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Maintenant, quand je vois à la télévision, sur les routes d’un pays en guerre, une femme tenant dans ses bras un bébé, je me demande si elle a pu le nourrir, si elle a pu le changer ; je sais qu’elle pense à ça ; je conçois pour la première fois le stress intense qu’elle subit. Devoir quitter la maison, avec le bébé qui pleure, qui va bientôt pleurer de faim. Qui n’aura aucun endroit pour être tranquille. Qui va tomber malade. Devoir être la maison du bébé, sans recours, sans magie.

Darrieusseq (2002 : 49)

À l’heure où le concept de parentalité est en voie de devenir le principal référent pour traiter de la famille ou des conditions dans lesquelles est partagé le soin des enfants, il apparaît urgent de jeter un regard plus attentif sur la spécificité de l’expérience des femmes. Au cours des dernières décennies, le féminisme a attaqué avec véhémence l’institution de la maternité, mettant en avant les aspects sociopolitiques de l’enfermement des femmes dans la domesticité, le joug de la conjugalité et la dépendance économique. Sur le plan phénoménologique, la critique a été tout aussi implacable ; on reprochait à la maternité de reposer sur une « philosophie de l’évacuation », une impossibilité pour les femmes de se construire comme sujet (Allen 1984 : 315). Or, voilà qu’il faut se rendre à l’évidence : le désir de maternité, l’enfantement et la relation à l’enfant continuent aujourd’hui de bouleverser profondément d’innombrables femmes.

La distinction d’Adrienne Rich (1976 : 13) entre l’institution de la maternité, pur construit patriarcal, et l’expérience que les femmes font de la maternité permet de concilier le radicalisme de l’analyse critique et le respect que commande la démarche empirique. L’expérience est un champ d’actions, de cognitions et de significations qui, une fois reconnu et légitimé, peut transformer les institutions. Il en va de même pour la maternité, à condition bien entendu que les femmes se donnent les modalités réflexives leur permettant de se réapproprier les aspects « subjectivants » du vécu maternel. Un travail approfondi de théorisation féministe autour de l’expérience maternelle — telle qu’elle est vécue par les femmes et non imaginée par les hommes — permettrait aux premières de mieux comprendre et contrôler le sens que prend leur existence de mère (Nnaemeka 1997 : 5). On a beaucoup reproché à l’entreprise philosophique occidentale d’avoir gardé sous silence l’univers du maternel, l’imaginaire masculin s’étant construit en excluant le féminin (Le Doeuff 1989 ; Walker 1998). Le féminisme culturel a élaboré une analyse complexe de la maternité comme matrice fondatrice du discours (Irigaray 1974), expression du langage et de l’écriture (Cixous 1975), enceinte présymbolique de la poésie (Kristeva 1974). Qualifiées de « fémelléistes », ces auteures ont été sévèrement critiquées pour n’avoir pas formulé de projet permettant aux femmes de s’engager concrètement sur le terrain du politique, en vue d’améliorer leurs conditions de vie (Descarries et Corbeil 2002). Il n’en reste pas moins essentiel d’approfondir la valeur symbolique que l’engendrement prend pour les femmes, afin de mieux comprendre le désir de transformation qui les anime, tout en tenant compte du caractère structurant des rapports sociaux environnants.

Ce premier numéro de Recherches féministes sur la maternité est justement centré sur la façon dont les représentations de la maternité et les pratiques maternelles des femmes sont marquées par leurs conditions de vie. Inversement, il s’interroge aussi sur les moyens à prendre pour que l’expérience de la maternité — conformément aux désirs exprimés par les mères — devienne un levier leur permettant d’actualiser les transformations auxquelles elles aspirent, au-delà de l’« obligation de compétence » qui leur est imposée. Le titre principal du numéro, « Également mère », fait évidemment référence à l’idéal d’un partage équitable des responsabilités familiales entre les hommes et les femmes, mais il évoque aussi les rapports de métissage caractéristiques des sociétés contemporaines. La catégorie de « mère », pas plus que celles de « femmes » ou d’« hommes », n’a pu résister à l’effondrement des frontières identitaires modernes. Les mères se sont ainsi fondues à plusieurs autres catégories du social, laissant place à des combinaisons longtemps jugées incompatibles. Les mères travailleuses ont vu poindre les mères professionnelles, les mères célibataires, les mères lesbiennes, etc. D’autres combinaisons évaluées plus coûteuses par la société sont demeurées marginalisées, voire taxées de déviantes : les mères dépressives, les mères adolescentes, les mères toxicomanes, les mères en situation de handicap mental, les mères sidéennes, etc.

Derrière ces nouvelles mater dolorosa s’agite bien entendu le spectre de la « mère négligente » et de la « mère abusive ». L’image populaire de la « mère négligente » n’est pas nouvelle. Elle est apparue dans l’imaginaire collectif pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment où les mères ont dû consacrer une partie de leur temps au travail rémunéré (Walters 1992 : 60). L’image de la « mère abusive » est plus récente. Kaplan (1992 : 192) associe l’émergence de cette représentation aux débats qui ont eu cours dans la presse du début des années 80, autour de quelques cas de négligence dans les garderies. L’accusation d’abus n’a pas été longue à se propager aux mères. Cela a été le prix à payer pour avoir osé rejeter l’idéologie de l’instinct maternel. Plus que jamais, la maternité est devenue une obligation de compétence. Or, parce que la maternité est aussi un droit, ce n’est pas tant de la compétence individuelle qu’il faut se soucier, mais plutôt, comme l’affirme De Koninck (2002 : 398), des rapports sociaux de sexe et des inégalités sociales qui façonnent les conditions de vie et les pratiques des femmes « également mères ». C’est le point de vue qui se dégage de l’ensemble des textes dont est constitué le présent numéro.

Afin de poser les jalons sociopolitiques de l’inscription des pratiques de la maternité dans les rapports de sexe, de classe et de légitimité des savoirs, l’historienne Yvonne Knibiehler propose d’abord une étude historique de l’allaitement comme un « analyseur des liens sociaux » (p. 11). S’inspirant aussi de la démarche anthropologique, sa réflexion porte sur les changements observés sur une longue durée, de l’Antiquité au xxe siècle. L’auteure débute en montrant comment, dans l’Antiquité et pendant l’avènement du christianisme, l’allaitement est marqué par l’exercice du pouvoir absolu de l’autorité paternelle. Cette dernière se manifeste notamment de deux façons : d’abord par un rejet de l’allaitement soit pour des raisons successorales, soit, dans un contexte de fidélité chrétienne, pour éviter l’ascèse ; puis par des contrats de « nourrissage » signés par le géniteur et le mari de la nourrice. Knibiehler poursuit en exposant comment l’émergence de la ville a transformé le système des solidarités féodales dans lequel s’inscrivait la mise en nourrice. Elle montre que les pratiques de l’allaitement se sont diversifiées parallèlement aux liens familiaux. Entre le détachement affectif et charnel — exigé par l’éloignement du lieu de « nourrissage » — et le désir vertueux d’accomplir les « devoirs maternels », tel que le commandait la Réforme protestante, les significations que revêt l’allaitement se sont multipliées. La diversité était aussi présente chez les nourrices ; l’organisation du « nourrissage » variait selon qu’elles étaient paysannes, au service des hôpitaux ou filles-mères sans appui. Au Siècle des lumières, les philosophes et les médecins ont évidemment passé au crible les pratiques de l’allaitement. Ces derniers n’ont pas manqué d’imputer la mortalité infantile à l’industrie nourricière, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle « culture de l’allaitement ». Les pratiques de l’allaitement maternel ont de ce fait été modelées par la modification des rapports de classes : les bourgeoises désireuses de se porter au secours des femmes plus pauvres ont entrepris de promouvoir l’allaitement. Avec l’offensive médicale, l’allaitement est finalement devenu objet d’investigations méthodiques, puis, subsumé sous le domaine de l’alimentation des petits, il s’est transformé en objet scientifique. Knibiehler termine en montrant comment les rapports de savoirs, à la manière des rapports de sexe ou de classe, sont intervenus dans la relation nourricière entre la mère et l’enfant.

Si, historiquement, l’allaitement s’inscrit dans un ensemble de rapports sociaux constitutifs des significations qui lui sont attribuées, il en va de même pour les symptômes de la dépression postnatale. La santé psychologique postnatale ne saurait être réduite au seul fait de vivre en conformité avec ses valeurs personnelles, eu égard au travail et aux soins de l’enfant. Catherine des Rivières-Pigeon, Lise Goulet, Louise Séguin et Francine Descarries proposent une réflexion sociologique sur la dépression postnatale liée à la question de l’adéquation entre le désir de travail des nouvelles mères et leur situation effective. Leur première intention est de remettre en question et de nuancer le raisonnement selon lequel les travailleuses désirant demeurer à la maison, tout autant que les femmes qui veulent, au contraire, exercer une activité rémunérée, seraient plus sujettes aux troubles dépressifs que celles dont la situation est conforme à leurs aspirations. L’objectif visé est de dépasser l’assimilation courante du désir d’emploi chez les nouvelles mères à un choix purement individuel, pour plutôt examiner les liens entre ce désir d’emploi et différents indicateurs de la santé et des conditions de vie réelle des femmes. L’analyse a été réalisée à partir des données recueillies dans une vaste étude épidémiologique sur la santé des femmes à la période postnatale (Séguin, Goulet et Saurel-Cubizolles 1995). En révélant les caractéristiques et les conditions de vie auxquelles est associée la situation d’emploi des nouvelles mères, l’étude remet en cause les biais sexistes dont est porteuse la vision exclusivement individuelle du rapport entre désir d’emploi et choix personnel.

Trois autres textes traitent de groupes de femmes dont la situation de vie s’annonce difficile en raison d’un attribut personnel préjudiciable au fait d’être mère : les jeunes mères, les mères toxicomanes et les mères qui présentent une déficience intellectuelle. Les études exposées ici mettent plutôt l’accent sur le sens que prend la maternité pour les mères elles-mêmes ou pour les professionnelles et les professionnels qui les accompagnent.

Anne Quéniart et Stéphanie Vennes traitent des représentations de la maternité chez les jeunes mères, plus particulièrement des dimensions sociales de ces représentations. Leur analyse est fondée sur une étude qualitative du contenu des entretiens menés avec dix-huit jeunes mères adultes de moins de 25 ans. L’intérêt de cette population sur le plan sociologique tient au fait que ces femmes sont parmi les premières à avoir vécu, en tant qu’enfants, les grandes mutations qu’ont connues les familles québécoises au tournant des années 70. Elles ont aussi pour caractéristiques d’entrer dans la vie adulte d’une façon différente des générations précédentes. Quéniart et Vennes signalent que ce passage est aujourd’hui marqué par un allongement dans le temps de modes de vie associés à l’adolescence et une désynchronisation des transitions, ce qui a pour effet de décupler les trajectoires possibles. Il ressort de l’étude que la maternité répond à un désir d’émancipation, de normalisation des modes de vie et de valorisation sociale, mais qu’elle est paradoxalement une source d’isolement. Notons que huit des jeunes mères interviewées sont chefs de famille monoparentale et que, dans cinq de ces huit cas, le père est absent. En examinant plus précisément le sens que prend la maternité à travers les relations que les jeunes mères vivent avec leurs parents, leurs amis et amies, le père de l’enfant et, le cas échéant, les autres hommes, Quéniart et Vennes en viennent à la conclusion que la divergence de perspectives constitue le principal facteur explicatif de l’effacement des liens sociaux : les personnes qui partageaient l’univers culturel des jeunes mères ne les comprennent plus. D’autres éléments participent au détachement, dont l’asynchronisme dans la disposition à l’engagement, le manque de ressources financières, le désinvestissement du monde scolaire ou professionnel. La situation d’isolement, prise dans son ensemble, serait, selon les auteures surtout attribuable au modèle culturel de la « maternité intensive » p. 88. Les jeunes mères se sentent valorisées par leurs responsabilités, mais la centration sur ce seul projet les coupe du monde à la face duquel elles veulent justement avoir de la valeur.

Maria de Koninck, Louise Guyon et Pauline Morissette, pour leur part, présentent les résultats d’une étude à la fois écologique et féministe sur l’expérience des femmes consommatrices de substances psychoactives. Deux aspects sont abordés : la place de la maternité dans les trajectoires de vie et les représentations du rôle de mère. Le discours des femmes toxicomanes sur la naissance de leur enfant se caractérise, comme dans le cas des jeunes mères, par un désir de responsabilisation et de normalisation de leur mode de vie. La grossesse et l’accouchement leur apparaissent porteurs de grands changements. Séduites par leur enfant, bouleversées par sa présence, ces femmes se sentent motivées à changer. Comme dans le cas des jeunes mères, la maternité entraîne la rupture de plusieurs liens sociaux, y compris ceux qui les unissent à leur conjoint. Un élément particulièrement intéressant rapporté par les mères toxicomanes est que les besoins de l’enfant les amènent à faire appel aux autres et, par le fait même, à créer de nouveaux liens ou à se réconcilier avec les membres de leur famille. Ce comportement tranche radicalement avec l’isolement que provoque le désir d’autonomie chez les jeunes mères, comme l’ont rapporté Quéniart et Vennes. Le second aspect abordé par De Koninck, Guyon et Morissette est rattaché aux représentations qu’ont les femmes toxicomanes de leur rôle de mère. Les auteures expliquent que ces représentations, bien qu’elles soient inspirées d’un modèle idéalisé, n’en restent pas moins ancrées dans l’expérience : l’expertise des femmes interviewées vient de la connaissance qu’elles ont des comportements à éviter. La construction de leur rôle de mère est ainsi fondée sur deux éléments : leurs repères comme mère, définis à partir de situations qu’elles ont subies comme enfants et qu’elles ne veulent pas imposer aux leurs ; la réaction de défense de ces femmes à l’égard des préjugés. Conscientes du regard critique qui pèse sur elles, les mères toxicomanes cherchent à établir leur légitimité dans le rôle maternel. Les témoignages livrés aux chercheuses permettent finalement à ces dernières d’affirmer que « la maternité peut constituer un important levier de changement » (p. 129). La projection dans l’avenir, bien qu’elle se révèle restreinte et peu réaliste, est une manifestation d’optimisme qu’il ne faut pas négliger. Pour être maintenu, cet optimisme nécessite toutefois l’accès à des moyens absents la plupart du temps.

Dans un texte présenté sous la rubrique « Pratique », Christine Gruson décrit la démarche d’analyse exploratoire qu’elle a entreprise en vue de constituer un projet de formation à l’accompagnement de mères présentant une déficience intellectuelle, dans le contexte d’une demande de l’Association de parents de l’enfance inadaptée (APEI) de Lille. Sa démarche, fondée sur l’éthique en éducation à la santé, débute par une description des dispositions législatives en vertu desquelles est maintenu en France l’exercice de l’autorité parentale chez les personnes présentant une déficience intellectuelle. Gruson passe ensuite en revue les études produites sur la parentalité chez les personnes en situation de handicap mental, en signalant que l’incompétence parentale n’est pas directement liée à l’intelligence. La deuxième partie de sa démarche consiste en une analyse thématique du contenu de trois entretiens approfondis avec deux professionnelles de l’éducation spécialisée de l’APEI de Lille et d’un médecin-pédiatre membre d’une équipe d’intervention pluridisciplinaire. L’analyse des entretiens avec les professionnelles de l’éducation spécialisée lui permet de dégager cinq observations : l’évaluation subjective prend le pas sur l’évaluation objective ; le discours est centré sur la responsabilité unique de la mère ; les éducatrices ont une vision fataliste de l’inadaptation des mères déficientes ; l’organisation des services est vue comme dysfonctionnelle ; la hiérarchisation des savoirs brouille les relations professionnelles à l’avantage des médecins, des psychiatres et des psychologues. Pour sa part, le médecin interviewé présente une approche plus positive, facilitée par le fait qu’il n’est pas quotidiennement en contact direct avec les mères déficientes. Préoccupée par le discours plutôt négatif des éducatrices spécialisées, Gruson termine en proposant un projet de formation permettant aux parents de faire connaître leurs compétences aux professionnelles et aux professionnels, tout en développant eux-mêmes « une connaissance nouvelle de leurs capacités et compétences parentales (apprentissage dans la réciprocité) » p. 186.

Parce que l’obligation de compétence liée à la maternité n’échoit pas qu’à celles qui procréent, le présent numéro de Recherches féministes s’interroge aussi sur les représentations formulées dans l’espace public à l’égard d’un groupe particulier de femmes liées de très près à l’enfantement : les sages-femmes. Annie Bergeron présente dans une note de recherche les résultats d’une analyse exploratoire des représentations sociales de la sage-femme dans la presse francophone québécoise de 1989 à 2002, soit à partir du moment où le débat pour la reconnaissance des sages-femmes est devenu un sujet d’intérêt public jusqu’à tout récemment. Cette période englobe les événements entourant la légalisation et l’institutionnalisation de la pratique sage-femme pendant les années 90. La théorie des représentations sociales se prête particulièrement bien à ce sujet ; le statut des sages-femmes s’étant largement modifié au cours des quinze dernières années, la presse québécoise a eu en effet tout le loisir de construire une nouvelle image de ce groupe de professionnelles. Le corpus analysé comprend une cinquantaine d’articles généraux et onze « articles-portraits » de sages-femmes venant d’époques et d’horizons diversifiés. L’objectif visé était de dégager les traits et les caractéristiques attribués aux sages-femmes dans la presse et les magazines québécois. Les traits repérés ont d’abord été répartis entre deux grands ensembles. Le premier concerne la reconnaissance de la compétence professionnelle des sages-femmes : la presse traite de la sage-femme comme d’une véritable professionnelle de la santé, tout en l’associant parfois au risque et à la mort. Le second ensemble touche les qualités personnelles de la sage-femme, vue comme étant « plus qu’une simple professionnelle » (p. 148). Le contenu de cet ensemble est beaucoup plus diversifié. Les traits mis en évidence ont été regroupés en fonction de sept sous-ensembles. Ainsi, Bergeron rapporte que la sage-femme est à la fois dépeinte comme une personne humaine et attachante, une femme sécurisante dotée d’une grande force mentale, une militante politisée, courageuse et déterminée, une missionnaire altruiste et généreuse, une femme maternelle qui sait prendre soin des autres femmes sans les contrôler, une voyageuse ouverte au monde et, enfin, une intervenante portée par une vision holistique du corps et respectueuse de l’ordre naturel des choses. Bergeron termine en soulevant d’abord les contradictions notées dans les traits repérés, puis en procédant ensuite à une analyse des divergences et convergences entre les représentations des sages-femmes d’antan et de celles d’aujourd’hui.

Comme le note si bien Maushart (1999 : xvii), les femmes entrent dans la maternité en désirant « concilier » leur rôle de mère avec le reste de leur vie, mais une fois qu’elles y baignent, c’est plutôt le terme « jongler » qui hante leur discours ; le glissement sémantique entre une rhétorique de l’équilibre et une métaphore qui évoque tout autant la fourberie et la précarité que la virtuosité montre bien qu’un écart important subsiste entre les attentes et la réalité. Si toutes les femmes sont appelées à faire l’expérience douloureuse d’un tel écart dans la maternité, que faut-il penser de celles qui devaient « jongler » avant même d’être mère ? Contre toute apparence, bon nombre de ces femmes continuent d’affirmer le bien-fondé et le caractère salutaire de l’enfantement. Réduire leur parole à de l’aliénation correspond à condamner la nôtre au monologue. Nous espérons que ce numéro de Recherches féministes permettra à nos lectrices et à nos lecteurs de se faire une idée sur la question, tout en demeurant attentifs au fait que si les pratiques et les représentations de la maternité ont été historiquement façonnées par les rapports sociaux, la réalité du monde contemporain est autrement plus complexe : grâce aux nombreuses luttes féministes des dernières années, cette nouvelle réalité ouvre en effet la possibilité aux femmes de réfléchir et d’agir sur leurs conditions tout en incluant la maternité dans leur projet de vie.

En terminant, je tiens à remercier Johanne Tremblay pour sa collaboration et Christine Piette pour son aide soutenue tout au long de la préparation du numéro.