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Accepter de faire la recension d’un ouvrage avec un tel titre représente en soi un défi pour une lesbienne féministe militante. Malgré les quelques études déjà publiées sur les mères lesbiennes[1], il faut admettre qu’il y a tant à dire encore, tant de recherches à faire, tant de réflexions à partager concernant le désir de lesbiennes d’être mères. D’entrée de jeu, reconnaissons tout de même la grande ouverture d’esprit des chercheuses féministes québécoises pour toute nouvelle problématique.

L’auteure Martine Gross, très connue dans le monde des familles homoparentales françaises, puisqu’elle a présidé l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens et aussi parce qu’elle a publié de nombreux ouvrages[2] sur le sujet, s’intéresse cette fois exclusivement à la paternité gaie[3]. Elle a rencontré 50 pères et 21 pères en devenir, venant de la région parisienne et membres de l’APGL. Les rencontres se sont déroulées entre juillet 2009 et mai 2010 dans le contexte d’entrevues semi-dirigées d’une durée variant d’une heure et demie à deux heures. Privilégiant les homosexuels devenus pères dans un contexte homoparental, la chercheuse a exclu volontairement les pères gais dont les enfants sont nés dans un contexte hétérosexuel antérieur.

Après une introduction théorique où sont exposées les diverses approches sociologiques sur la paternité homosexuelle, Martine Gross aborde dans les deux premiers chapitres de son livre des questions incontournables, soit la découverte de son homosexualité et la décision pour un homosexuel de devenir père. Dans les chapitres suivants, elle illustre les options offertes aux homosexuels qui désirent la paternité : la coparentalité, l’adoption et la gestation pour autrui.

Dès les premières lignes du chapitre sur la coparentalité, on constate qu’il y a vraiment divergence entre le Québec et la mère patrie. En effet, l’auteure définit la coparentalité comme « une situation dans laquelle un père et une mère, bien que ne vivant pas ou plus en couple, continuent à être ensemble responsables de leurs enfants, à prendre ensemble les décisions éducatives, bref, continuent à “coparenter” » (p. 66-67). Ainsi, un homosexuel qui choisit la coparentalité comme moyen de devenir père en France pour accéder à la paternité doit trouver une femme qui acceptera de devenir la mère de son enfant. Ce mode de procréation assez simple lorsqu’un homosexuel demande à une amie de faire un ou une enfant avec lui, soit par insémination ou tout simplement au moyen d’une relation sexuelle, se complique toutefois lorsque le père en devenir vit avec un homme, et encore plus lorsque la mère est une lesbienne en couple avec une autre femme. Ce qui fait dire à l’auteure que « la coparentalité homoparentale est le lieu de l’élaboration d’un modèle familial inédit » (p. 98). Mais aussi lieu de dispute, selon les comptes rendus d’entrevues rapportés dans le chapitre 4.

Il y a peu de chances que des couples homosexuels québécois choisissent la coparentalité, puisque la loi québécoise permet aux couples de même sexe de réaliser un projet parental avec l’aide d’une tierce personne et que, au terme de ce projet, deux hommes par exemple pourront être reconnus pères de l’enfant dans son acte de naissance. En France, seul le père biologique sera reconnu père légal de l’enfant, son conjoint héritant d’un rôle non défini, plutôt nébuleux.

Il en est de même pour l’adoption. En France, seuls les couples mariés et les célibataires peuvent avoir droit à l’adoption. L’auteure rappelle dans le chapitre 5 qu’il est extrêmement difficile pour un célibataire français qui refuse de cacher son homosexualité d’avoir accès à l’adoption. Au Québec, le Code civil reconnaît à toute personne majeure la possibilité d’adopter un ou une enfant, qu’elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle, seule ou en couple, mariée, unie civilement ou de fait. Par conséquent, les récits de parcours de certains pères homosexuels français qui ont traversé les mailles de l’administration tatillonne, et ont ainsi réalisé leur rêve, ne présentent qu’un intérêt mineur en sol québécois. En effet, la motivation d’adopter un ou une enfant au Québec est souvent le fait d’une volonté d’un couple de même sexe qui désire fonder une famille, alors que, dans le contexte de la loi française, cela relève d’un acharnement de la part d’un seul membre du couple puisqu’il devra cacher sa relation de couple et même taire son homosexualité.

Dans les chapitres suivants, l’auteure rapporte ses conversations avec des homosexuels qui sont devenus pères ou aspirent à le devenir au moyen de la gestation pour autrui. Encore là, des expériences difficiles, des parcours complexes et surtout fort onéreux. Comme c’est le cas dans le Code civil québécois, les contrats de gestation pour autrui sont nuls en France, c’est-à-dire qu’ils ne seront jamais pris en considération par les tribunaux. Voilà pourquoi ces contrats sont généralement conclus avec des Américaines ou des Européennes de l’Est, par l’entremise d’agences formées d’avocats et d’avocates, de médecins ainsi que de psychologues. Ces chapitres peuvent sans doute représenter un certain intérêt pour des Québécois qui vivent ici une situation analogue.

Cette étude « dense, fondée sur une juxtaposition de témoignages traités de manière quasiment statistique, à partir d’une méthodologie verrouillée, avec questionnaire standard[4] », se révélera sans doute très utile au nouveau gouvernement français de gauche élu au printemps et qui a promis des changements à la loi en matière de mariage et de filiation durant la campagne électorale. Les membres du gouvernement élu auront tout le loisir de réfléchir aux souffrances, aux vexations et aux frustrations de même qu’aux milliers d’euros dépensés à cause de l’incurie et de la surdité des gouvernements précédents qui n’ont pas su reconnaître les signes de l’évolution de leur société comme le gouvernement péquiste l’a si bien fait au Québec dès 2002 en adoptant la nouvelle loi sur l’union civile qui a dépoussiéré les règles de la filiation, reconnaissant et légiférant, entre autres, sur l’homoparentalité dans notre société moderne. On commence même à y réfléchir en termes de pluriparenté et de pluriparentalité. À preuve, l’avant-projet de loi ayant pour objet de modifier les règles en matière d’adoption et d’autorité parentale déposé à l’été 2012 quelques semaines avant le déclenchement des élections au Québec. Cet avant-projet de loi prévoit à la fois l’adoption ouverte et l’adoption sans rupture du lien de filiation d’origine, c’est-à-dire la pluriparenté, et la possibilité d’une délégation de l’autorité parentale pour permettre à chaque parent de partager avec son conjoint ou sa conjointe l’exercice de leur autorité parentale, c’est-à-dire la pluriparentalité.