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À la suite du dossier fort riche sur les mobilisations sociales et politiques des Africaines subsahariennes qu’offrent dans le présent numéro Muriel Gomez-Perez et Marie Brossier, respectivement professeures d’histoire et de sciences politiques à l’Université Laval, s’ajoutent quatre articles hors thème relatant des recherches menées au Québec et au Canada.

Le premier texte est proposé par Marie Beaulieu et Marika Lussier-Therrien, toutes deux rattachées au Centre de recherche sur le vieillissement de l’Université de Sherbrooke. Elles présentent une recension des écrits sur un problème, mal connu et non reconnu, soit celui des aînées qui sont la cible d’agressions sexuelles. Les écrits répertoriés, tous publiés en anglais, proviennent essentiellement des États-Unis et du Royaume-Uni. Un seul texte vient du Canada (Colombie-Britannique). Les auteures dénoncent le manque d’intérêt de la communauté scientifique à l’égard de la problématique. À leur avis, des enjeux importants sont encore impensés, telles l’exploitation sexuelle des personnes aînées sur Internet et la présence de délinquants sexuels condamnés dans les établissements de soins de longue durée. Ce manque de reconnaissance a un impact significatif sur la réponse sociale, tant en matière de prévention et de repérage qu’en ce qui concerne l’intervention, là où des perspectives âgistes sont encore à déconstruire. Pour y arriver, les auteures font appel à la mobilisation de la communauté scientifique.

Dans le deuxième texte, Michèle Diotte, doctorante en criminologie à l’Université d’Ottawa, s’intéresse à la conciliation travail-famille dans l’organisation policière canadienne. Elle critique le fait que les questionnements à propos des barrières au recrutement et à la rétention des policières se fassent dans un contexte politique où l’inclusion et la diversité sont au programme et où plusieurs organisations policières possèdent des objectifs à atteindre quant à la proportion de femmes au sein de leur effectif, et non dans une logique de santé et de bien-être au travail. L’auteure se demande quels sont les aspects organisationnels qui devraient être revus pour favoriser la conciliation travail-famille. Ainsi, l’examen des conventions collectives montre diverses formes d’adaptation de l’horaire de travail, d’accès au temps partiel, au partage de poste, aux congés de maternité/paternité/parental, qu’ils soient autofinancés ou non. Cependant, selon l’auteure, on risque de générer un ressac pour les policières, car ces mesures sont mises en oeuvre dans une culture organisationnelle qui valorise la division public-privé, où l’on donne priorité au professionnel plutôt qu’au personnel et où le rendement est évalué en fonction du nombre d’heures travaillées.

Le troisième texte nous plonge dans l’univers du conte oral. Manifestement, Myriame Martineau, professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), membre du Centre de recherche sur les imaginaires (CRI), et elle-même conteuse, a la tête et le coeur au conte. Elle fait ici le portrait de la pratique de cet art par des femmes, pratique qui était jusqu’à récemment exceptionnelle et qui reste peu documentée. Des stéréotypes sexués, les contes en ont beaucoup charriés; des voyageurs en canot aérien reniant Dieu pour une nuit, des loups-garous qui menacent les chaperons, Fafan Lazette qui rencontre la « bête à grande queue », autant d’affabulations sexuées et de héros parias qui ont vu l’autre côté des choses. Sous leur oreiller, ils cachent un soulier qui a dormi chez les fées, chez Blanche-Neige ou chez la Belle au bois dormant, mais rarement chez la marâtre et encore moins chez la sorcière. Bref, dans le monde des contes, il était bon d’avoir des couilles et de rire dans sa barbe. Le champ des détournements créatifs des conteuses s’avère donc riche de possibilités subversives qui peuvent être corrosives. Les résultats de l’enquête par questionnaire menée par l’auteure montrent qu’en inversant les normes genrées et en valorisant des femmes « remarquables », souvent oubliées de l’histoire, les conteuses réussissent à brouiller les stéréotypes, tout en offrant un nouvel espace d’oralité pour transgresser des représentations collectives figées.

Le quatrième et dernier texte présenté en hors thème, rédigé par Anne-Sophie Gobeil, doctorante en communication à l’Université Laval, traite aussi d’une pratique professionnelle récemment exercée par des femmes, celle de journaliste correspondante à l’étranger. Au sein de la profession journalistique, les femmes ont été historiquement marginalisées. Dans la spécialisation de correspondant ou de correspondante à l’étranger, la plus prestigieuse du journalisme, elles sont très peu nombreuses. Les constats qui résultent d’entretiens avec huit de ces professionnelles insistent, comme on pouvait s’y attendre, sur le malaise à l’idée d’une nature différenciée qui entraînerait chez les femmes une écriture féminine justifiant des affectations sexuées. La profession étant traditionnellement masculine, les correspondantes à l’étranger doivent utiliser diverses stratégies pour négocier leur pratique quotidienne et leur avancement, devant des réseaux informels fermés, des horaires atypiques, la valorisation de comportements masculins, la difficile conciliation travail-famille et le manque de respect de leurs collègues masculins, surtout quand elles débutent. Même si elles sont souvent plus efficaces, par exemple en ayant plus facilement accès aux sources parce qu’elles semblent moins « menaçantes » que leurs collègues masculins, certaines correspondantes craignent un recul et constatent un plafond de verre bloquant leur accès aux postes de direction.

En examinant des problématiques chez des Québécoises et des Canadiennes, telles la conciliation travail-famille, les agressions sexuelles et la pratique d’un métier non traditionnellement féminin, ces recherches qui traversent plusieurs champs disciplinaires (criminologie, service social, sociologie, communication) décrivent des formes d’exploitation et de résistance quotidiennes qui rejoignent celles des Africaines dans cette posture commune d’équilibristes où elles habitent et négocient les normes sociales.