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Introduction

Considérer les personnes aînées comme des expertes de leur vie, avoir un dialogue constructif avec elles au sujet de ce qu’elles vivent et chercher à diminuer leur isolement sont des moyens permettant de les soutenir et d’augmenter leur bien-être (Holm & Severinsson, 2013). Par conséquent, il est souhaitable que les savoirs des personnes aînées émergent pour que celles-ci puissent occuper une position stratégique décisive (Blais, 2006). Selon Olazabal et Simard (2018), la contribution de ces personnes est nécessaire à un projet social inclusif.

Or ces savoirs sont souvent disqualifiés, voire ensevelis, par les savoirs scientifiques (Blais, 2006). Les personnes aînées sont souvent confrontées à de l’indifférence, à de la condescendance, à de l’infantilisation et à de la stigmatisation (Blais, 2006; Olazabal & Simard, 2018; Pellissier, 2009). Dans un tel contexte, elles hésitent à prendre la parole (Billette et al., 2018). Blais les décrit comme des personnes « dont on parle beaucoup, mais que l’on n’entend pas » (2006, p. 161). En fait, c’est par un processus visant le développement du pouvoir d’agir (DPA) personnel, interpersonnel, social et politique que les personnes ou les groupes de personnes augmentent leurs connaissances et sont en mesure de prendre des décisions concernant les défis qu’ils vivent (Charpentier & Soulières, 2007; Persily & Hildebrandt, 2008). Mais qu’est-ce que le pouvoir, plus précisément le pouvoir d’agir, et comment se développe-t-il?

Dans une analyse conceptuelle du pouvoir, Bosch (2016) définit ce concept d’une manière holistique en tenant compte principalement de sa causalité sur la vie sociale des personnes et, aussi, des stratégies permettant à des personnes ou à des groupes de personnes d’exercer du pouvoir sur les autres. Des travaux de Bosch on retient, entre autres, que le pouvoir vise à contrôler ou à influencer les autres, qu’il peut être de nature politique, économique, idéologique, sociale, culturelle ou militaire, et qu’on l’exerce à l’aide de différentes stratégies et interactions, soit la communication, la coordination, la coopération, l’imitation, la compétition, la négociation, l’échange, la résistance, la lutte ou le conflit.

Le pouvoir d’agir serait, quant à lui, la chance pour des personnes de réaliser ce qu’elles souhaitent (Bickel & Hugentobler, 2018). Pour Le Bossé, le DPA est un « processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir de manière efficiente sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s’identifient » (2012, p. 276). Dans son cadre de référence visant à préciser les aspects pratiques du DPA, Le Bossé (2016) souligne que l’on ne peut décider de ce qui est important pour une personne et que toute prescription irait à l’encontre du but. À ce sujet, Vallérie et Le Bossé (2006) précisent que les professionnels sont des agents de changement et doivent, en plus d’aider les personnes à réaliser un projet qui compte pour elles, recréer le mouvement quand il y a un blocage. Pour Deverchère (2017), le DPA aide les personnes à s’émanciper, au lieu de les contrôler.

La présente étude a pour origine l’initiative d’un organisme communautaire (OC) déjà engagé dans quelques actions collectives visant l’amélioration de la qualité de vie des personnes aînées, et ce, dans différentes municipalités du territoire local. Toutefois, parce que certaines préoccupations liées au vieillissement de la population n’étaient pas considérées dans ces démarches, dont l’isolement social et la perte d’autonomie, l’OC a décidé de mettre en oeuvre le projet « Bien vivre chez soi » visant à développer des réponses autodéterminées par et pour des personnes aînées – ainsi que leurs proches aidants – voulant demeurer à domicile. Devant les défis et les obstacles relatifs à ce projet, des chercheurs ont été approchés pour les aider à identifier, à développer et à mettre en oeuvre des stratégies de type communautaire permettant de faire face au vieillissement de la population de la MRC et, possiblement, à l’exode de celle-ci. Étant donné la problématique soulevée, le but de la présente étude est de développer le pouvoir d’agir de communautés relativement au soutien à domicile des personnes aînées.

Cadre de référence

Pour aider à structurer la présente étude, la pratique fondée sur les forces de Gottlieb (2014), ayant pour origine les sciences infirmières, a été jugée pertinente. Cette pratique, qui tient son origine du modèle McGill (Gottlieb & Ezer, 1997), encourage les intervenants à rechercher les forces de la personne ou de la famille et à aider les personnes, les familles et les communautés à construire sur celles-ci. Selon Gottlieb (2014), les forces incluent les qualités internes (p. ex., atouts, attributs, capacités, compétences, habiletés, potentiels, talents) d’une personne ou d’une communauté et les ressources externes disponibles. Cette auteure suggère l’utilisation d’un processus en spirale (Spiraling Process) pour découvrir les besoins et les forces existantes et les moyens et les stratégies permettant de répondre à ces besoins (Gottlieb, 2014; Gottlieb et al., 2006). Plus spécifiquement, dans la cadre de la présente étude, les forces, les ressources, les défis et les interventions aidantes ont été explorés, une intervention a été choisie, des actions ont été planifiées, mises en oeuvre et révisées et, enfin, de nouvelles forces ont été découvertes.

Méthode

La recherche-action s’inspirant de Stringer (2014) a été le devis de recherche utilisé. Stringer définit ce devis comme étant « une approche d’investigation rigoureuse et systématique intégrant l’expertise des professionnels et la sagesse de la population étudiée »[1] [traduction libre] (p. iii). Dans une recherche-action, les chercheurs accompagnent les personnes situées dans un contexte social précis à trouver des solutions efficaces à des problèmes de la vie quotidienne auxquels elles sont confrontées. Les chercheurs qui choisissent une telle approche croient que les solutions standardisées (p. ex., programme, intervention, plan) doivent être adaptées au contexte dans lequel on souhaite les utiliser. Pour réaliser ces adaptations, les chercheurs ne peuvent travailler seuls. Il est souhaitable que toutes les personnes concernées par le problème étudié soient incluses dans la démarche (Roy & Prévost, 2013; Stringer, 2014). C’est en considérant différentes perspectives dans l’identification et la résolution d’un problème que le risque de contrôle, voire de domination, des personnes diminue et, conséquemment, que celles-ci s’émancipent (Blais, 2006; Deverchère, 2017; Le Bossé, 2012).

L’étude a eu lieu dans trois municipalités québécoises situées dans des milieux ruraux (communautés A, B et C). Elle s’est déroulée en deux cycles d’observation, de réflexion et d’action. Pendant le premier cycle, ayant eu lieu au cours de la première année de l’étude, la démarche a permis aux chercheurs, en partenariat avec les participants, d’explorer les forces, les ressources existantes et les défis prioritaires en en lien avec le soutien à domicile des personnes aînées, de réfléchir aux interventions pouvant aider à relever les défis et de choisir une intervention à implanter (voir Tableau 1).

Lors du deuxième cycle, qui s’est déroulé au cours des deux dernières années de l’étude, la conception d’un plan d’action visant à implanter l’intervention choisie, la mise en oeuvre de ce plan d’action et, enfin, l’évaluation des résultats ont été réalisées (voir Tableau 2).

La population ciblée dans chaque municipalité a été les personnes aînées vivant à domicile, les proches aidants de ces personnes et les représentants des organismes de la santé, municipaux et communautaires. Dans chacune des municipalités concernées, des participants permettant de former deux échantillons ont été recrutés. Le premier échantillon était composé de 15 personnes âgées vivant à domicile et acceptant de participer à une entrevue. Le deuxième échantillon regroupait 12 personnes devant former un groupe de réflexion action (GRA), soit quatre ou cinq personnes aînées, quatre ou cinq proches aidants de personnes aînées vivant dans chaque municipalité, trois représentants provenant d’un organisme communautaire, du centre intégré de services sociaux et de la santé (CISSS) ou de la municipalité qui ont accepté de participer à une entrevue de groupe et à environ sept rencontres sur une période de deux ans visant, entre autres, le choix d’une intervention et la mise en oeuvre de celle-ci. Les participants répondaient aux critères de sélection que l’on retrouve dans le Tableau 3.

Tableau 1

Description des étapes – Cycle 1

Description des étapes – Cycle 1

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Tableau 2

Description des étapes – Cycle 2

Description des étapes – Cycle 2

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Une organisatrice communautaire a collaboré, avec une assistante de recherche, au recrutement des personnes aînées et des proches aidants. À cet égard, elle a communiqué avec les personnes répondant aux critères de sélection, leur a expliqué le but de la recherche-action et les implications pour les participants. Au cours de cette démarche, une diversité d’âge, de genre et de statut socioéconomique des participants a été recherchée. Pour participer à l’étude, les personnes aînées devaient signer le formulaire de consentement. Pour recruter un représentant des organismes communautaires, de la santé et municipaux, une demande a été faite par la chercheure principale directement à la direction de chacun de ces organismes en leur précisant le but de la recherche-action et les implications pour les participants.

Un questionnaire sociodémographique a été rempli par chacun des participants. Par la suite, pour explorer les forces, les ressources et les défis des personnes aînées et les interventions aidantes, des entrevues individuelles (15) et de groupe (1) ont été réalisées avec les participants par des assistantes de recherche à l’aide d’un guide d’entrevue. Lors de l’entrevue, on leur demandait de répondre aux questions suivantes :

  1. Quelles sont les forces des personnes aînées, de leurs proches et de la communauté pouvant aider à améliorer le soutien à domicile des personnes aînées?

  2. Quelles sont les ressources des personnes aînées, de leurs proches et de la communauté pouvant aider à améliorer le soutien à domicile des personnes aînées?

  3. Quels sont les défis des personnes aînées, de leurs proches et de la communauté concernant le soutien à domicile des personnes aînées?

  4. Quelle est l’intervention qui permettrait d’améliorer le soutien à domicile des personnes aînées et que les participants souhaiteraient mettre en oeuvre?

Une analyse thématique de contenu s’inspirant de Miles et Huberman (2003) a été effectuée au cours de cycle 1 (voir Tableau 1). Cette analyse des données collectées lors des entrevues individuelles et de groupe a été effectuée à l’aide du logiciel NVivo®11. Les résultats de l’analyse, ainsi que des histoires fictives s’inspirant de ceux-ci, ont été présentés au GRA pour soutenir leur réflexion et le choix de l’intervention. À l’instar de Bourbonnais et Michaud (2018), l’utilisation d’une histoire pour présenter les résultats d’une étude (storytelling) a permis de donner un sens aux comportements humains dans un contexte précis et d’illustrer comment agir de façon significative devant ces comportements. Dans les faits, l’histoire a facilité la synthèse des résultats et la prise de décision. La collecte et l’analyse des données relatives à l’évaluation de chaque intervention lors du cycle 2 (voir Tableau 2) ont varié selon le but de chacune d’elles et l’état d’avancement de leur mise en oeuvre.

Tableau 3

Critères de sélection des participants

Critères de sélection des participants

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Résultats

Dans cette section, les caractéristiques sociodémographiques des participants sont résumées. Par la suite, les résultats globaux de l’analyse thématique du contenu des entrevues et les interventions choisies par les GRA sont présentés. Les apprentissages réalisés au cours du processus sont aussi abordés. Enfin, les obstacles auxquels les GRA ont été confrontés sont détaillés.

Quarante-cinq personnes aînées ont participé à une entrevue individuelle. La moyenne d’âge des participants était de 74 ans. Ces personnes avaient entre 65 et 95 ans, 36 parlaient français, 7 parlaient anglais et 5 étaient bilingues. Dix-huit étaient de sexe masculin et 27 de sexe féminin. Une majorité a dit recevoir du soutien à domicile, généralement offert par les membres de la famille, un ami ou un voisin. C’est principalement pour l’entretien de la maison que les participants recevaient du soutien.

Trente-quatre personnes ont participé aux GRA. Onze étaient des personnes aînées, 14 des proches aidants et 9 des représentants des organismes communautaires, de la santé ou municipaux. La moyenne d’âge des personnes aînées était de 70 ans, des proches aidants près de 63 ans et celle des représentants d’organisme de 50 ans. Huit étaient de sexe masculin et 26 de sexe féminin.

Les résultats de l’analyse thématique du contenu des entrevues ont été présentés aux membres des GRA. À titre d’exemple, la liste des thèmes provenant de la communauté A et l’histoire qui en découle, sont disponibles dans les Encadrés 1 et 2. Ces résultats ont permis aux membres des GRA d’identifier les forces, les ressources, ainsi que les défis de la population aînée de ces communautés et les interventions aidantes. Le soutien du réseau informel, le bien-être qu’offre la vie à la campagne, la liberté associée au permis de conduire ou l’accès à un transport ou à la livraison, le sentiment d’appartenance et la sécurité pour son domicile et sa communauté, être actif, en santé, positif et persévérant et avoir des projets sont les principales forces et les ressources qui sont ressorties. Par ailleurs, les défis auxquels les personnes aînées sont confrontées sont associés à l’obligation de quitter le domicile si elles se retrouvent dans une situation incapacitante, à l’adaptation à la perte d’autonomie et au transport pour contrer l’isolement social et géographique, à l’entretien intérieur et extérieur du domicile et à l’alimentation. Quant aux interventions aidantes, celles qui ont été suggérées concernent principalement l’entretien de la propriété, l’aide à domicile, les activités et les loisirs, le transport, les alternatives d’habitation (p. ex., subventions pour adapter le domicile, résidences avec ou sans services) et le soutien financier.

À partir des résultats de l’analyse thématique, les membres des GRA de chaque municipalité ont choisi une intervention visant à soutenir les personnes aînées à domicile et les plans d’action ont été mis en oeuvre. Ces plans d’action comprenaient les actions à poser (quoi), les moyens utilisés (comment), les responsables (qui), le résultat attendu (bien livrable), l’échéance (quand) et le résultat obtenu (bien livré) (voir un extrait d’un plan d’action au Tableau 4).

Les interventions choisies concernent le soutien pour l’entretien extérieur de la maison, le transport communautaire pour les besoins autres que médicaux et les démarches visant un projet d’habitation intergénérationnelle. Aucune de ces interventions n’a pu être implantée dans sa globalité au cours du cycle 2 de la recherche-action. D’autres actions sont requises pour atteindre les résultats envisagés. Lors des derniers GRA en février 2020, les plans d’action ont été révisés et transmis aux participants pour qu’ils puissent poursuivre leurs travaux. Aussi, les forces du groupe ont été identifiées par les participants (voir Tableau 2).

Lors de l’évaluation des résultats et de l’identification des nouvelles forces, les participants des GRA ont indiqué avoir fait plusieurs apprentissages. Ils ont, entre autres, pris conscience de leur méconnaissance des ressources externes existantes et, dans certains cas, ont été surpris de la collaboration de certaines d’entre elles. Ils ont aussi constaté la force du groupe et le leadership de certaines personnes. Par exemple, dans un des GRA, le pragmatisme, la constance et l’implication des participants, le partage des tâches, la variété et les talents des personnes impliquées et leur capacité de communiquer et de travailler ensemble sont les forces qui leur ont permis d’être efficaces. Dans un autre GRA, les participants ont dit que l’étude leur avait donné une bonne base et qu’ils étaient plus solides pour continuer la mise en oeuvre de l’intervention.

Tableau 4

Extrait d’un plan d’action d’un groupe de réflexion action – communauté A

Extrait d’un plan d’action d’un groupe de réflexion action – communauté A

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Or les membres ont aussi identifié plusieurs obstacles ayant influencé leur participation et les résultats. Dans les faits, la participation des membres des GRA aux rencontres formelles ayant eu lieu environ aux trois ou quatre mois au cours de l’étude a varié. Elle a généralement diminué à partir de la troisième rencontre (voir Figure 1). Ces obstacles sont notamment reliés à la durée de l’étude, à l’échéancier prévu, à la complexité des interventions choisies et au déséquilibre dans l’implication des participants.

La durée de l’étude de trois ans a impacté l’engagement et la participation des membres des GRA. C’est surtout le cycle 2 de l’étude (voir Tableau 2) qui a été exigeant, soit après la troisième rencontre formelle. Les étapes de ce cycle se sont échelonnées sur une période d’environ deux ans au cours de laquelle les participants ont assisté à cinq ou six rencontres formelles et ont posé diverses actions pour mettre en oeuvre le plan d’action. Ces actions étaient, par exemple, une rencontre avec les citoyens de la municipalité, la visite d’un milieu spécifique, la réalisation d’un inventaire des subventions possibles, la participation à une rencontre avec le responsable d’un organisme partenaire, la participation à une formation, la préparation d’une annonce ou d’un communiqué ou un échange téléphonique avec le représentant d’un organisme subventionnaire possible.

Échéancier prévu

Dans le protocole de recherche, plus précisément dans l’échéancier, trois rencontres avec les GRA lors du cycle 1 se terminant par le choix d’une intervention à implanter étaient planifiées. Dans un des GRA, les participants n’ont pas été en mesure de respecter cet échéancier. En fait, lors de la troisième rencontre, les participants se sont dits inquiets quant à la lourdeur de la tâche et à ses implications pour eux. Ainsi, le choix de l’intervention a nécessité une rencontre formelle supplémentaire. De plus, au cours des trois mois qui ont suivi, des rendez-vous avec l’organisme partenaire ciblé ont eu lieu et le plan d’action a été préparé. Cette situation, qui nécessitait des ajustements, a demandé beaucoup de souplesse de la part des membres de l’équipe de recherche. Ils ont dû organiser rapidement de nouvelles rencontres et offrir un soutien plus important aux membres du GRA pour les rassurer sur leur choix et leur permettre d’avancer dans la préparation et la mise en oeuvre du plan d’action.

Complexité des interventions

La mise en oeuvre des interventions a été aussi, pour tous les GRA, un défi qui a affecté leur efficacité. Ce défi découlait principalement du type de tâches ou du nombre important de personnes ou d’organismes concernés par l’intervention choisie. Dans les faits, certaines tâches étaient complexes, nécessitaient des habiletés particulières et prenaient du temps, par exemple faire un inventaire des subventions possibles, organiser une rencontre avec les citoyens, préparer une affiche ou un sondage, communiquer avec le journal local. Dans certains cas, la tâche était faite par un des membres du GRA et, dans d’autres cas, c’était un sous-groupe du GRA qui la réalisait.

Figure 1

Présence des membres des GRA aux rencontres formelles

Présence des membres des GRA aux rencontres formelles

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Aussi, le nombre important de personnes ou d’organismes concernés par l’intervention choisie a été un frein à l’efficacité des GRA. Concrètement, ceci demandait aux membres des GRA de faire plusieurs communications avec ces personnes ou ces organismes et de tenir compte des diverses possibilités qui s’offraient à eux (p. ex., informations sur la structure et le fonctionnement d’une résidence pour personnes âgées existante, explorer les possibilités de subventions), mais aussi des contraintes (p. ex., disponibilité limitée de terrain pour construire une résidence accueillant des personnes âgées, non-éligibilité à une subvention). Dans les interventions choisies par chaque GRA, le nombre de parties prenantes identifiées dans les plans d’action variait de 5 à 12 personnes ou organismes. Il est intéressant de noter que l’intervention impliquant le moins de parties prenantes est celle qui était la plus avancée à la fin de l’étude.

Déséquilibre dans l’implication des participants

Dans la composition des GRA, on retrouvait un représentant de la municipalité, un représentant du réseau de la santé et un représentant des organismes communautaires. Les huit autres membres des GRA étaient des personnes âgées et des proches aidants de ces personnes. Or la présence et la collaboration de représentants d’organisme, qui ont été parfois très importantes, ont créé un déséquilibre dans certains GRA. En fait, les personnes aînées et les proches aidants dans ces GRA ont été moins présents aux rencontres formelles et ont pris moins de responsabilités dans la mise en oeuvre de l’intervention.

Discussion

La présente étude visait le DPA de communautés au regard du soutien à domicile des personnes aînées. Pour atteindre ce but, une recherche-action s’inspirant de la pratique fondée sur les forces de Gottlieb (2014) et se déroulant en deux cycles a été menée dans trois communautés. Les activités qui ont eu lieu lors de cette étude, notamment l’exploration des forces, des ressources et des défis, le choix d’une intervention et la mise en oeuvre et l’évaluation de celle-ci, ont permis aux participants d’agir sur un besoin qui était important pour eux. En fait, il ressort des propos des participants que les démarches effectuées ont semé les germes permettant d’augmenter le pouvoir d’agir des communautés participantes. Bien que les interventions n’aient pas été finalisées entièrement au cours de la durée de l’étude ni les obstacles identifiés, de nouvelles forces ont émergé du processus, entre autres en ce qui a trait à la connaissance des ressources existantes, ce qui est généralement une des premières retombées positives d’une action collective (Côté et al., 2010), à l’importance du travail d’équipe et à l’utilisation des talents de chacun.

Les résultats de cette étude ont des implications d’ordre interactionnelles, sociales et scientifiques pour la transformation et l’émancipation des communautés. Plus précisément, ces implications ont trait à l’intégration des participants dans le processus, à l’équilibre des rapports de pouvoir, au soutien à la mise en oeuvre des interventions, à la disponibilité des participants, à l’ouverture et la souplesse relatives au temps et, enfin, au respect des caractéristiques des participants aînés.

Intégration des participants dans l’équipe de recherche

Une démarche de recherche-action doit établir entre les partenaires des rapports de confiance et d’ouverture à la diversité des points de vue. La recherche et l’action relevant d’impératifs de production distincts, il importe de codéfinir le projet de recherche et la mobilisation des connaissances dès son idéation et sa conceptualisation. La demande de financement a donc été élaborée conjointement par les chercheurs et l’OC, puis obtenue auprès d’un bailleur de fonds public dans le cadre d’un programme de recherche-action partenariale. L’équipe de recherche était composée de quatre chercheurs, soit deux infirmières, une sociologue, un organisateur communautaire, et de quatre personnes provenant de l’OC. La gouvernance de la recherche se voulait partagée, en impliquant également les assistants de recherche, et en reconnaissant les expertises des acteurs, soit les chercheurs, pour le processus et la méthodologie de recherche, et l’OC, pour la sensibilité aux besoins des personnes aînées, la proximité avec les communautés et la connaissance de la dynamique communautaire.

La recherche-action a amené les acteurs universitaires à assouplir et à adapter le devis de recherche pour tenir compte du rythme de travail différencié des trois GRA, ceci non seulement en raison des contingences du processus d’action collective, mais en raison du refus d’une posture d’experts (basée sur la détention de savoirs scientifiques) au profit de celle d’accompagnateurs (basée sur le partage des savoirs). Cette posture d’accompagnateurs (Paul, 2003, 2004) ne nie pas les rôles et contributions spécifiques des chercheurs quant à la dimension scientifique de la démarche, mais elle implique la reconnaissance que leur présence et leur interaction avec les acteurs et le terrain font d’eux-mêmes des acteurs de l’action collective. Les acteurs chercheurs sont alors interpellés non seulement par la compréhension des phénomènes et des dynamiques qui structurent l’action collective, mais aussi par ses résultats sur les personnes et les communautés visées. L’accompagnement comporte alors une posture d’alliés des premiers concernés par la recherche-action. Les alliés désignent ici des acteurs qui ne sont pas personnellement concernés par une problématique, mais qui souhaitent contribuer à sa résolution. Être alliés c’est être uni par un engagement mutuel dans une relation qui bénéficie à tous, mais qui n’est pas inconditionnelle, car elle se base sur l’éthique de la recherche et le rôle spécifique des chercheurs qui comporte ses limites.

L’équipe de chercheurs a mobilisé de nombreuses compétences et expertises, mais pas forcément au niveau des processus de DPA individuels (Ninacs, 2008) et des pratiques de participation citoyenne des personnes marginalisées (Mercier et al., 2020) que commandaient la composition et la dynamique des GRA. L’équipe de recherche aurait peut-être gagné à intégrer des représentants des trois GRA afin de les associer plus étroitement à la recherche-action, de favoriser le partage d’expériences, d’éclairer davantage l’équipe de recherche quant au vécu des GRA et d’augmenter la participation, entre autres, au cours du cycle 2.

Réduction des rapports de pouvoir entre les participants

Les accompagnateurs dans une démarche de DPA ont un rôle d’agent de changement en aidant les communautés à identifier ce qui est important pour elles, mais aussi en recréant un mouvement lorsqu’il y a un blocage (Vallérie & Le Bossé, 2006). À cet égard, le rôle des chercheurs dans la présente étude a été cohérent avec celui d’agents de changement. En fait, un soutien à la démarche de DPA a été offert principalement lors des rencontres des GRA, mais aussi entre ces rencontres.

Les résultats de la recherche-action mettent par ailleurs en lumière l’importance de l’implication des élus locaux en tant que facteur favorable au DPA des communautés, comme le soutiennent Lachapelle et Bourque (2020). L’expérience d’un GRA a montré que cette implication doit cependant aller de pair avec l’accompagnement des personnes pour développer leur capacité à participer aux débats et avec des méthodes d’animation des réunions visant la réduction des rapports de pouvoir asymétriques entre les participants (élus, fonctionnaires, intervenants, citoyens). Cette double stratégie aurait encouragé l’inclusion de toutes les personnes impliquées et l’ouverture des échanges et évité ce qui a « peut-être fait peur aux autres membres [du GRA] et influencé leur participation » (extrait des propos d’un membre d’un GRA).

Soutien à la mise en oeuvre des interventions

Les interventions choisies par les GRA répondaient à des besoins qui dépassaient la seule capacité endogène des communautés et qui appellent, sous une forme ou une autre, le soutien de politiques ou de programmes publics. Même si les communautés font preuve d’une volonté de prise en charge des besoins en soutien à domicile des personnes aînées, cette mobilisation sociale ne peut se suffire à elle-même et doit être supportée à la fois dans les processus d’action collective (p. ex., soutien professionnel, présence adéquate des institutions et des élus locaux) et dans la mise en oeuvre des interventions identifiées (p. ex., accès au financement, assouplissement des normes institutionnelles).

Malgré la bonne volonté et le niveau élevé d’implication des participants dans les trois GRA, des obstacles importants à leur engagement sont apparus, dont la lourdeur de la charge de travail et la complexité des interventions. Cela met en évidence le besoin d’un soutien professionnel à l’action collective qui a été assumé du mieux qu’ils ont pu par les chercheurs. Ce soutien comportait des tâches techniques et logistiques (p. ex., convocation des réunions, soutien pour les comptes rendus et les démarches publiques), mais il concernait surtout des aspects stratégiques comme le processus d’apprentissage de l’action collective dans un groupe et sa gouvernance démocratique. Ces aspects stratégiques nécessitent un leadership rassembleur et l’inclusion de toutes les parties prenantes qui auraient gagné à être davantage développés dans la démarche de recherche-action. À cet égard, une formation préalable aux activités de groupe pour les personnes qui assurent ce soutien professionnel portant sur la dynamique de groupe restreint et les relations d’influence et de pouvoir à l’intérieur d’un groupe pourrait être bénéfique.

Considération de la disponibilité des participants lors de la sélection

Dans les faits, cette recherche-action est une application rigoureuse d’une démarche de DPA de communautés relativement au soutien à domicile des aînés s’inspirant d’un cadre de référence basé sur les forces des participants (Gottlieb, 2014; Gottlieb et al., 2006). Les résultats obtenus indiquent qu’elle a permis aux participants de choisir une intervention pertinente pour leur communauté et qu’une participation démocratique aux travaux est un facteur favorisant l’efficacité de ceux-ci. Par ailleurs, ces résultats mettent aussi en évidence des difficultés relatives à la rétention et à l’inclusion des participants dans le GRA. À cet égard, il serait nécessaire de revoir les informations données quant aux implications du projet pour les participants ainsi que les critères de sélection de ceux-ci. En fait, dans ce type de recherche, il est impératif de s’assurer, dès le début, que les participants sont en mesure de participer activement aux travaux du GRA (Cosimo, 2017; Ekman & Amnå, 2012). Or, dans la présente étude, le processus de sélection des participants n’incluait pas précisément un tel critère. Par exemple, les personnes aînées recrutées devaient être âgées de 65 ans et plus, vivre à domicile dans la communauté ciblée depuis plus de six mois et se considérer en perte d’autonomie. Quant aux proches aidants, ils devaient s’occuper régulièrement, depuis plus de six mois, d’une personne aînée vivant à domicile dans la communauté ciblée. Ainsi, dans une étude ultérieure, il serait utile, voire nécessaire, d’inclure dans le processus de sélection des participants un critère relatif à la disponibilité attendue aux rencontres formelles et informelles du GRA des participants. Avec un tel critère, les participants potentiels seraient davantage conscients des attentes par rapport à leur participation. De plus, cela contribuerait à la stabilité dans les GRA et permettrait d’équilibrer les forces au sein de ceux-ci. En fait, dans une recherche-action, la dynamique de groupe est au coeur des enjeux du bon fonctionnement des interactions sur le terrain (Numans et al., 2019). Ainsi, il est difficile, voire quasi impossible, d’équilibrer les forces au sein d’un groupe lorsqu’il y a une instabilité dans la présence et l’engagement des participants (Roy & Prévost, 2013), car l’appropriation du projet est alors à géométrie variable entre ceux-ci. Une importance majeure doit être alors mise dans l’équilibre des pouvoirs au sein du groupe (Numans et al., 2019). Or, dans la présente étude, l’équilibre entre les savoirs issus des personnes âgées et des décideurs locaux et ceux des chercheurs a été mis à l’épreuve lorsque la présence des participants dans les GRA a diminué. Cette situation est susceptible d’allonger le temps de réalisation de l’étude et augmente le risque, pour les chercheurs préoccupés par la durée de l’étude, de glisser dans la consultation plutôt que d’être des coacteurs qui agissent pour répondre aux besoins et préoccupations qu’ils partagent avec les participants (Roy & Prévost, 2013).

Ouverture et souplesse concernant le temps

La mise en place d’une culture favorisant le DPA d’un groupe demande du temps (Roy & Prévost, 2013). En ce sens, dans la présente étude, il a été nécessaire d’allonger la durée du cycle 2 pour permettre aux membres des GRA d’atteindre leur but. Dans les faits, la recherche-action entraîne un impératif d’ouverture et de souplesse des chercheurs concernant le temps (Morrissette, 2013). En début de projet, tout ne peut être déterminé dans les moindres détails puisqu’un des objectifs de la recherche-action est justement de réaliser une réflexion entre les participants afin de déterminer les actions à mettre en oeuvre pour résoudre un problème (Stringer, 2014). L’imprévisibilité du temps pour réaliser une réflexion complète avant de passer à l’action et le va-et-vient possible entre les étapes exigent souvent de prolonger les délais anticipés initialement dans la planification du projet (Morissette, 2013). Cette situation est un enjeu parfois difficile compte tenu des protocoles de recherche pouvant être rigides et des limites de temps imposées par les organismes subventionnaires. De plus, le manque de temps est susceptible de pousser indûment les chercheurs et les décideurs locaux à vouloir choisir des solutions pour les participants afin de respecter le délai prescrit. En ce sens, dans un devis de recherche-action, une souplesse plus grande tenant compte de l’imprévisibilité des délais en ce qui concerne le processus de réflexion en groupe devrait être envisagée afin de permettre aux participants de ne pas se sentir bousculés, d’exprimer leurs préoccupations, de participer aux travaux en fonction de leur intérêt et de leur expertise et de faire des choix réalistes quant au but et aux moyens de l’atteindre.

Adaptation du processus aux caractéristiques des participants aînés

Il apparaît important que les participants, ainsi que les chercheurs, aient confiance dans les savoirs des personnes aînées et, aussi, qu’ils reconnaissent la force découlant de la variété des compétences dans un groupe. De plus, le processus de recherche se doit d’être adapté aux caractéristiques des participants des GRA. En fait, comme cela a été précisé, les moyennes d’âge des participants des GRA représentant les personnes aînées et les proches aidants et composant la majeure partie des groupes étaient respectivement de 70 et 63 ans.

Comme il a été mentionné précédemment, dans un processus de recherche-action où l’on veut inclure des personnes aînées à titre de participants, leurs savoirs doivent être entendus. Or nous savons, devant la disqualification à laquelle ces personnes sont confrontées, qu’elles hésitent souvent à s’exprimer (Blais, 2006; Olazabal & Simard, 2018). Dans la présente étude, nous avons compris cette hésitation quand, entre autres, des participants ont dit qu’ils n’étaient pas toujours à l’aise de prendre la parole dans un grand groupe et ne se sentaient pas toujours compétents pour faire certaines tâches plus complexes. Il est possible que l’absentéisme observé de certains d’entre eux dans les GRA soit également la conséquence d’un manque de confiance en leurs capacités. Pour diminuer ce phénomène, il s’avère important que les chercheurs soutiennent les participants en démontrant qu’ils ont confiance dans leurs savoirs et leurs capacités. L’encouragement, la valorisation, l’inclusion, le soutien lors d’un blocage, l’accompagnement et le respect des droits d’auteurs sont tous des moyens pouvant être utilisés par les chercheurs pour augmenter la confiance des personnes aînées. Ils peuvent aussi s’informer et réfléchir sur les divers mythes relatifs aux personnes aînées (p. ex., déclin cognitif et vieillesse, manque d’intérêt des personnes âgées pour le numérique, hors du bénévolat point de salut; Billette et al. [2018]), afin de les déconstruire s’il y a lieu et être en mesure de travailler efficacement en collaboration avec elles. Entre autres, Raymond et al. (2018) soulignent que la participation sociale n’est pas toujours synonyme de santé pour les personnes vieillissantes. Dans des groupes de discussion avec ces personnes relativement à leurs défis, celles-ci indiquent manquer de temps pour faire ce qu’elles souhaitent, sentir de la pression de leur entourage pour assumer des tâches, avoir de la difficulté à dire non, être fatiguées et vouloir ralentir le rythme (Raymond et al., 2018). Il importe donc de prendre en considération ces informations et de s’assurer, lors du recrutement des participants, de leur bien-être et de leur volonté réelle de s’impliquer.

Forces et limites de l’étude

La présente étude est un exemple d’une recherche-action réalisée auprès de trois communautés, et ce, en partenariat avec un organisme communautaire. Elle respecte les critères d’évaluation d’une recherche-action énoncés par Waterman et al. (2001) pour ce qui est, entre autres, de la conception du protocole, de la flexibilité et de l’adaptabilité de celui-ci, ainsi que de la transférabilité des résultats. De plus, l’utilisation d’un cadre de référence en soins infirmiers basé sur les forces a été pertinente pour structurer la collecte de données et le déroulement de l’étude. Les deux cycles de la recherche-action ont permis d’impliquer graduellement les membres des GRA dans le processus de recherche. Même si les interventions choisies n’ont pas été finalisées en raison du manque de temps, et aussi des restrictions sociosanitaires dues à la pandémie de COVID-19 ayant débuté en mars 2020, les résultats sont utiles pour les recherches futures. Ils permettent de cerner les implications entourant le partenariat entre des parties prenantes ayant différents savoirs, expertises ou forces (p. ex., chercheurs, organismes communautaires, représentants d’organismes municipaux, personnes âgées). Les résultats sensibilisent aussi les chercheurs voulant réaliser une recherche-action aux enjeux relatifs à la durée de l’étude et à la disponibilité des participants.

Étant donné les obstacles auxquels les participants et les membres de l’équipe de recherche ont été confrontés, l’étude présente certaines limites pouvant avoir influencé les résultats. Malgré les rappels fréquents au téléphone, par courriel, voire par la poste, quelques participants n’ont jamais été présents aux rencontres et d’autres ont été absents à plusieurs reprises pour diverses raisons. Ce constat peut, entre autres, s’expliquer par des tensions entre l’autonomie et les ressources des participants et l’expertise provenant des membres du groupe de recherche. En fait, les membres de l’équipe de recherche ont tenté, principalement au cours du cycle 2 de l’étude, de soutenir les participants tout en respectant leur choix. Par ailleurs, comme il a été souligné précédemment, certains plans d’action et tâches étaient complexes et les participants n’avaient pas toujours les ressources et la disponibilité pour les réaliser, tel que nommé par quelques-uns lors du bilan des apprentissages à la fin du projet. Ces tensions peuvent avoir entraîné des insatisfactions et des malaises expliquant la décroissance de la participation et de l’engagement et, conséquemment, avoir diminué la richesse des propos, modifié les choix faits et influencé la production de savoirs.

Conclusion

La recherche-action étant fondamentalement un processus de coapprentissage entre acteurs (Gélineau et al., 2012), les chercheurs impliqués en ont tiré des acquis transférables dans d’autres projets de recherche. Dans l’optique d’un développement local durable, les aspects de l’engagement des participants, de l’équilibre du pouvoir au sein du groupe et du respect des disponibilités, des compétences et des capacités des participants doivent être considérés lors d’études ultérieures utilisant un devis basé sur la recherche-action auprès de communautés ou de l’implantation d’une intervention visant le développement du pouvoir d’agir d’une communauté.