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Le secteur coopératif représente à ce jour dans le monde près d’un milliard de membres et plus de 100 millions d’emplois. En France, il compte 21 000 entreprises, près d’un million de salariés pour 288 milliards de chiffres d’affaires – autant dire un pan non négligeable de la vie économique française. Il est pourtant souvent ignoré du grand public, voire parfois dénigré par les acteurs du secteur purement capitaliste, qui y voit, sur fond de mondialisation de l’économie, une structure au management et à l’organisation trop atypique, pour ne pas dire utopique.

Les sociétés coopératives – et plus particulièrement la Scop, « société coopérative et participative », dont il sera question ici – n’ont cependant pas fini de faire parler d’elles dans les prochaines années. En atteste la décision de l’Organisation des Nations unies de faire de 2012 l’année de la coopérative, de même que l’ensemble des mesures, annoncées par le gouvernement ces derniers mois, destinées à créer le « choc coopératif » tant attendu des acteurs du secteur. Leur nombre a d’ailleurs considérablement augmenté : pour la seule année 2012, la Confédération générale des Scop relevait 248 sociétés coopératives et participatives supplémentaires, portant à 2 165 le nombre total de Scop françaises.

La Scop constitue aujourd’hui une forme sociale à part entière au sein de la palette des statuts juridiques offerts aux porteurs de projet par le législateur français. Elle n’a cependant pas, contrairement aux formes sociales de type capitaliste, vocation à générer du profit, mais à réaliser des économies en mettant en commun des moyens pour en tirer avantage. Elle se distingue en effet de ses consoeurs françaises (SNC, SARL, SA, SAS, SCA, etc.) par les moyens utilisés pour parvenir à ce résultat, puisque ses membres, les associés salariés, désignés sous le terme de coopérateurs, usent d’autres voies que celles d’un capitalisme donnant la prééminence à la seule détention du capital social.

A mi-chemin entre la société et l’association, elle est, au sein des formes sociales mises à la disposition de l’entrepreneur français, une forme sociétaire largement inspirée par les principes singularisant le secteur dont elle est issue : le secteur coopératif. Ce mouvement, se revendiquant traditionnellement de l’économie sociale et solidaire (ESS) et reconnu comme tel par le projet de loi relatif à l’ESS présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2013, instille dans l’organisation sociétaire des principes très éloignés de ceux gouvernant les structures sociétaires plus usitées, comme la SA ou la SARL. Elle doit cependant impérativement en emprunter la forme, puisque l’article 3 de la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production oblige ses créateurs à opter pour l’une de ces deux formes sociales : la SARL ou la SA. Aucune autre forme sociale ne peut être utilisée. La société par actions simplifiée (SAS), qui connaît pourtant un énorme succès pour son élasticité, ne peut donc pas, actuellement, servir d’habitacle juridique à un modèle sociétaire coopératif.

A l’heure où un vent de modernisation semble souffler sur le sort des Scop françaises, cette obligation posée par le législateur il y a plus de trente ans mérite que l’on s’y attarde afin de mesurer l’opportunité, pour les créateurs et les repreneurs d’une Scop, d’emprunter à l’avenir le statut juridique de la SAS.

Au-delà du fait de moderniser, d’un point de vue strictement marketing, afin de le rendre plus attractif, un régime parfois perçu comme poussiéreux, la création d’une Scop revêtant la forme juridique de la SAS, envisagée dans le titre III du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire précité, paraît être une proposition logique, puisque, pour résumer nos propos à venir, tout ce qui est pratiqué dans une Scop peut parfaitement l’être dans une SAS, avec des possibilités supplémentaires offertes aux coopérateurs.

La présente étude s’attachera donc (malgré les réticences par ailleurs légitimes de certains acteurs du secteur coopératif craignant d’une telle proposition une dénaturation des principes inhérents à la société coopérative et participative [1]) à démontrer l’obsolescence de l’article 3 de la loi de 1978 et, a fortiori, l’opportunité du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, en rappelant tout d’abord que l’adoption d’un statut Scop SAS permettrait aux porteurs de projet non seulement de créer une société sur mesure et d’adopter, grâce à l’incroyable souplesse contractuelle du régime juridique de la SAS et à sa grande malléabilité, et par un phénomène d’acculturation réciproque, les principes et pratiques coopératifs actuels sans les dénaturer, mais également – et là réside tout son intérêt – d’obtenir davantage de souplesse en termes d’exigence comptable et de gouvernance.

Scop et SAS : une acculturation étonnamment naturelle

Il convient de partir du constat suivant : tout ce qui est pratiqué dans une Scop peut parfaitement l’être dans une SAS, tout au moins d’un point de vue strictement juridique. Contrairement à l’image d’Epinal traditionnellement attachée à chacune de ces deux formes sociales – Scop à vocation sociale et SAS à vocation purement capitaliste –, leurs régimes juridiques respectifs sont loin d’être antinomiques. La présente étude démontrera qu’au contraire les principes coopératifs fondant l’essence même de la Scop peuvent parfaitement se mouler, ou tout au moins s’acclimater, dans le cadre juridique de la SAS tel qu’il a été prévu par le législateur français. Ce premier constat, bien que ne jouant pas a priori en faveur de la création d’une Scop SAS (on pourrait en effet se demander pourquoi, face à tel parallélisme de possibilités, emprunter la forme juridique de la SAS), aboutira à la conclusion suivante : les pratiques existantes dans les Scop sont adaptables au sein d’une SAS. Dès lors, pourquoi limiter la forme juridique des sociétés coopératives et participatives aux seules SA ou SARL et ne pas faire profiter les coopérateurs de l’attractivité juridique et marketing de la SAS ?

Les principes coopératifs inhérents à la Scop

Le droit des sociétés coopératives est profondément marqué par des principes dérogeant aux règles traditionnelles de notre droit commun des sociétés capitalistes (ou tout au moins à son esprit). Habité par ces principes, le régime juridique de la Scop fait ainsi figure d’exception, tant au regard des choix qu’ont à effectuer les coopérateurs au moment de sa création qu’à son mode de fonctionnement. Ils sont résumés comme suit :

  • Variabilité du capital. Le coopérateur peut entrer et sortir librement de la société en exerçant son droit de retrait, sans formalisme subséquent pour l’entité

  • Gestion désintéressée. Le coopérateur est davantage intéressé par la recherche d’un service que par celle d’un profit

  • Démocratie et management participatif. Le coopérateur dispose d’une voix au sein des assemblées, quelle que soit sa participation au capital social de la société

  • Altruisme et partage équitable de l’excédent net de gestion. Les coopérateurs contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle

L’ensemble de ces principes peut parfaitement être respecté et adopté dans une SAS, puisqu’elle permet du sur-mesure juridique.

Les principes coopératifs applicables dans une SAS

Si l’on reprend les principes énumérés ci-dessus en les étudiant à l’aune du régime juridique de la SAS, on ne peut que constater que rien n’empêche leur insertion dans une SAS. Cette dernière a en effet pour principale caractéristique d’avoir été très largement abandonnée par le législateur à la liberté contractuelle. Par rapport à la SA, et dans un moindre degré par rapport à la SARL, elle fait figure de havre de liberté contractuelle. La rendre utilisable par les coopérateurs leur permettrait, via les statuts, d’adopter l’ensemble des principes coopératifs susmentionnés en les moulant dans une version peut-être plus « sexy », ou en tout cas plus moderne, que la Scop SARL ou SA.

La variabilité du capital

Le capital des Scop, qu’elles soient SARL ou SA, est nécessairement variable. Gravé dans le marbre depuis la loi n° 47-1775 du 24 juillet 1867, ce principe singularise a priori la Scop des autres formes sociétaires existantes, puisque le droit français des sociétés, très attaché à la protection des tiers contractants avec l’entité concernée, pose le principe de la fixité du capital social, en vertu duquel un associé ne peut en principe pas exercer à la demande (à tout moment) son droit de retrait d’une société aux fins de la quitter, à moins que les associés n’aient prévu dans les statuts une clause dite de variabilité du capital permettant justement un tel retrait.

La Scop fait donc, sous cet angle et lorsqu’elle est constituée sous forme de SA, figure d’exception, puisque son capital est, en vertu de la loi, obligatoirement variable. Il s’agit là d’une véritable poche de liberté pour les sociétés coopératives et participatives. Cela implique, en pratique, que le capital de la Scop peut varier à la hausse ou à la baisse assez facilement et, corrélativement, que les salariés peuvent entrer et sortir facilement de la société par voie d’apport ou de retrait de leur apport.

Alors que dans les sociétés à capital fixe (hormis la société civile, qui est une société avec droit de retrait) l’associé souhaitant exercer son droit de retrait ne peut en effet pas modifier le capital sans procéder à une assemblée générale extraordinaire (AGE), avec toutes les formalités que cela implique, la tenue d’une telle assemblée n’est pas requise dans le cadre d’une société à capital variable. Le capital pourra donc être revu à la baisse ou à la hausse sans qu’il soit nécessaire de procéder à une AGE si l’un des associés fait valoir son droit de retrait, conférant ainsi à son apport une liquidité plus forte que dans les sociétés à capital fixe, particulièrement adaptée aux entités dans lesquelles le capital bouge vite, ce qui peut être le cas lorsque les salariés détiennent au moins 51 % du gâteau.

Ce principe de variabilité du capital inhérent à la Scop n’empêche cependant en rien celle-ci de revêtir la forme d’une SAS, bien au contraire, puisque la loi prévoit que toutes les sociétés, à l’exception de la SA, peuvent en réalité insérer une clause dite de variabilité du capital dans le pacte social. L’article L. 231-1 du Code de commerce dispose en effet en ces termes : « Il peut être stipulé dans les statuts des sociétés qui n’ont pas la forme de société anonyme ainsi que toute société coopérative que le capital social est susceptible d’augmentation par des versements successifs des associés ou l’admission d’associés nouveaux et de diminution par la reprise totale ou partielle des apports effectués. » Une SAS, tout comme une Scop SA ou SARL, peut donc être à capital variable si ses créateurs le décident.

La variabilité du capital peut donc être respectée, via une disposition statutaire, dans la SAS. Force est de constater, au regard de cette première similitude en termes de possibilités pour les coopérateurs, que la Scop SAS permettrait de respecter l’esprit coopératif sous l’angle de la modification du capital.

Un management participatif et une gestion démocratique

D’inspiration démocratique, le statut légal des Scop prévoit en effet un fonctionnement sociétaire tout d’abord participatif. Les salariés de la Scop détenant obligatoirement au minimum 51 % du capital social et 65 % des droits de vote, ils participent aux décisions stratégiques de l’entreprise lors des assemblées générales annuelles. Les dirigeants d’une Scop n’ont par conséquent pas d’autre choix que de pratiquer un management participatif impliquant les salariés coopérateurs, dans la mesure où, que l’entreprise soit toute petite ou très grande, les salariés, de par leur position majoritaire dans le capital, en sont les décideurs.

En sus d’être partagé, le pouvoir y est égalitaire : comme dans toutes les sociétés coopératives, s’applique le principe démocratique selon lequel « une personne égale une voix ». Peu importe, en effet, la participation de chaque coopérateur au capital social et sa date d’adhésion à la coopérative, chaque associé dispose d’une voix dans les assemblées générales quel que soit le montant du capital qu’il détient dans l’entreprise. Sur le plan politique, l’égalité des membres est donc parfaitement assurée, contrastant, là encore, avec la règle traditionnelle des sociétés dites capitalistes selon laquelle un associé dispose d’autant de voix que de titres.

Ce principe d’égalité peut parfaitement être adapté dans une SAS, puisque, hormis les décisions de modification du capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation, de nomination de commissaires aux comptes, s’il en existe, d’approbation des comptes annuels et d’affectation des bénéfices qui doivent être prises collectivement, c’est le règne de la liberté contractuelle. Il peut donc être prévu, via les statuts, une proportion entre droit de vote et quotité du capital, autrement dit une modulation des droits de vote. Là encore, statut Scop et statut SAS se conjuguent parfaitement.

Une répartition équitable

Il en va de même sur le plan financier, puisque la Scop est régie par le principe de répartition équitable des résultats. Comme toute entreprise, elle a vocation à réaliser des profits. Toutefois, contrairement à une société classique, ces profits, qualifiés d’excédents nets de gestion (et non de bénéfices), doivent être équitablement répartis entre ses trois composantes : la société, les salariés et les associés. Une part est en effet prioritairement affectée aux réserves de l’entreprise, pour au moins 16 % de leur montant. Ces réserves sont destinées à renforcer la structure financière de la Scop. C’est la raison pour laquelle elles sont impartageables et définitives : elles demeurent le patrimoine commun de la Scop durant toute la vie de l’entité et assurent ainsi sa pérennité et son indépendance vis-à-vis des tiers. Une deuxième part va ensuite aux salariés, pour au moins 25 % de son montant. Cette « part travail » fait le plus souvent l’objet d’un accord de participation, lui permettant de ne pas être soumise aux cotisations sociales et à l’impôt. La troisième et dernière part peut enfin être distribuée aux associés en rémunération du capital souscrit, à condition que les statuts le prévoient et pour un montant nécessairement inférieur à la « part travail ». Là encore, grâce à la souplesse du régime juridique de la SAS, une telle répartition peut être prévue par les coopérateurs dans les statuts.

Force est donc de constater que tout ce qui est pratiqué dans une Scop peut l’être dans une SAS. Cela conduit naturellement à militer en faveur de la possibilité pour les coopérateurs de choisir la SAS, en sus de la SA et de la SARL, ne serait-ce que pour moderniser l’image un peu « vieillotte » trop souvent attachée aux sociétés coopératives et participatives.

Se pose alors la question de savoir, au-delà de l’évidente modernisation « marketing » de l’habit juridique que cela représenterait pour les Scop en général, quels sont, au-delà de leur similitude en termes de possibilités juridiques, les avantages supplémentaires que conférerait l’adoption d’un statut Scop SAS pour les entrepreneurs coopérateurs.

La Scop SAS : une alternative entrepreneuriale nécessaire

Il a pu être constaté, dans le cadre des recherches effectuées pour la présente étude, que certaines coopératives ont adopté dans leur statut la forme juridique de la SAS, alors même que cette option n’était pas prévue par le législateur. C’est le cas de la coopérative Habicoop, créée en 2005 et qui a pour activité d’accompagner la création et le développement des coopératives d’habitants. L’article 1 de ses statuts stipule en effet qu’« il est formé par les présents entre les propriétaires des parts sociales ci-après créées et de celles qui pourraient l’être ultérieurement, une société coopérative par actions simplifiée à capital variable régie par les lois en vigueur, notamment par les dispositions de la loi n° 41-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, du livre II du Code de commerce relatives aux sociétés commerciales qui ne lui sont pas contraires et notamment des articles L. 231-1 à L. 231-8, ainsi que par les présents statuts ». D’autres coopératives ont utilisé l’appellation sui generis « société anonyme par actions simplifiée » brouillant ainsi les pistes quant à la forme juridique de leur entité.

Face à de telles pratiques, se pose évidemment la question de savoir pourquoi ces entrepreneurs ont délibérément choisi de ne pas recourir à l’une ou l’autre des formes sociales spécialement prévues pour eux par la loi de 1978 ? La réponse constitue tout l’enjeu du débat et met en lumière la nécessité pratique de diversifier les formes juridiques utilisables par les coopérateurs en leur ouvrant la possibilité de créer une Scop à forme SAS. Ils y gagneraient en effet en souplesse, puisqu’ils ne seraient plus obligatoirement contraints de recourir à un commissaire aux comptes et d’être soumis à l’exigence d’un capital minimum, et pourraient modeler la gouvernance de la société à leur convenance, en faisant, au cas par cas, du « sur-mesure » juridique et organisationnel.

Un gain de souplesse quant au recours au commissaire aux comptes

Alors que la désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire dans de nombreuses situations dans une Scop SARL ou SA, la création d’une Scop SAS assouplirait cette contrainte parfois perçue comme trop onéreuse par les entrepreneurs.

Rappelons tout d’abord que les SARL classiques sont tenues d’avoir un commissaire aux comptes lorsqu’elles dépassent à la clôture de l’exercice deux des trois seuils suivants : 1 550 000 euros de bilan, un chiffre d’affaires hors taxes de 3 100 000 euros et un nombre moyen de salariés de 50. Quand bien même deux de ces seuils ne seraient pas atteints, les SARL sont également tenues de nommer un commissaire aux comptes lorsque cette nomination est demandée en justice par un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital. Enfin, un commissaire aux comptes est requis lorsque la SARL est un organisme de formation dépassant à la fin de l’exercice ou à la clôture de l’année civile deux des trois seuils fixés par l’article R 6352-19 du Code du travail, à savoir : un total du bilan égal ou supérieur à 230 000 euros, un chiffre d’affaires hors taxes ou ressources égal ou supérieur à 153 000 euros et au moins trois salariés.

Les Scop SARL sont, en la matière, soumises à des règles quelque peu dérogatoires, puisqu’elles peuvent être amenées à désigner un commissaire aux comptes titulaire et un commissaire aux comptes suppléant dans des conditions qui leur sont propres. Par application de l’article 19 de la loi du 19 juillet 1978, en effet, les coopérateurs ont alors le choix soit de faire procéder à la révision coopérative tous les ans, auquel cas, si la Scop ne remplit pas les conditions mentionnées ci-avant, elle n’est pas tenue de désigner un commissaire aux comptes, soit de faire procéder à la révision coopérative dans les conditions habituelles, c’est-à-dire tous les cinq ans, mais elle est alors tenue de désigner un commissaire aux comptes titulaire et un suppléant.

Rappelons également, pour ce qui concerne la SA, que la désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire. La règle est identique pour les Scop SA, puisqu’elles sont soumises, dans ce domaine, au droit commun des sociétés anonymes. Chaque Scop SA se doit donc de désigner un commissaire titulaire et un commissaire suppléant, voire parfois deux commissaires aux comptes lorsque la société est tenue de publier des comptes consolidés.

La création d’un statut Scop SAS pourrait permettre d’assouplir l’ensemble de ces règles, puisque la SAS obéit, en la matière, à un régime particulier. L’obligation générale de nommer un commissaire aux comptes dans une SAS a en effet été assouplie par la loi dite de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 : désormais, et selon l’article L. 227-9-1, alinéa 1er du Code de commerce, « les associés peuvent nommer un ou plusieurs commissaires aux comptes dans les conditions prévues à l’article L. 227-9 du Code de commerce » (lequel prévoit, dans son alinéa 2, que « les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires ou ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction du capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés »). Il ne s’agit donc plus d’une obligation, mais d’une faculté. Les coopérateurs d’une Scop SAS pourraient ainsi choisir de supprimer un coût annuel en ne désignant pas de commissaire aux comptes.

Seraient en revanche a priori tenues de désigner au moins un commissaire aux comptes, à l’instar des SAS classiques, les Scop SAS qui dépasseraient à la clôture d’un exercice social deux des trois seuils suivants, fixés par décret en Conseil d’Etat : 1 million d’euros pour le total du bilan, 2 millions d’euros pour le chiffre d’affaires et 20 pour le nombre moyen de salariés ; comme les Scop SAS qui contrôleraient ou seraient contrôlées par une ou plusieurs sociétés au sens de l’article L. 233-16, II et III du Code de commerce, ou dont, sans atteindre les deux conditions susmentionnées, un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social demanderaient en justice la nomination d’un tel commissaire.

Autre avantage, toujours issu de la loi LME précitée : le montant du capital social des SAS, qui devait impérativement être de 37 000 euros avant 2008, est désormais fixé dans les statuts. Autrement dit, aucun montant minimum n’est requis pour entreprendre en SAS. La règle applicable à la future Scop SAS en matière de capital social serait alors très certainement calquée sur celle applicable au capital des Scop SARL : ne pouvant être créée par une seule personne contrairement à la SAS ou à la SARL, qui peuvent être unipersonnelles, la Scop SAS ne pourra a priori pas être constituée avec un capital de 1 euro, puisqu’elle devra être constituée par au moins deux associés détenant chacun au moins une part d’une valeur minimale de 15 euros. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agirait là d’une véritable poche de souplesse eu égard aux difficultés que rencontrent parfois les futurs coopérateurs pour récolter les fonds nécessaires à la création de leur entité, notamment lorsque celle-ci est une SA, puisque le capital requis pour toutes les Scop SA est au minimum de 18 500 euros (contre 37 000 euros pour une SA classique).

Un gain de souplesse quant à l’organisation de la gouvernance de la société

La législation actuelle relative à la gouvernance des SA et des SARL manque, selon beaucoup, de souplesse aux fins de l’adapter à des situations particulières. Dans une interview réalisée par nos soins, Lionel Orsi, directeur juridique de la Confédération générale des Scop, explique en effet que « les schémas de gouvernance prévus pour la SA et la SARL enferment de façon assez stricte les différents intervenants des Scop [2] ». Le constat est tout d’abord parti de la gouvernance des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), perçues comme lourde à gérer, et a par la suite été élargi aux Scop, pour en venir aux mêmes conclusions : dans l’une ou l’autre de ces formes coopératives, l’obligation d’opter pour la SA ou la SARL contraint les coopérateurs à des modes de gouvernance exclusifs de toute liberté de créer des acteurs ou des organes ad hoc intermédiaires participant à la direction et à la gestion de l’entité coopérative. Ainsi peut-on lire dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, dans la partie consacrée aux Scic : « Aujourd’hui les Scic sont des coopératives exploitées sous forme de SA ou de SARL. Ces deux formes prédéterminent les organes dans le cadre desquels la gouvernance va s’exprimer. Un cadre très étroit pour la SARL, qui ne prévoit que l’existence d’un gérant, voire de cogérants à côté d’une assemblée générale. Un cadre guère plus large pour la SA, dotée d’un conseil d’administration (ou un directoire et un conseil de surveillance) [3]»

La Scop SARL

Rappelons qu’une Scop SARL est nécessairement constituée par au moins deux associés salariés (article 5 de la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978) et au plus cent associés, salariés ou non (article L. 223-3 du Code de commerce). Elle est obligatoirement dirigée, à l’instar de la SARL classique, par un gérant, qui doit être une personne physique. Le nombre de gérants est librement fixé dans les statuts, les statuts types mis au point par la Confédération générale des Scop prévoyant la possibilité, pour une Scop SARL, d’en avoir plusieurs. L’observation de la pratique montre que certaines Scop ont tendance à nommer tous les coopérateurs, voire tous les associés salariés, en tant que gérants. Cette organisation interne nous semble cependant extrêmement préjudiciable à la prise de décision, puisqu’elle décuple les risques de divergences et de conflits entre associés. Rappelons en effet que « chaque gérant peut engager la société vis-à-vis des tiers, même s’il n’a pas l’accord des autres cogérants, ce qui génère un risque de dysfonctionnement de la société [4] ». En réalité, et bien que ce ne soit pas la panacée, « l’obligation de mettre en place un conseil de surveillance lorsque la Scop comprend au moins vingt associés permet un contrôle démocratique du pouvoir exercé par le gérant. Des réunions périodiques des associés sont plus à même d’assurer le fonctionnement démocratique d’une Scop SARL que l’attribution à tous du statut de gérant [5] ».

La Scop SA

Comme pour la SA classique, l’organisation de la direction d’une Scop SA est imposée aux coopérateurs, puisqu’ils n’ont d’autre choix que d’adopter soit une SA avec conseil d’administration, soit une SA avec directoire et conseil de surveillance (à noter qu’en pratique la majorité des Scop SA fonctionnent avec un conseil d’administration). Cette obligation d’opter exclusivement pour l’un ou l’autre de ces modes de fonctionnement enferme les coopérateurs dans un carcan organisationnel dont ils ne peuvent pas s’écarter. La rigidité du fonctionnement de la SA ayant déjà été moult fois soulignée par la doctrine, on ne peut que se réjouir de la proposition émise par le gouvernement de créer une Scop SAS (article 19 du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire). En effet, et tel qu’expliqué dans l’exposé des motifs dudit projet, « l’ouverture à la forme de la SAS crée une souplesse dans la gouvernance, dont les règles sont fixées par les statuts, ce qui permet de mieux prendre en compte les spécificités d’organisation de ces coopératives et de définir une gouvernance socialement innovante en fonction des particularités du projet coopératif. Cette mesure a pour conséquence une modification des articles de la loi du 19 juillet 1978 qui visent les organes de direction des Scop SARL et des Scop SA. Dans ces articles, une référence plus générale aux “organes de direction” sera faite par référence à la forme de SAS ». Rappelons que l’article L. 227-5 du Code de commerce prévoit que les statuts de la SAS arrêtent librement les conditions de direction de la société, lesquelles « comprennent les conditions de révocation, de nomination des dirigeants, mais aussi leur nombre, la durée de leur mandat, leur mode de rémunération ainsi que leurs pouvoirs [6] ». Les pouvoirs des organes de gestion sont donc définis dans les statuts, laissant aux associés une marge de manoeuvre très importante pour définir la gouvernance de la société et « traduire dans des organes adéquats les besoins spécifiques de la coopérative [7] ».

Conclusion

La Scop SAS pourrait donc être un vecteur pertinent pour décliner la gouvernance et le contrôle du fonctionnement de la coopérative, en permettant de faire du sur-mesure juridique et de créer des organes intermédiaires qui ne seraient pas obligatoirement collégiaux ou monolithiques. Les porteurs de projet pourraient ainsi avoir, en amont de la constitution de leur future entité coopérative, une vraie réflexion sur la façon dont ils souhaitent organiser la gestion de l’entreprise.

Le risque est évidemment de voir toutes les Scop SA et SARL se transformer en Scop SAS pour s’épargner les frais engendrés par le recours au commissaire aux comptes sans pour autant revoir leur gouvernance, en s’abritant par exemple sous des statuts types de Scop SAS. Les acteurs du mouvement auront ici un rôle fondamental à jouer afin de lutter contre cette tendance consistant à recourir à des statuts trop standardisés et créeront peut-être ainsi, à l’instar de la révolution engendrée par la création de la SAS en droit commun des sociétés, un big bang en droit coopératif français.