Corps de l’article

1. Introduction

Les systèmes éducatifs et les institutions scolaires subissent actuellement une accélération dans les usages de la littératie médiatique et multimodale en contexte numérique (LMM@).

La littératie médiatique multimodale (LMM) est définie comme l’habileté à accéder à des messages, à les analyser, à les évaluer et à les créer à travers une variété de contextes (Lebrun et al., 2012). La « multimodalité » se caractérise par la présence de différents modes, codes et langages (iconiques, linguistiques, gestuels et auditifs, cinétiques) (Miller et McVee, 2012) et s’intéresse au développement de compétences qui vont au-delà des compétences en lecture, en écriture et à l’oral (Rowsell, 2013). En effet, la LMM@ intègre à ces compétences, traditionnellement enseignées en français, des compétences additionnelles liées à la nature même des objets et des supports utilisés. Elle nécessite aussi des compétences technologiques et des savoirs ainsi que des savoir-faire liés à la manipulation et à la création d’une littératie qui baigne dans les espaces numériques et collaboratifs. C’est donc l’articulation de divers modes, codes, langages et outils, combinés ou orchestrés intentionnellement, qui fait en sorte que le texte multimodal (« multitexte ») prend forme (Lacelle et al., 2017). Comme les usages de la LMM@ sont répandus dans les contextes anglophones (Domingo et al., 2015) pour appuyer diverses disciplines, nous voulions en savoir plus sur ses usages par les enseignants et leurs élèves, dans les cours de français. Ainsi, nous nous demandions jusqu’à quel point la LMM@ avait pénétré les cours de français et comment l’enseignement/apprentissage de contenus disciplinaires liés à l’enseignement du français s’articulait avec la technologie, et la pédagogie se manifestait et s’articulait (TPACK).

1.1. Objectifs

Le but de cette synthèse de connaissances est de faire un état des lieux des usages de la littératie médiatique et multimodale en contexte numérique (LLM@) dans les cours de français langue d’enseignement première ou seconde (L1-L2), en milieu minoritaire ou majoritaire, entre 2015 et 2020.

Cette étude se veut exploratoire et s’appuie sur un examen systématique de la littérature (Aromataris et Munn, 2020), sur la recension d’articles scientifiques, de thèses, de chapitres de livres, qui abordent le concept de LMM@ pour enseigner le français (Domingo et al., 2015; Lacelle et al., 2017). Parmi nos objectifs, citons : 1) identifier les pratiques, les dispositifs et les projets pédagogiques appuyés par la LMM@ dans divers contextes; 2) identifier des pratiques et des dispositifs didactiques innovants, qui témoignent de changements et qui se démarquent des pratiques traditionnellement attendues (Cros, 2001) pour enseigner le français en lecture, en écriture et à l’oral.

Le premier volet de cette étude nous a permis de documenter les usages de la littératie médiatique multimodale appuyée par les technologies éducatives et par les médias, désignée par l’acronyme LMM@ (Lacelle et al., 2017). Nous avons recherché ses usages en enseignement/apprentissage du français comme langue d’enseignement ou dans des disciplines connexes, associées au français (p. ex., histoire, art, etc.), de l’élémentaire à l’université. Nous recherchions spécifiquement les usages en lien avec les compétences de réception (compréhension de la lecture) et de production, création (communication orale, écriture) en enseignement et apprentissage du français, langue maternelle ou langue seconde, en contexte minoritaire ou majoritaire, entre 2015 et 2020.

Nous présentons ici notre cadre théorique double, à savoir celui de la LMM@ et celui du modèle TPACK (Technological Pedagogical Content Knowledge). Dans notre contexte spécifique, un dispositif didactique a été considéré comme innovant lorsqu’il se démarque des pratiques d’enseignement/apprentissage traditionnelles dans les cours de français. Ainsi, nous nous sommes intéressés à toutes les études qui détaillent des dispositifs didactiques intégrant la LMM@. Ces dispositifs pouvaient servir à enseigner la lecture, l’écriture et l’oral dans les cours de langue française. Nous avons aussi recherché les études qui comprenaient une dimension numérique à travers l’usage des tablettes, de la réalité augmentée, des réseaux sociaux, de créations vidéo, etc., en plus de la littératie traditionnelle (documents imprimés).

Nos critères d’inclusion recouvrent les études francophones au Canada, dans les diverses provinces où le français est minoritaire ou majoritaire et en FL1ou FL2, mais aussi les études issues de la francophonie mondiale, dans un souci d’exhaustivité et pour palier un manque anticipé d’études congruentes en français, vu que la LMM@ est un champ d’études relativement nouveau en didactique du français. Nous avons aussi considéré les projets inter ou transdisciplinaires avec des disciplines connexes et qui, traditionnellement, s’appuient sur le français et partagent des projets communs, comme l’histoire, les sciences sociales, la communication et les arts.

Nous présentons ci-après le contexte et le cadre théorique de cette étude, suivis de la méthodologie pour le recueil et l’analyse des données. Par la suite, nous présentons des résultats que nous discutons.

1.2. Contexte

Les cours de français sont de plus en plus propices à une pédagogie appuyée par la LMM@ (Lebrun et al., 2012). En effet, beaucoup y voient le point de convergence entre le pôle didactique, plus traditionnel, de la lecture et de l’écriture, et celui des textes et objets d’étude multimodaux et médiatiques, enrichis de liens hypertextuels, d’images, d’incrustations sonores, etc., identifiés comme des « multitextes » (Fastrez, 2012; Fastrez et De Smedt, 2013). Ainsi, lorsque l’on parle de LMM@, on s’intéresse aux « multitextes » qui intègrent de l’écrit, mais s’enrichissent généralement d’éléments iconiques, visuels ou sonores, et sont supportés par des médias numériques et partagés/diffusés sur Internet. Les langages, les outils, les formats combinés de ces modalités de communication et de création de notre siècle représentent à la fois les lieux et les médiums par lesquels transitent une grande partie des pratiques savantes, sociales, culturelles des élèves (apprentissage, jeu et divertissement, information, partage et communication, création, socialisation) (Gee, 2009; Jewitt, 2005; Kress, 2009; Lebrun et al., 2012).

L’importance de ce phénomène se constate aussi dans les usages fréquents et spontanés de la multimodalité (Internet, réseaux sociaux, médias) par les élèves, dans la sphère sociale ou privée (Miller et McVee, 2012; Serafini, 2012). Il est probable que le caractère interactif des médias d’aujourd’hui (forums, réseaux sociaux, wikis, jeux connectés) permette une meilleure collaboration et des échanges plus nombreux au sein d’environnements digitaux mis en réseau (Web). C’est ce même caractère qui a permis de libérer les pratiques de réception/consommation, de création et de partages de contenus, des contraintes spatio-temporelles. À ce propos, Vandendorpe (2009) et Gee (2009) insistent sur le caractère multimodal, ubiquitaire, collaboratif et participatif des nouvelles littératies (New London Group, 1996, 2000). Cependant, tous ces chercheurs font le même constat : l’accès au savoir, à l’information et à la littératie est bouleversé par Internet et ses outils numériques, ce qui pousse plus loin encore les possibilités d’interaction avec la littératie multimodale et avec les modalités d’apprentissage (Bousquet, 2021). La LMM@ est donc venue bousculer les conceptions et les pratiques en place, sur la littératie, le savoir et leur enseignement/apprentissage (Martel et Boutin, 2018; Pellerin, 2017).

Une pédagogie qui tient compte de la LMM@ s’intéresse aux diverses voies d’appropriation et d’expérimentation (Miller et McVee, 2012; New London Group, 2000). Ainsi, les apprenants doivent pouvoir comprendre et analyser/évaluer des objets médiatiques divers (lire pour s’informer, pour analyser les techniques de production, pour identifier les intentions ou les stéréotypes véhiculés dans les « multitextes », etc.), mais aussi utiliser les médias qui les supportent (rechercher, naviguer, valider les informations) (Fastrez, 2012). Fastrez (2012) distingue trois types d’outils médiatiques (ils peuvent être des objets informationnels, techniques ou sociaux). Il souligne aussi que chaque média ou objet ou support d’apprentissage (film, page Web, blogue, etc.) nécessite une maîtrise des langages et des codes qui lui sont propres, en plus de la maîtrise de l’usage des outils et dispositifs techniques et technologiques qui le supportent. En LMM@, il distingue quatre types de tâches médiatiques : la lecture, l’écriture (en réception et en production), la navigation et l’organisation (orchestration) des collections d’objets médiatiques. De leur côté, Lacelle et al. (2017) citent, comme exemples de la LMM@, les combinaisons possibles de « codes » (graphiques, scénographiques, vidéographiques, musicaux, etc.), de « modes » (textuel, visuel, sonore et cinétique) et de « langages » (littéraire, filmique, hypertextuel, etc.). Ils illustrent aussi leur propos par des exemples de projets impliquant des activités qui portent sur des objets d’études traditionnels (la littérature, les aspects linguistiques, les genres textuels), mais qui s’intéressent aussi à des objets moins canoniques, au regard des curriculums de français. Par exemple, les mangas, les romans graphiques, les vidéos, les films, les jeux numériques scénarisés, etc. Des concepts comme la « transmodalisation » et la « transfiction » (passage d’un mode, code ou langage à un autre) à partir d’oeuvres écrites, vidéo ou illustrées (romans, films, BD) sont souvent mobilisés. Par exemple, dans les projets de création de Booktubes, dans le cadre du concours « Livre-toi » ou encore les projets « Littéflix », dans lesquels des élèves du secondaire produisent des résumés et des revues critiques de romans de littérature jeunesse en utilisant, de façon détournée, certains médiums, outils ou plateformes de création, diffusion et collaboration[1]. L’objectif reste de développer, en plus des compétences en littératie traditionnelle, liées à l’écrit, des compétences de littératie multimodale et numérique.

1.3. Problématique

De plus en plus de cours et de disciplines font usage de la LMM@ pour enseigner une littératie du 21e siècle qui est fortement teintée de multimodalité et appuyée par le numérique. Bon nombre de chercheurs soutiennent qu’il est important de s’intéresser aux enjeux liés à l’introduction de la LMM@ en éducation, du fait que cette introduction bouleverse nos conceptions sur la littératie. Il existe peu d’études d’envergure portant sur l’intégration de l’approche multimodale en enseignement et apprentissage du français, et en français en contexte minoritaire ou majoritaire (Paris et Massé, 2019; Pellerin, 2017).

Certes, les compétences linguistiques qui relèvent de l’écrit (en réception et en production) sont encore essentielles pour bien fonctionner dans nos sociétés, mais elles ne sont plus les seules à considérer quand il s’agit du développer des compétences en littératie. En effet, les apprenants du 21e siècle doivent maîtriser de nouvelles compétences qui sont essentielles pour mieux apprendre : des compétences en LMM@[2]. Cependant, l’intégration de la LMM@ est aussi un défi de taille dans les provinces francophones du Canada (Lebrun et Lacelle, 2011), car, malgré les efforts des chercheurs, les questions de compétences à développer, de contextes d’usage et d’objectifs pédagogiques qui s’y rattachent ne sont pas tout à fait réglées (Hoechsmann et DeWaard, 2015). En fait, on en sait très peu sur les usages de la LMM@ par la communauté des enseignants de français langue maternelle en contexte minoritaire en Ontario (Hoechsmann et DeWaard, 2015). On note même une certaine résistance des milieux scolaires à la LMM@ en raison, entre autres, du sentiment d’incompétence des enseignants face aux technologies et de l’absence de scénarios et de modèles pédagogiques validés par la recherche et transférables de façon concrète dans les milieux de pratique (Pellerin, 2017).

Par cette recherche, nous désirions d’abord faire un portrait des usages de la LMM@ en enseignement et en apprentissage du français afin de mieux réfléchir ensuite à la problématique des formes et voies de l’intégration de la multimodalité en contexte numérique dans les milieux de pratique, au primaire, au secondaire et au postsecondaire, en enseignement et en apprentissage.

Nos critères d’inclusion recouvrent les études francophones au Canada, dans les diverses provinces où le français est minoritaire ou majoritaire et en FL1 ou FL2, mais aussi les études issues de la francophonie mondiale, dans un souci d’exhaustivité et pour palier un manque anticipé d’études congruentes, vu que la LMM@ est un champ d’études relativement nouveau en didactique du français.

Nous présentons ici le contexte et le cadre théorique de cette étude, suivis de la méthodologie pour le recueil et l’analyse des données. Par la suite, nous présentons des résultats que nous discutons.

2. Cadre conceptuel

Les cadres théoriques de la LMM (Lacelle et al., 2017) et des dimensions du modèle du TPACK (Lacelle et Boultif, 2016; Mishra et Koehler, 2006) ont servi à appuyer notre recherche documentaire et l’analyse du corpus.

2.1. Littératie médiatique multimodale en contexte numérique (LMM@)

La prolifération de pratiques numériques de communication, de création, de collaboration, dans des contextes formels et informels, a permis la démocratisation d’une littératie multimodale qui se caractérise par l’adoption de nouveaux modes sémiotiques et médiatisés d’écriture, de lecture et de communication. Cela a ouvert la porte à de plus larges possibilités de création, de collaboration et de diffusion de contenus, y compris de contenus éducatifs. De ce fait, cela modifie notre rapport à l’apprentissage, à l’enseignement et à la diffusion du savoir.

Le concept de LMM@ a fait une entrée relativement récente en éducation, mais depuis la fin des années 90, des éducateurs ont perçu le potentiel pédagogique d’une littératie qui rejoint à la fois les intérêts des élèves et les aspects culturels de l’apprentissage (Russbach, 2016). La recherche a emboîté le pas, et des études mêlant des perspectives différentes (critiques, sémiotiques, sociologiques…) et interdisciplinaires (langues, sciences sociales, arts) ont vu le jour. Selon l’intérêt et l’orientation des recherches, on retrouve des expressions comme nouvelles littératies, littératies multiples, « multilittératies », littératies médiatiques multimodales ou même littératie numérique pour désigner des pratiques qui rejoignent ou recoupent le champ de la LMM@. Et même si les intérêts de ces différentes recherches ne sont pas forcément similaires, elles ont toutes une origine commune en lien avec des travaux du New London Group (1996) et de leur concept de nouvelles littératies. En effet, c’est au sein de ce regroupement de chercheurs autour d’un objet commun (les nouvelles littératies) que s’est amorcée une réflexion originale sur des pratiques pédagogiques nouvelles qui tiennent davantage compte des sujets apprenants et des messages, mais aussi des supports, des médiums, des modalités et des contextes d’usage de la LMM@. Le New London Group (1996, 2000) s’est particulièrement intéressé aux modalités de consommation et de création (recréation) des élèves, dans tous les contextes (apprentissages scolaires et loisirs), de façon individuelle ou collective. Des chercheurs comme Gee (2009) et Kress (2009), qui se sont intéressés aux contextes multimodaux d’enseignement/apprentissage et de leurs liens avec de nouvelles formes de discours développés grâce aux médias, ou encore Cope et Kalantzis (2015) et Knobel et Lankshear (2007), qui ont porté leur attention sur l’écriture numérique (Web blogues) et sur la lecture numérique de médias et d’images (compétences et processus), sont tous les pionniers de la recherche sur la LMM@. En effet, chacun dans son champ a contribué à repousser plus loin les limites de la recherche sur la LMM@ et sur ses usages. Dans leur foulée, les recherches sur les nouvelles littératies et sur la LMM@ intéressent aussi de plus en plus de chercheurs de la francophonie (Fastrez, 2012; Fastrez et De Smedt, 2013; Lebrun et al., 2012). Cependant, même si les recherches menées adoptent des perspectives épistémologiques très variées, liées à des enjeux d’ordre pragmatique (Kress, 2003; Miller et McVee, 2012), critique (Lebrun et Lacelle, 2011) ou théorique (Fastrez et De Smedt, 2013), elles ont toutes contribué à mieux faire connaître le champ de la LMM@ et les avenues de recherches à explorer. De nos jours, des groupes de chercheurs, de part et d’autre des continents, contribuent à redéfinir les concepts et les cadres de la LMM@, qui voit ses territoires prendre de l’ampleur à la suite de la vague numérique qui ne cesse de reconfigurer nos sociétés et les rapports que nous entretenons, entre autres, avec les modalités, les supports et les nouveaux contextes éducatifs formels et informels (Paris et Massé, 2019; Pellerin, 2017). Ceci n’est pas sans conséquences sur les voies de consommation et de création ainsi que de diffusion de nouvelles littératies (Kress, 2009), qui se rattachent fortement à la culture populaire que les jeunes consomment et créent (BD, mangas, animés, films, séries, jeux digitaux, musique rap et slam, etc.) ou de littératies plus scolaires pour lesquelles le mode écrit et l’imprimé sont dominants (ouvrages de référence, romans, manuels). Cela a aussi influencé les pédagogues, qui ont réalisé à quel point la domination exclusive de l’écrit, dans le champ éducatif, était révolue. Il fallait faire de la place à de nouvelles littératies et penser à développer des approches pédagogiques plus en adéquation avec l’enseignement de savoirs et de savoir-faire indispensables au développement des compétences en LMM@ nécessaires à la société du 21e siècle (Hoechsmann et DeWaard, 2015).

Selon les perspectives de recherche et les disciplines, la LMM@ peut s’intéresser au contexte d’enseignement/apprentissage; au design des activités ou aux types de tâches et aux objets et supports utilisés. La multimodalité peut aussi s’envisager sous le prisme du croisement ou de l’hybridation des modes (écrit, oral, iconique, sémiotique), des supports, des environnements et des objets d’étude (BD, texte et images, « multitextes », vidéo, audio, scène de théâtre, jeux vidéo), des typologies de tâches (écriture, création, hybridation, « transmodalisation »). En lien avec la LMM@, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur un concept qui la situe encore mieux dans des approches pédagogiques centrées sur l’apprenant : le concept d’affordances qui désigne les possibilités d’usage ou les potentialités offertes par les outils numériques, dans des contextes technopédagogiques (Allaire, 2006; Blin, 2016). À ce propos, Simonian et al. (2016) parlent de « co-influence transformative » des outils numériques, des fonctions pédagogiques qu’on leur assigne en lien avec les usages qu’on peut en faire, dans les classes. Aussi, une pédagogie de la LMM@ offrirait aussi l’occasion de mettre en oeuvre des approches contemporaines en didactique du français (approches sémiotiques, critiques, socioconstructivistes, culturelles).

La LMM@, à laquelle nous nous intéressons dans cette étude, se situe donc au coeur des affordances numériques (Allaire, 2006; Blin, 2016). Elle intègre des activités d’enseignement/apprentissage du français, dans des contextes formels (scolaires) ou informels (parascolaires). Ainsi, elle permet de considérer les pratiques les moins conventionnelles qui mobilisent des savoirs et des pratiques extrascolaires pour des tâches ou des pratiques scolaires (p. ex., usage des réseaux sociaux pour communiquer sur des contenus scolaires, produire des contenus multimodaux qui mixent l’écrit, l’image, la vidéo, pour répondre à des tâches scolaires, etc.).

La LMM@ a fait l’objet d’une abondante réflexion théorique, en particulier à propos de l’enseignement/apprentissage de certaines disciplines comme le français, les arts, la communication. Cette réflexion permet de mettre en perspective les concepts et les objets d’étude de la LMM@ et les pratiques pédagogiques liées à la réception et à la production en lecture et en écriture. Dans une de leurs recherches, Lacelle et Boultif (2016) se sont interrogées sur les voies d’intégration de la multimodalité par des stagiaires finissants de l’Université du Québec à Trois-Rivières dans des projets pédagogiques d’enseignement en français, en univers social et en sciences. Dans le chapitre 6 de leur ouvrage sur la LMM@, Lacelle, Boutin et Lebrun (2017) situent clairement leur démarche au coeur des pratiques enseignantes liées à l’enseignement/ apprentissage de l’écrit – lecture et écriture, en réception et en production, dans un contexte de LMM@. En effet, quand ils présentent les compétences en LMM@, ils orientent leur réflexion sur les activités des lecteurs/producteurs (de « multitextes »), et établissent des liens entre les caractéristiques textuelles des « multitextes », les processus de compréhension/production de textes (approches, sémiotique, cognitiviste et subjective) et leurs effets respectifs sur la lecture/production, par exemple. Ce groupe de chercheurs envisage la LMM@ dans une perspective transversale qui rassemble, à la fois, les savoirs sur les textes et les savoirs sur les processus cognitifs et subjectifs et sur l’écriture, la création et la production, en lien étroit avec des questions pédagogiques.

Ce sont les usages innovants et créatifs des individus qui semblent inspirer aux pédagogues des pratiques pour l’enseignement de certaines disciplines, dont le français (Fastrez et De Smedt, 2013). En éducation, toute pratique innovante repose sur une « méthodologie de conduite du changement », qui s’éloigne des pratiques pédagogiques canoniques (Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, 2016). Bonnardel et al. (2015), ainsi que Brodin (2004) parlent de créativité dans le design didactique pour désigner l’innovation[3] dans les cours de français.

Nous désignons donc par pratiques innovantes en enseignement/apprentissage du français celles qui s’appuient sur des designs didactiques renouvelés qui s’éloignent des pratiques traditionnellement admises pour enseigner la lecture, l’écriture et la langue (expression orale, expression écrite, lecture), le tout essentiellement dans une séquence appuyée par des ouvrages de référence prescrits par les curriculums ou les ministères. Prenons pour exemple l’usage de la vidéo, des wikis et des sites de clavardage comme supports à la pratique d’écriture, en lieu et place de la production écrite canonique; ou encore le recours aux réseaux sociaux pour travailler l’orthographe, comme avec le dispositif de la « twictée » (dictée en 140 caractères, interactive et en ligne) ou encore la lecture hypertextuelle.

En français, ces nouveaux dispositifs didactiques qui font appel à la LMM@ impliquent des compétences disciplinaires (lire, comprendre, interpréter, réagir, critiquer, communiquer oralement ou par l’écrit), mais aussi à des compétences plus étendues dites multimodales et numériques comme combiner et remixer les codes et les modes de la communication (p. ex., les codes de l’oral et de l’écrit, les modes sémiotiques relatifs aux images, aux dessins, à la vidéo) au moyen de supports et de médiums adaptés aux objectifs des messages produits (Lacelle et al., 2017). Voilà pourquoi l’un de nos objectifs dans cette recension était d’identifier et de documenter les usages de la LMM@ en enseignement/apprentissage du français et d’identifier, au sein des dispositifs didactiques, les éléments d’innovation qui se rattachent à l’usage et au développement de compétences en LMM@.

Pour cette recherche, nous nous sommes appuyées sur plusieurs définitions complémentaires de la littératie médiatique et multimodale. Les membres du groupe de recherche en littératie médiatique et multimodale la définissent comme suit : 

La littératie est la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (ex : mode linguistique seul) et multimodales (ex : combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel et/ou numérique), à l’occasion de la réception (décryptage, compréhension, interprétation et évaluation) et/ou de la production (élaboration, création, diffusion) de tout type de message.

Lacelle et al., 2015

La définition du groupe « formation » du Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) (Fastrez et De Smedt, 2013) est la suivante : « La littératie médiatique est l’ensemble des compétences requises pour que chacun soit à même d’évoluer de façon critique et créative, autonome et socialisée dans l’environnement médiatique contemporain » (p. 10).

Nous avons aussi synthétisé la définition des pionniers en études de la LMM (Buckingham, 2019; Hobbs et Frost, 2003; Livingstone, 2004) qui la définissent comme l’habileté d’accéder à des messages, de les analyser, de les évaluer et de les créer à travers une variété de contextes.

La « multimodalité » se caractérise donc par la présence de différents modes (iconiques, linguistiques, gestuels et auditifs) dans des « multitextes ». Mais elle va bien au-delà, car elle concerne aussi le mixage ou le remixage des modes, des codes sur des supports variés pour produire ou créer un texte multimodal (ou « multitexte ») dans différents contextes.

Dans le but d’étendre le champ de nos investigations sur les usages de la LMM@, nous avons aussi tenu compte de la nature hybride et évolutive de la LMM@, en incluant le concept de « translittératie » (Thomas, 2008). Selon Thomas (2008), la « translittératie » est définie comme : « The ability to read, write and interact across a range of platforms, tools and media from signing and orality through handwriting, print, TV, radio and film, to digital social networks » (p. 101). Il nous a semblé important d’inclure la « translittératie » dans notre base de descripteurs, car elle incarne le caractère interdisciplinaire et intégré de la LMM@ en contexte scolaire, étant donné qu’elle englobe les usages innovants et créatifs des élèves, dans des contextes scolaires ou extrascolaires. Elle se manifeste le plus souvent à travers les combinaisons de codes, de modes et une variété de médias. Elle fait nécessairement appel à des compétences interdisciplinaires et favorise le transfert de compétences liées aux pratiques sociales des élèves dans des tâches ou projets scolaires (Fastrez, 2012).

2.2. Le modèle TPACK

Le modèle du TPACK (Herring et al., 2016) offre un cadre d’analyse pertinent des usages des TIC (technologies de l’information et de la communication) en contexte d’enseignement/apprentissage (Schmidt et al., 2009). Il s’inscrit dans le prolongement du modèle de Shulman (1986), qui ne considère que deux éléments : les savoirs et contenus disciplinaires à enseigner (Content Knowledge) et le savoir-faire pédagogique qui sous-tend ces enseignements (Pedagogical content knowledge). Herring et al. (2016) ont intégré la sphère de la technologie aux deux précédentes pour aboutir au Technical Pedagogical and Content Knowledge (TPACK). Il s’agit là d’un modèle intégrateur qui permet de mieux envisager l’intégration de la technologie et du numérique dans leurs dimensions pédagogiques par opposition à la fonction purement instrumentale qui leur était assignée au départ (Lacelle et Boultif, 2016).

Nous avons repris la description détaillée de Lacelle et Boultif (2016) pour illustrer les combinaisons possibles des trois dimensions :

  1. PK+CK : Illustre un score de 2/3 et désigne la mise en oeuvre conjointe des savoirs pédagogiques (savoir-faire) et des contenus (savoirs savants) qui sont les connaissances nécessaires pour l’enseignement des matières et des disciplines. Cette combinaison est propre à l’enseignement traditionnel comme envisagé par Shulman (1986).

  2. CK+TK : Cette combinaison fait référence au double rôle de médium (support des savoirs) et de médiateur (instrument de transition des savoirs) de la technologie. Elle permet de mieux observer comment la technologie est employée pour présenter, véhiculer, transformer et partager les savoirs et contenus disciplinaires (score TPACK de 2/3). Cette combinaison est propre aux débuts des usages du numérique dans les écoles comme outils d’enseignement uniquement (projecteurs, TBI, ordinateurs), sans considération pour les aspects de soutien à la pédagogie.

  3. PK+TK : L’intersection technologie/pédagogie renvoie à la compréhension des différentes façons dont la technologie peut être utilisée comme support pédagogique pour la collaboration, les partages, la création ou la cocréation. (Score TPACK de 2/3.)

  4. TK+PK+CK : Représente le score TPACK le plus élevé (3/3) et désigne la convergence des trois domaines en interaction qui présente « les habiletés à développer des expériences d’apprentissage signifiantes pour les élèves, en intégrant de façon dynamique les contenus disciplinaires, la dimension, où convergent plusieurs modes, codes, supports et outils » (Lacelle et Boultif, 2016, p. 73).

Le modèle du TPACK nous a permis d’identifier les combinaisons (technologie, pédagogie et contenus) dans le corpus, au moyen de matrices de croisement dans NVivo Release, et de faire une analyse plus fine ainsi qu’un inventaire des objectifs, des outils, des supports, des compétences et des contextes d’usage de la LMM@ au service de l’enseignement/apprentissage du français dans les études analysées.

3. Méthodologie

Pour cette étude, nous avons adopté la revue systématique de la littérature comme méthodologie, à partir de documents sélectionnés et en nous appuyant sur des critères précis d’inclusion et d’exclusion. Pour rappel, la revue systématique est une approche de synthèse des données issues de recherches scientifiques qui adopte une méthode explicite et reproductible permettant d’identifier, de synthétiser des études relatives à un même thème de recherche (Dagenais et al., 2013).

Après la collecte de données, partant de descripteurs préétablis, nous avons divisé notre analyse en trois phases : 1) recherche documentaire puis passage en revue et description de toutes les études retenues selon nos critères de recherche; 2) élaboration de catégories issues de notre cadre de référence et en lien avec l’objet de notre recherche ainsi que celles relevées dans les études (catégories émergentes) (Fortin et Gagnon, 2016); 3) lecture et analyse approfondie des articles sélectionnés pour cerner les formes et les voies de l’intégration de la multimodalité en contexte numérique.

3.1. Recherche documentaire

Pour la recherche documentaire, nous avons déterminé des descripteurs, le choix des bases de données (Érudit, ProQuest, Cairn, Persée, Omni, Muse, HAL, Ripes, Académia et Google Scholar – la plupart liées à l’éducation) ainsi que la limite temporelle. La place accordée au numérique évoluant très rapidement en éducation (Paris et Massé, 2019), nous avons fixé nos recherches sur la période de 2015 à début 2020 (premier quadrimestre), donc juste avant le début de la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19) pour l’Amérique du Nord.

Nos descripteurs renvoient aux aspects qui nous intéressent en enseignement et apprentissage du français, soit la lecture et la compréhension de textes, l’écriture et le fonctionnement de la langue, mais aussi les usages transversaux dans des contextes interdisciplinaires (français, univers social, arts, etc.). Après avoir dressé une liste primaire de descripteurs, nous y avons ajouté des synonymes ainsi que des réseaux sémantiques. Par exemple, à partir de « littératie médiatique multimodale », nous avons élargi le descripteur aux termes « littératie », « littératie médiatique », « littératie multimodale » et « littératie* »; pour les niveaux de l’enseignement du français : petite enfance, jardin d’enfants, élémentaire, primaire, intermédiaire, secondaire, lycée, cycle d’orientation, collège, cégep, postsecondaire, universitaire premier cycle, études supérieures. Il ne s’agit là que d’une partie de nos descripteurs, que nous avons également traduits en anglais afin d’identifier les sources qui faisaient référence à l’enseignement du français langue seconde (FLS).

Sans favoriser l’une ou l’autre base de données, nous les avons réparties entre les deux chercheuses. Nous avons utilisé le programme NVivo Release afin d’archiver et de mettre en commun les documents trouvés, mais également pour réaliser l’analyse descriptive de la phase 1 et celle de contenu de la phase 2, tout en complétant en parallèle un fichier Excel pour une vue d’ensemble. Nous avons exploré plusieurs disciplines et sous-disciplines et plusieurs types de documents, dont des articles scientifiques, des livres (ouvrages collectifs), des thèses et des rapports gouvernementaux. Nous avons cependant rapidement mis nos efforts sur la littérature scientifique, celle-ci correspondant mieux à notre objet de recherche. Lorsque les mêmes sources sont apparues dans plusieurs bases de données ou que tous les descripteurs utilisés en combinaison différente n’ont plus donné de résultats, nous avons considéré être arrivées à saturation. C’est ainsi que nous avons répertorié 226 documents entre articles scientifiques, thèses et chapitres de livres. Après un premier tri pour s’assurer de la correspondance à nos critères de recherche, nous en avons conservé 198, puis, après avoir lu tous les résumés et documents, c’est finalement 192 documents qui ont été retenus, dont 187 articles, une thèse et quatre chapitres de livre issus d’ouvrages collectifs.

3.1.1. Phase 1 : analyse descriptive

Pour l’analyse descriptive de ces 192 documents de la phase 1, nous avons répertorié les années de publication, la base de données consultée, le type de recherche, l’orientation de l’étude et les pays d’origine de publication par les auteurs. Nous avons également mis en évidence les mots-clefs des articles communs à nos descripteurs ainsi que ceux trouvés dans les résumés, tout en constatant que ce ne sont pas tous les articles qui contiennent des mots-clefs ou des résumés.

3.1.2. Phase 2 : formes et voies de l’intégration de la multimodalité en contexte numérique

Pour la phase 2 de notre recherche, nous avons retenu les études qui relevaient de trois critères, soit les contextes numériques, la LMM et le français, ce qui donne les trois catégories suivantes : 1) Numérique; 2)  Multimodal – Littératie/Translittératie – Littératie médiatique – Littératie multimodale – Littératie médiatique multimodale – Littératie numérique – Littératie visuelle – Littératie illustrée – Littératie informationnelle – TIC/MITIC/TICE – Virtuel; 3) Français langue première/seconde – Enseignement/Éducation – Apprentissage – Formation – Littérature – Écriture – Lecture – Écriture et lecture. 38 articles ont ainsi été isolés dans le corpus des 192 sources.

Figure 1

Exemple de la classification des sources selon les trois critères retenus pour la phase 2

Exemple de la classification des sources selon les trois critères retenus pour la phase 2

-> Voir la liste des figures

Après lecture des contenus des 38 articles, trente (30) ont été retenus pour une analyse de contenu plus détaillée avec le cadre du TPACK. Les huit études écartées ont été jugées peu pertinentes en lien avec nos objectifs de recherche, car elles ne concernaient pas vraiment la LMM@ en lien avec les définitions et le cadre théorique retenu.

3.2. Analyse avec les dimensions du modèle TPACK

Partant des 30 articles retenus à l’étape précédente, nous avons mis l’accent sur l’analyse des aspects liés à la « Pédagogie » et aux « Contenus et objets d’apprentissage » (PK+CK décrit précédemment) du modèle TPACK, en lien avec les outils et le contexte décrit dans les articles. Une matrice croisée recoupant les codes liés à la LMM@ et du modèle TPACK menée avec NVivo Release a permis de retenir 14 études qui relèvent à la fois de la LMM@ et qui décrivent suffisamment les dispositifs didactiques pour permettre une analyse selon les éléments du modèle TPACK. Nous avons exclu les études qui relevaient davantage de la théorisation du domaine de la LMM@, ainsi que celles qui n’étaient pas assez décrites pour être reproductibles (imprécision sur les dispositifs didactiques et sur l’imbrication technopédagogique, sur la méthodologie ou sur les retombées). Nous avons aussi exclu les études qui reprenaient une même recherche (avec la même équipe de chercheurs) sous des angles différents de recherche. Précisons que le changement dans l’ordonnancement des noms des chercheurs et des titres différents ainsi que des publications dans des revues différentes ont permis à ces études de passer notre tri initial.

3.2.1. Méthode d’analyse et critères de rigueur de l’étude

Afin d’assurer la rigueur de notre recherche, nous avons mis en place différentes méthodes : la même posture et la cohérence (focalisation sur la LMM@) tout au long de la recherche en lien avec la question de recherche, le cadre conceptuel et la méthodologie; la cohérence, la rigueur et la transparence des décisions prises en commun par des échanges très réguliers et un lieu virtuel partagé pour le dépôt de tous les documents, notes et annexes; le recodage aléatoire de 20 % des documents par la deuxième chercheuse; la triangulation des sources par la diversité des points de vue; la prise en compte de tous les articles, même ceux négatifs ou mitigés face à la LMM@; le décompte systématique et selon deux modes de contrôle des données descriptives afin d’éviter les doublons ou les oublis; pour l’analyse de contenu, le contrôle de l’exclusivité des catégories d’analyse, les unes par rapport aux autres, de l’exhaustivité en permettant l’émergence de nouveaux éléments, de l’objectivité des catégories univoques et de la pertinence des catégories par la concordance entre les catégories, le matériau analysé et la question de recherche (Dixon-Woods et al., 2006; Fortin et Gagnon, 2016; Fradet, 2013). Cela nous permet de considérer nos résultats comme valides.

4. Résultats

Les résultats d’analyse des deux phases seront rapportés ici : en premier lieu, l’analyse descriptive quantitative des bases de données, des années de publications, de la nature des sources et l’origine géographique des auteurs des 192 sources recensées; pour la seconde phase, et sur la base des 30 articles identifiés selon les trois critères (numérique – multimodal, littératie, TIC, virtuel – français), la question des données émergentes liées au champ définitionnel foisonnant de la LMM, ainsi que le résultat de l’analyse approfondie des 14 articles qui recoupent les dimensions de la LMM@ et du TPACK. C’est à partir de ces 14 articles que nous présenterons quatre études décrivant des pratiques que nous considérons comme exemplaires de la LMM@ en contexte d’enseignement du français, pour illustrer les possibilités offertes par la LMM@ aux cycles primaire, secondaire, collégial et universitaire.

4.1. Analyse descriptive

Ayant répertorié chaque article selon la première base de données consultée, même si l’article apparaissait dans une autre base de données, il apparaît qu’avec deux bases de données (une pour chaque chercheuse pour débuter), nous avons trouvé 70 % des 192 articles retenus. 2018 et 2015 ont été les deux années les plus prolifiques en études sur la LMM@. Sans certitude, nous supposons que la LMM@ a bénéficié d’un plus large intérêt, à la suite de la tenue des premiers séminaires d’études en littératie médiatique multimodale à l’Université du Québec à Montréal (Groupe de recherche en littératie médiatique et multimodale), de la parution des premiers numéros sur le sujet dans la revue éponyme (R2LMM), ainsi que des sommets annuels sur le numérique en éducation (CRIFPE) à partir de 2012-2103. On pourrait aussi penser que la parution des deux premiers ouvrages francophones sur la LMM et la LMM@ (Lacelle et al., 2017; Lebrun et al., 2012) et leur diffusion dans les milieux de pratique a contribué à mieux faire connaître la LMM@. De plus, il n’est pas à exclure que la diffusion de la LMM@, au Québec notamment, n’ait bénéficié de projets de recherche subventionnés par le MEESR (ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), comme le projet sur l’écriture numérique (Lacelle et al., 2017).

Figure 2

Nombre de sources répertoriées (LMM@) selon les années de publication

Nombre de sources répertoriées (LMM@) selon les années de publication

-> Voir la liste des figures

Pour mémoire, nous avons limité notre recherche au premier quadrimestre de 2020, soit juste au début de la pandémie de COVID-19. Les données recueillies ici seront intéressantes à comparer avec le nombre de publications et de recherches abordant la LMM@ terminus post quem COVID-19. En effet, nous supposons que la massification des usages de la technologie numérique a entraîné un recours plus important à la multimodalité en contexte numérique, attendu que les milieux éducatifs de beaucoup de pays, y compris le Canada, ont dû déployer des mesures extraordinaires pour pallier la situation (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2020).

Environ 67 % des articles consultés sont de nature empirique, les autres, soit un peu moins de la moitié, sont essentiellement théoriques ou concernent la formation et le développement des enseignants.

Figure 3

Orientation des recherches du corpus des 192 sources

Orientation des recherches du corpus des 192 sources

-> Voir la liste des figures

L’orientation « apprentissage du français » de notre étude favorise l’origine des articles/auteurs des pays francophones, dont la France (45 %) et le Canada (32 %), mais aussi la Belgique (5 %) et la Suisse (4 %), avec, également, dix articles coécrits (équipes de recherche internationales). L’apprentissage du français langue seconde (FLS) ayant été également considéré, des articles provenant de pays comme le Portugal, l’Iran, la Corée, le Mexique, la Géorgie, la Chine et la Nouvelle-Zélande figurent dans le corpus. Du 32 % de la part canadienne de l’origine des articles/auteurs, la province francophone du Québec représente 86 % et les autres provinces à minorité francophone se répartissent entre l’Ontario (7 %), la Colombie-Britannique (5 %) et l’Alberta (2 %).

4.2. Résultats synthétiques de l’analyse du champ définitionnel de la LMM

En parcourant les 30 articles, nous avons rencontré de nombreuses variations dans les définitions et dans les usages du concept de LMM@. Nous avons constaté que les définitions entourant la LLM@ n’étaient pas toutes en cohérence avec le cadre définitionnel de la LMM@, et cela parfois au sein d’une même étude. On a notamment identifié un certain glissement entre ce qui relève de la littératie médiatique multimodale et ce qui relève de la littératie informationnelle dans le contexte d’éducation aux médias. Dans certaines études, les définitions des concepts centraux cités dans les mots-clefs et dans le résumé de l’article étaient même absentes du corps de l’article. De façon synthétique, nous avons noté trois manifestations de ces amalgames, approximations ou confusions, relativement à la définition de la LMM : 1) des contradictions dans la définition de la LMM; 2) des amalgames et des confusions entre les compétences LMM@ et les compétences disciplinaires ou transdisciplinaires associées; 3) une confusion avec le champ de l’éducation aux médias[4]. Ces amalgames trouvent probablement leur origine dans le fait que la LMM@ et l’éducation aux médias s’intéressent toutes deux aux aspects critiques des nouvelles littératies, mais avec des objectifs différents. Pour la première, il s’agira de lire, comprendre, interpréter et réagir (critiquer) des « multitextes », ce qui inclut une dimension critique, tandis que, pour la seconde, il sera davantage question de développer des compétences de lecteurs critiques face à la démultiplication de sources d’information en ligne et, par exemple, d’y discerner les fausses informations et les manipulations.

4.3. Résultats de l’analyse selon les dimensions du modèle TPACK et exemples

Le tableau 1 présente la synthèse des 14 études retenues à l’issue d’une analyse avec les dimensions du TPACK et qui ont obtenu un score 3, selon la classification explicitée supra.

Tableau 1

Synthèse des outils et supports d’enseignement/apprentissage mentionnés dans les 14 études exemplaires (LMM@ et TPACK)

Synthèse des outils et supports d’enseignement/apprentissage mentionnés dans les 14 études exemplaires (LMM@ et TPACK)

-> Voir la liste des tableaux

En premier lieu, on notera la grande variété de supports et médiums numériques, représentés dans ces études (voir tableau 1). On peut aussi constater de riches combinaisons des divers modes, codes, langages et supports employés pour accéder et analyser, créer, éditer, ainsi que pour collaborer et partager des contenus au moyen de supports multimédias, le plus souvent connectés à Internet (orchestration).

Dans son étude, Pellerin (2017) s’intéresse à l’usage des outils et supports technologiques[5] (iPod et tablettes) dans le développement de compétences multimodales en lecture et écriture au primaire et au secondaire, en salle de classe d’immersion française. Elle s’appuie sur l’approche universelle de l’apprentissage et sur les possibilités d’usage pédagogique (affordances) offertes par les technologies numériques, qui favorisent la création de nouveaux modes d’expression, de représentation de la pensée. Cela favorise le développement de compétences multimodales en littératie : compétences fonctionnelles, multimodales, multisensorielles pour savoir parler, lire, écrire et écouter (Pellerin, 2017). Par exemple, les modes audio et vidéo permettent le développement de compétences de communications orales. Autre exemple, pour répondre à une tâche d’écriture, les élèves passent par l’enregistrement audio pour la planification de leurs textes (consignation des idées en mode audio) pour mieux préparer la pré-écriture, puis la rédaction de leurs textes. L’enregistrement audio du texte final permet également de faire les révisions nécessaires. L’oralité est également favorisée par l’utilisation d’applications qui permettent la création d’histoires audio narrées, dans lesquelles l’élève prête sa voix aux personnages pour enrichir un récit animé. Les compétences de communication orale, en lecture et en écriture, sont ainsi développées d’une façon intégrée, grâce à la multimodalité du dispositif.

Dans une autre étude, menée par Grégoire et Ouellet (2018), dans le but de développer la compréhension de textes et l’appropriation du langage littéraire par des élèves du secondaire, les chercheurs s’appuient sur l’expérience esthétique vécue par les élèves, lors de la création de documents audiovisuels de type bande-annonce, pour illustrer et concrétiser leur compréhension des textes lus. En équipe de deux ou trois, les élèves commencent par lire un roman graphique choisi. Ensuite, à partir des scènes sélectionnées pour leur caractère emblématique, ils élaborent un scénarimage comprenant, d’une part, le texte et les dialogues (posture d’auteur), la musique et les explications quant à leurs choix (posture de créateur), et, d’autre part, et sans perdre de vue l’intérêt des lecteurs/spectateurs potentiels, les points de tension, les enjeux et les moments forts du roman. L’enseignant soutient leur travail et assure un accompagnement technologique (compétences de base liées à la manipulation de tout l’environnement numérique connecté), technique (lié à une tâche, un type de support ou une application spécifique, dans un environnement numérique) et pédagogique pour faciliter la navigation entre les deux postures, tout en leur fournissant des exemples de bandes-annonces comme modèles. D’après Grégoire et Ouellet (2018), « le scénarimage de la bande-annonce apparaît comme un catalyseur pour les apprentissages en littérature » (p. 14) (compétence à l’oral, en lecture et écriture, développement des connaissances littéraires, du sens artistique et de postures esthétiques critiques).

Araújo (2018) situe sa recherche au cycle supérieur, dans un contexte de « pédagogie active où la littératie traditionnelle côtoie la littératie numérique pour une meilleure convergence des pratiques de lecture et d’écriture adaptées à l’ère numérique » (p. 42) dans un contexte d’écriture mono/multimodale. Cette pédagogie active s’appuie sur les 4 C (créativité, pensée critique, collaboration, communication), encourage l’implication et permet l’acquisition de savoirs culturels en utilisant la lecture et l’écriture pour développer des habiletés langagières (Araújo, 2018). Elle propose, par exemple, la création, par les étudiants, d’une ligne du temps interactive (frise chronologique), enrichie de textes et de ressources multimédias ou des cartes géographiques interactives avec des informations sur la région du monde explorée par la carte. Les outils choisis pour la création favorisent la collaboration pour profiter de l’intelligence collective et permettent le suivi de la création dans toutes ses étapes. Les enregistrements sonores permettent de travailler l’oral et les explications sous forme de texte favorisent le travail d’écriture, de composition et de rédaction, écriture qu’Araújo qualifie d’interactive et de sociale par le partage en ligne.

Pour le français langue étrangère (FLE), Mathis et Cros (2018) présentent une approche originale où les étudiants de l’Institut américain universitaire d’Aix-en-Provence (France) s’approprient la culture locale pour composer des textes tout en perfectionnant leurs compétences orales en utilisant les « multilittératies ». En plus des cours en salle de classe, les étudiants ont des tâches à réaliser dans la rue, les cafés, les musées, les châteaux, sur les places et dans les lieux mythiques des peintres et des écrivains de la Provence, etc. Ils ont ainsi de nombreuses occasions d’utiliser l’oral et l’écrit du français, mais aussi les pratiques créatives et analytiques en lien avec leur vécu. La culture régionale est également utilisée par la lecture d’auteurs provençaux ou ayant écrit sur la Provence et le visionnage de films sur le même thème. Les textes créés et retravaillés sont lus à voix haute afin d’avoir la rétroaction des autres étudiants. À ce propos, Mathis et Cros (2018) rapportent que, dans ce contexte, on ne peut plus seulement parler d’une langue à écrire, « mais d’une langue à incorporer, dans la rencontre avec auteurs, artistes, lieux, à travers l’expérience et l’environnement propice à la création » (p. 12).

Notre analyse a mis en évidence que peu de pratiques ont un score TPACK élevé, hormis les 14 articles répertoriés. Certaines recherches mettent particulièrement l’accent sur la partie pédagogique, d’autres sur le contenu de formation (savoirs précis déclinés dans les listes des curriculums autour de l’apprentissage de la langue), sans toutefois faire le lien avec la technologie. Pour d’autres, le lien entre les façons d’organiser et de présenter les contenus d’apprentissage et de les articuler (orchestrer) dans des scénarios pédagogiques incluant la LMM@ (choix de support, de médiums et d’approche) n’est pas suffisamment documenté pour que le lecteur puisse en percevoir le déroulement ou la logique, et est, de ce fait, difficile à analyser ou à reproduire.

5. Discussion

Dans cette section, nous reviendrons sur certains aspects retenus de notre analyse des 14 études retenues pour cette revue de la littérature sur la LMM@. Nous reviendrons sur certains concepts émergents, comme celui d’affordance et celui d’orchestration, qui nous semblent importants à considérer en LMM@. Nous aborderons aussi, d’une façon plus générale, la question des objectifs assignés à la LMM@ dans les cours de français ainsi que la nécessité de maturation du domaine de la LMM@ et de son champ définitionnel.

5.1. Richesses des usages et orchestrations de modes, de codes, de langages et de supports

Les études retenues pour cet article illustrent parfaitement le principe d’affordance (Allaire, 2006) cité par les chercheurs dans le domaine de la LMM@, à savoir que la LMM@ ne peut se concevoir hors du contexte écologique dans lequel elle se déploie. Elle permet aux élèves de tirer profit des diverses ressources offertes par des outils numériques, avec le soutien de pratiques de création qui mettent en oeuvre la lecture, l’analyse et l’agencement des modes. Elle leur permet aussi d’exercer leurs compétences créatives et de développer des compétences essentielles aux apprenants du 21e siècle. La figure 4 illustre l’orchestration de divers codes, modes, langages et médiums, propres aux usages de la LMM@, et prend en compte les compétences de base selon les trois domaines (lecture, écriture, communication orale) en français, enrichis de compétences transversales (Russbach, 2016) dans lesquelles s’insèrent les compétences multimodales et numériques, le tout dans un contexte écologique qui favorise la transdisciplinarité, la collaboration et la création, par le biais de l’hybridation de codes, de modes, d’outils, de médiums et des espaces analogiques et numériques (Hoechsmann et DeWaard, 2015).

5.1.1. Constats à propos des objectifs d’apprentissage assignés à la LMM@ dans des cours de français

Les constats que nous faisons à propos des projets des études analysées se résument aux éléments qui suivent.

Dans la totalité des études, les compétences globales en français (lire, écrire, communiquer) sont incarnées dans des tâches complexes et interdisciplinaires qui sollicitent un maillage de compétences disciplinaires générales, comme la lecture/compréhension, l’écriture/création, la réaction/critique ou le résumé.

Dans tous ces projets, des compétences transversales, comme la compétence de recherche et de validation d’informations, la compétence d’analyse critique, sont aussi sollicitées.

Des compétences plus techniques et relatives à la maîtrise, plus ou moins suffisantes, et à la manipulation des outils numériques, sont aussi demandées, mais peu ou pas soutenues, dans les dispositifs tels que décrits. Rappelons que des recherches ont démontré que des écueils techniques, en lien avec les usages de la technologie, peuvent faire obstacle aux apprentissages souhaités (Ouellet et al., 2021), ce qui pourrait interpeller quant à l’équité des dispositifs et des tâches, au regard des compétences réelles par opposition aux compétences perçues des élèves en ce qui a trait à la maîtrise du numérique et de ses outils, et des médiums (Boultif, 2013). On considère aussi que des compétences créatives, qui relèvent du choix des codes, modes et langages, au moyen d’outils et de supports choisis pour réaliser des tâches (orchestration) sont aussi au coeur des projets supportés par la LMM@. On parlera ici d’orchestration de divers codes, modes, langages et outils et supports, dans des contextes digitaux interconnectés.

Notre second constat est que ces études s’appuient sur les compétences en langue française pour mieux investir les appartenances culturelles des élèves, à travers des tâches et des projets créatifs qui se veulent socialisants et centrés sur les élèves et leur culture.

Figure 4

Modalités d’orchestration des divers modes, codes, modes et langages en lien avec les affordances de la LMM@ dans 14 études en enseignement/apprentissage du français

Modalités d’orchestration des divers modes, codes, modes et langages en lien avec les affordances de la LMM@ dans 14 études en enseignement/apprentissage du français

-> Voir la liste des figures

Citons l’exemple de l’étude de Hamel (2019) par laquelle on veut contribuer à la construction identitaire des élèves en passant par leur identité numérique et en faisant le lien avec leur agir social, en tant que citoyens francophiles du Web. On trouve aussi des études qui ont pour objectif de contribuer au développement des compétences multimodales pour connecter la culture des adolescents avec celle plus formelle de l’école, comme dans le projet de Booktubing rapporté par l’étude de Depallens et Capt (2019). La figure 4 synthétise et illustre l’orchestration des divers modes sémiotiques dans ces 14 études.

5.1.2. Constat sur la nécessaire maturation du champ des études en LMM@

Notre analyse a montré que des études sur la LMM@ en contexte francophone sont en augmentation, mais qu’elles ne sont pas encore assez nombreuses pour permettre au champ d’atteindre son seuil critique de maturité, ce qui laisse, dans les faits, beaucoup de possibilités aux chercheurs qui s’y intéressent. Aussi, si l’on considère uniquement le Canada, les recherches sur la LMM@ sont plus prolifiques au Québec (86 %), où la langue française est majoritaire, en comparaison avec les autres provinces où elle est minoritaire et qui représentent seulement 14 % des études canadiennes (Ontario, Colombie-Britannique et Alberta). De plus, pour chacune des provinces concernées, les curriculums déclinent différemment les concepts de la LMM@, ce qui entrave, probablement, une meilleure circulation des recherches (Hoechsmann et DeWaard, 2015). Une collaboration interdisciplinaire et interprovinciale entre les chercheurs de ces provinces francophones, pour se pencher sur une uniformisation possible, pourrait être une piste de solution à envisager pour combler ce déficit.

Dans le même ordre d’idée, et en lien cette fois avec le concept de LMM@, le troisième constat que nous dégageons est que les études de la LMM@ représentent un domaine encore « jeune ». Cela se traduit par un nombre assez faible de recherches sur le sujet en contexte francophone (entre 2015 et 2020). Kuhn (1962/2018) mentionne la difficulté pour les paradigmes[6] récents – ceux qu’il définit comme n’étant pas encore arrivés à maturité – de trouver des théories communes et un langage commun. Dans le cas de la LMM@, il y a un besoin de diffuser plus largement les résultats de recherches théoriques et empiriques sur la LMM@ pour inspirer des recherches dans les milieux francophones.

De plus, comme la LMM@ rassemble de nombreuses disciplines, dans des contextes hétérogènes, des sensibilités variées et que, par ailleurs, elle fait aussi appel à des technologies en constante évolution, cela rend sa définition complexe et nécessairement transdisciplinaire. Ce problème semble dater d’avant 2015 et a aussi été signalé par d’autres chercheurs et chercheuses comme Landry et Basque (2015) et également Russbach (2016). Ceci nous conforte donc dans l’idée que ce problème n’est pas propre à l’enseignement du français, mais davantage lié au domaine lui-même et au vaste champ de la LMM@.

5.1.3. Constat sur la nécessaire clarification définitionnelle de la LMM@ et de ses usages en enseignement/apprentissage

Le dernier constat que nous faisons à l’issue de cette étude est qu’il règne encore une confusion notable dans l’usage des termes, des concepts et des définitions propres au champ de la LMM@ ou pour la désigner. La richesse du champ de la LMM@ et la multiplicité des domaines concernés pourrait expliquer une certaine inflation et une confusion du champ définitionnel.

On relève aussi que bon nombre de définitions s’inspirent de traductions de l’anglais, ce qui contribue au flou du champ définitionnel. Nous avons aussi constaté que les définitions, sur lesquelles certaines études s’appuient, sont souvent associées à la LMM@, mais sans consensus entre des auteurs qui parlent pourtant de la même chose et qui abordent les mêmes concepts. Par exemple, certains auteurs se serviront de traductions littérales de définitions en anglais, d’autres encore vont même formuler des définitions ad hoc, sans autres références.

En lien avec ce dernier constat, on note que les définitions les plus référencées de la LMM@ dans les études sont celles formulées par des équipes pluridisciplinaires et francophones, car ces équipes tirent avantage d’une médiatisation et de collaborations de plus en plus étendues avec les milieux de pratique, dans diverses disciplines qui s’intéressent à la LMM@.

Conclusion

Pour conclure cet article qui visait à faire un état des lieux et des usages de la LMM@ dans les contextes francophones, entre 2015 et 2020, nous pouvons avancer que le caractère interdisciplinaire de la LMM@ contribue aux écueils définitionnels constatés. Il apparaît aussi qu’il y a une difficulté à bien cerner ce qui relève ou non de la LMM@. Le fait que les compétences en LMM@ sont étroitement imbriquées dans les disciplines et champs proches contribue, pour une grande partie, à ce flou conceptuel. Aussi, pour mieux les définir, on se doit de considérer à la fois les contextes de son usage, mais aussi les aspects disciplinaires et les objectifs assignés à ses usages, en enseignement et en apprentissage du français. La multiplicité de voies d’exploration qu’offre la LMM@ et le fait qu’elle navigue entre deux sphères/univers (la sphère sociale, informelle, et la sphère formelle, scolaire), nécessitent certainement une meilleure prise en charge par les institutions scolaires et par les pédagogues, tant sur le plan de la formation que sur le plan des possibilités qu’elle offre. Nous espérons que la massification des usages de la multimodalité et des technologies éducatives durant la pandémie, pour encadrer et soutenir l’enseignement/ apprentissage en ligne, exercera une influence sur les études abordant la LMM@ à l’avenir.

Ainsi, le fait d’avoir atteint la saturation des données au début de 2020, juste avant la pandémie de COVID-19 en Amérique du Nord, nous donne un portrait « prépandémique », que nous aimerions compléter en nous resituant dans le contexte actuel. À ce propos, nous supposons que la massification des usages des technologies éducatives durant la pandémie pour encadrer et soutenir l’enseignement/apprentissage en ligne exercera sans doute une influence positive sur le nombre d’études abordant la LMM@ à l’avenir. Cependant, nous craignons que le manque de formation et d’information réduise les usages de la LMM@ à un simple recyclage de vieilles pratiques, ne considérant que les contenus à enseigner dans les disciplines, de façon cloisonnée. Pour conclure, nous pensons que l’avenir de la LMM@ n’est pas tant liée à notre capacité à intégrer la LMM@ dans nos cours de langue qu’à notre capacité à considérer son enseignement/apprentissage dans une perspective transversale qui permettrait de mieux articuler et transmettre des savoirs et des compétences transdisciplinaires nécessaires pour les apprenants du 21e siècle.