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Au Québec comme ailleurs, la figure étudiante à l’université s’est profondément transformée depuis les années 60, avec la démocratisation – bien qu’elle soit relative – de l’éducation. Autrefois réservée à une élite presque exclusivement masculine, l’université s’est progressivement ouverte aux femmes de même qu’aux personnes issues de l’ensemble des milieux socioéconomiques (Cloutier 1990). Par la voie du financement des universités et du soutien financier aux études, notamment, l’État québécois a largement contribué à cette démocratisation. À géométrie variable, les universités y ont aussi participé, en diversifiant leurs programmes, en variant leurs modalités de formation, en assouplissant leurs pratiques d’admission, etc. Dans cette foulée, la population étudiante est devenue plurielle au regard non seulement de ses caractéristiques sociodémographiques, mais aussi de ses façons de réaliser un projet d’études universitaires. En effet, de nombreuses personnes entretiennent aujourd’hui un rapport aux études non traditionnel, ce dont témoignent notamment trois réalités étudiantes : les études à temps partiel, les retours aux études après une interruption plus ou moins longue et la parentalité étudiante.

Menée dans le contexte de la production d’un avis du Conseil supérieur de l’éducation (CSE 2013), l’analyse de ces trois réalités étudiantes montre qu’elles concernent majoritairement des femmes et que celles-ci sont donc particulièrement touchées par les avantages et les risques associés à de telles façons de réaliser un projet d’études universitaires. Absente au point de départ de l’analyse, la perspective féministe s’en révèle ainsi un point d’arrivée : les constats dégagés jettent un éclairage sur la situation de certaines femmes à l’université et représentent un terreau fertile pour d’éventuelles recherches féministes.

Ainsi, le présent article met en lumière : 1) la représentation majoritaire des femmes au sein des populations étudiantes touchées par les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité; et 2) les avantages et les risques, voire les désavantages, associés à ces réalités étudiantes, compte tenu de leurs défis propres mais aussi des règles[2] en vigueur au sein des universités et de l’État québécois. Cet exposé mène à une réflexion sur l’accès des femmes aux études universitaires, ainsi que sur leurs conditions d’études et leurs conditions de vie.

Le contexte de la recherche

Les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité étudiante peuvent être appréhendées à partir de la notion de rapport aux études qui est utilisée en sociologie de l’éducation pour explorer l’hétérogénéité de la population étudiante. Selon la littérature, cette notion se rapporte au degré d’engagement dans les études (Dubet 1994), à la nature du projet poursuivi (Dubet 1994; Erlich 2009), au rapport au savoir (Pralong 1999) ou aux valeurs affichées à l’égard des études (Hamel et autres 2011).

La notion de rapport aux études désigne ici « le rapport au métier, à la vie, à l’avenir plus qu’un rapport au savoir justifiant le caractère instrumental du travail scolaire » (Erlich 2009 : 59). Cette acception prend en considération la part de rationalité de l’individu dans la construction de son parcours, en écho au courant de l’individualisme méthodologique (Boudon 1999). À cet égard, elle rejoint l’idée de Pilote et Garneau (2011 : 18) pour qui c’est à travers le rapport aux études que « les jeunes exercent des choix et organisent hiérarchiquement les éléments de leur expérience étudiante en fonction de l’importance accordée ». Plus précisément, le rapport aux études est conçu ici sous l’angle du mode d’engagement dans les études, selon la place qu’occupent ces dernières parmi les différentes sphères de la vie, et du mode de fréquentation de l’université, selon le degré de régularité du parcours de formation. Ainsi, un rapport aux études est dit traditionnel lorsqu’il consiste à s’investir de façon quasi exclusive dans des études à temps plein, au cours d’un cheminement ininterrompu et linéaire. Par opposition, le rapport aux études est qualifié de non traditionnel par référence à un engagement non exclusif dans les études ou à un parcours de formation irrégulier. Un tel rapport aux études se manifeste notamment chez les étudiantes et les étudiants qui ont des responsabilités parentales (engagement non exclusif) ou encore chez celles et ceux qui étudient à temps partiel ou effectuent un retour aux études après une interruption plus ou moins longue (parcours irrégulier). Dans les faits, les réalités étudiantes qui fondent un rapport aux études non traditionnel s’entrecroisent, puisqu’elles peuvent caractériser la même personne au cours de son cheminement.

Le rapport aux études non traditionnel s’apparente à la notion d’« étudiants non traditionnels », employée au Québec (Cloutier 1990; Bonin, Bujold et Doray 2012) comme ailleurs (Choy 2002; Kim et autres 2010), pour désigner les étudiantes et les étudiants qualifiés de « nouveaux » en raison de leurs caractéristiques sociodémographiques, de leur mode de vie ou de leur parcours de formation. Elle s’en distingue toutefois, car, par-delà les caractéristiques de l’individu, elle est centrée sur son engagement dans les études et sa fréquentation de l’université. De fait, même des étudiantes et des étudiants au profil traditionnel adoptent un rapport aux études non traditionnel : c’est notamment le cas de jeunes qui interrompent temporairement leur projet de formation (Cyr 2006).

Menée à l’automne 2012 et à l’hiver 2013, l’analyse[3] des réalités étudiantes qui fondent un rapport aux études non traditionnel a reposé sur cinq démarches complémentaires :

  1. une recension des écrits;

  2. un repérage et une analyse qualitative de documents publics relatifs aux 18 universités québécoises[4], dont des politiques, des règlements et des planifications stratégiques[5];

  3. un repérage et une analyse qualitative de politiques et de programmes gouvernementaux québécois[6] relatifs, entre autres, à l’enseignement et à la recherche universitaires ainsi qu’au soutien aux familles et à la parentalité;

  4. une analyse quantitative de données extraites en 2011 du système de gestion de données de l’effectif étudiant (GDEU) du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS);

  5. un relevé de documents produits par divers groupes et organismes abordant l’une ou l’autre des réalités étudiantes examinées.

Le portrait de situation dégagé du croisement de ces cinq démarches a fait l’objet d’une vérification auprès de personnes ayant une expertise spécifique ou travaillant au sein du système universitaire[7].

Cette analyse comporte des limites découlant principalement de l’accessibilité et de la diffusion des données et de leur nature variée. En particulier, le recours à des documents publics des universités, à des politiques et à des programmes gouvernementaux ainsi qu’à des rapports produits par des groupes d’intérêts pose des défis qui tiennent de « la diversité des conditions ou des contextes dans lesquels ces documents ont été produits » (Van der Maren 1995 : 302), et donc de la variété des intentions poursuivies. L’interprétation juste et cohérente des données colligées a exigé non seulement de les croiser, mais aussi de poser un regard critique sur chacune.

Des réalités étudiantes qui concernent majoritairement des femmes

Nous abordons ci-dessous trois réalités qui fondent un rapport aux études non traditionnel : les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité étudiante. Nous montrons que ces réalités étudiantes concernent majoritairement des femmes et en quoi elles peuvent représenter des avantages ou des risques.

Les études à temps partiel

Dans les universités québécoises, la proportion d’inscriptions à temps partiel est plus ou moins stable depuis les années 90. Elle demeure élevée dans les programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade[8], avoisinant 80 %, alors qu’elle est d’environ 20 % au baccalauréat, 33 % à la maîtrise et 5 % au doctorat. Dans tous les cas, les femmes sont surreprésentées parmi la population étudiante à temps partiel (tableau 1). Pour ce qui est des inscriptions à temps partiel aux microprogrammes, aux certificats et aux diplômes, environ deux sur trois sont le fait d’une femme.

Tableau 1

Proportion de femmes parmi l’effectif étudiant à temps partiel, universités québécoises, automne 2009

Proportion de femmes parmi l’effectif étudiant à temps partiel, universités québécoises, automne 2009
Source : MELS, GDEU, 2011, compilation du Conseil supérieur de l’éducation.

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De façon générale, les personnes qui étudient à temps partiel doivent composer avec des risques accrus de démotivation, d’éparpillement et d’abandon (CSE 1992); de fait, elles tendent à afficher des taux de diplomation plus faibles (CSE 2008). L’analyse montre néanmoins que les études à temps partiel, parce qu’elles permettent de gagner de la flexibilité dans l’articulation études-travail-famille, peuvent représenter une condition sine qua non d’accès aux études universitaires et de persévérance. Il serait utile de mener des recherches pour établir si de tels avantages et risques se présentent de façon particulière pour les femmes.

Les retours aux études

Les retours aux études englobent une variété de situations selon le degré d’avancement du projet de formation au moment de l’interruption, la durée de cette dernière, les objectifs qui les motivent, etc. Bien que les universités accueillent depuis longtemps des « adultes[9] » (Selman 2005), les retours aux études seraient aujourd’hui particulièrement fréquents (Plamondon Émond 2012; ICEA 2012). Toutefois, il n’existe pas de données exhaustives sur ceux-ci à l’échelle des universités québécoises. L’âge est l’indicateur couramment employé pour juger de la présence de personnes qui effectuent un retour aux études (Sales et autres 1996; Therrien 1997). Sur cette base, il est possible d’estimer que les retours aux études concernent une part importante (de 53 à 74 %) de l’effectif inscrit aux programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade et une part non négligeable de l’effectif inscrit aux programmes en vue de l’obtention d’un grade (de 20 à 35 %) (tableau 2). Plus encore, les données révèlent que les retours aux études concernent une majorité de femmes, hormis à la maîtrise et au doctorat. Dans le cas des programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade au premier ou au deuxième cycle, environ les deux tiers des retours aux études concernent des femmes, alors que c’est le cas de 56 % de ceux qui ont lieu au baccalauréat. À la maîtrise, les retours aux études sont autant le fait de femmes que d’hommes, tandis qu’ils concernent une majorité d’hommes au doctorat.

Les données relatives à la population étudiante de la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal[10] tendent aussi à montrer que les retours aux études sont plus souvent le fait de femmes : de 2007 à 2010, les femmes représentaient de 78 à 85 % de l’effectif étudiant de cette faculté[11].

Selon des recherches menées au Québec (Bye, Pushkar et Conway 2007) et aux États-Unis (Rowlands 2010) sur les retours aux études, les personnes visées, parce qu’elles sont plus matures, ont tendance à obtenir de meilleurs résultats scolaires. En revanche, elles seraient plus à risque pour ce qui est de l’interruption ou de l’abandon de leurs études (Grayson et Grayson 2003; Therrien 1997). Cette tendance est cependant nuancée par le fait que certains retours aux études sont davantage motivés par l’acquisition de connaissances que par l’obtention d’un diplôme (Grayson et Grayson 2003). L’expérience des retours aux études pourrait certes être mieux comprise grâce à des recherches portant sur les différences selon le sexe.

Le tableau 2 présente la proportion de femmes parmi l’effectif étudiant dans la catégorie d’âge supérieure, pour les universités québécoises, à l’automne 2009, sur la base de la durée normale des parcours de formation et dans le but d’obtenir des données conservatrices, la catégorie d’âge supérieure a été fixée à plus de 25 ans au premier cycle, à plus de 30 ans au deuxième cycle et à plus de 35 ans au troisième cycle.

Tableau 2

Proportion de femmes parmi l’effectif étudiant dans la catégorie d’âge supérieure, universités québécoises, automne 2009

Proportion de femmes parmi l’effectif étudiant dans la catégorie d’âge supérieure, universités québécoises, automne 2009
Source : MELS, GDEU, 2011, compilation du Conseil supérieur de l’éducation.

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La parentalité étudiante

Il n’existe pas de données sur les mères et les pères aux études dans l’ensemble des universités québécoises. Les données les plus globales concernent les personnes nouvellement inscrites en 2006 au sein du réseau de l’Université du Québec, parmi lesquelles 23 % ont des responsabilités parentales (Bonin 2007). Cette proportion pourrait être plus élevée que celle qui se rapporte à l’ensemble des universités, compte tenu de la mission spécifique de l’Université du Québec qui consiste précisément à favoriser l’accessibilité des études universitaires. Force est toutefois d’admettre que, comme le soutenait déjà le Conseil du statut de la femme il y a dix ans (CSF 2004), le nombre de parents aux études risque de croître avec le rehaussement des exigences de scolarisation et la valorisation de la formation tout au long de la vie.

Menés sur la scène canadienne, les travaux de Donna Lero, Trudy Smit Quosai et Tricia van Rhijn (2007) et ceux de David Holmes (2005) révèlent que les femmes tendent à être surreprésentées parmi les parents qui sont aux études. La même tendance s’observe au Québec : la proportion de parents parmi les personnes nouvellement inscrites à l’Université du Québec en 2006 est plus élevée chez les femmes (24 %) que chez les hommes (18 %) (Bonin 2007). Qui plus est, les défis que pose la conciliation études-famille (voir l’encadré) sont particulièrement lourds pour les femmes : à la fin de leur étude menée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Christine Corbeil et autres (2011) concluent que les mères-étudiantes portent davantage l’empreinte de leur situation parentale que les pères-étudiants.

Les responsabilités parentales conduisent souvent à l’inscription aux études à temps partiel (Lero, Quosai et Rhijn 2007) ainsi qu’au choix de programmes de courte durée. Ainsi, du nombre des parents nouvellement inscrits en 2006 dans le réseau de l’Université du Québec, 72 % (au 1er cycle) et 65 % (au 2e cycle) l’étaient à temps partiel, alors que 62 % (au 1er cycle) et 36 % (au 2e cycle) avaient choisi un programme ne menant pas à l’obtention d’un grade (Bonin 2007), des proportions significativement supérieures à celles qui se rapportent à l’ensemble des nouvelles inscriptions.

Plusieurs écrits signalent que les responsabilités parentales sont susceptibles d’entraîner des interruptions d’études et, conséquemment, d’en allonger la durée (Béliveau et autres 2009; CNCS-FEUQ 2007; Lero, Quosai et Rhijn 2007; Holmes 2005). Certains mentionnent néanmoins les aspects suivants :

  • le fait d’être parent ne nuirait pas aux résultats scolaires (Holmes 2005) et la majorité des parents aux études se disent satisfaits à la fois de leur parcours et de leurs notes (Corbeil et autres 2011);

  • bien que les parents puissent progresser plus lentement dans leurs études, le fait d’avoir des enfants représente parfois une source de motivation et de persévérance (Holmes 2005);

  • dans certains domaines, les responsabilités parentales seraient plus aisément conciliables avec les études qu’avec le travail, en raison de la souplesse de l’horaire, du moins au doctorat (Tanguay 2012).

Ces constats relatifs aux effets de la parentalité sur l’accès aux études, la persévérance et la réussite devraient faire l’objet de plus amples recherches.

Des règles[12] concernant les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité étudiante

Par leurs règles, les universités et l’État québécois façonnent la composition de la population étudiante de même que ses conditions d’études et ses conditions de vie. Sont relevées dans ce qui suit les règles qui, à l’échelle des universités et de l’État, sont associées à certains désavantages pour les personnes visées par les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité étudiante, parmi lesquelles les femmes sont surreprésentées.

À l’échelle des universités. Des programmes dont la valeur est remise en question

Au cours des dernières années, les universités québécoises ont multiplié le nombre de microprogrammes (comptant le plus souvent de 9 à 15 crédits) ainsi que de certificats et de diplômes (comportant généralement 30 crédits), surtout au deuxième cycle (tableau 3). Fort inégale d’un domaine d’études à l’autre, la présence de ces programmes ne menant pas à l’obtention d’un grade est notable en administration et en éducation (CSE 2013). Ils sont prisés non seulement par des personnes plus âgées qui effectuent possiblement un retour aux études, mais aussi par des femmes. De fait, celles-ci comptent pour environ les deux tiers des inscriptions aux programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade de premier ou de deuxième cycle. De tels programmes constituent donc des voies d’accès aux études universitaires pour bon nombre de femmes.

Tableau 3

Proportion de femmes inscrites aux microprogrammes, aux certificats et aux diplômes, universités québécoises, automne, de 1998 à 2009[13]

Proportion de femmes inscrites aux microprogrammes, aux certificats et aux diplômes, universités québécoises, automne, de 1998 à 200913
Source : MELS, GDEU, janvier 2011, compilation du Conseil supérieur de l’éducation.

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Or, la valeur des programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade a été (Conseil des universités 1986) et est encore aujourd’hui (Bissonnette et Porter 2013) remise en question. D’ailleurs, ils ne sont pas soumis aux mêmes processus d’évaluation que les programmes qui mènent à l’obtention d’un grade (CSE 2012 et 2010) et l’octroi d’un grade par cumul de diplômes est inégalement permis et promu dans les milieux universitaires québécois (ACDEAULF 2012).

Des possibilités limitées d’inscription aux études à temps partiel

Dans les règlements des études et autres documents des universités, le régime d’études à temps partiel est souvent présenté comme une option, en particulier au premier cycle. L’inscription à temps plein demeure cependant obligatoire, ou fortement encouragée, dans certaines disciplines (comme en médecine, en génie et en droit) et dans plusieurs formations à la recherche aux cycles supérieurs. La proportion d’effectif à temps partiel varie donc selon les domaines d’études et le type de programme : elle est généralement plus faible en sciences pures, en sciences appliquées et en sciences de la santé, de même que dans les programmes qui mènent à l’obtention d’un grade (tableau 4). Et bien que les études à temps partiel y soient possibles, des établissements réservent l’accès à des services ou à des mesures aux personnes inscrites à temps plein. C’est le cas de plusieurs bourses institutionnelles, mais aussi parfois de services de soutien psychologique ou d’aide individualisée.

Tableau 4

Proportion d’inscriptions à temps partiel selon le type de programme et le domaine d’études, universités québécoises, automne 2009

Proportion d’inscriptions à temps partiel selon le type de programme et le domaine d’études, universités québécoises, automne 2009
Source : MELS, GDEU, janvier 2011, compilation du Conseil supérieur de l’éducation.

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Des autorisations d’absence et d’interruption des études plus ou moins balisées

Dans les règlements des études, les absences ponctuelles à un cours, causées notamment par des obligations parentales, font rarement l’objet de balises : la manière de composer avec celles-ci repose généralement sur le jugement du professeur ou de la professeure. En revanche, des dispositions prévoient qu’une étudiante ou un étudiant pourra interrompre temporairement sa formation, tout en conservant certains avantages (comme l’accès à la bibliothèque). À cet égard, les obligations parentales figurent souvent à titre de motifs valables. Des « congés parentaux » d’un ou de deux trimestres, ou encore d’au plus 24 mois, sont explicitement prévus dans quelques universités. Ces dispositions demeurent toutefois conditionnelles à l’autorisation de la direction du programme ou de la recherche, de sorte qu’elles donnent lieu à des décisions pouvant varier d’un cas à l’autre.

Des services de garde et de halte-garderie qui ne répondent pas à l’entièreté des besoins

Certaines universités québécoises disposent de services de garde sur leur campus. Cependant, les places sont offertes le plus souvent aux enfants des membres de toute la communauté universitaire (personnel et population étudiante) : nous avons repéré seulement trois cas où la priorité est accordée aux enfants des étudiants et des étudiantes (Viau et Dubois 2011). Des services de halte-garderie, mieux adaptés aux horaires atypiques de certains parents aux études (Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail 2006 : 23) n’existent que dans une seule université, bien que le projet d’en mettre en place soit exploré dans au moins trois établissements. Plusieurs groupes font valoir les besoins en matière de garde des enfants des étudiantes et des étudiants (Viau et Dubois 2011; Corbeil et autres 2011; CNCS-FEUQ 2007; CSF 2004).

À l’échelle de l’État. Un soutien à la parentalité et à la famille axé sur l’emploi

Le Régime québécois d’assurance parentale s’adresse aux personnes salariées, à temps plein ou à temps partiel. N’y sont donc pas admissibles les étudiantes et les étudiants qui n’ont pas travaillé pendant l’année précédant la naissance ou l’adoption d’un enfant ou encore qui ont bénéficié d’une bourse ou d’un revenu issu d’une subvention de recherche. Près de 1 300 mères et pères aux études seraient ainsi privés de ce soutien (CNCS-FEUQ 2010), ce qui suscite maintes critiques (AELIES 2013; FAFMRQ 2013; CCJ et CNCS-FEUQ 2010; CFE 2008; CSF 2004).

Quant à la Politique et aux plans d’action sur l’égalité entre les femmes et les hommes (Ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine 2007a, 2007b et 2011), ils prévoient un plus grand nombre d’actions pour la conciliation travail-famille que pour la conciliation études-famille. Les quelques passages qui portent sur cette dernière en milieu universitaire sont essentiellement destinés à informer les parents aux études des mesures en place et à connaître leurs besoins. Le peu d’engagement de l’État à l’égard de la conciliation études-famille fait l’objet de critiques (CSF 2004; CCJ et CNCS-FEUQ 2010).

Les limites du soutien financier aux études

Si elles ont de jeunes enfants, les personnes aux études à temps partiel peuvent être reconnues par l’Aide financière aux études (AFE) comme étant inscrites aux études à temps plein. Sinon, elles peuvent bénéficier du Programme de prêt pour les études à temps partiel. Or, peu d’individus auraient accès à ce programme, car il exige d’avoir des revenus annuels inférieurs à 13 000 $ et d’être inscrit ou inscrite à un seul cours par trimestre (MQAF et FAEUQEP 2011). Mais surtout, l’effet de ces dispositions se révèle limité, dans la mesure où l’inscription à temps plein est obligatoire dans certains programmes d’études.

Pour les personnes qui effectuent un retour aux études, l’AFE est moins généreuse que les programmes correspondants ailleurs au Canada du fait qu’elle prend en compte le salaire gagné au cours des huit mois qui précèdent l’inscription aux études (CCAFE 2004). Le recours au Régime d’encouragement à l’éducation permanente est certes possible, mais cette mesure fiscale semble fort peu connue (CCAFE 2009), sans compter qu’elle n’est accessible qu’à celles et ceux qui disposent d’un régime enregistré d’épargne-retraite.

Un financement de la recherche parfois incompatible avec certaines réalités étudiantes

Les bénéficiaires d’une bourse d’excellence d’un organisme subventionnaire de la recherche doivent généralement être inscrits aux études à temps plein. Certains organismes prévoient expressément la perte de la bourse s’il y a inscription à temps partiel, comme c’est le cas au moment d’un abandon des études. Des possibilités d’études à temps partiel en raison d’obligations parentales existent néanmoins en sciences de la nature et des technologies, sous réserve de l’autorisation de l’université, du centre de recherche ou de la direction de la recherche.

Par ailleurs, les bénéficiaires d’une bourse d’excellence qui interrompent leurs études en raison de la naissance ou de l’adoption d’un ou d’une enfant peuvent se prévaloir d’un « congé parental sans solde » (généralement d’une durée maximale de 12 mois pendant lesquels le versement de la bourse est reporté) ainsi que d’un « congé parental payé » (de 4 ou 6 mois). Toutefois, cette dernière disposition « ne peut être vue comme une mesure de soutien financier au rôle parental en bonne et due forme puisqu’elle ne consiste pas à ajuster le montant des bourses en fonction des charges financières que représente un enfant » (CSF 2004 : 21). Par surcroît, les congés parentaux sont conditionnels à l’autorisation de la direction de la recherche et demeurent peu connus de la population étudiante et du corps enseignant[14].

Entre avantages et risques pour les femmes

Les études à temps partiel, les retours aux études et la parentalité étudiante sont des réalités étudiantes qui concernent majoritairement les femmes. Elles représentent donc des voies non traditionnelles qui favorisent l’accès des femmes aux études universitaires de même que leur réussite d’un projet de formation. Force est d’admettre, cependant, que ces voies sont souvent plus sinueuses que la voie traditionnelle. En témoignent, notamment, les taux d’abandon associés aux études à temps partiel et la lourdeur que peut représenter l’articulation études-famille, en particulier pour les femmes. Qui plus est, l’accès à ces voies reste limité : par exemple, certains programmes d’études de même que la majorité des bourses d’excellence ne permettent pas le régime d’études à temps partiel. À certains égards, l’université demeure ainsi pensée en fonction de la figure étudiante traditionnelle, de sorte qu’elle tend à admettre, à soutenir et à récompenser d’abord les personnes qui se conforment à un parcours « classique ». Au surplus, la valeur de certaines voies non traditionnelles est remise en question : c’est notamment le cas des programmes qui ne mènent pas à l’obtention d’un grade auxquels s’inscrivent une majorité de femmes. Par ailleurs, plusieurs mesures sociales sont conçues en fonction de la séquence « études, travail, famille » qui, pourtant, ne correspond plus à la façon dont de nombreuses femmes envisagent aujourd’hui leur vie. Par exemple, les mères aux études n’ont pas accès au Régime québécois d’assurance parentale, sauf si elles occupent un emploi. Certaines dispositions ont certes été mises en place récemment pour soutenir leur accès aux études universitaires, notamment à l’Aide financière aux études et au sein des organismes subventionnaires de la recherche, mais celles-ci s’ajoutent à la pièce, sans articulation entre elles. Elles s’apparentent davantage à des accommodements qu’à une vision cohérente du soutien à la parentalité.

Somme toute, les constats que nous avons rapportés soulèvent un enjeu d’équité : l’équité dans l’accès à des études universitaires de qualité et pleinement reconnue, l’équité dans l’accès à des mesures de soutien et de récompense pour la réussite, quel que soit le parcours de formation, et l’équité dans l’accès aux mesures sociales. Par surcroît, ils mettent en relief la persistance de l’enjeu d’équité entre les femmes et les hommes. Parce que le système universitaire et les mesures de soutien de l’État sont, en général, conçus pour les personnes dont le rapport aux études est traditionnel, ils tendent à désavantager celles qui s’en éloignent et, en cela, ils pénalisent tout particulièrement des femmes. Cette conclusion à laquelle nous conduit l’analyse des réalités étudiantes qui fondent un rapport aux études non traditionnel met en lumière de nombreuses pistes pour d’éventuelles recherches féministes, notamment sur l’accès des femmes aux études universitaires, ainsi que sur leurs conditions d’études et leurs conditions de vie.