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Les travaux d’Elinor Ostrom relatifs à la gestion des biens dits « communs » [1] poussent le juriste en droit privé à s’engager sur le terrain de notions fondamentales. Si celle de « bien commun » est inconnue du système juridique français, sa composition renvoie directement à la notion de « bien », structurante en droit civil, à la fois catégorie par elle-même et point de départ d’autres catégorisations (bien meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, des domaines public ou privé) [2]. Qualifier le bien en droit civil de « commun » renvoie cependant à un tout autre ordre de difficulté, qui suppose la remise en question de la propriété privée individuelle et exclusive, projet que l’environnement juridique accueille avec une particulière circonspection. Le texte du Code civil de 1804 a en effet construit une propriété essentiellement individuelle, et conféré dès l’origine un monopole d’usage, de jouissance et de disposition au propriétaire. Seul un certain principe de réalité a semblé pousser ses rédacteurs à élaborer des régimes juridiques ; mais leur complexité paraît être organisée à dessein, et leur proximité avec une propriété à proprement parler collective est à questionner (indivision post-mortem, copropriété des immeubles, ou biens acquis sous le régime de la communauté de biens entre époux).

Propriété et appropriation

Les exigences posées par les travaux d’Ostrom quant à l’appréhension des biens communs sont ainsi mal traduites dans notre système juridique. Par exemple la notion de « chose commune » visée par l’article 714 du Code civil représente, avec un fort ancrage historique, un ensemble de choses insusceptibles d’appropriation, telles l’air ou les eaux de pluie. Ces choses sont pensées selon une approche normative présumée garantir un libre accès tout en réglementant leur usage. La communauté négative [3] qui en résulte s’éloigne cependant de la construction d’une véritable propriété commune, se rattachant plutôt à une forme de non-propriété.

La construction d’une communauté positive exerçant collectivement un droit de propriété tout en réglementant l’usage du bien peut renvoyer au « gesammte hand », institution du droit germanique. Dépourvues de la personnalité morale, ces sortes de sociétés de personnes permettent d’organiser une propriété véritablement communautaire d’un bien puisque c’est le groupe (et non ses membres) qui est propriétaire. Il n’est possible de revendiquer de droit sur le bien qu’à condition d’être membre du groupe, et le fait pour un membre de quitter le groupe implique un renoncement à tout droit sur le bien [4]. Inconnu du droit français, cet outil juridique renvoie largement à un droit des groupements [5] dont la dimension communautaire aurait été poussée à de forts degrés d’exigence.

Propriété et personne morale

Un regard distancié pourrait saisir la personnalité morale comme un moyen d’organiser une forme de propriété collective ou commune par la représentation de ses membres. Il n’en est bien évidemment rien au strict plan juridique. En effet, la fiction juridique de la personnalité juridique (aptitude à être titulaire de droits et d’obligations) attribuée au groupement personne morale (sociétaire comme associatif) lui permet d’accéder à la propriété. C’est ainsi que se superposent deux droits de propriété strictement individuels [6] : celui de la personne morale sur les biens nécessaires à son activité, et qui constituent un patrimoine distinct de celui des associés ou des membres ; celui, tout au moins dans la forme sociétaire, des associés individuellement sur leurs parts sociales respectives. Les parts sociales sont définies comme biens meubles par le Code civil [7], et constituent selon la catégorisation du droit civil une créance tournée contre la société, créance ayant pour originalité d’accompagner ses conséquences pécuniaires (droit sur les résultats et le partage en cas de dissolution, soit une forme de ré-individualisation) de prérogatives extra-pécuniaires et politiques (droit de vote et droits d’information) [8].

La fiction juridique de la personnalité morale ne dit rien sur la manière dont s’exerce la propriété en son sein, particulièrement si l’on peut la réduire à un mécano de propriétés individuelles. Le droit commun des sociétés contraint cependant l’exercice de la propriété par la personne morale sur ses biens : celui-ci doit s’organiser dans le respect du but collectif fixé par les statuts ; ces mêmes statuts définissent les conditions dans lesquelles la collectivité des membres exprime sa volonté, organisent le fonctionnement du groupement, et le contrôle de ce fonctionnement [9].

Plus qu’à l’exercice strict du droit de propriété par le groupement sur les biens dont il a la disposition, il semble intéressant de s’attacher, en aval, aux conditions dans lesquelles s’organise le groupement, à l’interface entre la collectivité des membres et le fonctionnement de la personne morale. Dans le cas de la société, c’est la part sociale, elle-même objet d’un droit de propriété, qui réalise l’adhésion du membre. Or, le régime juridique de cette adhésion et les règles statutaires organisant la société donnent une tonalité particulière à la personne morale, renforçant sa dimension collective ou, au contraire, encourageant l’individualisme des membres. Dans cette optique, la société coopérative présente un régime juridique d’essence collective voire communautaire qui la rapproche des projets de communautés positives. Il est donc nécessaire d’observer en détail comment se décline la propriété coopérative, et si elle répond aux exigences susceptibles de faire advenir une propriété commune. Cette réflexion s’appuiera sur les attributs de la propriété des parts sociales coopératives. Elle vise à démontrer dans quelle mesure le droit de propriété qui s’exerce sur elles, y compris dans son appréhension la plus classique, diffère du modèle absolutiste de propriété individuelle.

Les attributs de la propriété seront donc examinés successivement et selon l’ordre traditionnellement suivi : usus (I), fructus (II), et abusus (III). Une dernière partie en forme de conclusion tentera d’envisager à partir des constats réalisés les liens potentiels avec la théorie des biens communs (IV).

Droit d’user de la part sociale coopérative

La question de l’usage d’une part sociale est difficile à appréhender. Son rattachement à la catégorie des meubles incorporels n’aide pas à concevoir en quoi pourrait consister une utilisation concrète. En raisonnant par « décomposition » de la part sociale, il est possible de déterminer classiquement qu’elle recouvre à la fois une créance envers le groupement (créance portant périodiquement sur les résultats, et sur l’apport au moment du retrait ou de la dissolution) ; et un droit « politique » de participation aux décisions collectives. Au sujet de ces deux facettes de la part sociale, le Code civil, par les dispositions de l’alinéa 3 de son article 1844 [10], semble tendre vers le principe selon lequel le droit politique doit être rattaché au droit de créance (bien qu’une grande variété d’aménagements contractuels entre nu-propriétaire et usufruitier restent possibles) : droit de vote pour l’usufruitier lorsque se décide l’affectation des bénéfices ; droit de participation sur les autres questions confié au nu-propriétaire en qualité d’associé. En conséquence de quoi l’exercice du droit de vote ne paraît pas pouvoir constituer un « usage » de la part sociale ; et toute réflexion sur un droit réel d’usage de la part sociale semble dénuée de réalisme.

La double qualité, facteur de participation active

Sur ces différents points, le droit des coopératives porte certaines spécificités, tout particulièrement par le biais du principe dit de « double qualité ». Là où le droit commun n’attache au propriétaire de la part sociale « que » la qualité d’associé, le droit des coopératives établit, si ses nombreuses exceptions sont écartées [11], une correspondance plus large qui relie à la part sociale la qualité d’associé, mais également celle d’usager participant à l’activité, les deux étant fondues sous le vocable de « coopérateur ». Si la qualité de coopérateur s’érige en corollaire de la propriété de la part sociale, alors il est possible de dessiner au plan conceptuel un usage positif et concret de la part sociale coopérative : cet usage réside justement dans le fait de se comporter en coopérateur, en ayant recours aux services de la coopérative et en contribuant à son activité. Il est d’ailleurs notable, dans le silence des textes, que la pratique s’oriente vers une simultanéité entre l’adhésion sociétaire et le contrat d’engagement auprès de la coopérative [12].

Le croisement de cette idée avec les dispositions de la loi de 1947 suscite quelques remarques : tout d’abord, le fait que les qualités d’associé non coopérateur [13] ou d’usager non-associé [14] soient encadrées et envisagées comme des exceptions tend à confirmer l’hypothèse. Certes, il n’y a plus d’exclusivisme strict, mais cette pratique a laissé son empreinte sur le droit coopératif et continue d’imposer que le propriétaire de la part sociale se comporte en usager, tandis que l’usager doit manifester son adhésion par l’accession à la qualité d’associé. Au surplus, deux notions mentionnées à l’article 1, « l’effort commun » et la « participation économique » des membres, appuient le constat en laissant penser que la propriété coopérative ne se conçoit pas sans usage [15]. Pour être même plus précis, la propriété coopérative ne se conçoit pas sans usage positif et « actif ». Le droit civil s’en trouve bousculé, lui qui attache théoriquement à l’usage le droit au « non-usage », comme implication négative du droit d’usage [16]. Cette dimension de « participation économique active des membres » a pu être mise en évidence par certains auteurs comme un trait caractéristique fondamental du droit coopératif [17].

L’exemple de la coopération agricole

Parmi les familles coopératives, la coopération agricole apporte un exemple assez clair de cette orientation. Les dispositions réglementaires du Code rural et de la pêche maritime, à l’article R. 522-3, mentionnent en effet que l’adhésion à la coopérative suppose pour le coopérateur « l’engagement d’utiliser les services de la coopérative ». Surtout, la coopérative fixe dans ses statuts (et pas uniquement dans le contrat d’engagement conclu avec le coopérateur) « la nature, la durée et les modalités de cet engagement ainsi que les sanctions applicables en cas d’inexécution » [18]. L’inexécution qui traduit un non-usage ou une absence de participation économique est donc appréhendée avec une certaine sévérité. Mais ces règles ne relèvent pas seulement de l’engagement contractuel du coopérateur : elles sont inscrites dans la matière statutaire, tant et si bien que l’usage est à la fois une conséquence du contrat d’engagement, et une dimension de l’organisation collective à laquelle adhère le coopérateur. Le même article prévoit d’ailleurs in fine que « nul ne peut demeurer associé coopérateur s’il n’est lié par l’engagement » d’utiliser les services de la coopérative. La réciproque est également vérifiée, puisque le coopérateur agricole ne saurait exercer son droit de retrait avant le terme de sa période d’engagement qu’en invoquant la force majeure, ou un « motif valable », et à titre exceptionnel [19]. La primauté de l’usage et de la règle collective est encore une fois à souligner dans la mesure où le conseil d’administration de la coopérative intervient jusque dans cette procédure de droit de retrait, la faisant basculer dans une catégorie de « rupture convenue » [20].

L’usage de la part sociale constitue donc une forte originalité du droit des sociétés coopératives par comparaison avec les sociétés de droit commun. Il fait peser des obligations inédites sur les coopérateurs ; pour autant, leur implication est également le premier pas dans la construction d’une communauté positive. Cette exigence est renforcée par l’influence de l’usage sur la prétention aux fruits.

Droit aux fruits de la part sociale coopérative

La problématique de l’usufruit de parts sociales est une question relativement classique du droit commun des sociétés. La destination des résultats de l’activité de la société est bien l’enjeu crucial de ces montages juridiques, mais elle est en outre un indice important de la dimension collective ou individualiste de l’organisation sociétaire. Prenant appui sur l’article 1844 du Code civil, il est classiquement considéré que les fruits consistant en des revenus périodiques (parmi lesquels le plus évident est le dividende) reviennent à l’usufruitier ; là où des fruits issus de la disposition des parts sociales reviennent au nu-propriétaire [21]. Comme cela a déjà pu être noté, les droits de vote sont répartis selon l’une ou l’autre des sujets par le même article 1844, bien que la matière ne soit pas exempte d’un certain nombre de débats doctrinaux [22].

La transposition de ces dispositions de droit commun au droit des coopératives semble en premier lieu poser une difficulté sémantique. En visant la notion de « bénéfice », l’article 1844 laisse planer un doute quant à la répartition des excédents coopératifs qui se fait sous deux formes : la rémunération du capital en tant que tel sous la forme d’un intérêt [23] ; et la rémunération qui prend la forme de la « ristourne coopérative » accordée aux associés mais en proportion de leur implication dans l’activité [24]. Pour autant, le caractère périodique de ces deux modes de répartition permet avec une relative certitude de les rattacher à la notion de bénéfice visée par le Code ; ils doivent par conséquent revenir en théorie à l’usufruitier, plutôt qu’au nu-propriétaire.

La lucrativité limitée… à l’usager

Ce constat est d’autant plus évident que l’originalité du droit coopératif réside justement dans le lien qu’il promeut entre prétention à l’excédent considéré comme un « trop perçu » [25], et volume des relations contractuelles [26]. Un tel postulat sous-entend en effet que le revenu de la part sociale doit être considéré - pas totalement, mais en majeure partie - comme étant fonction du comportement concret de l’usager, mesuré par le volume de ses « opérations » avec la coopérative, selon le terme de l’article 15 de la loi de 1947. Autrement dit, la prétention aux fruits de l’activité est directement liée à l’usage de la part sociale. Un élément confirmé par la limitation de la rémunération du capital à un intérêt, et le fait que la quantité de capital détenue ne soit pas prise en compte dans le mode « normal » de répartition des excédents entre associés.

Ces dispositions définissant la modalité de répartition des revenus rejoignent l’idée déjà évoquée selon laquelle la part sociale coopérative ne se conçoit pas sans un usage « actif », ou tout au moins sans une incitation à être actif pour l’usager. Il convient même de remarquer que certaines familles coopératives vont plus loin : c’est le cas des coopératives agricoles, dans lesquelles il est possible de constituer une « provision pour ristournes éventuelles » [27]. Les statuts type de la coopération agricole stipulent que cette provision doit être reversée en fonction du volume d’opérations des coopérateurs pour l’exercice au cours duquel cette provision aura été constituée [28]. Le résultat est une coordination réelle entre l’usage et sa rémunération, dont la correspondance ne saurait être oubliée au motif que le versement est décalé dans le temps.

La question du fructus attaché à la part sociale coopérative conduit à observer le concept de réserve impartageable, autre élément fondateur du droit des coopératives qui pèse sur la répartition des excédents. Ce principe soustrait en effet une part non-négligeable de l’excédent à répartir entre associés au travers de mécanismes obligatoires qui, de surcroît, échappent au vote des associés. Là encore, s’exprime une certaine défiance à l’endroit d’un fructus « passif » qui serait décorrélé de l’usage, ou de la condition d’usager.

Les principaux effets du principe des réserves impartageables portent cependant sur le droit de disposer des parts sociales coopératives.

Droit de disposer de la part sociale coopérative

Si les bénéfices « périodiques » doivent être rattachés au fructus, le droit commun des sociétés renvoie vers le nu-propriétaire le droit à une quote-part de l’actif à partager. Ce partage de l’actif se réalise par la disposition de la part sociale. Mais dans le cas des coopératives, le régime de disposition des parts sociales connaît l’influence notable du principe de réserve impartageable, au point que l’abusus comme élément fondamental du droit de propriété sur la part sociale se trouve bousculé, et même entravé.

Le principe de réserve impartageable implique en effet que le droit à une quote-part de l’actif à partager n’existe pas, ou tout du moins n’existe que dans la limite du plafond de la valeur nominale de la part souscrite, donc sans prétention à la moindre plus-value. C’est ainsi qu’est traité le retrait de l’associé avec remboursement des parts par l’article 18 de la loi de 1947, principe qui ne souffrait à l’époque d’aucune exception et que la loi de 1992 aura contribué à aménager. Il conviendrait de classer au rang de ces aménagements l’article 16 de la loi de 1947 ([29], devenu par l’effet de la loi de 1992 un encadrement (et non plus une interdiction) de l’incorporation des réserves au capital [30].

Une dimension institutionnelle

Reste néanmoins un mécanisme venant prolonger et consacrer la réserve impartageable : l’idée de dévolution altruiste qui prend forme à l’article 19 de la loi portant statut de la coopération. En disposant que l’éventuel boni de liquidation doit être transmis à d’autres structures de l’économie sociale et solidaire mais en aucun cas distribué entre les associés, cet élément fondateur du droit des coopératives parachève la forte contrainte pesant sur toute prétention à la profitabilité : aux côtés d’un fructus encadré se trouve donc un abusus vidé de sa dimension lucrative, sauf application des exceptions permises par la loi de 1992 dont l’esprit n’a pas été réinterrogé par le texte de 2014.

Il convient de souligner en parallèle que la liberté d’abusus se trouve limitée dans sa dimension extra-pécuniaire : tout d’abord, par l’intermédiaire du principe « un homme, une voix » qui trouve son fondement à l’article 4 de loi de 1947. En affirmant sa nature démocratique, la coopérative déconnecte droit de vote et quantité de capital détenue. Ensuite, car la transmission et la cession de parts sociales sont encadrées suivant le régime juridique applicable aux sociétés de personnes. Selon les termes de l’article 11 de la loi de 1947, les parts sociales, nominatives, ne peuvent ainsi être cédées qu’à la condition que la cession reçoive l’approbation de l’assemblée générale ou des dirigeants, et selon les modalités fixées aux statuts.

Par conséquent, la libre disposition de ces parts sociales, et à travers elle leur présence dans le « commerce juridique », connaît de réels obstacles qui trouvent leur justification dans le fort intuitu personae inhérent à la structure coopérative, mais également dans l’affectio cooperatis [31], sorte de communauté d’intérêts renforcée propre à ces personnes morales. La pleine « cessibilité et transmissibilité » du bien, pour reprendre l’expression de Carbonnier [32], se trouve entièrement mise en cause ; et se déploie une forme d’inaliénabilité. Surtout, elle est examinée au regard des intérêts de la collectivité des associés coopérateurs, donc d’une approche du groupement qu’il est possible de qualifier d’institutionnelle au plan juridique.

Pleinement saisi, ce constat conduit in fine à remettre en question l’approche par les droits réels. Les limites portées au droit de disposer sont telles que les membres n’ont pas de droits ou attributs concurrents sur la coopérative. Il est donc très improbable qu’ils soient poussés à rompre l’équilibre du groupe en recherchant une dissolution ou un retrait à vocation lucrative. Au contraire, l’agencement de la propriété coopérative répond à des préoccupations communautaires : ce ne sont pas tant les rapports des membres avec leurs parts sociales respectives qui sont visés que, plus profondément, les rapports des membres entre eux. C’est en ce sens que se dessine une propriété commune, à éventuellement rapprocher de la théorie des biens communs.

La propriété coopérative : un régime juridique propice aux communs ?

Le rapprochement entre le droit français des sociétés coopératives et la théorie des biens communs défendue par Ostrom doit se faire avec la prudence requise par les contacts entre systèmes juridiques, la lecture civiliste française étant éloignée des travaux sur la propriété menés en contexte anglo-saxon [33]. Il est néanmoins possible d’envisager des observations croisées des deux phénomènes, sur plusieurs aspects : l’agencement institutionnel entourant la propriété en tant que telle ; et le partage d’objectifs communs, traduits précisément dans cet agencement.

Sur le premier point, le régime juridique des sociétés coopératives démontre qu’à défaut de lecture sous l’angle du « bundle of rights » [34], une approche très classique en matière de droits réels suffit à constater que les attributs du droit de propriété sur la part sociale coopérative sont profondément modifiés. Ces modifications relèvent justement d’une forme d’agencement institutionnel. Une simple comparaison avec le droit de propriété sur une action, ou même sur une part sociale non coopérative, suffit à rendre compte des différentes possibilités offertes par des régimes juridiques divers. Le caractère contractuel [35] de cet agencement institutionnel, porté de manière évidente par le contrat de société, apparaît alors pleinement. S’agissant du droit des coopératives, il se double de la forte dimension institutionnelle conférée par un droit général [36] qui incite à mobiliser (ou remobiliser) les théories de l’entreprise en droit [37].

L’idée d’un agencement institutionnel au filtre duquel passeraient les attributs de la propriété permet le basculement d’une propriété envisagée comme rapport des personnes aux choses, vers une propriété vue comme un ensemble de rapports entre personnes. Il s’agit d’un trait caractéristique de la propriété commune : dans la mesure où plusieurs personnes exercent communément une propriété sur un même bien, il devient nécessaire de s’intéresser aux rapports qu’elles entretiennent relativement à la communauté ainsi formée [38]. L’intérêt du droit coopératif à cet égard est de présenter un outil statutaire exhaustif pour envisager ces rapports, outil tourné ostensiblement vers un devenir communautaire mettant à distance les traits les plus problématiques de l’individualisme [39]. De ce point de vue, le droit de propriété exercé répond à une forme de fonction sociale, non pas générale comme elle a pu être défendue par Duguit [40], mais spécifique au groupement coopératif et à ses impératifs.

Par ailleurs, les observations permises par cette étude démontrent que la dimension communautaire dépasse de beaucoup un simple phénomène de collectivisation d’une propriété qui serait restée ontologiquement individuelle. Car la propriété dessinée dans le cadre coopératif est tournée, en résonnance avec les analyses d’Ostrom, vers des objectifs précis, au premier rang desquels une prétention à l’inscription dans le temps par l’affirmation de la durabilité de la communauté par-delà le devenir individuel de ses membres [41]. La propriété coopérative apparaît alors vidée de ses possibilités de disposition lucrative, et constitue un patrimoine commun ; elle se concentre sur l’usage, auquel se rattache la prétention aux fruits de l’activité [42]. La coloration « usufruitière » qui en résulte pour les membres n’entre aucunement en contradiction avec l’objectif de durabilité : l’article 578 du Code civil ne précise-t-il pas que si l’usufruit est « le droit de jouir de la chose », l’usufruitier « a la charge d’en conserver la substance » [43] ? Le droit coopératif et ses instruments (en particulier la gouvernance démocratique) constituent en ce sens une proposition juridique concrète, qui rencontre les nécessités du développement durable attachées aux biens communs.