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De par l’importance de leur contribution au développement économique et au bien-être, les entreprises sociales (ES) sont considérées comme l’une des réponses efficaces à de nombreuses questions sociales et environnementales. Alors que le terme « entreprise sociale » (ES) a récemment été défini dans la nouvelle loi sur l’entreprise comme une approche innovante pour un développement économique et social plus large du Vietnam, des entreprises poursuivant cet objectif fonctionnent depuis le début des années 1990. L’année 1986 a été marquée par une transformation importante d’une économie centralisée planifiée vers une économie socialiste à orientation de marché, appelée politique de la « porte ouverte » (Doi Moi), qui crée un environnement favorable pour le développement de l’entreprise privée et des secteurs à but non lucratif. En accordant une exemption fiscale et d’autres incitations, les politiques nationales ont encouragé les entreprises privées à fournir des services dans le domaine de la santé ou de l’éducation et à embaucher des personnes handicapées. Ces changements sont censés paver la voie pour l’émergence du mouvement de l’ES au Vietnam.

La majorité des entreprises sociales vietnamiennes sont dirigées par des entrepreneurs sociaux charismatiques et volontaires. Les intermédiaires professionnels et les programmes de soutien ont appuyé le mouvement de l’entrepreneuriat social à partir de 2008 en popularisant auprès du public la notion d’« entreprise sociale », en la promouvant auprès des pouvoirs publics et en incubant des initiatives d’entreprise sociale. Par ailleurs, en réponse au nouveau statut économique du pays et à la baisse des sources de financement international pour le développement, les ONG vietnamiennes ont intégré des activités commerciales générant un rendement financier afin de soutenir des activités et des missions sociales. Elles-mêmes se sont converties pour incarner l’un des modèles d’entreprises sociales au Vietnam.

Dans cet article, nous présenterons d’abord l’arrière-plan historique et le contexte actuel comme des facteurs clés et des éléments moteurs de l’essor de l’ES au Vietnam. Sur la base des études précédentes et de nos propres observations, nous proposerons ensuite une classification de quatre grands modèles d’ES existant au Vietnam. Enfin, nous présenterons les caractéristiques de chacun de ces modèles en nous fondant sur trois éléments centraux : la mission sociale, la structure financière et la gouvernance organisationnelle.

Du monopole de l’Etat à un écosystème d’acteurs

Avant 1986, l’Etat exerçait un monopole tant pour la planification et l’organisation de l’ensemble des activités de l’économie que pour la fourniture de services sociaux à la population. Fortement encouragées par le gouvernement, les coopératives étaient définies comme des unités collectives socio-économiques et culturelles pour les individus et les familles, agriculteurs pour la plupart. Leur nombre a significativement augmenté en trente ans, passant de 45 dans les années 1950 à 73 470 en 1986 (Comité économique de l’Assemblée nationale et Programme des Nations unies pour le développement, 2010). Parmi la multitude des coopératives, un certain nombre ont été établies pour créer des emplois et améliorer les conditions d’existence de catégories vulnérables, comme les personnes handicapées. En conséquence, les coopératives sont considérées comme l’un des plus anciens modèles d’entreprises sociales au Vietnam et elles jouent un rôle crucial dans l’économie.

Après 1986, la politique de la porte ouverte a créé les conditions indispensables pour l’émergence du mouvement de l’entreprise sociale dans le pays. Les individus et les groupes ont été autorisés à établir des entreprises privées. Des politiques publiques ont incité le secteur privé à assister les groupes marginalisés et à assurer des services sociaux publics. L’une des mesures remarquables a été la réduction fiscale ou l’exemption pour les entreprises privées favorisant l’emploi des personnes handicapées et des minorités ethniques et leur offrant des opportunités de formation professionnelle. Par ailleurs, avec la mise en oeuvre de sa politique de socialisation, l’Etat a appelé à l’investissement et à l’engagement des différentes organisations économiques et des individus pour assurer des services publics dans le domaine de la santé ou de l’éducation. Puis, au début des années 1990, sont apparues de nombreuses entreprises privées pionnières prenant en charge des problèmes sociaux par le biais d’activités commerciales.

Le Vietnam a été confronté à des problèmes croissants qui constituent un risque pour sa stabilité et un défi pour son développement. Il s’agit à la fois de problèmes sociaux (par exemple, la faible qualité de l’éducation et du système de soins, l’inégalité entre les hommes et les femmes, entre les zones urbaines et les zones rurales, isolées ou montagneuses, entre la majorité ethnique et les minorités, etc.) et de problèmes environnementaux. Leur résolution est passée par la mobilisation de ressources venant du secteur social et de la communauté internationale.

Pendant des décennies, les organisations sociales non publiques (également connues comme des organisations sans but lucratif, non gouvernementales ou de la société civile) ont été fondées pour recevoir des aides au développement de la part des gouvernements et des ONG internationales. Cependant, depuis 2010, le nouveau statut de pays à revenu moyen inférieur et le déclin potentiel des fonds internationaux pour le développement ont incité les organisations sociales non lucratives à se transformer en entreprises commerciales axées sur le marché. Cette mutation permet aux organisations sociales de générer divers revenus afin de pouvoir aborder les problèmes sociaux et environnementaux de façon plus durable.

S’alignant sur cette tendance, de nombreux donateurs et organisations intermédiaires ont soutenu des initiatives sociales en mettant l’accent sur l’incubation et le renforcement des activités des organisations existantes, par les services de formation, tutorat, réseautage et recherche. Parmi les principaux donateurs et intermédiaires soutenant le mouvement de l’entrepreneuriat social au Vietnam figurent le British Council Irish  Aid, le Centre de promotion des initiatives sociales (CSIP) et le Centre Spark pour le développement de l’entrepreneuriat social. Le British Council a soutenu le développement économique et social au Vietnam en établissant des liens entre des particuliers vietnamiens, des communautés, des entreprises et des partenaires du Royaume-Uni dans des domaines pertinents dont l’entrepreneuriat social. Principalement axé sur les organisations de la société civile vietnamienne, le British Council Irish Aid fonde le programme ICSO (Organisations innovantes de la société civile), mené par le CSIP depuis la mi-2014. Le programme ICSO est tourné vers le renforcement des capacités des organisations de la société civile appliquant des pratiques d’entrepreneuriat social pour obtenir une autonomie financière et une durabilité, et pour étendre leurs impacts sociaux.

Grâce aux substantiels programmes de soutien de ces donateurs et intermédiaires actifs, l’entrepreneuriat social a récemment attiré l’attention et la participation de diverses parties prenantes dans la société, comprenant des décideurs politiques, des régulateurs, des donateurs, des investisseurs influents, des entrepreneurs, des militants aussi bien que des chercheurs, des personnes intéressées et des organisations. La combinaison de ces efforts et de l’engagement entraîne l’émergence d’un écosystème avec de nombreux acteurs qui constitue un cadre favorable pour le développement de l’entreprise sociale au Vietnam.

De nouvelles politiques publiques

Le mouvement de l’entrepreneuriat social au Vietnam s’est développé rapidement et a attiré l’attention de divers acteurs au cours des dernières années.

Un projet de recherche mené conjointement par le CSIP, le British Council et le Centre Spark pour le développement de l’entrepreneuriat social en 2011 a identifié, parmi 100 000 entités auditées, 2 000 entreprises sociales potentielles et 167 organisations caractérisées comme entreprises sociales. Les entreprises sociales existent sous une variété de formes légales. Environ 60 % des entreprises sociales identifiées fonctionnent en tant que centres et sociétés. Le reste est constitué d’associations, de clubs, de coopératives, de fonds ou d’écoles. Leur nombre a augmenté de façon significative depuis 2011, par l'intégration de nouvelles entreprises sociales incubées et des ONG locales transformées. Dès juin 2014, la base de données en ligne établie par le seul CSIP affichait une liste de 209 organisations, montrant une croissance continue dans ce secteur. En fait, le nombre des entreprises sociales au Vietnam pourrait être plus élevé, dans la mesure où nombre d’organisations fonctionnant comme des entreprises sociales ou engagées dans des activités d’entrepreneuriat social n’ont peut-être pas été officiellement inscrites.

Concernant l’aspect législatif, la loi sur l’entreprise 68/2014/QH13 de 2014 et le décret 96/2015/ND-CP ont marqué une étape importante dans l’histoire du développement de l’entreprise sociale, qui, de ce fait, a obtenu pour la première fois un statut légal. Une entreprise sociale est définie comme « une entreprise immatriculée conformément à la loi sur l’entreprise répondant à deux principaux critères : 1) ses objectifs visent à résoudre des problèmes sociaux et environnementaux au profit de la communauté et 2) elle utilise au moins 51 % de ses bénéfices annuels pour réinvestir et mettre en oeuvre des objectifs éminemment sociaux et environnementaux ». Bien que la loi traduise la reconnaissance du concept d’entreprise sociale par le gouvernement, la politique de soutien au développement du secteur reste très modeste. Par exemple, les entreprises sociales sont autorisées à mobiliser et recevoir des subventions, mais elles ne peuvent pas bénéficier d’un traitement préférentiel comme l’exemption fiscale sur leurs activités commerciales. De plus, le mécanisme permettant aux entreprises sociales de recevoir des aides gouvernementales ou des contrats publics préférentiels pour apporter des solutions sociales manque de clarté.

Dans la sphère académique, au cours de ces dernières années, nombre d’activités comme des ateliers, séminaires, conférences, recherches académiques et conseil sur l’entrepreneuriat social ont été menées par des chercheurs individuels et des institutions. Par exemple, le Centre pour les études sur le développement économique à l’université d’économie et de gestion de Hanoi a participé à un éventail de projets et d’activités économiques menés dans le secteur. En 2014, le centre a dirigé l’étude sur « l’évaluation de la capacité financière de l’entreprise sociale au Vietnam », sponsorisée par British Council Irish Aid. Le rapport visait à cerner la viabilité financière des entreprises sociales et les difficultés auxquelles elles étaient confrontées. Le centre a publié également plusieurs articles sur l’entrepreneuriat social dans des revues scientifiques locales et dans le cadre de conférences internationales.

Des efforts ont été notamment entrepris pour intégrer le concept d’entreprise sociale dans des programmes d'études de l’enseignement supérieur, bien qu’un cursus ou une formation diplômante sur l’entrepreneuriat social et les domaines afférents n’ait pas encore été mis en place. Par exemple, le British Council a fondé l’université Thai Nguyen pour intégrer dans son cursus les concepts de responsabilité sociale d’entreprise et d’entreprise sociale. Récemment, une conférence intitulée « Entreprise sociale au Vietnam : le rôle des universités et des institutions de recherche » (mars 2015) a été organisée par l’université nationale d’économie, avec le soutien du British Council. Elle visait à mieux faire connaître ce secteur au public et à faire partager les expériences auprès des professeurs et des dirigeants des universités. Le réseau des étudiants vietnamiens sur l’entreprise sociale (VSES) a été lancé lors de la conférence et il a attiré rapidement la participation de nombreux chercheurs et universitaires.

Vers une classification des entreprises sociales

CSIP, BC et CIEM (2012), ainsi que Pham, Nguyen et Nguyen (2016) ont proposé différentes classifications de l’entreprise sociale. Un premier regard sur la mission de ces organisations permet de repérer trois groupes principaux d’entreprises sociales au Vietnam : les ES à but non lucratif, les ES menant certaines activités sans but lucratif et les ES d’investissement social avec une finalité lucrative. Cette classification des modèles d’entreprises sociales est en pratique difficile à établir, à cause du manque de transparence des états financiers et des rapports.

Généralement, les informations relatives aux résultats ne sont ni contrôlées ni communiquées.

Considérant que le développement des différents modèles d’ES a été impacté par le contexte politique, économique et social du pays, nous avons choisi de les caractériser en nous fondant sur les raisons de leur établissement et leurs compétences essentielles. Notre classification distingue ainsi quatre grands groupes : coopératives, ES fondées et dirigées par des entrepreneurs sociaux, ES incubées par des intermédiaires professionnels et ES transformées à partir d’ONG locales. Cette classification permet de mettre en exergue le rôle des organisations intermédiaires professionnelles dans le développement des ES au Vietnam.

Tableau 1

Classification des ES au Vietnam par CSIP, BC et CIEM (2012)

Classification des ES au Vietnam par CSIP, BC et CIEM (2012)

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Dans les parties suivantes, nous présenterons les traits distinctifs en termes de mission sociale, de finance et de gouvernance pour chaque modèle d’ES.

Les coopératives

Les coopératives sont des entités économiques collectives qui sont détenues en commun et contrôlées démocratiquement par au moins sept membres volontaires. Leur mission est de coopérer dans la production, le commerce et la création d’emploi afin de répondre aux besoins communs des membres (loi coopérative, 2012). La coopérative est l’un des premiers modèles d’entreprise sociale au Vietnam engagée dans des activités commerciales pour atteindre des objectifs sociaux ou apporter des avantages mutuels à ses membres.

Les coopératives ont émergé au Vietnam dans les années 1950. Ces organisations ont dominé l’économie avec les entreprises publiques avant 1986, sous la direction de l’Etat. Après la politique de la porte ouverte marquée par l’émergence du secteur privé, elles ont perdu leur popularité. Elles se sont ensuite transformées en un modèle plus autonome avec davantage d’indépendance et de démocratie dans le processus global de production, de prise de décisions et de répartition des bénéfices.

Tableau 2

Classification des ES au Vietnam par Pham, Nguyen et Nguyen (2016)

Classification des ES au Vietnam par Pham, Nguyen et Nguyen (2016)

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Le nombre des coopératives a baissé fortement, de 73 470 en 1986 à 18 607 en 1996 (première loi coopérative), puis 14 207 en 2003 (loi coopérative révisée). Il a remonté à 18 244 en 2010 (comité économique de l’Assemblée nationale et Programme des Nations unies pour le développement, 2010).

Les coopératives vietnamiennes oeuvrent dans divers secteurs : 50 % d’entre elles opèrent dans le domaine agricole, dans lequel travaillent de nombreux agriculteurs pauvres ; 14 % des coopératives emploient des personnes handicapées et d’autres groupes défavorisés (Alliance coopérative du Vietnam, 2005-2010).

Mission sociale

La mission sociale des coopératives est d’apporter des avantages communs économiques, sociaux et culturels à leurs membres. Les membres collaborent souvent étroitement avec les coopératives en tant que producteurs, consommateurs ou employés. Tous les membres de la coopérative bénéficient des mêmes avantages ainsi que d’une égale répartition des revenus découlant de l’activité. Les objectifs principaux sont généralement l’augmentation des revenus et l’amélioration des conditions d’existence des membres. En outre, les coopératives sont encouragées à promouvoir l’éducation, la formation et le développement communautaire.

Ressources financières

Les coopératives peuvent mobiliser, pour leurs activités économiques, des ressources financières variées comme les cotisations des membres, des prêts, des réserves de capitaux, des fonds, des aides gouvernementales, des subventions et des dons d’organisations et de particuliers nationaux et étrangers. Les cotisations des membres constituent généralement la principale source de financement pour les opérations et les investissements. Les membres peuvent céder de l’argent ou des apports en nature comme du terrain ou les droits de propriété intellectuelle jusqu’à hauteur de 20 % du capital social.

Concernant la distribution des excédents, les coopératives, au Vietnam, doivent conserver au moins 20 % pour le développement du fonds d’investissement, au moins 5 % pour le fonds de réserve financière, et le reste peut être distribué entre les membres proportionnellement à la cotisation. Les coopératives se fixent souvent des objectifs sociaux, qu’elles essayent d’accomplir en réinvestissant une partie des bénéfices commerciaux dans leurs communautés afin de répondre aux besoins éducatifs, culturels et sociaux de leurs membres.

Gouvernance

Les coopératives appartiennent à l’ensemble de leurs membres, qui les exploitent en commun et la structure de gouvernance doit garantir l’égalité entre eux. Il est établi dans la loi coopérative de 2012 que « tous les membres doivent avoir un droit de vote égal, indépendamment du montant des parts ; tous les membres doivent être suffisamment informés sur les opérations, la performance économique, l’état des finances, la répartition du revenu et autres activités ». La gouvernance des coopératives s’exerce par le biais de l’assemblée générale des participants, le bureau, le directeur, et le conseil d’administration ou les administrateurs. La tenue de l’assemblée générale est l’événement le plus important, au cours duquel les coopératives et leurs membres se rencontrent et s’engagent dans un processus décisionnel. L’assemblée générale se tient chaque année ou à certaines occasions.

Les entreprises sociales fondées et dirigées par des entrepreneurs sociaux

Cette catégorie se rapporte aux entreprises sociales généralement créées par des entrepreneurs sociaux charismatiques et déterminés, profondément concernés par un ou plusieurs problèmes sociaux qu’ils appréhendent parfaitement. La plupart du temps, les entrepreneurs sociaux créent des sociétés privées ou des entreprises commerciales pour répondre aux besoins sociaux par le biais d’activités entrepreneuriales. Ils utilisent habituellement l’entreprise comme un outil et, de façon innovante, ils combinent leurs objectifs sociaux avec les activités commerciales afin de soutenir leurs organisations. Dans ce groupe, les fondateurs jouent un rôle vital dans l’établissement et la croissance de ces entreprises sociales grâce à leur volonté, leur passion et leur persévérance.

Ce type de modèle est apparu au début des années 1990 en même temps que les entreprises privées au Vietnam. Mai Vietnamese Handicrafts Limited Company, Hoa Sua School of Economics and Tourism, Sao Mai Center et Koto en sont quelques exemples. Mai Handicrafts, établie en 1990, commercialise des produits artisanaux réalisés par les femmes oubliées des zones rurales dans les petits villages isolés. Hoa Sua, enregistrée en 1994, fournit une formation en cuisine et hôtellerie pour les jeunes défavorisés et handicapés. Sao Mai, créée en 1995, assure la détection et l’intervention pour les enfants présentant un handicap intellectuel. Koto, établie en 1999, aident les jeunes défavorisés des rues à s’autonomiser grâce à une formation professionnelle dans l’hôtellerie.

Un groupe d’entreprises sociales de ce type avait été créé par des fondateurs qui, étant eux-mêmes issus de milieux défavorisés, avaient une compréhension profonde des besoins des populations vulnérables. Quelques entreprises de ce groupe peuvent bénéficier d’aides gouvernementales, comme une formation professionnelle gratuite et une exemption fiscale pour l’emploi de personnes handicapées ou de minorités ethniques dans les régions montagneuses et très difficiles. Hong La Limited Company, par exemple, a été créée en 2005 par un patron qui était lui-même handicapé, afin de fournir une formation professionnelle et de créer des emplois dans le secteur textile pour les personnes invalides. Depuis, la société a formé 250 stagiaires comprenant des travailleurs handicapés et non qualifiés ; elle emploie dans son usine de confection une quarantaine de salariés (Vu et al., 2014), parmi lesquels plus de 50 % présentent un handicap.

Mission sociale

Les entreprises sociales de ce groupe visent habituellement à résoudre un ou plusieurs problèmes sociaux spécifiques et à générer des impacts positifs pour les communautés dans le besoin en créant des emplois pour les personnes en situation de précarité ou de handicap, de la formation professionnelle pour les jeunes des rues et les adolescents de milieux désavantagés.

Ressources financières

Le profil et l’expérience professionnelle des fondateurs d’entreprises sociales peuvent jouer un rôle important pour la mobilisation des ressources financières pour leurs organisations. On constate que les fondateurs ayant eu une expérience dans une ONG ou dans le secteur public reçoivent plus de dons et de soutien respectivement des ONG internationales ou des institutions gouvernementales.

Bien que les entreprises sociales de ce groupe aient mobilisé des ressources financières variées incluant à la fois des revenus commerciaux et des subventions, au fil du temps elles tendent à accroître leurs revenus commerciaux.

Un récent rapport dirigé par Vu et al. (2014) révèle que la plupart de ces entreprises sociales établies au début des années 1990, comme Sao Mai, Hoa Sua (susmentionnées) ou Hong Ha Garment ont tiré plus de revenus de leurs activités commerciales avec le temps. Après dix à vingt années d’existence, ces entreprises sociales conservent une part de leurs profits pour réinvestir dans leur développement, de façon à pouvoir renforcer leur impact et augmenter leur activité.

Gouvernance

Les entreprises sociales de ce groupe comptent habituellement plus de 50 employés [1]. Cependant, dans la plupart des cas, les entrepreneurs sociaux fondateurs jouent un rôle clé dans la gouvernance organisationnelle. Bien que quelques entreprises sociales aient un conseil consultatif comme l’exige la structure de gouvernance et juridique, les fondateurs jouent encore un rôle essentiel dans le processus de prise de décision, la relève de l’encadrement et de la gestion. Koto est le seul cas, selon l’observation des auteurs, à être actuellement dirigé par le conseil d’administration avec la présence du fondateur.

Selon une enquête menée par Vu et al. (2014), la responsabilisation des employés est encore limitée dans ces entreprises sociales bien établies. Parmi les 19 organisations étudiées, 17 sont toujours dirigées par les fondateurs d’origine. L’une des deux organisations restantes est dirigée par le fils du fondateur, ce qui est apparemment un cas de succession familiale. Dans ce cas, le fondateur original conserve toujours un rôle de conseil et de surveillance par l’intermédiaire de son fils et grâce aux liens établis avec l’organisation qu’il a créée et dirigée pendant de nombreuses années.

Les entreprises sociales incubées par des intermédiaires professionnels

Les entreprises sociales de ce groupe sont inspirées et stimulées par des programmes de soutien et des organisations incubatrices. Elles sont apparues depuis 2008-2009 avec la présence d’incubateurs professionnels d’entreprises sociales et d’intermédiaires comme le CSIP [2] et le Centre Spark pour le développement de l’entrepreneuriat social [3].

Entre 2009 et 2014, le CSIP a soutenu et promu 78 initiatives sociales qui ont amélioré l’existence de plus de 200 000 personnes défavorisées. Environ 20 autres entreprises sociales ont reçu de la part de Spark des financements de démarrage et des soutiens pour le renforcement des capacités. Des programmes de soutien aux entreprises sociales ont constamment été renouvelés pour promouvoir efficacement le développement du secteur social au Vietnam. Des programmes de soutien sectoriels nouveaux ont été lancés, comme des initiatives pour des groupes affectés par le VIH, la culture d’entreprise inclusive, la santé, l’agriculture et le changement climatique.

Bien que les entreprises sociales de ce groupe soient dirigées par l’esprit d’entrepreneuriat social des membres fondateurs, elles reçoivent souvent plus de formation et de conseil sur les modèles d’entreprise et l’évaluation des impacts. Avec la dynamique d’une plus jeune génération d’entrepreneurs sociaux, les entreprises incubées de ce groupe tendent à innover en créant de nouveaux produits et des services, en appliquant des procédés nouveaux, et en démarchant de nouveaux marchés. Par exemple, l’entreprise sociale SECO a démarré en 2012 avec le but de combler une lacune du marché en termes de produits locaux des minorités ethniques ; 65 % des profits commerciaux sont consacrés à l’intervention auprès des enfants, des femmes et des familles pauvres des minorités ethniques par l’octroi de bourses aux étudiants, une assistance technique offerte aux minorités ethniques pour améliorer leur capacité productive. Sapa O’Chau vise à améliorer les conditions d’existence des jeunes des minorités ethniques par l’éducation, l’apprentissage professionnel et les opportunités d’emploi, tout en encourageant d’autres familles locales à créer des entreprises et à permettre à leurs enfants de fréquenter l’école.

Mission sociale

Les entreprises sociales de ce groupe visent ordinairement à résoudre certains problèmes sociaux en prenant des initiatives commerciales qui sont ensuite renforcées par des programmes d’aide aux pépinières d’entreprises sociales.

Ressources financières

Les entreprises sociales incubées reçoivent habituellement, par le biais des programmes de soutien, des aides au démarrage et des conseils pour le renforcement des capacités. Elles s’activent également à mobiliser des ressources variées provenant à la fois des activités et des aides au développement. Grâce aux programmes de soutien, elles présentent généralement un modèle de gestion clair dans lequel le volet commercial est fortement encouragé et mis en valeur. Cependant, la plupart des entreprises de ce modèle sont jeunes, en phase de démarrage de leur développement. La plupart d’entre elles doivent lutter pour survivre dans le contexte de marché ou chercher des ressources pour augmenter leur taille.

Gouvernance

Comme le groupe des entreprises sociales établies et dirigées par des entrepreneurs sociaux, les fondateurs des entreprises sociales incubées par des intermédiaires professionnels agissent généralement comme des directeurs de société et s’impliquent directement dans la gestion quotidienne des opérations commerciales. Ces entreprises sociales emploient souvent moins de dix personnes.

Les entreprises sociales transformées à partir d’ONG locales

Depuis 2010, le Vietnam est devenu un pays à revenu moyen inférieur. De nombreuses grandes agences de développement, comme le Département pour le développement international (DFID) du Royaume-Uni, l’Agence suédoise de coopération pour le développement international (SIDA), entre autres, ont soit retiré leurs programmes du pays, soit planifié leur retrait. Les aides au développement se font rares et la compétition pour les obtenir est de plus en plus sévère. En réponse à cette situation, de nombreuses ONG locales doivent chercher à diversifier leurs sources de revenus. Certaines fournissent des prestations de conseil ou des produits commerciaux afin de dégager les revenus nécessaires à leurs activités. D’autres entreprennent d’ouvrir une antenne commerciale pour générer des revenus, qui en retour serviront leurs buts sociaux. Un programme de soutien pour ces organisations est mené depuis 2014 par CSIP et 43 organisations de la société civile ont reçu du programme un appui au renforcement des capacités dans le programme, sous forme de financements de démarrage et de services de conseil approfondis.

En illustration de ce modèle d’entreprise sociale, nous citerons le cas d’ICS Center, qui a été fondé en 2008, en tant qu’organisation à but non lucratif, par le département de la planification et de l’investissement d’Hô-Chi-Minh-Ville et par la communauté minoritaire des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), qui compte environ 2 millions de personnes. ICS dépend essentiellement des fonds internationaux délivrés par des donateurs bilatéraux et des ONG internationales comme SIDA, Oxfam, USAID, l’ambassade des Etats-Unis. En 2013, ICS a commencé à offrir des services de conseil professionnel comprenant du conseil psychologique et juridique pour les membres de la communauté LGBT et leurs familles.

Mission sociale

La plupart des entreprises sociales transformées de ce groupe ont des objectifs sociaux précis, mais ils n’ont pas encore de modèle d’entreprise pertinent pour financer durablement leurs activités. Les ONG locales ont habituellement des missions sociales établies, qui ont fonctionné pendant de nombreuses années grâce aux sources de financement internationales.

Ressources financières

D’après les observations de l’auteur, les ONG transformées s’appuient encore principalement sur les subventions et les donations, bien qu’elles commencent à offrir des services comme le conseil et la formation pour améliorer leur revenu. La proportion de revenus provenant des activités commerciales demeure très modeste. Seules quelques ONG avec une expertise et une expérience forte peuvent assurer des services de formation professionnelle à une communauté plus large et ont pu attirer de nouveaux clients pour générer plus de revenus.

Gouvernance

Comme les entreprises sociales dans les groupes discutés précédemment, les fondateurs individuels jouent aussi un rôle dans la gouvernance des entreprises sociales de ce groupe.

Conclusion : un secteur en structuration, encore fragile

Au Vietnam, les entrepreneurs sociaux, les intermédiaires professionnels et le marché sont les trois éléments moteurs de l’établissement du secteur de l’entreprise sociale. La plupart des entreprises sociales sont animées par des entrepreneurs sociaux charismatiques, ce qui peut fragiliser la structure de gouvernance lorsque ces fondateurs se retirent. Les organisations professionnelles intermédiaires ont grandement contribué à l’émergence d’un groupe d’entreprises sociales motivées et à les faire connaître auprès du public. Le marché pousse le groupe d’ONG locales à se transformer en entreprises commerciales afin de générer plus de sources durables de revenus leur permettant d’atteindre leurs objectifs sociaux. Si l’Etat n’a pas eu au Vietnam un effet direct de levier pour l’établissement du secteur de l’entreprise sociale, il s’est néanmoins tenu informé de sa situation et a permis la mise en oeuvre de politiques propres à soutenir son développement.

En dépit de nombreuses différences, les quatre grands groupes d’entreprises sociales vietnamiennes – à savoir les coopératives, les entreprises sociales créées et dirigées par des entrepreneurs sociaux, les entreprises sociales incubées par des intermédiaires professionnels et les entreprises sociales transformées à partir d’ONG locales – partagent plusieurs caractéristiques similaires au regard de leur mission sociale, de leur financement et de leur gouvernance. Concernant ce dernier aspect, les structures comme les conseils d’administration ne sont pas très développées au Vietnam, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises. Il demeure courant pour le fondateur d’agir en tant que directeur sur le long terme, exerçant un pouvoir de décision central, alors que la gouvernance de l’organisation et les instances consultatives, à supposer même que celles-ci existent, se voient octroyer un rôle minimal. La plupart des entreprises sociales mobilisent des ressources financières variées incluant des ressources d’activités commerciales et des fonds de développement pour couvrir les dépenses opérationnelles et atteindre les objectifs sociaux. A l’exception d’entreprises sociales établies depuis les années 1990, nombre d'entreprises sociales nouvellement incubées et transformées à partir d’ONG locales parviennent encore difficilement à maintenir leurs revenus pour survivre et évoluer.