Corps de l’article

Dans le champ de la violence conjugale, les années 70 sont marquées par la mise sur pied et l’implantation de vastes réseaux de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. S’attaquant à une problématique dont personne ne s’occupait, les intervenantes en maison d’hébergement ont milité activement afin de stimuler des changements sociaux et pour faire reconnaître cette réalité sur la place publique (Dobash et Dobash 1992). Elles ont cependant dû faire face à une série de résistances au fil des années, dont celles qui émergeaient des discours et des revendications des antiféministes. C’est précisément ce sur quoi se penche le présent texte, s’appuyant sur des données colligées dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur l’évolution des pratiques au sein de ces ressources.

Soulignons d’entrée de jeu que si les termes « antiféminisme » et « masculinisme » sont parfois employés de manière interchangeable par les répondantes de l’étude, nous retiendrons le terme « antiféminisme » dans notre article. L’antiféminisme fait référence à « un contre-mouvement qui réagit au féminisme et tente de démontrer ses aspects dangereux, ses dérives et ses effets pervers » (Surprenant 2015 : 78). Le terme « masculinisme » signifie plutôt « un discours qui s’appuie sur une prétendue crise de la masculinité » et dont les tenants « voient des effets pervers dans les changements apportés par le féminisme, qui nuiraient aux hommes » (Surprenant 2015 : 79). En raison de sa définition plus large qui met l’accent sur les réactions des personnes qui adhérent au mouvement, le terme « antiféminisme » a donc été privilégié pour aborder les actions des hommes qui nuisent au travail des intervenantes en maison d’hébergement.

Notre article est divisé en quatre sections. Dans la première, le contexte de la mise sur pied des maisons d’hébergement et l’analyse de la violence conjugale au sein de ces ressources feront l’objet d’un survol, suivi des réactions et des contestations devant la perspective théorique privilégiée en maison d’hébergement. La deuxième section se penchera sur la démarche méthodologique de l’étude, une recherche qualitative ancrée dans une posture épistémologique critique et féministe. Dans la troisième section, les résultats seront présentés sous forme de thèmes, divisés en cinq catégories. Des pistes pour la recherche seront proposées dans la quatrième section en guise de conclusion.

La problématique

Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale

C’est au milieu des années 70 que les premières maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale voient le jour au Québec, au même moment où des ressources similaires sont mises sur pied au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni (Beaudry 1984; Dobash et Dobash 1992; Hague, Kelly et Mullender 2001; Walker 1990). Devant l’inaction de la société et des autorités, des citoyennes avant-gardistes prennent les choses en main et sortent la violence conjugale du privé pour en faire une problématique d’ordre social (Lavergne 1998). Au sein de ces ressources, les intervenantes développent non seulement des pratiques d’intervention en vue de répondre précisément aux besoins des femmes et de leurs enfants, mais elles se mobilisent aussi afin d’attaquer la problématique sur différents fronts (Dobash et Dobash 1992; Harne et Radford 2008; Hague, Kelly et Mullender 2001). Adoptant une lecture féministe du phénomène, ces pionnières remettent en question la complicité de la société et les justifications sociales qui contribuent à la violence faite aux femmes dans la sphère privée. Ces justifications sont de différents ordres, mais elles ont en commun d’attribuer une part de responsabilité aux victimes pour la violence du conjoint, tout en excusant les comportements de ce dernier (Walker 1979). Devant ces préjugés tenaces, les intervenantes féministes se donnent comme mission de contester cette perception des agresseurs et des victimes en fournissant une analyse sociale du phénomène.

« Le privé est politique » : une analyse sociale de la violence des hommes à l’endroit des femmes dans la sphère familiale

Depuis une quarantaine d’années, la perspective féministe de la violence conjugale a été au coeur des orientations des maisons d’hébergement en Amérique du Nord et au Royaume-Uni (Dobash et Dobash 1992). Les féministes ont conceptualisé la violence conjugale comme une manifestation de la domination patriarcale (Dobash et Dobash 1979), s’inscrivant en continuité avec d’autres formes de violences faites aux femmes (Kelly 1988). Si les féministes reconnaissent que tous les hommes ne sont pas violents, elles soutiennent néanmoins qu’ils bénéficient collectivement de cet ancrage de leur domination dans la peur, pilier du contrôle social et de la subordination des femmes (Hanmer 1977).

Constituant l’un des principaux apports des féministes radicales (Descarries 1998), la théorisation de la violence faite aux femmes met en lumière que toutes ses manifestations contribuent au maintien du patriarcat et de la domination masculine. Cette perspective s’est vue reprise et entérinée dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui situe la problématique dans les « rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes » (ONU 1993).

La perspective féministe a également servi d’assise aux orientations privilégiées par le Gouvernement du Québec dans la Politique d’intervention en matière de violence conjugale (1995), constituant par le fait même un gain non négligeable du mouvement féministe et une reconnaissance des luttes menées par les intervenantes en maison d’hébergement. Les lignes directrices de cette politique affirment, entre autres, le caractère social de la problématique, ainsi que l’importance de protéger les femmes qui sont victimes de violence et leurs enfants et de responsabiliser les conjoints agresseurs. Cette politique venait donc en quelque sorte entériner le travail effectué en maison d’hébergement et lui donner de la crédibilité (Tremblay et autres 1996). Or, quelques années plus tard, cette analyse du phénomène et les orientations privilégiées par l’État seront contestés au Québec.

Des réactions et des contestations

L’analyse féministe de la violence conjugale est loin de faire consensus, tant dans la sphère universitaire qu’en société. Cette perspective a notamment suscité de nombreux débats avec des chercheurs (et certaines chercheuses) qui la considèrent comme idéologique et biaisée et qui favorisent une analyse systémique du phénomène, s’appuyant sur une posture positiviste (voir, par exemple, Dutton, Hamel et Aaronson (2010) et Strauss (2011)). Ces affrontements entre les recherches du courant de la violence familiale et du courant féministe perdurent depuis les années 70 et ont donné lieu à une multitude de débats théoriques et épistémologiques. Si les études du courant de la violence familiale dans le domaine de la violence conjugale ont été critiquées, en particulier sur le fait qu’elles mesurent davantage la violence dite situationnelle que la violence coercitive (Johnson 2008), l’apparence de symétrie et l’analyse non genrée qui s’en dégage ont alimenté les antiféministes au Québec et ailleurs. C’est en s’appuyant sur ces recherches que les antiféministes québécois ont développé un argumentaire en vue, simultanément, de banaliser, de minimiser, voire de justifier la violence des hommes en contexte conjugal et de mettre en avant celle des femmes (Brossard 2015; Lapierre et Côté 2014).

Dans une recherche sur les actions, les attaques et les violences contre le mouvement des femmes au Québec, les participantes sondées percevaient le secteur de la violence comme celui qui est le plus ciblé par l’antiféminisme (Dupuis-Déri 2013). Ce constat a été remarqué par des auteures qui estiment que leurs revendications ont contribué à éclipser la dimension genrée de l’analyse de la violence conjugale des politiques et des recherches au Canada (Mann 2008; Johnson 2015). Cela dit, si nous savons que les antiféministes et les masculinistes ont été particulièrement influents au Québec dans leur quête de dénonciation des injustices vécues par les hommes et des prétendues dérives du mouvement féministe (Blais et Dupuis-Déri 2015; Foucault 2015; Surprenant 2015), nous avons très peu de connaissances au sujet des impacts directs et indirects de leurs propos sur les pratiques des intervenantes en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. C’est précisément ce à quoi s’intéresse notre article.

La démarche méthodologique

L’étude décrite ci-dessous s’inscrit dans une perspective féministe et critique et est guidée par une méthode de recherche qualitative. Elle s’est déroulée en différentes étapes, débutant en 2013 par un entretien exploratoire auprès d’une informatrice clé pour évaluer la pertinence et la faisabilité de l’étude, ainsi que l’intérêt général du projet dans les milieux de pratique. Par la suite, une recherche documentaire a été réalisée en 2014 dans l’objectif de tracer un portrait initial des principes et des postulats sous-jacents aux pratiques d’intervention privilégiées dans les maisons d’hébergement au fil des années, de l’évolution du cadre d’analyse de la violence conjugale, de même que des enjeux et des défis qui ont traversé l’histoire des pratiques. Cette recherche a été réalisée sur le site Web du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF). Au final, nous avons retenu 53 documents et les avons importés dans le logiciel N’Vivo pour faire l’objet d’une analyse théorique thématique (Braun et Clarke 2006).

Nous avons mené ensuite 48 entretiens semi-dirigés, de décembre 2014 à juin 2015. Trois groupes de répondantes composent l’échantillon : des pionnières, des vétérantes[1] et des intervenantes. Les pionnières (n = 8) et les vétérantes (n = 7) sont des femmes qui ont été impliquées en maison d’hébergement de 1975 à 1985, donc durant les dix premières années de leur existence[2]. Comme les pionnières et les vétérantes constituent un petit groupe de femmes au Québec, leur recrutement s’est effectué par méthode « boule de neige » (Beaud 1997). Les intervenantes (n = 33) sont des femmes qui, au moment de l’entretien, travaillaient pour une maison d’hébergement ou un regroupement. Sur les 33 intervenantes, 11 occupaient un poste de direction, de gestion ou de supervision, 17 travaillaient principalement auprès de femmes, tandis que 5 étaient engagées auprès d’enfants ou dans un volet de prévention-sensibilisation. Elles ont été recrutées sur une base volontaire par l’entremise des regroupements, des coordonnatrices et des directrices qui s’intéressaient à notre projet.

À la suite du processus de codage dans le logiciel N’Vivo, le corpus de l’étude a fait l’objet d’une analyse thématique de contenu, qui a permis de saisir le sens des données recueillies, tout en faisant ressortir les caractéristiques des discours des répondantes (Lécuyer 1987). Des sous-thèmes étaient initialement repérés dans chacun des extraits codés à l’intérieur du noeud à analyser. Plusieurs sous-thèmes pouvaient émerger du même extrait. Par la suite, ces sous-thèmes étaient regroupés au sein du noeud en fonction de leur proximité (Mayer et Deslauriers 2000), constituant ainsi l’analyse de premier niveau. C’est à partir d’un cadre conceptuel émergeant de manière inductive du corpus de données que l’analyse de second niveau s’est effectuée. À cette étape, les liens entre les codes se manifestent, et il est alors possible d’amorcer l’analyse (Saldaña 2009). Considérant la quantité de données recueillies, la transition entre l’analyse de premier niveau et l’analyse de second niveau a nécessité plusieurs allers-retours auprès de notre directrice de thèse, ce qui nous a permis de pousser la réflexion sur le sens des données.

Les résultats

Cinq thèmes émergent du corpus de données quant à l’influence des actions antiféministes sur les pratiques d’intervention en maison d’hébergement : 1) les résistances des femmes en intervention; 2) les contestations dans les séances de prévention et de sensibilisation; 3) les préoccupations grandissantes pour les hommes; 4) la compromission de la sécurité des femmes et des enfants; 5) les justifications de la violence des hommes.

« Je suis aussi violente que lui » : les résistances des femmes en intervention

Les luttes antiféministes ont créé un climat d’incertitude sur l’analyse féministe de la violence des hommes à l’endroit des femmes, par l’entremise de récriminations sur la symétrie du phénomène, soit que les femmes sont tout aussi sinon plus violentes que les hommes (Brossard 2015). Cette thèse de la symétrie a particulièrement causé du tort aux intervenantes féministes, y compris les intervenantes en maison d’hébergement (Dupuis-Déri 2013). Selon certaines répondantes, des hommes violents auraient trouvé des justifications à leurs comportements dans cette rhétorique, s’appuyant sur le discours de la symétrie pour semer le doute dans l’esprit de leur conjointe qui réagit en légitime défense ou qui résiste à leur violence. Même si ces comportements ont été théorisés dans une perspective féministe (voir, par exemple, le concept de « résistance violente » de Johnson (2008)), les pratiques en maison d’hébergement ont subi les contrecoups de cette idée de prépondérance de la violence des femmes. Comme l’exprime cette répondante, une telle réalité a nécessité des réflexions plus poussées sur les actions des femmes dans un contexte de violence conjugale pour distinguer la violence de la résistance :

C’est une nouvelle affaire qui s’est beaucoup rajoutée depuis quelques années ça : les femmes en réaction. Puis on l’utilise beaucoup plus. […] Fait que faut tout expliquer ça, mais c’est tout en cohérence avec notre discours, mais faut être plus pointues, faut le raffiner plus parce qu’on se fait un peu « squeezer » avec ça.

Intervenante 13

Comme ce discours trouve écho dans l’ensemble de la société, des répondantes comptant plusieurs années d’expérience ont été à même de constater une recrudescence de femmes en maison d’hébergement se définissant comme violentes. Certaines se seraient même dirigées vers des services pour conjoints violents, bien que leur violence émerge en réaction à celle du conjoint. Dans ces circonstances, des femmes se croyant à tort comme violentes peuvent hésiter à se présenter en maison d’hébergement, dans un contexte où elles ne se considèrent pas comme de « vraies victimes ». Les intervenantes doivent donc prendre un temps considérable pour déconstruire ce discours antiféministe auprès des femmes :

Parce qu’on entend de plus en plus de jeunes femmes puis de femmes en général dire : « Bien t’sais, moi aussi je suis violente. Je suis aussi violente que lui. » […] Fait qu’il faut essayer de défaire ça.

Intervenante 5

Madame dit : « Écoute, il m’a rentrée dans le mur, bien j’me suis défendue. Bon, j’ai été violente. » Là, on démystifie avec elle c’est quoi la colère, l’agressivité, la violence.

Intervenante 3

Selon des répondantes, bien que ces confrontations leur aient nui à différents égards, elles leur ont tout de même permis d’amorcer une réflexion et de raffiner leur analyse. En réponse à la thèse de la symétrie, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a produit les fascicules Casser la vague : une réponse aux arguments sur la prétendue symétrie en violence conjugale (Regroupement 2006), ainsi que Et si c’était plus que de la chicane? Des repères pour différencier la violence conjugale de la chicane de couple (Prud’homme 2012). Comme le spécifie une autre répondante, si la nécessité de distinguer la violence, l’agressivité, la colère ainsi que la violence conjugale et les chicanes de couple ne se posait pas auparavant, les intervenantes se permettent aujourd’hui de nuancer davantage :

Il faut faire attention aussi de pas voir de la violence partout. C’est quelque chose qu’on se permettait peut-être pas avant qu’il y ait le fascicule « Violence conjugale versus chicane de couple ».

Intervenante 12

Si les intervenantes font face au discours de la symétrie auprès des femmes hébergées, elles sont aussi fréquemment confrontées par des participantes et des participants dans les séances de prévention et de sensibilisation.

« Vous êtes contre nous autres » : les contestations dans les séances de prévention et de sensibilisation

Même si des répondantes estiment que l’antiféminisme ou la phase plus « agressive » du mouvement masculiniste s’essoufflerait actuellement, cette forme de « résistance patriarcale » a tout de même remis en question l’analyse féministe de la violence faite aux femmes dans différentes sphères de la société, tout en discréditant le travail de celles qui luttent contre ce problème social (Duhamel et autres 2015). Plusieurs répondantes ont d’ailleurs exprimé leur désarroi devant la nécessité de constamment défendre leurs positions et leur analyse à l’occasion de séances de prévention et de sensibilisation. Ce discours y serait ainsi constamment ramené, même chez les jeunes :

Je trouve qu’il faut se battre aussi contre le masculinisme/antiféminisme […] des fois quand on va à l’extérieur on se fait poser des questions : « Oui, mais ça existe chez les filles » […] Fait qu’y a un peu cette montée-là [contre] laquelle souvent faut se battre.

Intervenante 3

Si l’analyse féministe de la violence est contestée, le prétendu manque de considération pour les hommes et leurs conditions fait également l’objet de récriminations dans les séances de prévention et de sensibilisation. Comme le font remarquer les deux répondantes suivantes, les intervenantes se font reprocher d’être contre les hommes ou de ne pas s’occuper de leur souffrance :

Moi je le vois avec les jeunes […] on continue à dire : « Ouais, mais là vous vous occupez pas des hommes, puis les hommes souffrent. »

Intervenante 8

Tsé, dans les commentaires, les évaluations à la fin des [séances de] sensibilisation, c’était : « Bien vous êtes contre nous autres. » Puis même des fois, autant les ados que les adultes pouvaient lever leur main puis : « Ah bien t’sais y’en a des femmes aussi qui sont violentes, puis là vous êtes contre nous autres. »

Intervenante 4

Les répondantes ont énuméré une série de stratégies qu’elles emploient pour composer avec cette réalité sur le terrain, bien qu’elles expriment toutes ressentir de l’impuissance. Certaines indiquent nuancer leurs propos afin d’éviter les représailles. D’autres étudient les arguments portant sur la victimisation des hommes et la violence des femmes en vue de les déconstruire lorsqu’ils émergent. Peu importe les stratégies adoptées, ces contestations ou ces discours se révèlent épuisants et ne permettent pas de faire avancer le dialogue sur la violence conjugale ni de répondre aux besoins des jeunes et des adultes qui auraient des préoccupations à exprimer ou qui aimeraient pousser la réflexion plus loin. Ces confrontations tentent, en outre, de ramener l’attention sur les hommes; à noter cependant que ces préoccupations ne sont pas uniques aux séances de prévention et de sensibilisation.

« Moi, je les aime les hommes » : les préoccupations grandissantes pour les hommes

Certaines répondantes font le lien entre l’antiféminisme et ce qu’elles perçoivent comme des préoccupations grandissantes pour les hommes. À titre d’exemple, une directrice estime que l’image négative dépeinte par les antiféministes dont certaines femmes souhaitent se dissocier se fait ressentir chez les jeunes femmes qui hésitent à s’annoncer ou à se définir comme féministes, car elles craignent d’être perçues comme étant « contre les hommes ». Voici sa réaction à la désapprobation de certaines devant le féminisme et les impacts que cela suscite au moment de l’embauche en maison d’hébergement :

Y’a eu beaucoup de discours antiféministes qui ont eu de l’impact […] T’sais, y’a des jeunes femmes des fois les stagiaires vont venir ici, puis je leur demande : « Est-ce que t’es une féministe? » Puis elles me disent : « Ah non, moi, je les aime les hommes. » […] Fait que je trouve que c’est moins bien perçu.

Intervenante 15

D’autres répondantes abordent la pression qu’elles ressentent à engager des hommes en maison d’hébergement. Si l’enjeu de la place des hommes est un thème controversé qui a traversé l’histoire des pratiques, certaines des répondantes font état de la pression qu’elles ressentent de la part de ceux et celles qui remettent de plus en plus en question la position des maisons d’hébergement sur l’embauche des hommes. C’est le cas de la répondante suivante, qui déplore ces questionnements :

On se fait de plus en plus [questionner] à ce sujet-là : pourquoi on n’a pas d’intervenant masculin? […] Les jeunes intervenantes nous posent souvent la question […] Mais oui je suis d’accord qu’un modèle masculin positif pour un enfant, c’est important, mais j’veux dire c’est pas dans notre mission, c’est pas notre rôle.

Intervenante 3

Des répondantes rapportent qu’aux tables de concertation la question des hommes est fréquemment remise au coeur des dialogues. Si une répondante lie cet enjeu à l’antiféminisme, elle estime également que la socialisation des femmes y joue pour beaucoup :

T’sais, puis, ce que j’trouve dommage aussi, c’est qu’on, avec les masculinistes puis avec tous ces propos-là, les femmes, dans leur socialisation de sauveuses, elles veulent de plus en plus sauver les gars […] C’est toujours les femmes qui rapportent : « Oui, mais les hommes là-dedans? »

Intervenante 1

Il serait bien entendu exagéré d’établir un lien de causalité entre l’antiféminisme et ces interrogations ou confrontations. Or, des répondantes perçoivent un lien direct entre la montée de l’antiféminisme et la préoccupation grandissante sur la place et la condition des hommes, perceptible dans l’extrait suivant :

Mais faut dire que les groupes d’hommes puis le mouvement antiféministe y’a fait sa job au Québec, puis on le voit. Y’ont fait la job de mettre le doute, de dire : « Oui, il faut parler des hommes », « Oui, il faut s’occuper des hommes », « Oui, ça prend des maisons d’hébergement pour les hommes », « Oui, ça prend des services pour les hommes... »

Intervenante 30

Si des répondantes se disent épuisées de contester sans relâche différents discours antiféministes dans leur quotidien, elles se désolent des conséquences sur la sécurité des femmes et des enfants avec qui elles travaillent.

« Les femmes ne sont pas crues » : la compromission de la sécurité des femmes et des enfants

La crédibilité obtenue par le réseau des maisons d’hébergement au fil des années et leurs luttes pour la reconnaissance de la problématique ont été obstruées de manière non négligeable par les antiféministes, tant dans la sphère publique qu’à l’intérieur des maisons d’hébergement. Une répondante comptant plusieurs années d’expérience explique à cet égard que l’interprétation de l’enquête de Statistique Canada (1999) a « nourri les antiféministes » :

On se ramasse en 1999 avec une enquête qui nous dit : y’a autant d’hommes que de femmes qui sont violentés. Et ça, ça a nourri beaucoup les antiféministes à ce moment-là.

Vétérante 2

Dès lors, l’interprétation de cette enquête aurait semé un doute dans la population, remettant en question l’analyse féministe de la violence conjugale. Cela a eu d’importantes conséquences sur l’ensemble des femmes victimes de violence et leurs enfants. En effet, des répondantes soutiennent que, lors de la phase plus active de l’antiféminisme au tournant des années 2000, certains agresseurs auraient commencé à revendiquer davantage leurs droits. Une répondante constate que leurs revendications auraient créé une plus grande réticence des corps policiers à procéder à des arrestations de conjoints violents à la même époque :

Les antiféministes, les masculinistes se sont mis, mettons, à porter plainte […] Mais ce que les policiers nous disent, c’est que maintenant ils ne peuvent plus tout faire comme ils faisaient avant. Puis ça je suis désolée, mais ça a un impact.

Intervenante 5

D’autres répondantes expriment leur désarroi relativement aux plaintes croisées qui ont fait suite au discours sur la symétrie de la violence conjugale. Dans ces circonstances, les femmes ne sont pas crues ni protégées :

Les femmes ne sont pas crues, parce que y a beaucoup la mixité. Les policiers maintenant quand ils arrivent sur une situation de violence conjugale, ils vont le dire que c’est une chicane entre les deux. Fait que donc c’est une plainte croisée. T’avais jamais ça avant.

Intervenante 1

Dans le même sens, certaines répondantes s’inquiètent des droits accordés aux hommes violents dans leur exercice de la paternité depuis quelques années. Liant ce constat aux revendications antiféministes qui ont cherché à faire reconnaître les droits des pères, elles s’inquiètent de la nouvelle tendance à favoriser le maintien des contacts non sécurisés entre les pères et leurs enfants malgré la présence de violence conjugale. Certaines intervenantes doivent même mettre en place des stratégies supplémentaires pour assurer la protection des enfants dans ces circonstances. Deux répondantes se désolent de constater que le discours sur les droits des pères a des conséquences directes sur la sécurité des enfants avec qui elles travaillent :

On doit être encore là-dedans, dans une ère de « Il faut donner une chance aux gars, il faut aider les pères… » […] De vouloir supporter les gars à tout prix, sans tenir compte de la protection des enfants puis des femmes, ça j’ai un petit peu de misère.

Intervenante 5

Tsé qu’« un homme violent est un bon père », ça pour moi c’est la plus belle contradiction que j’ai jamais vue […] Comment un homme qui contrôle sa femme peut être un père aimant pour ses enfants?

Vétérante 1

Le travail entourant l’importance d’assurer la sécurité des femmes et des enfants en contexte de violence conjugale s’est donc vu entravé par ce ressac. Des répondantes constatent qu’elles doivent recommencer certaines batailles qu’elles croyaient gagnées, outre qu’il leur faut redoubler d’efforts devant des partenaires qui ne prennent pas suffisamment au sérieux le potentiel de dangerosité des conjoints agresseurs.

« [Ils] glissent dans la détresse psychologique » : les justifications de la violence des hommes

Les intervenantes ne peuvent, à elles seules, assurer la sécurité des femmes et des enfants. Si différents acteurs se concertent afin d’offrir des services permettant d’assurer un milieu plus sécuritaire aux femmes et aux enfants, l’analyse de la problématique chez certains partenaires ne se conforme pas aux orientations de la Politique d’intervention en matière de violence conjugale et va jusqu’à véhiculer des éléments du discours antiféministe. Un nombre significatif de répondantes cible précisément à cet égard les groupes pour hommes aux comportements violents.

Les tensions entre les maisons d’hébergement et ces groupes ne sont pas récentes. Déjà en 1990, Madeleine Lacombe manifestait des réticences devant l’approche thérapeutique privilégiée par ces derniers, ainsi que leur refus d’adhérer à l’analyse féministe de la violence conjugale et d’appuyer les maisons dans la cause plus grande qui veut changer les fondements de la société. Certaines répondantes perçoivent des vecteurs des discours antiféministes véhiculés dans les groupes pour hommes aux comportements violents, et elles craignent les enjeux que cela pose pour la sécurité des femmes et des enfants. Si plusieurs thèmes ont été abordés par les répondantes, c’est surtout le discours de la détresse des hommes, porté par les antiféministes et les masculinistes et repris par quelques groupes, qui semble davantage les importuner.

En effet, des intervenants qui travaillent auprès des hommes aux comportements violents nuiraient à la sécurité des femmes en évitant de responsabiliser les hommes pour leurs comportements et en mettant plutôt l’accent sur la « souffrance » masculine (CDEACF et autres 2004; Lacombe et Nahmiash 2000). Des répondantes sont à même de le constater quand les conjoints des femmes hébergées fréquentent ces organismes. C’est l’avis de cette pionnière qui dénonce le fait de positionner les hommes violents comme tels et de miser sur leur détresse plutôt que sur la responsabilisation se révèle une pratique dangereuse pour les femmes, qui peuvent faire le choix de rester avec leur conjoint ou de lui donner une chance, dans l’espoir qu’il reçoive des services pour changer ses comportements, ce qui n’est pourtant pas le cas :

Regarde, si tu veux aller parler de ta détresse… mais quand ça a un effet que l’autre va revenir te donner une chance parce que tu travailles sur toi et que ça n’a pas de résultats concrets, ça veut dire que t’as remis en danger cette femme-là, une fois de plus […] Je connais plusieurs femmes qui ont donné des chances, puis qui se sont retrouvées dans des situations plus dangereuses qu’avant de partir.

Pionnière 2

Cette constatation est corroborée par d’autres répondantes qui estiment que des groupes pour hommes aux comportements violents auraient tendance à faire preuve d’indulgence envers ceux-ci, en axant leur intervention sur leur détresse psychologique ou leur état de santé mentale. D’ailleurs, certains de ces organismes offrent en parallèle un volet « hommes en difficulté », venant brouiller les cartes sur leur mandat. Deux répondantes déplorent la posture de ces organismes quant à leur approche qui minimise, voire excuse les comportements d’hommes auprès de qui ils interviennent :

Les groupes qui oeuvrent auprès des conjoints ayant des comportements violents n’ont pas tous une approche féministe, alors que ça devrait être le cas. C’est des groupes qui, parfois, glissent dans la détresse psychologique des hommes.

Intervenante 9

Le directeur de cet organisme-là a un discours que je n’apprécie pas particulièrement. Et je sais qu’il traite ses hommes « Pauvre p’tit chien » là […] « Pauvre p’tit chien, il ne l’a pas eu facile. » Bon, c’est ce discours-là.

Intervenante 3

Nous croyons important d’indiquer que ces discours ne sont pas l’apanage de tous les groupes offrant des services aux hommes aux comportements violents. Ce sont les groupes qui excusent les comportements des agresseurs et dont les propos s’apparentent à ceux des antiféministes qui font l’objet de critiques de la part des répondantes. Cela dit, il est impératif de préciser que l’analyse « clinicienne » ou « thérapeutique » privilégiée par ceux qui travaillent auprès des conjoints agresseurs n’a jamais fait consensus parmi les intervenantes féministes en maison d’hébergement. Nous pouvons ici émettre l’hypothèse que, si leur posture a toujours été l’objet de contestations, la rhétorique sur la détresse des hommes prendrait davantage d’ampleur depuis les revendications plus agressives des antiféministes au début des années 2000, comme le laissent entendre les propos des répondantes comptant plusieurs années d’expérience.

En termes d’intervention, il y a lieu de souligner les nombreuses confrontations théoriques et pratiques entre les intervenants d’organismes qui offrent des services aux hommes et les intervenantes en maison d’hébergement. Plus concrètement, des répondantes déplorent devoir prévenir des femmes du danger qui les guette, au lieu de considérer qu’elles seront davantage en sécurité lorsque le conjoint aura reçu des services permettant de se responsabiliser pour sa violence. Tout comme avec le discours de la symétrie, des efforts de déconstruction sont alors nécessaires en intervention auprès de celles dont le conjoint fréquente certains groupes pour hommes aux comportements violents :

Bien c’est certain que, quand une femme arrive par exemple et nous dit que son conjoint fréquente le groupe pour conjoints ayant des comportements violents, puis que là il va changer, puis qu’il fait des promesses, bien on se fait un devoir d’expliquer aussi un peu l’analyse du mouvement masculiniste.

Intervenante 9

Implications des résultats

Dans la lignée de ceux et celles qui contestent l’analyse féministe, les antiféministes et les groupes masculinistes sont dépeints par nos répondantes comme des individus et des groupes dont les stratégies ont eu des effets non négligeables sur l’évolution des pratiques au fil des années. Que ces difficultés s’opérationnalisent de par les résistances des femmes victimes, des gens qui assistent aux séances de prévention et de sensibilisation, dans le discours et les pratiques des partenaires ou encore en société, elles ont toutes pour conséquence une perte de temps et d’énergie chez les intervenantes en maison d’hébergement, ce qui freine du même coup l’innovation dans le travail effectué auprès des femmes et des enfants. Des répondantes indiquent qu’elles ont trouvé difficile, avec la montée de l’antiféminisme, de maintenir leur posture sur les rapports de force, la domination des hommes, ainsi que le danger auquel doivent faire face les femmes victimes de violence et leurs enfants. À juste titre, la reconnaissance de la dangerosité des conjoints violents constitue aussi un champ de bataille féministe où les répondantes perçoivent des reculs qu’elles associent directement aux revendications antiféministes. Que ce soit en matière de droits des pères ou de conceptualisation de la violence des hommes sous l’angle de la détresse masculine, la sécurité des femmes et des enfants s’en trouve diminuée.

Dans le même sens, s’il est reconnu que les conjoints aux comportements violents emploient différentes stratégies afin de semer le doute sur la responsabilité de la violence (Town et Adams 2016), les discours antiféministes semblent les avoir consolidées. Rappelons que les pionnières en maison d’hébergement ont milité pour faire reconnaître la violence conjugale comme constituant un phénomène social qui concerne l’ensemble de la population et qui prend racine dans les structures sociales patriarcales. Même si des féministes ont tenté, au fil des années, de clarifier les distinctions qui s’imposent entre les « chicanes de couple » et la « violence conjugale » (Prud’homme 2012) ou encore entre le « terrorisme intime » et la violence dite « situationnelle » (Lapierre et Côté 2014), les antiféministes semblent avoir réussi à entretenir une certaine confusion sur la compréhension de la problématique et ses manifestations. Une telle situation est perceptible sur le terrain, par exemple, lorsque les intervenantes travaillent auprès de femmes victimes qui estiment qu’elles sont aussi violentes que leur conjoint ou encore lorsque les intervenantes font face à des contestations dans les séances de prévention et de sensibilisation. Ces résultats laissent entrevoir la portée du discours de la symétrie dans le domaine de la violence conjugale, qui se trouve véhiculé dans différents milieux et par des individus qui ne sont pas nécessairement associés à des groupes antiféministes.

Si les antiféministes n’ont pas toujours la crédibilité voulue pour faire changer les choses, d’autres individus plus « modérés » véhiculent certaines de leurs idées sur la place publique québécoise. Pensons aux membres du comité de travail qui ont rédigé le rapport Rondeau qui, en pleine montée de l’antiféminisme au Québec, ont mis en lumière les « désavantages dont seraient victimes les hommes » entravant sérieusement « les efforts pour la recherche de l’égalité » entre les femmes et les hommes (Regroupement 2004 : 8). Plus récemment, des expertes et des experts ayant contribué au rapport du Comité sur les homicides intrafamiliaux ont exposé la prétendue détresse des hommes qui tuent leur conjointe (Tremblay et autres 2012). Au lieu de responsabiliser ces hommes qui commettent un geste ultime de contrôle, on met ainsi en avant leur souffrance, ce qui vient alimenter les justifications sociales dont ils privilégient. Dans un même ordre d’idées et dans un récent article paru dans la revue Intervention rédigé par le coordonnateur d’un organisme qui intervient auprès des « personnes à risque de comportements violents », l’auteur propose une « révision de la Politique gouvernementale en matière de violence conjugale (1995) de manière à mieux répondre aux besoins des personnes touchées, en particulier, les hommes » (Trépanier 2015 : 111). Sous le couvert d’une politique « plus inclusive », il dresse un sombre constat de la situation des hommes victimes de violence conjugale et des limites des services pour répondre à leurs besoins.

La reprise des rhétoriques antiféministes par des individus disposant d’une crédibilité attribuable, entre autres, à leur notoriété, correspond à ce que Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (2015) désignent comme la « phase d’institutionnalisation du masculinisme », phase plus insidieuse, mais pas moins inquiétante de l’antiféminisme. Cela corrobore les propos de certaines répondantes qui estiment que les individus associés aux groupes antiféministes seraient moins agressifs actuellement qu’ils l’ont été au cours des années 90 et au début des années 2000. Or, il y a lieu de se questionner sur la subtilité par laquelle sont véhiculés leurs discours au sein de différentes instances et quant aux conséquences directes sur les pratiques en maison d’hébergement, mais surtout relativement aux impacts sur les femmes victimes de violence et leurs enfants. En effet, ces individus plus « modérés » réussissent à jouer un rôle dans le domaine de la violence conjugale et à influencer les orientations des politiques et des pratiques au Québec, ce qui contribue à invisibiliser l’analyse féministe qui disparaît alors de la place publique.

Au Québec, certains reculs sont perceptibles à cet égard. Dans leurs définitions respectives de la violence, le Secrétariat à la condition féminine (2017) emploie actuellement l’expression « violence envers les personnes », tandis que le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (2015; l’italique est de nous) la définit comme « un exercice abusif de pouvoir par lequel un individu en position de force cherche à contrôler une autre personne ». Il y a également lieu de souligner que, dans le Plan d’action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale, les termes « femmes » et « hommes » ont entièrement disparu de la section portant sur la définition de la problématique (Gouvernement du Québec 2012). Bien évidemment, la corrélation avec l’antiféminisme n’est pas toujours explicite et directe, mais on peut à tout le moins observer des pertes d’acquis auxquelles les individus qui véhiculent un discours antiféministe ont contribué, même si la portée de leurs contestations est difficilement mesurable. La reconnaissance du phénomène contre lequel les intervenantes luttent comme étant encore une problématique genrée se veut ainsi une bataille qui se poursuit. Dans un contexte où les recherches et les politiques ne sont pas toujours réceptives à l’analyse féministe dans le domaine de la violence conjugale (Mann 2008; Johnson 2015), et où le discours antiféministe influence les instances gouvernementales (Foucault 2015), la possibilité de « “ dé-genrer ” la violence basée sur le genre » (de-gendering gendered violence) est réelle (Johnson 2015). Tout cela contribue aux difficultés avec lesquelles sont aux prises les intervenantes en maison d’hébergement, ou les exacerbe, comme l’a démontré notre article.

Conclusion

Comme l’étude sur laquelle repose notre article ne portait pas précisément sur l’antiféminisme et que ce thème a plutôt émergé lors des entretiens, d’autres recherches seraient nécessaires pour approfondir les résultats présentés plus haut. Ainsi, il serait intéressant de documenter les conséquences de l’antiféminisme sur les pratiques d’intervention dans d’autres organisations féministes, mais aussi d’étudier les stratégies spécifiques des intervenantes de différents milieux pour composer avec ce ressac. Il y aurait également lieu d’analyser les tensions historiques et actuelles entre les maisons d’hébergement et les groupes destinés aux hommes aux comportements violents, dans l’objectif de mieux saisir les fondements théoriques de leurs interventions, ainsi que les consensus et les éléments de divergence dans leur compréhension respective de la violence conjugale. Enfin, la perspective des corps policiers ainsi que des spécialistes et personnes-ressources du domaine sociojudiciaire sur la violence conjugale et les enjeux de symétrie mériteraient d’être explorés de manière plus approfondie, afin de circonscrire leur interprétation des situations de violence conjugale et pour documenter ce qui est constaté par les répondantes de notre étude. De telles recherches permettraient de faire avancer les connaissances relativement aux conséquences de l’antiféminisme sur différents milieux de pratique, de même que les enjeux sous-jacents à ce phénomène.

Par l’entremise de cinq thèmes correspondants à des enjeux vécus par 48 répondantes, notre article souhaitait mettre en lumière les conséquences de l’antiféminisme sur les pratiques d’intervention en maison d’hébergement. Il a été démontré que, peu importe les manifestations de l’antiféminisme à l’intérieur et à l’extérieur des maisons d’hébergement, les discours antiféministes contribuent à justifier la violence des hommes à l’endroit des femmes et à atteindre la crédibilité de celles qui luttent contre ce problème social. Ces résultats permettent également de constater les impacts tangibles des discours qui circulent dans la sphère publique, tels qu’ils sont perçus sur le terrain par des intervenantes.

Par ailleurs, une réaction si forte du groupe dominant devant les gains des féministes démontre néanmoins que les femmes ont réalisé des avancées importantes au Québec et que les hommes ont perdu certains de leurs privilèges. Partant de ce fait et malgré l’omniprésence de l’antiféminisme, nous avons montré que, collectivement, les féministes détiennent un pouvoir crucial par rapport à l’avancement de la problématique de la violence faite aux femmes dans les sphères étatiques (voir l’étude de Weldon et Htun (2013)). En ce sens, la force collective des intervenantes en maison d’hébergement n’est donc pas à négliger, même si cela nécessite de poursuivre sans relâche les efforts contre ce ressac.