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Lorsqu’il est question de relations intimes hétérosexuelles, on attend généralement des femmes qu’elles choisissent un homme (légèrement) plus âgé qu’elles comme partenaire. La majorité d’entre elles reproduisent d’ailleurs cette norme sociale dans leurs choix conjugaux (Boyd et Li 2003; Bozon 1990; Duchesne 2004; Institut de la statistique du Québec 2016; Mignot 2010; U.S. Bureau of the Census 2016). Parmi les mariages hétérosexuels célébrés en 2015 au Québec, l’homme est plus âgé que sa conjointe dans environ les deux tiers des cas et l’écart d’âge moyen entre les partenaires est de 4,4 ans (Institut de la statistique du Québec 2016). Il est également moins commun chez les femmes que chez les hommes de rapporter une préférence pour des partenaires plus jeunes (Alterovitz et Mendelsohn 2009; Buunk et autres 2001; Conway et autres 2015; Jagger 2005; Montenegro 2003).

Fait intéressant, on remarque depuis plusieurs années un intérêt marqué dans les médias pour les femmes entretenant des relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge, c’est-à-dire des relations intimes avec des hommes plus jeunes qu’elles. Apparu dans le langage populaire il y a environ 20 ans (Collard 2012; Lawton et Callister 2010; Montemurro et Siefken 2014), le terme « cougar » est maintenant couramment employé pour décrire ces femmes (Alarie 2018; Collard 2012; Lawton et Callister 2010; Montemurro et Siefken 2014). Si la « cougar » est traditionnellement présentée dans les médias comme une femme au mitan de la vie qui a des relations intimes avec des hommes beaucoup plus jeunes qu’elle (Aoun 2013; Collard 2012; Kaklamanidou 2012; Montemurro et Siefken 2014), dans la vie de tous les jours, cette étiquette est parfois attribuée à des femmes qui fréquentent des hommes à peine plus jeunes qu’elles (Alarie 2019; Montemurro et Siefken 2014). Imaginée comme ayant un grand appétit sexuel et une sexualité bien assumée, la « cougar » est habituellement présentée comme une femme qui se montre très entreprenante en matière de séduction et qui cherche avant tout de brèves aventures sexuelles (Alarie 2018; Aoun 2013; Barrett et Levin 2014; Collard 2012; Kaklamanidou 2012; Montemurro et Siefken 2014). À noter que, si le terme « cougar » sert fréquemment à qualifier une femme ayant une relation hypogamique en ce qui a trait à l’âge, il est plutôt rare d’attribuer une étiquette à son partenaire, même si ce dernier est tout autant engagé dans la relation intime. Similairement, il n’existe aucun qualificatif équivalent à celui de « cougar » pour désigner les hommes d’âge mûr entretenant des relations avec des femmes plus jeunes[1], ce qui met en lumière l’influence du sexisme dans l’interprétation que l’on se fait des individus ayant des relations intimes au sein desquelles il y a un écart d’âge considérable.

À ce jour, peu d’études ont traité des relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge au-delà des représentations culturelles présentes dans les médias. Certaines études explorent les caractéristiques sociodémographiques des femmes entretenant ce type de relation (Alarie et Carmichael 2015; Atkinson et Glass 1985; Boyd et Li 2003; Darroch, Landry et Oslak 1999; Laumann et autres 1994; Shehan et autres 1991; Vera, Berardo et Berardo 1985), tandis que d’autres examinent la durabilité de ces relations (Clark et Crompton 2006; England, Allison et Sayer 2016; Gentleman et Park 1994; Hall et Zhao 1995; Wilson et Smallwood 2008). Cela dit, on en sait très peu sur les expériences vécues des femmes qui ont des relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge. À l’aide de 55 entrevues semi-dirigées menées auprès de femmes âgées de 30 à 60 ans et ayant (ou ayant récemment eu) un ou des partenaires intimes plus jeunes qu’elles, j’explore dans le présent article la façon dont ces femmes imaginent la « cougar » et les raisons pour lesquelles elles adoptent ou rejettent cette étiquette. J’examine, du même coup, la manière dont elles parlent de leurs propres relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge, le tout dans le but de mettre en lumière la négociation des normes en matière de sexualité et de choix conjugaux dans laquelle s’engagent les femmes à travers leurs discours.

Le cadre théorique

La prédominance du modèle relationnel où l’homme est plus âgé que sa partenaire a fait l’objet de nombreux écrits scientifiques et plusieurs hypothèses ont été mises en avant pour expliquer cette tendance. Selon la psychologie évolutionniste (Buss 1989; Buss et Schmitt 1993 et 2011; Ellis et Walsh 1997; Kenrick et Keefe 1992; Singh et Singh 2011), les choix sexuels et conjugaux des humains seraient influencés par des mécanismes psychologiques inconscients qui se seraient développés au cours de milliers d’années d’évolution humaine, et ce, dans le but d’assurer la survie de l’espèce. Selon cette théorie, les hommes chercheraient avant tout à maximiser leur chance de procréer, ce qui les pousserait à cumuler les conquêtes sexuelles. Interprétant la jeunesse d’une femme comme un gage de fertilité, ces derniers privilégieraient les jeunes femmes comme partenaires. De l’autre côté, les femmes voudraient plutôt maximiser les chances de survie de leurs enfants. Elles préféreraient donc les relations intimes de longue durée et tenteraient de trouver un partenaire plus âgé dans l’espoir que celui-ci soit en mesure d’assurer confort matériel et protection.

La théorie de l’échange social (Elder 1969; Goode 1966; McClintock 2014; Rosenfeld 2005; Taylor et Glenn 1976) est aussi couramment utilisée pour expliquer les choix conjugaux des individus. Ici, le choix de partenaire est compris comme une décision rationnelle fondée sur un calcul logique. Selon cette théorie, chaque personne se présenterait sur le « marché » du célibat avec l’intention de trouver un ou une partenaire qui aurait le plus de qualités désirées possible. Plusieurs expliquent la prédominance des relations intimes où l’homme est plus âgé en arguant que les femmes accordent beaucoup d’importance au statut socioéconomique masculin et préféreraient donc les hommes plus âgés et bien établis sur le plan professionnel, alors que les hommes prioriseraient l’apparence physique d’une femme et/ou ses capacités reproductives (Elder 1969; Goode 1966; Lawton et Callister 2010; McClintock 2014; Rosenfeld 2005; Schoen et Wooldredge 1989; Taylor et Glenn 1976).

Ces deux approches laissent toutefois peu de place à l’analyse des facteurs historiques, culturels et matériels pouvant influer sur l’imaginaire érotique des hommes et des femmes ou encore compliquer ou faciliter leur capacité de négocier et d’imposer leurs désirs et préférences. Grâce à l’examen des rapports de pouvoir homme-femme, une grille d’analyse féministe permet de mettre en lumière les forces culturelles et structurelles influant sur les choix des hommes et des femmes en matière de sélection de partenaires et de sexualité. Par exemple, plusieurs chercheuses féministes affirment que les choix conjugaux sont influencés par les inégalités économiques entre les sexes (Hyde et Oliver 2000; Mundy 2012). On peut ainsi remettre en question les raisons qui poussent les femmes à « préférer » les traits indicateurs du statut socioéconomique à d’autres types de caractéristiques chez un homme. En fait, on peut penser les disparités économiques entre les deux sexes comme un mécanisme assurant la dépendance des femmes envers les hommes et limitant leurs choix conjugaux. En ce sens, les récentes avancées en matière d’indépendance financière des femmes (Mundy 2012; Tichenor 2005; Vanier Institute of the Family 2010) auront-elles une influence sur la proportion de relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge au cours des décennies à venir?

Plusieurs théoriciennes féministes poussent la réflexion encore plus loin et présentent l’hétérosexualité non pas comme une simple orientation sexuelle ou une destinée biologique, mais plutôt telle une institution sociale au service du patriarcat (Rich 1980; Wittig 1992). Utilisant les concepts d’« hétérosexualité obligatoire » et d’« idéologie de la romance hétérosexuelle », Adrienne Rich (1980) souligne que les jeunes filles sont socialisées à croire au caractère naturel de l’hétérosexualité et à accepter leur destin en tant que subordonnées des hommes. Monique Wittig (1992) soutient que le mariage est en fait un outil permettant aux hommes de s’approprier le travail productif et reproductif des femmes ainsi que leur personne physique. Bref, la prémisse sur laquelle repose une grande partie de la littérature sur la sélection de partenaires – à savoir que les femmes et les hommes sont naturellement ou instinctivement attirés les uns vers les autres – est remise en question par plusieurs féministes.

Combinée aux théories féministes, la théorie des scripts (Gagnon et Simon 1973; Simon et Gagnon 1986) met en lumière les doubles standards genrés véhiculés dans les discours culturels hégémoniques relatifs à la sexualité et à la conjugalité, ce qui peut expliquer les différences observées entre les hommes et les femmes. Selon cette théorie, les préférences et les pratiques sexuelles seraient apprises à travers les scripts culturels disponibles et les interactions avec autrui. Il existe trois niveaux de scripts et ceux-ci sont interdépendants :

  1. les scripts culturels, qui constituent les messages entourant la sexualité présents à travers les différents véhicules de transmission culturelle tels que les médias, l’école ou la religion;

  2. les scripts interpersonnels, qui représentent les modèles d’interaction en jeu durant les échanges sexuels entre individus;

  3. les scripts intrapsychiques, qui comprennent les idées et les fantasmes des individus.

Les scripts culturels fournissent aux individus des informations importantes sur la sexualité, leur indiquant ce qui devrait déclencher le désir sexuel, comment communiquer leur intérêt pour quelqu’un, qui il est approprié de choisir comme partenaire, quel type de pratique sexuelle est acceptable, etc. Au sein de la même société, on remarque plusieurs scripts culturels relatifs à la sexualité, lesquels peuvent présenter des messages complémentaires ou contradictoires. Certains de ces scripts sont culturellement plus répandus que d’autres et ont conséquemment plus de poids aux yeux des individus.

Le script sexuel hétérosexuel ayant dominé le paysage culturel au cours des dernières décennies présente les hommes comme des sujets de désir en droit d’exprimer leurs désirs sexuels et de chercher à les satisfaire, alors qu’il amène les femmes à se penser avant tout comme objet de désir et à se valoriser à travers leur capacité à semer le désir sexuel chez les hommes (Fahs 2011; Kurth, Spiller et Travis 2000; Lang et autres 2011; Ramsey et Hoyt 2015; Ramsey, Marotta et Hoyt 2017; Smolak, Murnen et Myers 2014; Travis, Meginnis et Bardari 2000). Si les hommes sont encouragés à faire les premiers pas et à manifester ouvertement leur intérêt pour une femme, les femmes sont plutôt incitées à adopter un rôle plus passif et à attendre les propositions de l’homme (Eaton et Rose 2011; England, Shafer et Fogarty 2008; Kurth, Spiller et Travis 2000; Lamont 2014; Laner et Ventrone 1998; Paynter et Leaper 2016). On note également dans ce script des doubles standards genrés en matière de comportements sexuels : on accorde ainsi aux hommes une plus grande permissivité sexuelle quant au nombre de partenaires sexuelles qu’ils peuvent avoir et aux contextes dans lesquels les relations sexuelles peuvent se produire (Jonason et Fisher 2009; Jonason et Marks 2009; Reid, Elliott et Webber 2011).

Le script sexuel traditionnel contient également plusieurs informations quant à la façon dont l’âge interagit avec le genre dans l’évaluation des désirs et des pratiques sexuels acceptables. Par exemple, le vieillissement est présenté comme ayant un effet dépréciateur plus marqué sur la valeur des femmes que sur celle des hommes, phénomène désigné comme le double standard genré en matière de vieillissement (Carpenter, Nathanson et Kim 2006; England et McClintock 2009; Sontag 1972). En réalité, si l’injonction culturelle au « bien-vieillir » (Katz 2002) – c’est-à-dire vieillir tout en maintenant une apparence de jeunesse, de vitalité et de santé – se fait de plus en plus ressentir, la pression sociale exercée sur les individus pour les voir investir une part considérable de leur temps, de leur énergie et de leurs ressources financières dans ce projet est beaucoup plus marquée dans le cas des femmes que des hommes (Bordo 2004; Hurd Clarke 2011; Sontag 1972; Wolf 1991).

De plus, puisque l’apparence physique d’une femme est culturellement pensée comme le principal élément qui favorise le déclenchement du désir chez l’homme et que la beauté féminine est culturellement associée à la jeunesse, la sexualité féminine est souvent présentée comme un privilège réservé avant tout aux jeunes femmes qui correspondent aux standards de beauté traditionnels (Baumann et de Laat 2012; Bordo 2004; Friedman Weinberg et Pines 1998; Gannon 1999; Montemurro et Gillen 2013; Sontag 1972). À ce sujet, plusieurs féministes conçoivent l’obsession culturelle envers la beauté féminine et l’association beauté-jeunesse comme des stratégies d’oppression des femmes (Bordo 2004; Montemurro et Siefken 2012; Travis, Meginnis et Bardari 2000; Wolf 1991), comme des mécanismes permettant de miner l’estime de soi des femmes et de favoriser un sentiment de compétition et de méfiance entre elles (Wolf 1991).

Enfin, le script culturel dominant présente la relation où l’homme est plus âgé que sa partenaire comme le format conjugal à privilégier, ce qui peut influer sur l’imaginaire érotique des hommes et des femmes. Bien qu’on puisse trouver des scripts culturels marginaux encourageant les relations intimes où la femme est plus âgée que son partenaire (Aoun 2013; Vannier, Currie et O’Sullivan 2014), rappelons que ces relations sont fréquemment dépeintes de façon humoristique ou comme n’ayant aucune chance de survie (Alarie 2018; Kaklamanidou 2012; Tally 2006), et ce, même si les recherches démontrent que ces relations peuvent durer et mener à la cohabitation et/ou au mariage (Alarie et Carmichael 2015; Boyd et Li 2003). Ainsi, les femmes sont incitées à considérer le développement d’une relation intime avec un homme plus jeune comme un projet irréaliste, ce qui peut influencer leurs choix conjugaux.

Dépeinte comme une femme confiante, entreprenante en matière de séduction et ayant une sexualité bien assumée, la « cougar » est parfois perçue tel un symbole d’émancipation sexuelle féminine (Aoun 2013; Kaklamanidou 2012; Montemurro et Siefken 2014; Neumann 2011). Toutefois, les images et les discours véhiculés dans les médias ne sont pas toujours positifs. En effet, ces femmes sont souvent présentées comme agressives dans leur approche de séduction (Collard 2012; Kaklamanidou 2012; Lawton et Callister 2010) ou obnubilées par leur désir de plaire (Barrett et Levin 2014; Kaklamanidou 2012). De plus, toutes les femmes d’âge mûr ne sont pas présentées comme pouvant être désirables aux yeux des hommes plus jeunes : seules celles qui ont un corps mince, ferme et défiant les signes visibles du vieillissement sont culturellement pensées comme pouvant (temporairement) outrepasser la norme sociale imposant aux femmes le choix d’un partenaire plus âgé (Weitz 2010).

Au final, l’interaction entre l’âgisme et le sexisme crée un environnement particulièrement contraignant pour les femmes d’âge mûr désireuses de faire des rencontres amoureuses et/ou sexuelles, particulièrement si ces dernières s’intéressent aux hommes plus jeunes qu’elles. Combiné au fait que les hommes sont culturellement imaginés comme priorisant avant tout la jeunesse et la beauté chez les femmes, la quasi-invisibilité de modèles positifs de relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge peut décourager les femmes d’envisager ce type de relation pour elles-mêmes. De plus, à la lumière de l’injonction culturelle à la passivité féminine en matière de séduction et des doubles standards sexuels, il est possible que les femmes soient moins enclines que les hommes à approcher une personne plus jeune ayant attiré leur regard.

La démarche méthodologique

L’objectif et l’échantillonnage

Je présente dans cet article une partie des résultats ayant émergé d’une étude plus large examinant les expériences vécues de femmes qui entretiennent des relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge. Pour être incluses dans l’étude, celles-ci devaient avoir eu au moins un partenaire intime masculin plus jeune qu’elles au cours des trois dernières années, être nées au Canada et parler couramment l’anglais ou le français. Un des objectifs principaux de l’étude était de comprendre les attentes de ces femmes à l’égard de leurs relations intimes et ce qui pouvait influencer leur désir de s’investir sérieusement (ou non) avec un partenaire plus jeune. L’étude s’est donc concentrée sur la période de développement initial des relations intimes (connue comme le dating dans la littérature anglophone) et les femmes qui cohabitaient ou qui étaient mariées à leur partenaire plus jeune ont été exclues. Le concept de relation intime a été défini comme toute relation qualifiée par la participante comme étant de nature sexuelle, amoureuse et/ou romantique.

Afin d’analyser la façon dont l’âge chez une femme peut influencer ses expériences, j’ai retenu une technique d’échantillonnage stratifié en fonction de l’âge des femmes et celles qui étaient âgées de 30 à 60 ans ont été invitées à participer à l’étude. Le choix relatif à l’âge des participantes s’explique tout d’abord par un désir de donner la parole aux femmes généralement ciblées par les représentations culturelles de la « cougar », soit les femmes au mitan de leur vie (Aoun 2013; Collard 2012; Kaklamanidou 2012; Montemurro et Siefken 2014). De plus, j’ai fait ce choix méthodologique pour tenir compte de la façon dont divers facteurs souvent influencés par l’âge d’une femme peuvent influer sur les choix conjugaux de cette dernière. Parmi ces facteurs, on note le désir d’enfants/les capacités reproductives (Buss 1989; Buss et Schmitt 1993; Kenrick et Keefe 1992; Lawton et Callister 2010), les attentes relatives au développement de relations intimes (ex. : durée de la relation, cohabitation, mariage) (Lichtenstein 2012; Mahay et Lewin 2007), la disponibilité d’hommes célibataires du même âge (England et McClintock 2009) et les préférences de ces derniers en ce qui a trait au partenaire (Buunk et autres 2001; South 1991).

La collecte de données et l’analyse

L’étude a été menée dans l’agglomération de Montréal (Canada), laquelle comprend une population d’environ 4,1 millions de personnes (Statistics Canada 2017). Les participantes ont été recrutées au moyen de dépliants bilingues (anglais/ français) qui ont été distribués dans divers lieux et événements attirant les femmes, tels que des conférences publiques sur la santé ou la sexualité des femmes, des activités semi-privées organisées pour des célibataires à Montréal ou des événements de type cinq-à-sept dans des bars populaires. L’étude a également été annoncée sur les médias sociaux.

Avant de commencer l’entrevue, chaque participante a signé un formulaire de consentement et a répondu à un questionnaire sociodémographique. Durant l’entrevue, les participantes ont été invitées à raconter à quel moment de leur vie elles ont commencé à entretenir des relations intimes avec des hommes plus jeunes, comment elles ont rencontré leurs partenaires plus jeunes, comment elles jugent de la désirabilité d’un partenaire et du potentiel d’une relation intime, comment elles font sens de l’intérêt que les hommes plus jeunes ont pour elles, quelles différences elles perçoivent entre les relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge et celles avec des hommes de leur âge ou plus âgés et comment elles entrevoient l’avenir avec leurs partenaires plus jeunes. On a également demandé aux participantes de donner des détails sur la réaction des gens devant leurs relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge ainsi que sur la façon dont elles se positionnent par rapport à l’étiquette « cougar ». Les entrevues se sont déroulées en français ou en anglais, selon la préférence des participantes. Menées en 2015, les entrevues ont duré en moyenne 1 heure et 45 minutes et elles ont toutes été l’objet d’un enregistrement audio.

Les données ont été analysées à l’aide du logiciel MAXQDA11. Une première étape de codage a été effectuée à partir d’une liste préconstruite de codes élaborée en fonction des principaux thèmes présents dans le guide d’entrevue ainsi que ceux identifiés tout au long de la collecte de données (Creswell 2013 : 185). De nouveaux codes ont également été créés pour refléter les thèmes émergents. Une deuxième étape de codage a été menée en vue d’assurer que chaque information pertinente avait été bien classée. Les codes ont ensuite été regroupés sous forme de catégories, lesquelles permettent de représenter les phénomènes observés (Strauss et Corbin 2004). Un mémo détaillé d’une page résumant l’expérience de la participante, thème par thème, a également été rédigé, et ce, pour chacune d’elles. Enfin, les trois groupes d’âge ont été comparés, un thème à la fois, pour faciliter la mise en évidence de potentielles différences entre les femmes de divers âges. Les citations présentées ci-dessous ont été traduites en français lorsqu’elles étaient tirées d’entrevues menées en anglais. J’ai modifié ou censuré toute information permettant d’identifier les participantes afin d’assurer la confidentialité de ces dernières.

Afin d’harmoniser les concepts utilisés ici avec ceux que l’on trouve couramment dans la littérature traitant de l’hétérogamie en ce qui a trait à l’âge (Alarie et Carmichael 2015; Atkinson et Glass 1985; Hall et Zhao 1995; Shehan et autres 1991), la notion de relation « hypogamique en ce qui a trait à l’âge » est définie ici comme toute relation intime où la femme est plus âgée au moins de cinq ans que son partenaire. L’échantillon comporte au total 55 femmes : 21 dans la trentaine, 19 dans la quarantaine et 15 dans la cinquantaine[2]. À noter que si la séparation des participantes en trois groupes facilite la mise en évidence de potentielles distinctions d’expériences entre les femmes de différents âges, l’âge est compris ici non pas comme une simple réalité biologique, mais aussi comme une construction sociale, un marqueur identitaire imaginé et défini à la lumière des conceptions hégémoniques et contre-hégémoniques du vieillissement, lesquelles évoluent avec le temps et varient selon les cultures.

Environ la moitié de l’échantillon avait des enfants; cependant, on observait une plus grande proportion de femmes sans enfants dans le groupe des 30-39 ans par rapport aux deux autres groupes d’âge. Trois participantes sur cinq avaient fait des études universitaires, les participantes dans la trentaine étant légèrement plus scolarisées en tant que groupe. La grande majorité des participantes se sont identifiées comme « blanches »; seules deux participantes ont dit appartenir à un autre groupe. La grande majorité des participantes ont eu plusieurs relations intimes avec des hommes plus jeunes au fil des ans. Certaines n’ont connu que de brèves aventures de ce type, tandis que d’autres avaient eu des relations plus longues. Dans certains cas – le plus souvent parmi les participantes dans la trentaine –, la différence d’âge entre la participante et ses partenaires était relativement faible, soit de cinq à dix ans. Au total, 35 participantes ont déclaré avoir eu au moins un partenaire au moins dix ans plus jeune qu’elles, 16 d’entre elles ayant affirmé qu’au moins un partenaire était leur cadet de plus de vingt ans.

Les résultats

Les entrevues révèlent que le concept de la femme « cougar » est bien répandu dans le langage populaire; en effet, toutes les participantes avaient entendu cette expression avant de prendre part à l’étude et la grande majorité d’entre elles avaient déjà été qualifiées ainsi par des personnes de leur entourage. Lorsqu’elles sont invitées à raconter la façon dont elles perçoivent la « cougar », les participantes la décrivent principalement en fonction de son âge et de son apparence physique, du rôle qu’elle joue durant le processus initial de séduction et de son appétit sexuel. Si certaines perçoivent cette expression comme un qualitatif positif et s’autoqualifient ainsi, la majorité considèrent plutôt que cette étiquette est empreinte d’une connotation négative et la rejettent. On note toutefois des différences entre les participantes les plus jeunes et celles qui sont davantage âgées en ce qui concerne leurs justifications afin de s’approprier l’étiquette « cougar » ou de s’en distancier et le niveau de malaise qu’elles ressentent à l’idée d’être qualifiées de cette manière.

La « cougar » définie par son âge et son apparence physique

Conformément au script culturel présentant la jeunesse et la beauté comme des indicateurs de la valeur chez la femme (Montemurro et Gillen 2013; Travis, Meginnis et Bardari 2000; Wolf 1991), la plupart des participantes estiment, à certains moments, que la capacité de paraître plus jeune que son âge est un trait méritant d’être célébré chez la femme. D’ailleurs, la grande majorité des participantes affirment durant leur entrevue avoir l’air plus jeune que leur âge, ce qu’elles abordent avec une certaine fierté. Plusieurs font un lien entre ce trait et leur capacité à attirer des hommes plus jeunes. Whitney, 43 ans, affirme : « 40 ans, c’est le 30 ans d’avant, tsé. Les filles ont l’air tellement jeune. Tsé, on reste belle longtemps, pis on se tient en forme et tout ça […] Je comprends que les gars [plus jeunes] soient attirés. »

Lorsqu’elles décrivent leur façon d’imaginer la « cougar », la majorité des participantes font référence à son apparence physique, plus particulièrement en fonction de sa capacité (ou non) à maintenir une apparence jeune et séduisante. Pour certaines femmes, la « cougar » est perçue comme celle qui a réussi à contrer les effets visibles du vieillissement sur son corps et ainsi à demeurer physiquement attirante aux yeux des hommes, ce qui mérite célébration. Patricia, 49 ans, la décrit ainsi : « Une cougar, c’est une belle femme qui a réussi, qui prend soin d’elle. Pis, tant mieux pour elle, elle attire des gars plus jeunes. » D’autres participantes la voient au contraire comme une femme d’âge mûr qui n’a pas su maintenir une apparence de jeunesse et au goût du jour, ce qui est critiqué. Par exemple, Natalie, 35 ans, précise sa perception de la « cougar » : « C’est un peu péjoratif, dans ma tête […] Je m’imagine une madame… qui a l’air madame. »

Similairement, Raphaëlle, 37 ans, l’imagine ainsi :

[Elle] vient de la région, elle a des mèches deux, si ce n’est pas trois couleurs. Elle est vraiment bien faite, bien roulée là, peut-être un peu trop bronzée. Pis, elle a des faux cils, des faux ongles et une sacoche Guess de 2012. Elle n’a pas particulièrement beaucoup de classe.

Paradoxalement, si la plupart des participantes célèbrent les femmes d’âge mûr ayant su maintenir une apparence de jeunesse, plusieurs portent un regard désapprobateur sur celles qui semblent accorder trop d’énergie au combat contre les signes du vieillissement sur leur corps. D’ailleurs, bon nombre imaginent la « cougar » comme une victime des standards de beauté âgistes, comme une femme qui « refuserait de vieillir ». Par exemple, Louise, 32 ans, affirme : « Ce n’était pas positif quand ça a été créé ce mot-là […] C’est le cliché qu’on a associé à ce terme-là. La vieille “ plastique ” qui sort avec [des plus jeunes], qui ne veut pas vieillir. » Les propos des participantes quant à la quantité raisonnable d’énergie et de ressources qu’une femme doit investir dans la lutte contre les signes visibles du vieillissement mettent en lumière les risques associés à ce projet : s’il est culturellement exigé des femmes de maintenir une apparence de jeunesse, le travail permettant d’atteindre cet objectif, quant à lui, doit être invisible. En d’autres mots, afin d’être célébrées, les femmes d’âge mûr doivent avoir l’air « naturellement » jeunes.

On note malgré tout chez les participantes des efforts considérables de résistance devant l’idée reçue selon laquelle l’apparence physique d’une femme serait le critère le plus important aux yeux des hommes. Ainsi, témoignant de son expérience avec Jean-François, partenaire de 28 ans qu’elle fréquente depuis quelque temps, Xana, 54 ans, souligne : « Il n’y a pas juste le corps [qui compte], je pense. En tout cas, c’est ce que j’ai validé avec Jean-François et avec quelques gars [plus jeunes]. L’attirance vient de beaucoup plus que ça : de ce que tu dégages, de ton expérience de vie, de, de… de plein de choses! » Élaborant sur les raisons qui motivent certains hommes à s’engager dans une relation intime avec une femme plus âgée, la majorité des participantes avancent d’ailleurs avoir développé, avec l’âge, plusieurs qualités que bon nombre d’hommes plus jeunes apprécient, telles la maturité, l’indépendance émotionnelle, l’expérience sexuelle, la confiance en soi et l’expérience de vie. Par exemple, Tatianna, 49 ans, explique pourquoi plusieurs jeunes hommes s’intéressent à elle :

Les mecs de 25-35 ans m’ont tous dit la même chose […] : « Les femmes de ton âge, entre 40-50, c’est des femmes confiantes, qui rayonnent. Sexuellement, elles savent ce qu’elles veulent. Puis il n’y a pas de bullshit. Les femmes plus jeunes, elles disent qu’elles veulent juste s’amuser, pis finalement, elles ne veulent pas juste s’amuser; c’est de la drama, super drama! » Moi, c’est comme pas compliqué, tsé. C’est sûr, les femmes de mon âge n’ont plus rien à prouver. On a fini ce petit jeu-là, tsé!

La « cougar » définie par son appétit sexuel et son approche de séduction

La grande majorité des participantes décrivent la « cougar » en fonction de sa sexualité, plus précisément d’après son appétit sexuel et son approche de séduction. En fait, la plupart d’entre elles perçoivent cette étiquette comme une insinuation que les femmes d’âge mûr s’intéressant aux hommes plus jeunes ont une sexualité anormale, voire malsaine. Par exemple, Cailin, 38 ans, affirme : « Ça donne l’image d’une vieille cochonne qui fait juste penser à ça [au sexe]. » Plusieurs dénoncent d’ailleurs le double standard permettant aux hommes d’âge mûr de fréquenter des femmes plus jeunes sans risque de stigmate. Camille, 41 ans, déclare :

[La femme qui fréquente un homme plus jeune], c’est mal perçu au niveau de la société […] Tsé, mets la même situation : une femme avec un plus jeune et un homme avec une plus jeune. Lui va avoir un : « C’est beau, champion! » [Ton jovial] Lui, va n’avoir que ça. Pis, elle, à la limite, elle pourrait passer pour une pédophile.

La « cougar » est aussi couramment imaginée par les participantes comme une femme très entreprenante en matière de séduction. Pour certaines participantes, elle est perçue telle une femme confiante qui ose prendre les devants et signaler son intérêt aux hommes, ce qui mérite d’être célébré. Par exemple, Annabelle, 32 ans, mentionne :

[La cougar, c’est] une femme qui est assumée dans sa sexualité, pis qui est libérée […] C’est aussi une femme qui va aller de l’avant avec les hommes, qui ne va pas attendre dans son coin que peut-être un gars va la contacter, qu’éventuellement un gars va la remarquer. C’est quelqu’un qui est proactif. Fait que pour moi, ce n’est pas quelque chose de négatif.

La plupart des participantes, dont Yvonne, 43 ans, expriment toutefois un certain malaise relativement au rôle actif que joue la « cougar » dans le processus initial de séduction :

[La cougar, c’est] une femme qui va vouloir volontairement séduire un gars plus jeune, tsé, pis, qui va utiliser des artifices, son corps, une séduction plus, heu, plus de bas étage, je te dirais, [une séduction] que je vais qualifier de plus vulgaire, beaucoup... Tsé, moi je ne joue pas avec mon corps, je ne roule pas des hanches, je ne fais pas exprès pour faire des manières […] Je vois la cougar comme un félin qui va chasser, tsé. Tsé, moi je ne me sens pas comme ça.

Le positionnement des femmes par rapport à l’étiquette de la « cougar »

La plupart des participantes, peu importe leur âge, insistent sur l’importance d’avoir une vie sexuelle active et satisfaisante. La majorité d’entre elles confient d’ailleurs avoir un bon appétit sexuel et soulignent les avantages, sur ce plan, d’être en compagnie d’un partenaire plus jeune qu’elles. D’ailleurs, bon nombre des participantes avancent que la qualité de la dynamique sexuelle avec leur partenaire intime influence leurs choix conjugaux. Par exemple, Henrietta, 45 ans, déclare : « La sexualité a quand même une importance dans ma vie, là. J’ai une libido assez en santé! Je sais pas, un gars plus vieux? Je veux pas avoir… je veux pas faire mourir personne, là! » Cela étant, plusieurs participantes expriment un malaise considérable par rapport à la façon dont la sexualité de la « cougar » est imaginée.

La plupart des participantes dans la quarantaine ou la cinquantaine rejettent d’ailleurs l’étiquette de la « cougar » en affirmant que ce sont en fait les jeunes hommes qui tentent activement de les séduire, que ce sont eux les vrais « cougars ». Par exemple, Whitney, 43 ans, spécifie : « Je trouve que c’est un peu péjoratif, négatif. Et quand des fois, on me fait des blagues avec ça – parce que c’est arrivé parmi mon cercle proche – je dis tout le temps : “ Non, non! C’est eux qui courent après la cougar! ” » Agacée par l’image de la « chasseuse » ou de la « mangeuse d’hommes », Xana, 54 ans, précise : « Ils sont totalement responsables, majeurs, vaccinés quand ils font like sur Tinder. Et ils ne sont pas des victimes, ce ne sont pas des proies. Pis on n’est pas les méchantes sorcières qui les pervertissent. »

La majorité des femmes dans la trentaine, quant à elles, se sentent épargnées par les représentations négatives de la sexualité de la « cougar » en raison de leur (relatif) jeune âge. Ainsi, Becky, 32 ans, déclare : « Quand je parle du sujet de la cougar avec des femmes de 40 ans et plus, je me rends compte qu’elles le vivent pas mal plus mal que moi. Dans le sens que l’image est davantage dans le préjugé lorsque la femme est plus âgée, disons quarantaine et plus. » Toutefois, on sent chez plusieurs participantes dans la trentaine une certaine anxiété par rapport à la façon dont leurs choix de partenaires pourraient être interprétés dans quelques années. Par exemple, Uma, 36 ans, souligne : « Je trouve plus beaux les jeunes [hommes] que les gars de mon âge ou plus vieux. Mais ça, ça m’inquiète […] Je ne serai pas éternellement jeune non plus. Ça va devenir creepy un moment donné, si je ne change pas ma perspective. »

D’ailleurs, les participantes dans la trentaine (et certaines dans la quarantaine) se distancient généralement de l’étiquette de la « cougar » en soulignant qu’elles sont encore trop jeunes pour être qualifiées ainsi. Par exemple, Valérie, 34 ans, indique : « Je n’aime pas avoir ce titre-là assigné à moi […] Une cougar, tu penses [à une femme de] 50 ans. En plus que je n’aime pas vieillir! On dirait que c’est un titre qui ne me représente pas, qui me vieillit, qui fait de moi une vieille matante, chose que je repousse le plus possible! »

Au final, la majorité des participantes perçoivent l’étiquette « cougar » comme imprégnée d’une connotation négative et préfèrent donc s’en distancier. Toutefois, les raisons mentionnées à cet égard diffèrent en fonction de leur âge. Les propos de ces dernières mettent en lumière la force du discours culturel qui présente le vieillissement comme ayant un effet dépréciateur sur la valeur d’une femme, tout comme la façon dont l’opposition culturelle entre vieillissement et sexualité féminine compliquent la capacité des participantes plus âgées à entretenir des relations intimes avec des hommes plus jeunes.

Conclusion

Cette étude apporte un regard novateur sur l’expérience vécue des femmes qui entretiennent des relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge. Plus précisément, elle permet, entre autres, de mieux comprendre le choix de ces femmes de s’approprier ou de rejeter l’étiquette « cougar », terme souvent employé par leur entourage pour les décrire. On constate d’ailleurs que peu de femmes aiment être qualifiées ainsi. L’analyse du discours des participantes révèle que leur malaise devant le terme « cougar » est largement influencé par certaines facettes du script culturel traditionnel relatif à la sexualité, soit l’association entre la valeur des femmes, la jeunesse et la beauté, l’(in)acceptabilité de l’expression des désirs sexuels chez la femme et l’injonction culturelle à la passivité féminine dans le processus initial de séduction.

L’étude permet aussi de poser un regard sur la façon dont les femmes qui entretiennent des relations intimes avec des hommes plus jeunes négocient, à travers leurs discours, certaines des attentes normatives sexistes et âgistes en matière de sexualité et de choix conjugaux. Dans un premier temps, le discours des participantes illustre le combat intérieur que ressentent nombre de femmes quant à la place qu’elles doivent accorder à leur apparence physique dans l’évaluation de leur propre valeur aux yeux des hommes. On sent à plusieurs moments que les participantes ont intériorisé l’idée reçue selon laquelle le vieillissement a un effet dépréciateur sur la beauté féminine et, conséquemment, sur la valeur d’une femme. À d’autres moments, ces participantes déconstruisent cette idée reçue et avancent qu’au contraire, de nombreux jeunes hommes priorisent certaines qualités qui se développent avec l’âge chez la femme. La présentation des hommes plus jeunes comme ceux qui sont les réels « chasseurs » peut d’ailleurs être interprétée tel un effort de contestation devant la représentation culturelle de la femme âgée qui serait indésirable aux yeux des hommes.

Dans un deuxième temps, l’étude met aussi en évidence le travail de négociation des attentes normatives relatives à la façon dont les femmes devraient exprimer leurs désirs sexuels. En effet, à certains moments, les participantes se présentent comme sexuellement affirmées et insistent sur l’importance qu’elles accordent à leur vie sexuelle. Toutefois, bon nombre d’entre elles – particulièrement celles qui sont dans la quarantaine ou la cinquantaine – expriment tout de même un malaise à l’idée d’être associées à l’image de la « cougar » en raison de la façon dont sa sexualité est imaginée. À la lumière de l’opposition culturelle entre sexualité féminine et vieillissement, réfuter l’idée préconçue selon laquelle les femmes qui entretiennent des relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge auraient un grand appétit sexuel et tenteraient activement de conquérir des hommes plus jeunes revêt une importance particulière pour les participantes plus âgées.

Au final, les propos des participantes illustrent la façon dont l’âgisme complexifie le travail de négociation des attentes normatives en matière de sexualité que doivent entreprendre les femmes qui entretiennent des relations intimes avec des hommes plus jeunes afin de s’affirmer comme sujet de désir, tout en évitant d’être stigmatisée. On constate que le relatif jeune âge des participantes dans la trentaine offre à ces dernières une certaine protection contre la stigmatisation potentielle associée à ce type de relation. À la lumière de ces résultats, j’argue que, en raison de l’association culturelle entre la valeur d’une femme, son âge et l’évaluation de son apparence physique (Montemurro et Gillen 2013; Sontag 1972; Travis, Meginnis et Bardari 2000; Wolf 1991) et de l’opposition culturelle entre le vieillissement et la sexualité féminine (Baumann et de Laat 2012; Friedman, Weinberg et Pines 1998; Gannon 1999; Kaklamanidou 2012; Montemurro et Siefken 2012; Weitz 2010), se présenter comme un sujet de désir libéré des doubles standards sexistes en matière d’écart d’âge approprié entre partenaires intimes s’avère être un projet plus difficile et risqué pour les femmes plus âgées, comparativement à leurs consoeurs plus jeunes.

Enfin, bien que cette étude contribue de manière importante à la littérature sur la sexualité féminine et la conjugalité, elle comporte également certaines limites à retenir. Premièrement, l’échantillon était composé principalement de femmes s’identifiant comme « blanches ». Le manque de diversité raciale ou ethnique est une limite importante qu’il faut garder à l’esprit lorsqu’on examine l’applicabilité de ces résultats aux femmes de groupes racisés qui choisissent des partenaires intimes plus jeunes. Considérant les effets du racisme sur l’évaluation de la légitimité de la sexualité féminine, il est possible que l’expérience de stigmatisation des femmes de groupes racisés fréquentant des hommes plus jeunes diffère de l’expérience de celles qui sont présentées ici en raison de leur identité marginalisée. Deuxièmement, l’échantillon n’incluait que des femmes âgées de 30 à 60 ans. On devrait donc s’abstenir d’en appliquer les résultats aux jeunes femmes ou aux aînées. Troisièmement, les résultats soumis ici sont issus des récits de femmes vivant dans une grande ville. En raison du tabou culturel qui entoure les relations intimes hypogamiques en ce qui a trait à l’âge, il est probable que d’entretenir des relations intimes avec des hommes plus jeunes si l’on habite dans un grand centre urbain diffère en tant qu’expérience du cas où l’on réside dans une petite ville où la plupart des gens se connaissent.

Plusieurs facettes des relations hypogamiques en ce qui a trait à l’âge mériteraient d’être examinées dans des recherches futures. Par exemple, il serait important d’explorer les expériences des hommes qui entretiennent ce type de relations. Il serait également intéressant d’analyser la façon dont la différence d’âge influe sur la dynamique entre les partenaires qui vivent ensemble. Ainsi, l’hypogamie en ce qui a trait à l’âge a-t-elle un impact sur la manière dont les partenaires partagent les tâches ménagères et les responsabilités parentales? Si oui, comment? De façon plus générale, s’il existe un grand nombre d’études traitant des relations intimes des jeunes adultes, on en sait beaucoup moins sur les expériences des femmes plus âgées. Il serait recommandé que plus de recherches soient consacrées aux expériences des femmes au mitan de leur vie et aux aînées.