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François Saillant, figure marquante des luttes sociales des dernières décennies au Québec et au Canada, est connu principalement pour son implication au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), particulièrement au chapitre du logement; il s’est également engagé dans plusieurs causes sociales et politiques. Dans Radical de velours : parcours militant, Saillant nous raconte son cheminement activiste et militant, de ses débuts à l’école jusqu’à la politique partisane. Le titre de l’ouvrage évoque le changement social fondamental que l’auteur souhaite et le radicalisme des actions qu’il considère comme nécessaires, et aussi le fait qu’il ne se met pas souvent en colère et qu’il recherche le consensus, lorsqu’il est possible. Le titre illustre bien le contenu du livre, dont la lecture met en lumière les facettes radicales du parcours de son auteur, ainsi que son côté humain, avec ses doutes, ses émotions, ses regrets et ses fiertés. L’ouvrage en cinq chapitres porte sur la vie activiste de Saillant, son parcours dans le domaine du logement avec le FRAPRU, ses diverses luttes pour les droits autochtones ainsi que sur son parcours politique.

D’entrée de jeu, l’auteur manifeste son inconfort à l’idée d’écrire à la première personne du singulier, puisque les luttes qu’il raconte ont été collectives et menées avec l’aide de nombreux alliés, complices ou partenaires. On comprend ainsi que le propos portera très peu sur sa vie personnelle et davantage sur les causes qu’il a choisi de défendre. Dans la première partie du récit, Saillant aborde très succinctement ses origines familiales. Issu dans la Basse-Ville de Québec d’une famille qui n’était pas militante, mais où l’intérêt pour la politique était présent, c’est à l’école secondaire qu’il a vécu l’éveil à l’activisme, en lien avec le contexte de l’époque où l’on assistait notamment à une progression des idées indépendantistes. Au Cégep, il a continué à s’impliquer dans des grèves et contestations. Lors de ses études universitaires, ses principaux apprentissages ont eu lieu davantage à travers son implication dans diverses causes sociales et en marchant dans la rue en solidarité que dans ses cours de journalisme. Dans les années 1970, durant l’essor des groupes vidéos, liés de proche aux regroupements et mouvements populaires, Saillant a travaillé au sein de Ciné-Vidéobec. Dans ce groupe de productions de vidéos militantes, il s’est initié à la question des luttes urbaines et du logement, ce qui a été par la suite le domaine dans lequel il a consacré une grande partie de sa vie militante.

Intitulé de façon évocatrice « Au front », le deuxième chapitre du livre retrace le fil des luttes liées pendant trois dernières décennies au droit au logement, et ce, à travers les actions du FRAPRU. Ce groupe d’action radicale a vu le jour en 1979 à partir du Regroupement des citoyens autour du colloque Programmes d’amélioration de quartiers (PAQ). Saillant s’y est joint peu après ses débuts. Le FRAPRU est demeuré depuis sa création une figure de proue dans la revendication du droit au logement au Québec. Saillant relève les moments importants dans les politiques ou projets entourant le logement, tant au niveau municipal, provincial que fédéral. L’auteur souligne également les moments forts des actions que le FRAPRU et d’autres groupes de citoyens ont entreprises afin d’assurer que les gouvernements respectent leurs obligations reliées au droit au logement.

Saillant rappelle également qu’année après année, et en collaboration avec divers groupes de citoyens, le FRAPRU a maintenu une pression constante auprès des gouvernements québécois et fédéral pour que les investissements dans le logement social soient maintenus et accrus. En effet, au fil des ans, le FRAPRU s’est chargé de se faire entendre des autorités, parfois sous forme de négociations ou de discussions, souvent par des actions radicales. Et de se faire entendre encore plus fort quand les gouvernements adoptaient des orientations de droite ou menaçaient le soutien au logement social. Malgré des promesses non tenues et des investissements insuffisants dans les logements sociaux, le FRAPRU n’a jamais reculé dans ses demandes. Pour donner force à leurs revendications, Saillant et les autres membres du FRAPRU et groupes alliés n’ont jamais craint de recourir à des actions radicales, même à la désobéissance civile. Le récit de Saillant est parsemé de coups d’éclat orchestrés par le FRAPRU et permettant de projeter la question du logement dans l’actualité. Parmi ces événements marquants, le Camp des 4 Sans a été installé à Québec pendant trois jours, lors des célébrations du 400e anniversaire de la ville, et a été accompagné de la plus grande manifestation organisée par le FRAPRU.

Saillant déplore aussi le fait qu’au sein de l’actualité québécoise le logement social soit passé de populaire à banalisé au cours des dernières années. Au début des années 2000, sous l’effet d’une importante pénurie de logements locatifs à Québec, à Montréal et à Gatineau, la crise du logement a occupé une place importante dans les médias. De nombreux ménages étaient incapables de se trouver un logement. Le FRAPRU a exercé une pression sur le gouvernement, notamment en se livrant à un squat, afin obtenir une réponse appropriée à la crise. Cependant, vers le milieu des années 2000, cette attention médiatique a fondu et la question de la pénurie du logement s’en est retrouvée banalisée. Malgré les violations du droit au logement encore bien présentes, la crise se trouve depuis lors moins visible. Face à cette évidence, le lecteur est invité à se questionner sur l’avenir du logement et à se demander s’il faut attendre qu’une crise spectaculaire jette des familles à la rue pour que les médias et la population ouvrent les yeux sur la problématique entourant le logement.

Face aux injustices reliées au logement, Saillant fait ressortir l’importance de la solidarité. Il mentionne que le FRAPRU a créé des alliances avec des organismes et regroupements à travers le Québec. Les caravanes Sur la route pour le logement social représentent un moment fort de solidarité. À partir de 2009, des militants et militantes de groupes membres du FRAPRU ont voyagé à travers la province pour y rencontrer des citoyennes et des citoyens et mené des actions en collaboration avec eux. Saillant souligne également l’importance de la solidarité à un niveau international, puisque « les luttes que nous menons au Québec s’inscrivent dans un combat international, celui pour le droit au logement et plus largement celui à l’habitat, incluant celui à la terre » (p. 77).

Pour conclure ce rappel de son engagement dans le droit au logement, Saillant s’inquiète de voir ce dernier encore largement bafoué. Il souligne que le revenu des ménages locataires diminue alors que le coût des logements augmente, que l’itinérance s’aggrave et que nombreuses sont les violations des droits au logement des populations autochtones canadiennes. De plus, le financement du logement social diminue et nous sommes confrontés à une privatisation importante des logements. Cependant, malgré les défaites et l’avenir qui ne semble pas rose, Saillant ne regrette aucune des luttes menées pour le droit au logement et reconnait l’importance de la solidarité et des actions radicales, sans lesquelles la situation pourrait être encore pire. Il est d’ailleurs fier que le FRAPRU se soit « profondément implanté » et que ses « assises [soient] solides » (p. 70).

Saillant n’est pas l’homme d’une seule cause. Au contraire! Tout au long de son parcours de militant, il s’est engagé dans plusieurs luttes visant à combattre les inégalités sociales au Québec. « Tant d’injustices à combattre », le titre du troisième chapitre, exprime de manière éloquente son implication dans plusieurs combats, notamment ceux entourant les droits des personnes assistées sociales. L’auteur partage son incompréhension devant le mépris voué aux personnes qui vivent durement les conséquences de la pauvreté et son indignation face aux gouvernements qui briment leurs droits les plus essentiels. Depuis la première Loi d’aide sociale en 1969, plusieurs mesures discriminatoires ont été mises en place par le gouvernement provincial pour catégoriser les personnes assistées sociales. La réforme de l’aide sociale de 1987 discriminant les personnes selon leur aptitude à travailler a mobilisé une centaine de groupes; le FRAPRU s’est investi à fond aux côtés du Front commun des personnes assistées sociales du Québec. Saillant nous raconte cette lutte comme un des rares moments où le mouvement communautaire a su s’unir autour d’un objectif commun et déployer une diversité de stratégies pour résister à des mesures discriminatoires.

Du déficit zéro aux coupures importantes dans l’aide sociale en passant par des mesures de contrôle social tels les programmes de workfare, les choix des élus en matière d’aide sociale n’ont contribué qu’à appauvrir davantage les personnes assistées sociales et à violer leur droit à un revenu suffisant tel que promu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le FRAPRU et plusieurs autres groupes n’ont jamais cessé de s’opposer à ces mesures régressives en s’appropriant l’espace public et en faisant pression sur le gouvernement au pouvoir.

Puis un nouveau projet de société a pris place, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, au sein duquel Saillant s’est impliqué au nom du FRAPRU. Quoique sceptique par rapport à la portée de cette démarche, il reconnaît la richesse de cet outil d’éducation populaire et de mobilisation. Cette démarche a mené à la création en 2002 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. En 2009, dans la foulée de nouvelles hausses de tarifs et coupures dans les services publics, le FRAPRU et d’autres groupes ont appelé à la création d’une Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. En quelques mois, une centaine de groupes ont été mobilisés; une grande manifestation a réuni 15 000 personnes aux portes du Forum économique et financier du gouvernement Charest. Les mobilisations, étudiantes, syndicales, communautaires et écologistes se sont succédé pour faire reculer le gouvernement Charest. Enfin, devant le constat de l’accroissement des inégalités, Saillant ne peut s’empêcher de rêver à la force dont tous ces mouvements auraient pu faire preuve en s’unissant dans un mouvement large de résistance aux injustices. Il nous interpelle d’ailleurs en nous posant cette question : jusqu’à quand accepterons-nous l’inadmissible?

C’est dans les années 1990, à la suite d’un appel à la lutte contre l’apartheid des Premières nations du Canada, que Saillant commence à s’intéresser à la création d’un mouvement large et solidaire avec les nations autochtones. « Au son des tambours », son quatrième chapitre relate les diverses luttes dans lesquelles l’auteur s’est impliqué pour revendiquer les droits des nations et leur autodétermination. Saillant livre ses réflexions et partage avec nous l’expérience acquise au fil de son engagement auprès des Autochtones, comme dans le Regroupement de solidarité avec les Autochtones durant l’été 1990 à Oka. Manifestations, assemblées et occupations se sont succédé pour marquer l’appui aux communautés mohawks de la région qui vivaient sous la répression policière. Saillant s’est investi à fond dans cette lutte qui commençait à ressembler grandement au mouvement large et solidaire dont il rêvait.

Parallèlement à la campagne du « oui » menée par le FRAPRU pour le référendum sur la souveraineté du Québec de 1995, Saillant a mené avec le Regroupement de solidarité avec les Autochtones une autre campagne, celle pour l’indépendance des Premières Nations. Au lendemain du référendum, l’auteur tire la conclusion que « [le] projet souverainiste, tel que formulé par le gouvernement du Parti Québécois (PQ), n’avait rien à offrir aux nations autochtones » (p. 123). Le chapitre se termine sur un rappel de l’importance de lutter pour la justice sociale et pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones.

À travers son parcours militant, Saillant a expérimenté toutes sortes de façons de voir et de faire de la politique, non partisane comme au FRAPRU, mais aussi partisane. Son implication politique partisane a débuté en 1970 au sein du PQ, qu’il a délaissé quelques années plus tard. Saillant retrace ensuite son implication avec le groupe marxiste-léniniste En lutte, qui naît dans un contexte de montée de l’extrême gauche au Canada. Il livre ses réflexions sur son adhésion à un groupe marxiste-léniniste et toutes les contradictions qui peuvent s’ensuivre. Il s’y est investi d’ailleurs jusqu’à sa dissolution en 1982, en période de dérive de la gauche socialiste et politique.

L’intérêt grandissant de Saillant pour la création d’un parti politique de gauche au Québec s’est concrétisé dans un mouvement politique féministe et de gauche aux côtés de Françoise David et d’autres militantes et militants. L’auteur relate l’évolution de ce mouvement jusqu’à ce qu’il devienne parti politique : Québec solidaire. Saillant a marqué définitivement son engagement en politique partisane en devenant candidat solidaire en 2006. Saillant termine cette incursion dans ses expériences passées en politique partisane en lançant le défi à la gauche de se réapproprier la notion de liberté aux mains de la droite.

Dans Radical de velours : parcours militant, la lectrice et le lecteur découvrent un parcours militant varié, alliant différents aspects des luttes contre les injustices et inégalités et visant une justice sociale pour toutes et tous. Le récit montre le dévouement et la persévérance de Saillant, mais également les apprentissages acquis au fil du temps. Les personnes qui s’attendaient davantage à une biographie regretteront peut-être de ne pas en connaître plus sur la vie privée de l’auteur. Cependant, pour toutes et tous, et particulièrement les personnes qui aspirent au militantisme ou le pratiquent, il s’agit d’un récit inspirant et qui fait simplement du bien à lire! Radical de velours : parcours militant permet de revisiter plusieurs luttes sociales des dernières années et de tourner les yeux vers les luttes en cours et vers d’autres à venir, tout en se questionnant sur le rôle qu’elles pourraient y jouer.