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On se réfère souvent au concept d’androgynie lorsque l’on tente de qualifier la fin des stéréotypes sexuels. Toutefois, la socialisation de bon nombre de garçons est fondée sur de nombreux stéréotypes. Par exemple, le fait d’adopter des traits de caractère ou des comportements associés à la féminité pourrait mener un garçon vers l’exclusion sociale. Les garçons apprennent donc à éviter l’ensemble des traits et des comportements associés au genre féminin. On pourrait classer cet apprentissage d’homophobie générale, à savoir, le « dénigrement des qualités considérées comme féminines chez les hommes et, dans une certaine mesure, des qualités dites masculines chez les femmes » (Welzer-Lang et coll., 1994, p. 8).

Pour comprendre les exclus, Lajeunesse a voulu recueillir le point de vue de ceux qui semblent répondre le plus aux traits masculins idéaux, caractéristiques de ce qui est souvent nommé masculinité hégémonique. Dans son ouvrage, il explore la possibilité de « placer l’homophobie et les rituels sportifs au coeur même de la construction de genre masculin et, par conséquent, des problèmes sociaux ou relationnels vécus par des hommes sportifs souvent associés au mode traditionnel de masculinité » (p. 12). Il s’agit donc de vérifier comment les rituels et les comportements homophobes que l’on retrouve dans les sports peuvent mener à l’établissement d’une identité masculine traditionnelle. Pour y arriver, l’auteur a interrogé des sportifs de haut niveau, notamment sur leur identité masculine. Ce livre présente les résultats d’une recherche réalisée à l’aide d’entrevues auprès de 22 hommes âgés de 18 à 26 ans.

À la lumière de ses résultats, Lajeunesse définit deux types de répondants. Les grégaires regroupent les individus qui pratiquent un sport collectif. Pour eux, un élément qui prime dans la pratique de leur sport est le contact avec d’autres individus. Ils considèrent que le sport permet à l’individu d’atteindre un idéal identitaire. Les solitaires, de leur côté, préfèrent pratiquer un sport individuel. Ils visent plutôt la satisfaction des besoins individuels. Le sport serait un moyen de relaxer en plus de permettre une forme de réalisation de soi.

Lajeunesse expose comment les grégaires interrogés auraient choisi un sport qui leur permet de construire une identité du genre qui répond aux critères de la masculinité hégémonique. Les répondants rapportent également qu’il est souvent nécessaire de transformer leur corps afin de satisfaire aux exigences du sport, de l’entraîneur ou encore, des attentes sociales. La transformation du corps favorise également sa virilisation et, de ce fait, un renforcement de l’identité du genre. L’auteur ajoute que ne pas « faire l’équipe » mènerait à la marginalisation de certains, pour cause de non-conformité physique ou, dans certains cas, de non-conformité de genre.

En ce qui concerne les solitaires, Lajeunesse expose différents types de prescriptions sociales qui les guident lorsque vient le temps de choisir un sport (les motivations socioculturelles, les motivations parentales, les motivations reliées au prestige identitaire et les motivations reliées à l’orientation sexuelle ou à la non-conformité de genre). La peur du féminin serait présente dans les deux groupes de sportifs. Les grégaires vont rejeter les individus efféminés, tandis que les solitaires vont souvent muscler leur corps afin de rejeter leur féminité.

La dimension des rituels sportifs est également abordée dans l’ouvrage. Par exemple, on y discute de l’aspect symbolique des vestiaires comme lieu de rituels. Pour les grégaires, il s’agit de la maison des hommes, un endroit pour faire la fête ainsi qu’un endroit représentatif de différents rituels. Pour les solitaires, le vestiaire serait souvent associé à un lieu de terreur. Plusieurs (souvent au secondaire) se sont vu imposer l’accès à cet endroit où ils ont été victimes de la distinction et de la séparation entre les « vrais » hommes et ceux qui ne correspondent pas au modèle hégémonique de la masculinité.

Les grégaires auraient différents types de rituels qui favoriseraient l’apprentissage de la masculinité au sein des groupes sportifs. Par exemple, lorsqu’un nouveau membre est admis dans une équipe, les grégaires utilisent des rituels initiatiques qui doivent demeurer secrets. Les équipes ont aussi plusieurs rites qui permettent de développer le sentiment d’appartenance au groupe (par ex. : laisser pousser sa barbe). Ils possèdent également différents rituels apotropaïques (par ex. : talismans, prières). Évidemment, les solitaires n’ont pas de rituels d’initiation ou tribaux, mais certains ont des rituels apotropaïques.

Lajeunesse aborde également la place de l’homophobie dans les sports. Pour les grégaires, certains contacts sont acceptés (par ex. : donner la main), mais pas d’autres (par ex. : embrasser un autre homme) qui sont associés à l’homosexualité. Les solitaires quant à eux entretiennent des conversations associées aux comportements masculins tels que le travail ou bien les voitures afin d’afficher leur masculinité. À l’instar des grégaires, les solitaires ont mentionné certains comportements qui sont permis (par ex. : tape sur l’épaule) et certains qui ne le sont pas (par ex. : toucher les parties privées, s’embrasser) et qui entraîneraient une perte de masculinité, une féminisation, une homosexualisation.

Lorsque questionnés sur ce qu’est un homme, les participants des deux groupes de sportifs ont des réponses similaires, lesquelles se classent en cinq catégories : la confusion (réponse floue), le corps (ex. : muscles, poils), le contraire (ne pas être femme), les rôles (ex. : posture du corps, ne pas pleurer, le rôle de pourvoyeur) ainsi que la séduction. Lajeunesse a aussi demandé aux répondants de s’évaluer par rapport à l’idéal masculin. Ceux-ci, des athlètes pourtant, se sont évalués comme étant moyens : ils estimaient que leur virilité était affaiblie par certains de leurs traits de caractère ou comportements associés au genre féminin

Pour conclure, le livre nous rappelle que près de 75 % des 14-25 ans pratiquent un sport plus de trois fois par semaine. L’auteur propose donc différentes façons d’utiliser ce médium pour intervenir auprès de cette population difficile à rejoindre. Il serait en effet possible d’aider les jeunes hommes à se trouver des rituels qui génèreraient moins d’exclusion.

Le livre traite d’un sujet très peu exploré jusqu’à maintenant. Rares sont les auteurs qui ont osé s’intégrer à ce point à la vie de jeunes sportifs. Lajeunesse expose au grand public une réalité cachée au nom de l’honneur et de la cohésion d’équipe. Dans un langage simple et compréhensible, il nous permet de voir comment l’homophobie et les rituels sportifs jouent un rôle déterminant dans la construction de genre masculin. En contrepartie, l’oeuvre laisse quelques questions en suspens : Qu’en est-il des hommes qui ne pratiquent pas de sports? Comment leur identité de genre se construit-elle? Comment se situent-ils face à la masculinité hégémonique?