociales ou cérémoniales, et cela inclut des dons, des cadeaux et des échanges avec d’autres membres de la communauté métisse. Pour être plus sûr et pour les buts de la Politique de cueillette de la MNA, la cueillette métisse implique un usage personnel ou communautaire seulement et n’inclut pas la cueillette à des fins commerciales ou la cueillette de trophées.

MNA 2007a : 2

Si l’on se réfère à Rawls (1997), on se rend compte qu’en organisant ces chasses illégales, les Métis recourent à la désobéissance civile pacifique dans le but de parvenir à un compromis raisonnable. La privation de leurs droits ancestraux auxquels se réfère le droit à la chasse, violerait ainsi le droit de propriété que Rawls considère comme un droit de base (Rawls 1997 : 412-413). De plus, l’un des avantages découlant de l’arrêt de la Cour suprême ne serait-il pas de leur reconnaître un désavantage imputable à leur statut comme peuple marginalisé ? Si on répond par l’affirmative, dans ce cas, les Métis peuvent se considérer comme une minorité victime des injustices et des erreurs historiques commises par la majorité. Sur ce point, la possibilité que les instances gouvernementales albertaines adoptent des approches réglementaires uni­latérales (Alberta 2006 : 4) renforce le traitement in­équitable dont ils sont victimes. De fait, penser à des décisions unilatérales pour régler les questions des droits ancestraux signifie formellement l’abandon d’une approche contractualiste selon laquelle c’est à travers un acte collectif que la société comme système de coopération sociale fixe les droits et devoirs de base régissant la répartition des avantages sociaux (ibid. : 85). La majorité dicte la loi sans égards pour la minorité, en l’occurrence, métisse. L’appel à la chasse illégale, forme de désobéissance civile, apparaît comme un dernier recours car on peut considérer que « les [autres] moyens de remédier à la situation se sont révélés sans effet. […] Les partis politiques existants [depuis 2007] sont restés indifférents aux revendications d’une minorité ou bien n’ont montré aucun désir de les prendre en considération » (ibid. : 413).

L’arrestation des chasseurs est utilisée comme un moyen d’obtenir un espace de négociation avec les autorités gouvernementales. Dans la mesure où tous les autres moyens ont été épuisés, l’espace de négociation devra passer par une cour de justice. D’où la nécessité pour les chasseurs de se faire arrêter. La MNA s’engageait d’ailleurs auprès de ces derniers à payer les frais juridiques. Selon le Medicine Hat News, « la mise en scène consistait à alerter les responsables albertains de la pêche et de la faune sauvage quant au fait que des chasses hors-saison étaient planifiées et à informer ensuite les ­responsables lorsque les animaux avaient été tués. Ensuite, les chasseurs attendaient tranquillement qu’on vienne les arrêter » (Tripp 2008 : A5). Cette stratégie s’est révélée efficace dans la mesure où vingt-cinq personnes ont été inculpées pour chasse illégale. Le 2 décembre 2008, les Métis de l’Alberta ouvraient un nouveau chapitre à cette saga albertaine en engageant une poursuite contre le gouvernement albertain (Henton 2008a : B5[8]).

Conclusion

L’arrêt Powley est indéniablement un pas dans la bonne direction en reconnaissant que les Métis ont des droits de chasse au même titre que les premières nations. Mais comme nous venons de le démontrer, les arrêts judiciaires n’amenuisent pas pour autant les fractures et les tensions. Même si, depuis Powley, Haïda et Taku, les gouvernements ont une responsabilité de négocier pour s’engager dans la voie de la réconciliation et d’informer les citoyens, le cas de l’Alberta démontre que la route est longue et sinueuse malgré la confirmation judiciaire des droits et une volonté initiale de trouver une solution made in Alberta en mettant en place l’IMHA. Sous la pression de groupes de citoyens albertains et de quelques députés, les Métis de l’Alberta ont vu la bonne volonté de la province tourner court malgré Powley. Les protections constitutionnelles et législatives ne suffisent pas pour renverser la vapeur dans la reconfiguration des rapports entre autochtones et non-autochtones. L’impasse politique à laquelle les Métis de l’Alberta font face est ­symptomatique de plus grands maux : l’incompréhension fondamentale de l’ancrage historique de leurs droits. Notre analyse des événements a révélé que les fondements même de la revendication des droits des Métis à l’échelle de la province restent invisibles aux yeux de la majorité. La référence aux droits individuels dans les documents consultés pour cette étude prime sur tout le reste. Ultimement, elle ne favorise pas la reconnaissance de la manière dont les Métis appréhendent leurs droits, leur territoire ni leur propre réalité. L’opposition acerbe renforcée par une couverture médiatique souvent lacunaire permet de constater que la concession de ces droits indispose la majorité qui les perçoit souvent comme des privilèges non fondés.

Face à cette opposition, les Métis n’ont pas d’autre choix que de développer des stratégies de résistance pour faire valoir leurs droits. Cette troisième « résistance » par l’entremise de chasses illégales, bien que n’ayant pas la portée des deux premières, a cependant un point commun : le territoire. Même si la tendance dans l’histoire du Canada a été d’isoler ces différents épisodes et de les percevoir comme des expressions de mécontentement disjointes, pour les Métis ils sont tous liés à l’affirmation de leurs droits à la terre et au territoire. Limiter ces droits en ne reconnaissant que certains sites particuliers de chasse, c’est continuer dans le sens de la fragmentation de la nation métisse, qui s’est amorcée en 1870 au Manitoba. Aux yeux des Métis de l’Alberta, une telle proposition est inacceptable.

Conscients du rôle primordial que jouent les médias dans la configuration de l’opinion publique et ayant tiré des leçons de cette crise, les Métis de l’Alberta décidaient, lors de leur assemblée générale de 2007, de transformer leurs stratégies de communication pour mieux éduquer les journalistes et les citoyens albertains en ce qui a trait à leurs revendications (MNA 2008b : 2). Toutefois, la majorité a aussi des devoirs. Dans la plupart de ses arrêts concernant les autochtones, la Cour suprême définit, certains principes qui, selon le juriste John Borrows, devraient servir de guide auprès des fonctionnaires, des politiciens, etc. Les principes définis par la Cour devraient, en fait, se transformer automatiquement en obligations publiques, ce qui ultimement permettrait d’amoindrir les conflits, souvent très coûteux (Borrows 2005 : 2). Au-delà d’une consultation qui doit se faire de bonne foi, les perspectives autochtones historiques et contemporaines devraient être incorporées dans les prises de décision pour que la résolution de conflit puisse tendre vers la réconciliation (ibid.). À cela, on devrait ajouter l’éducation des Canadiens comme condition sine qua non à la mise en place d’une conscience citoyenne plus ouverte à l’idée de partage et d’une société qui a à coeur d’honorer ses obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones du Canada.