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Créé en 1956 en France, le Planning familial, association majeure de la lutte pour la légalisation de la contraception et de l’avortement au cours des années 60 et 70 (Bard et Mossuz-Lavau 2006; Friedmann 2006; Pavard 2012), est entré dans un processus d’institutionnalisation depuis le développement du féminisme d’État pendant les années 80 (Revillard 2016; Dauphin 2010). Bien qu’il revendique une posture militante féministe de contestation et de revendication, il constitue désormais un partenaire essentiel dans la mise en oeuvre de politiques publiques dans le domaine de la santé sexuelle et de l’égalité femme-homme.

À l’intersection de la sociologie du travail et de la sociologie de l’engagement dans une perspective de genre, le présent article contribue à l’analyse des processus d’institutionnalisation du féminisme et de transformation de la cause des femmes en France au croisement des logiques militantes et professionnelles. Je veux en effet saisir les transformations du militantisme féministe à l’aune de sa professionnalisation. Mon article se fonde ainsi sur une enquête ethnographique que j’ai menée par entretiens et observation participante de 2013 à 2016 dans une association départementale du Planning familial. Il existe actuellement 76 associations départementales de ce type, qui regroupent près de 1 500 salariées, bénévoles et militantes. En fonction de leur ancrage local et des trajectoires de ses actrices, les associations départementales prennent des formes hétérogènes : effectif, organisation du travail, proportion bénévole/salariée, etc. L’association choisie pour mon article se caractérise par l’importance de son effectif salarié (une trentaine de salariées pour une poignée de bénévoles) et le montant de son budget annuel (plus d’un million d’euros). Située dans une des plus grandes villes de France, cette association peut apparaître comme paradigmatique des associations féministes professionnalisées, au sens ici où il s’agit d’une association employeuse, dans laquelle le bénévolat est marginal et où la division du travail repose sur une organisation hiérarchique de même que sur des savoirs et des savoir-faire professionnels spécifiques acquis et sanctionnés par des formations (gestion associative, conseil conjugal et familial, animation de prévention, etc.).

La professionnalisation du militantisme féministe est souvent appréhendée comme l’un des effets de l’institutionnalisation des mobilisations au sein de l’espace de la cause des femmes (Bereni 2012) : la création d’emploi constitue alors une occasion pour des militantes féministes de prolonger leur engagement et d’en vivre dans une perspective de reconversion des capitaux militants en capitaux professionnels, et des travaux s’intéressent aux transformations que produisent ces processus de professionnalisation (Bard 2003; Blanchard 2013; Delage 2017; Dutoya 2018; Flahault et Loiseau 2008; Herman 2016; Lagrave 1990; Ricci, Blais et Descarries 2008).

Par ailleurs, la professionnalisation des associations militantes s’accompagne souvent d’une crainte de dépolitisation des actrices, de leurs discours et de leurs pratiques (Blanchard et autres 2018). Pour ma part, j’ai choisi d’adopter une perspective complémentaire : dans quelles conditions le travail salarié dans une association féministe qui se singularise par le recours au salariat, la défense de savoirs et de savoir-faire professionnels peut-il conduire à des processus de politisation individuelle entendue comme « conversion de faits sociaux en objets relevant du politique » (Lagroye 2003 : 3) et de socialisation au féminisme? Dans l’association départementale que j’ai étudiée, la majorité des salariées ne sont pas entrées au Planning familial pour défendre la cause des femmes. L’enquête montre la manière dont elles se politisent et adoptent une grille d’analyse féministe du monde social en travaillant. Mon article s’intéresse ainsi au façonnage des carrières féministes au Planning familial (Agrikoliansky 2017; Fillieule 2001; Sawicki et Siméant 2009), plus particulièrement aux processus d’entrée dans l’association des travailleuses féministes (première partie), à leur socialisation féministe dans l’association (deuxième partie) et au maintien de leur engagement (troisième partie).

Tous les chemins mènent au Planning familial

Alors qu’elle était composée au milieu des années 2000 d’une dizaine de bénévoles et de salariées sous contrat de vacations, pour quelques heures par semaine, l’association à l’étude se singularise aujourd’hui au sein du Mouvement français pour le planning familial par l’importance de son effectif salarié et la faible proportion de bénévoles : une trentaine de salariées, âgées de 28 à 62 ans, et moins de cinq bénévoles à la retraite participent régulièrement à ses activités. Cette professionnalisation s’est déroulée à partir du milieu des années 2000 et s’est traduite par le recrutement de nouvelles salariées formées au travail social ou aux métiers de la gestion associative, par l’augmentation des subventions reçues (multipliée par trois en 15 ans pour atteindre près d’un million d’euros aujourd’hui) et par la diversification des projets. Si quelques salariées présentent des trajectoires plus originales, il apparaît de manière frappante que la poignée de salariées entrées au Planning familial avant la phase de professionnalisation sont moins dotées en capitaux scolaires, et que leur participation aux activités salariées de l’association étudiée relève plutôt d’un emploi d’appoint devenu parfois essentiel à la suite de ruptures biographiques (décès ou maladie du conjoint, par exemple). Elles ont davantage alterné les séquences d’emploi à temps partiel et d’années consacrées à l’éducation de leurs enfants.

Les salariées de cette association du Planning familial réalisent des animations collectives d’éducation à la sexualité dans différents établissements scolaires ou médico-sociaux auprès de divers publics (élèves, jeunes en foyer, personnes en situation de handicap, personnes en détention, etc.), des entretiens de conseil conjugal et familial et des formations destinées au personnel professionnel. Cinq demi-journées par semaine, les conseillères conjugales et familiales (CCF) de cette association reçoivent sans rendez-vous des personnes, majoritairement des jeunes femmes de moins de 25 ans, qui souhaitent s’informer sur les moyens contraceptifs, les infections sexuellement transmissibles ou le VIH, passer un test de grossesse, réfléchir à une démarche d’interruption volontaire de grossesse et parfois confier des situations de violences conjugales ou sexuelles, ou les deux à la fois. Après avoir échangé avec une conseillère conjugale et familiale, les usagères qui le souhaitent peuvent rencontrer l’une ou l’autre des cinq médecins pour un suivi gynécologique. L’association à l’étude était composée pendant mon enquête de 2 personnes chargées de la direction, de 5 personnes dans le pôle administration-secrétariat-accueil, de 15 ou 20 CCF, animatrices de prévention, chargées de projet, de 5 médecins, et de moins de dix bénévoles.

Si « l’adhésion aux principes fondateurs de l’association » (lutte contre les discriminations liées au sexe, au genre et à l’orientation sexuelle, contre les violences sexuelles et pour l’accès à la contraception et à l’avortement) est une condition au moment du recrutement, les candidates aux postes ne sont pas sélectionnées en fonction de leur engagement féministe préalable. Pour une majorité des salariées, le féminisme ne constituait pas le motif premier de leur entrée au Planning familial, comme le montre ci-dessous l’analyse des modalités d’entrée dans cette association.

Modalités d’entrée dans l’association à l’étude

Modalités d’entrée dans l’association à l’étude

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Une partie des enquêtées se caractérisent par un engagement féministe préalable à leur entrée au Planning familial. Elles militaient dans les mobilisations féministes de la deuxième vague (Bard 2010) pour les plus âgées d’entre elles ou dans des commissions féministes au sein d’organisations politiques. Certaines, enfin, ont été sensibilisées aux questions féministes au cours de leurs études. Elles ont déjà développé une conscience de genre féministe, disposent de capitaux militants préalables (Matonti et Poupeau 2004) et saisissent l’occasion de participer à la défense de la cause des femmes en répondant à une sollicitation ou par la recherche d’un espace féministe dans lequel s’investir. Ce premier groupe de femmes entrées au Planning familial pour la lutte féministe représente la minorité des salariées.

Le deuxième groupe rassemble les salariées arrivées au sein de l’association à l’étude pour y exercer une activité spécifique qui n’existe pas ou peu ailleurs : le conseil conjugal et familial. En effet, le Planning familial fait partie des quelques organisations qui disposent d’un agrément en tant qu’organisme formateur aux métiers de l’animation de prévention et du conseil conjugal et familial. Avant leur entrée au Planning familial, ces salariées manifestaient un intérêt pour le travail social, mais leur attrait pour la cause des femmes était plutôt ténu, voire inexistant. En découvrant, par des voies détournées (en tant qu’usagère du Planning familial, orientée par des conseillères ou des conseillers Pôle emploi ou encore à l’issue de bilan de compétences) l’existence de cette activité professionnelle méconnue qui s’exerce presque exclusivement dans les centres de planification, ces travailleuses féministes aux dispositions au travail social contrariées (arrêt des études, expériences professionnelles décevantes) entrent au Planning familial pour se former.

Dans l’association à l’étude, le troisième groupe rassemble des salariées qui se sont orientées vers le travail associatif à la recherche d’une activité qui a du sens pour soi et pour les autres (Havard Duclos et Nicourd 2005). La cause défendue par le Planning familial leur apparaît comme secondaire. La professionnalisation des associations, au sens où les tâches administratives et financières mobilisent des savoir-faire de plus en plus techniques, s’accompagne du recrutement de personnes qui ont suivi des études spécialisées (Hély et Simonet 2013). En effet, les salariées recrutées à des postes de gestion, de direction ou d’administration ont, pour la majorité, suivi des études de management des associations, de développement ou de coopération internationale dans le but de travailler au sein d’organisations non gouvernementales ou d’associations, dans le domaine de la solidarité internationale ou, moins souvent, de la lutte contre les discriminations. D’autres salariées sont entrées au Planning familial alors qu’elles cherchaient un espace de sociabilité qui ait du sens, après une période sans emploi consacrée à la prise en charge des tâches domestiques et parentales, par exemple.

Trois modalités d’entrée dans le travail féministe au Planning familial se dégagent ainsi : celles qui arrivent au Planning familial alors qu’elles ont déjà développé une conscience de genre féministe et qui saisissent l’occasion de participer à la défense de la cause des femmes; celles qui viennent pour se former et exercer un métier spécifique dans le domaine du travail social – le conseil conjugal et familial; et celles qui sont davantage à la recherche d’une expérience associative plutôt que d’exercer un engagement féministe. Le Planning familial propose ainsi une pluralité d’offres d’engagements adaptées à des aspirations et à des dispositions hétérogènes, des plus aguerries au militantisme et aux théories féministes à celles qui cherchent à « donner un sens à leur vie » et à « se rendre utiles » en passant par des femmes à la recherche d’une réorientation professionnelle.

Les travailleuses qui sont entrées au Planning familial en ayant déjà une expérience militante féministe et qui ont choisi l’association pour y défendre la cause des femmes sont minoritaires, mais l’organisation du travail dans l’association à l’étude permet une diffusion de leurs idées auprès des autres salariées. La tenue hebdomadaire d’une réunion obligatoire de trois heures pour l’ensemble des salariées ainsi que les échanges informels pendant les pauses sur le lieu de travail favorisent la diffusion de ces discours critiques. En effet, disposant de capitaux militants et scolaires importants, cette minorité prend facilement la parole et développe des rhétoriques bénéficiant d’une forte légitimité symbolique. Une salariée, conseillère conjugale entrée au Planning familial en 2002, précise que le discours des plus militantes finit souvent par « imprégner » l’ensemble de l’équipe :

Après il y avait un discours militant très incarné, ça peut arriver les crêpages de chignon, ça fait qu’il y a une sorte d’imprégnation pour les gens, petit à petit, d’un discours collectif qui est fait par les uns par les autres selon les thématiques, mais il y en a une qui la porte et elle est plus ou moins ralliée par les autres, et, du coup, à certaines il leur faut plus de temps pour rallier à certaines choses.

Francesca, salariée, cinquantaine

On observe ainsi dans cette association l’existence d’un « groupe qui donne le ton » (Chamboredon et Lemaire 1970 : 6), permise à la fois par la trajectoire de ses membres et par l’organisation du travail. La poignée de militantes familiarisées avec les études de genre et les théories féministes joue un rôle de passeuse rendu possible par une organisation du travail qui favorise les échanges formels ou informels.

La socialisation au travail féministe

En ce qui concerne l’association à l’étude, on repère le même rôle central de la formation dans le processus de socialisation au travail féministe analysé par Elisa Herman dans son enquête sur deux associations françaises de lutte contre les violences conjugales (Herman 2012 : 335).

En tant qu’organisme formateur, cette association du Planning familial organise des formations aux métiers de l’animation de prévention (160 heures) et du conseil conjugal et familial (400 heures de formation à raison d’une semaine par mois pendant deux ans). L’ensemble des travailleuses de l’association à l’étude en contact avec le public (accueil, animation collective, entretien individuel) ont suivi au moins l’un de ces deux modules. Elles y acquièrent des savoirs (connaissances anatomiques, juridiques, sociologiques) et des savoir-faire professionnels. Elles sont formées en particulier à l’« écoute centrée sur la personne ». Proche de l’« écoute bienveillante ou compréhensive » des professionnelles des associations françaises de lutte contre les violences conjugales étudiées par Pauline Delage (2014 : 243), qui consiste à « favoriser l’expression des émotions de la victime, en manifestant un intérêt pour ses propos, en acquiesçant sourdement, en ne prenant la parole que pour abonder, approuver et manifester de la compassion », l’« écoute centrée sur la personne » est la technique privilégiée du conseil conjugal et familial depuis la formalisation et la réglementation de la formation au cours des années 70 (Romerio 2019).

Après une carrière comme correctrice dans la presse et l’édition, Corinne a commencé la formation d’animatrice de prévention, vers 50 ans au début des années 2010, puis a continué avec celle de conseillère conjugale et familiale. Élevée dans une famille ouvrière avec une « culture communiste très forte », elle a milité au sein des jeunesses communistes. Son mari, avec qui elle a eu quatre enfants, est professeur d’histoire de l’art à l’université. Son emploi de correctrice lui permettait de travailler chez elle et de concilier cette activité avec le travail domestique et parental. Passée la cinquantaine, alors que ses enfants sont aux études ou en emploi, elle cherche à changer d’orientation professionnelle et s’intéresse à la psychologie. Réticente à l’idée de reprendre des études à l’université en première année, elle regarde les formations « à l’écoute » et découvre l’offre de formation du Planning familial. Lors de notre entretien, elle commente la fiche de présentation de la formation au conseil conjugal et familial délivrée dans l’association. Selon Corinne, cette proposition est radicalement transgressive et rompt avec les formations classiques dans le domaine du travail social et de l’accompagnement :

Tu n’as pas les docs? Tiens les voilà. [Elle me montre la page de présentation de la formation.] J’aime beaucoup l’extrait : « la formation CCF a pour objectif de prendre conscience pour soi des relations de dépendance et des conditionnements de devenir capable de reconnaître l’oppression partout où elle se trouve pour pouvoir la dénoncer, d’entraîner les autres à cette prise de conscience de se mettre en route pour lutter contre les conditionnements, dans notre vie quotidienne, et dans toutes les pratiques du MFPF ». Et ça c’est extrait du bouquin des 25 ans[1] et je me reconnais complètement là-dedans, la formation CCF est subversive et révolutionnaire; révolutionnaire, car en opposition totale avec les moyens pédagogiques utilisés dans notre société, ça on en reparlera peut être; subversive, car elle nous demande de casser nos mécanismes d’apprentissage, transforme notre rapport au savoir et modifie notre relation aux autres […] C’est d’abord une déformation [Rires.] une déconstruction, une remise en question permanente sur ce que tu as construit, la façon dont tu vois le monde et comment tu t’es construit, c’est un questionnement permanent, mais toujours avec bienveillance. Et ce qui est important à souligner, c’est que c’est les bases de l’éducation populaire, d’accord on a les formatrices, mais c’est un travail commun, chacune nourrit.

Corinne, en formation, cinquantaine

Toutes les travailleuses féministes qui ont suivi cette formation ont insisté auprès de moi sur le bouleversement qu’elle avait produit dans leur vie, qu’il s’agisse de leurs relations conjugales, de leur manière d’appréhender l’éducation de leurs enfants, de leur estime de soi ou encore de leur politisation féministe.

Les formations longues de l’association à l’étude conduisent les stagiaires à réfléchir sur leur vécu, étape nécessaire pour se rendre compte de leurs jugements de valeur et comprendre des expériences différentes chez les personnes qu’elles sont amenées à rencontrer dans le contexte d’animations collectives ou d’entretiens individuels. Ces échanges sur leurs expériences accompagnés de la lecture de textes féministes ou du domaine des sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire) les conduisent à examiner leur parcours avec une grille de lecture féministe critique. Certaines prennent conscience d’avoir vécu des violences sexuelles ou des relations abusives, d’avoir reçu une éducation genrée porteuse d’inégalités, de prendre en charge la grande majorité du travail domestique et parental, etc. En ce sens, ces formations ne permettent pas uniquement l’acquisition de savoirs et de savoir-faire professionnels, mais elles produisent également une politisation du privé et de l’intime. Les stagiaires adoptent ainsi une grille de lecture féministe du monde social et une conscience de genre, tout en expérimentant leur puissance d’agir (Vidal 2006) :

Féminisme je savais même pas ce que c’était : moi, le féminisme, c’était la femme poilue qui aime pas les hommes. Et moi on m’a jamais parlé trop de féminisme non plus, c’est pas un mot que…, je pense qu’on me l’a dit dans l’entretien que c’était féministe. Moi j’y allais pas avec un objectif féministe [...] Mais moi j’étais quelqu’un d’autre, ça m’a… mais si tu veux ça chamboule, mais moi la grande chance que j’ai eue c’est de la faire jeune sans enfant, sans mari… bon j’avais un copain, mais on s’est quittés entre les deux formations. Parce que je voyais quand on parlait de la domination masculine les nanas qui étaient en couple, sur la maternité et le genre, comment on élève ses enfants, etc., j’en voyais certaines qui étaient choquées de façon très hard et qui après ont pris du recul, c’est extrêmement violent, et effectivement ça m’a changée, mais vers ce que je voulais.

Laura, salariée, vingtaine

Les formations sont ainsi des instances de socialisation au féminisme : les stagiaires acquièrent des compétences professionnelles en même temps qu’elles intègrent une grille d’analyse féministe du monde. Marie, chargée de formation accorde une importance aiguë au renouvellement des thématiques et des supports de réflexion. Elle explique ainsi que le programme de la formation a évolué pour intégrer notamment la thématique des transidentités ou encore les approches intersectionnelles, bien que celles-ci ne soient pas incluses dans les référentiels de formation officiels :

On fait des choses aujourd’hui en formation qu’on faisait pas avant il y a cinq ans. Parce qu’il y a des questions qui se posent aujourd’hui qui se posaient pas, tu vois : par exemple en formation, j’avais jamais vu l’articulation genre, classe, race, ce serait dommage aujourd’hui de se priver de réfléchir les choses sous cet angle, et c’est pas dans le décret, dans l’arrêté.

Marie, salariée, quarantaine

Depuis que l’association à l’étude manifeste un intérêt de plus en plus important pour des thématiques féministes émergentes et prisées des militantes se revendiquant des approches queer et intersectionnelles, le Planning familial apparaît comme un lieu à investir en tant que militante féministe ou comme un espace de formation professionnalisant dans le domaine de l’écoute.

Ces formations font que la grande majorité des travailleuses féministes de cette association disposent d’une « socialisation féministe commune » (Herman 2012 : 334 et suiv.) malgré leurs parcours professionnels et militants divers[2]. La socialisation au travail féministe s’opère également tout au long de leur carrière dans l’association à l’étude par l’entremise, notamment, des réunions hebdomadaires obligatoires pour l’ensemble des salariées. Ces rencontres d’une durée de trois heures ont lieu tous les mercredis matin et rassemblent l’ensemble des conseillères conjugales et familiales, les animatrices de prévention ainsi que les salariées du pôle administratif et de la direction. Qu’elles travaillent à temps plein ou à temps partiel, ces heures sont comptées dans leur horaire de travail. Les réunions se déroulent en deux temps. La première partie, conduite par la directrice ou la directrice adjointe, est réservée à la gestion courante de l’association : points sur le budget, les demandes de subvention, le suivi des projets; informations concernant le Mouvement national du planning familial, etc. La deuxième partie de la réunion consiste en une discussion autour d’un sujet préparé en amont et choisi lors d’une précédente réunion. Pendant mon enquête, j’ai assisté à une réunion consacrée au désir et à la pornographie, à l’expression de l’homophobie par les élèves dans les interventions scolaires et à la question des « certificats de virginité » (Romerio 2018). La directrice m’avait demandé de préparer un échange sur la thématique « sexe, race, classe » et d’en faire l’introduction auprès du groupe; une autre réunion devait aborder les transidentités avec la présence d’un militant de Aides. Toutefois, les deux réunions ont été annulées dans le contexte de crise économique de l’association à l’étude[3] : dès lors, la quasi-totalité des réunions a porté sur les enjeux de la crise. Traditionnellement, avant chaque réunion, des supports à la réflexion sont envoyés à l’ensemble de l’équipe par la personne responsable de la préparation de la discussion. Ces réunions obligatoires constituent des dispositifs de « veille féministe », c’est-à-dire qu’elles permettent à toutes d’entretenir leur intérêt pour les féminismes et d’actualiser leur appréhension des enjeux et l’état des clivages au sein de l’espace de la cause des femmes et même au sein du Mouvement national pour le planning familial :

Du temps de [la précédente directrice,] on travaillait un thème par semaine, et c’était super intéressant parce que moi je les revoyais ou je les avais vus, ça faisait écho à ma formation et ça permettait à celles qui avaient fait la formation il y a très longtemps de, tu vois, de se rafraîchir, de rediscuter, de se remettre les neurones en place, je ne sais quoi, par rapport à ce thème-là, donc ça c’était vraiment bien […] C’était des échanges de points de vue. Et il y avait la position de notre planning, comment [il] se positionne, et peut-être même le Planning de la confédé et nous comment on se positionne, et ça c’était très intéressant.

Véronique, salariée, cinquantaine

Ces réunions représentent donc une occasion pour les salariées, qui n’ont pas de moment particulier pour échanger sur ces thématiques en dehors de ce cadre de travail qui y est réservé, d’entretenir leur socialisation féministe. Même Gaëlle, salariée au Planning familial et militante dans différents collectifs, trouve ces échanges stimulants et complémentaires de ses engagements en dehors du Planning familial. Elle se souvient ainsi de réunions concernant la prostitution qui ont nourri sa réflexion au moment où elle écrivait un texte pour une revue militante :

J’arrive au Planning, je trouvais qu’il y avait vachement de réflexion, je ne m’attendais pas à tant […] je trouvais que c’était assez génial […] Les discussions avec les collègues ont toujours nourri de réflexion même pour [revue militante d’extrême gauche], il y a quand même une interpénétration forte, en tout cas dans ma tête, entre ces différents espaces au Planning dans la rencontre avec le public, aussi bien sur des questions de virilité que de maternités, etc. Et avec les collègues, ben si tu vois quand on a parlé de la prostitution […] On a eu plusieurs réunions de travail là-dessus, en petit groupe, en grand groupe, en brainstorming, en truc plus théorique, et à l’époque, enfin encore aujourd’hui peut-être, il pouvait y avoir des discussions qui, l’air de rien, pouvaient aller assez loin.

Gaëlle, salariée, trentaine

Bien que les salariées me vantent l’intérêt de ces moments d’échanges collectifs sur des questions qui ne font pas consensus au sein de l’espace de la cause des femmes, elles ne prennent pas toutes part aux discussions qui peuvent être houleuses. Sophie, coordinatrice des activités qui a fait des études en institut universitaire de technologie (IUT) de carrières sociales et qui a travaillé dans différentes associations d’éducation populaire et milité dans des organisations politiques de gauche et écologique, pointe ces disparités dans les prises de parole :

J’ai l’impression que c’est de la joute oratoire entre certaines qui ont un capital culturel et que ça, c’est tout, sauf de l’éducation populaire et que, des fois, on n’explique pas les termes; des fois, il y a des phrases de 10 minutes de long qui pourraient être résumées en trois mots, et que des fois j’ai l’impression que c’est une joute oratoire qui est chiante pour celles qui décrochent parce qu’elles comprennent pas, alors qu’en fait souvent le propos est compréhensible, mais voilà c’est la forme qui fait que ça l’est pas, ça, ça me gonfle. Mais comme ça m’a gonflé quand j’ai fait de la politique, moi je suis terre à terre à appeler un chat un chat et que ça diminue les gens parce qu’ils ont pas le bon discours, qu’ils ont pas fait les bonnes études, ça m’horripile […] Je suis assez pour, enfin c’est un côté Zorro, mais défendre celles qui croient qu’elles ont rien à dire, alors que ce qu’elles disent c’est tout aussi intéressant que la voisine, sauf qu’elles le disent pas avec des grands mots!

Sophie, salariée, trentaine

La formation et les réunions d’équipe constituent des espaces de politisation au sens où sont régulièrement abordées des questions d’actualité qui structurent l’espace de la cause des femmes : la question du voile, la transidentité, la non-mixité, la prostitution, etc. Par ailleurs, des stages régionaux rassemblant les associations départementales ont lieu tous les ans dans un centre de vacances le temps d’un week-end pour échanger sur l’actualité du Mouvement (congrès, université d’été) ou sur les pratiques et les organisations de chaque association.

Ces processus de socialisation au travail féministe au Planning familial se prolongent également dans des cadres informels « hors travail », notamment à l’occasion des déjeuners pris quotidiennement en commun dans la grande cuisine de l’association à l’étude où s’entrecroisent discussions personnelles, questions d’actualités et échange de livres ou de documentaires, etc. En effet, la plupart des entretiens de conseil conjugal et familial, les consultations médicales, les formations professionnelles, etc., se déroulent dans les locaux de l’association, qui comportent par ailleurs une grande cuisine dans laquelle se retrouve le midi l’ensemble des salariées présentes. Si les moments de pause sont le plus souvent consacrés à des échanges communs sur le quotidien de chacune ou sur des expériences de travail (un entretien de conseil conjugal et familial éprouvant, une intervention dans une classe jugée difficile), il n’est pas rare qu’elles commentent la dernière chronique de Sophia Aram ou les interviews à la radio ou à la télévision d’universitaires médiatiques, par exemple Éric Fassin ou Elsa Dorlin. Elles parlent également des derniers essais ou romans qui les ont intéressées (Virginie Despentes, Annie Ernaux, Marie NDiaye) (Albenga et Bachmann 2015). Même lorsqu’elles relatent des expériences dans leur couple ou dans leur famille, les discussions entre collègues sont l’occasion de politiser les vécus individuels. Carole, conseillère conjugale et familiale et chargée de projet, est très attachée à ces échanges informels qui maintiennent son intérêt pour la défense de la cause des femmes :

Il y a toujours ce petit espace-là, et aussi de partage et d’analyse des choses, ce boulot au quotidien de défense des droits des femmes de repérer les inégalités, lutter contre les violences faites aux femmes de manière large […] Moi, je sais qu’il y a énormément de discussions avec des collègues sur des trucs perso et de pouvoir les partager qui me font avancer et me font me renforcer dans mon envie de me battre là-dedans aussi, de me dire mais merde ce qu’on subit et les rapports qui s’installent entre les hommes et les femmes et ces inégalités.

Carole, salariée, quarantaine

Les effets de l’organisation du travail sur le maintien dans l’engagement

Les conditions d’emploi dans l’association à l’étude font l’objet d’une attention particulière de la part des administratrices et des administrateurs ainsi que de la direction. La plupart des salariées recrutées d’abord en contrat aidé[4] ont été embauchées ensuite en contrat à durée indéterminée (CDI). Leur salaire varie de 1 600 à 2 000 euros nets par mois, et elles disposent de six semaines de vacances annuelles. Elles ont longtemps eu la possibilité de choisir leur temps de travail et d’aménager leur emploi du temps[5].

Ces conditions d’emploi ne sont pas les plus défavorables au sein du monde associatif et correspondent aux attentes de la plupart des salariées qui sont en reprise d’emploi ou ont des parcours professionnels atypiques. Pour celles qui auraient pu bénéficier de conditions d’emploi plus avantageuses dans d’autres structures, les discussions cadrées ou informelles qui ont lieu au sein de l’association favorisent leur maintien dans le travail féministe. Florence, conseillère conjugale et familiale, a ainsi fait le choix de rester au Planning familial alors qu’elle avait un poste professionnel qui aurait pu être plus avantageux. Cette décision se comprend aussi au regard de sa trajectoire. Florence rate son baccalauréat, effectue des « petits boulots à la con » pour quitter le domicile familial et rencontre son mari, galeriste, plus âgé qu’elle d’une vingtaine d’années. Elle reprend des études de psychologie à 34 ans et commence la formation de CCF sur les conseils de sa copine Nathalie qui vient de la terminer. À la fin de sa formation, elle est recrutée à mi-temps dans un centre de protection maternelle infantile (PMI) où elle a fait son stage et à mi-temps au Planning familial. Quelques années plus tard, la PMI lui impose un dilemme, soit elle signe pour un CDI à temps plein, soit elle n’est pas reconduite :

Du coup, ça a été un peu chaud parce que j’ai choisi le Planning, mais je me suis questionnée parce que je me disais, en vrai si j’avais été sérieuse, raisonnable, j’aurais plus choisi la PMI parce que j’aurais été fonctionnaire, que j’avais la sécurité de l’emploi. J’aurais été moins bien payée qu’au Planning, mais en même temps ça se rattrapait par d’autres choses […] des tickets resto […] un treizième mois, une retraite probablement meilleure, une sécurité de l’emploi, etc. Sauf que je me serais fait chier, du coup j’en ai pas mal discuté avec plein de gens à ce moment-là […] [mon mari] me disait : « Prends la PMI », et moi en réfléchissant je me disais : « Mais non, prends pas la PMI, je vais passer le reste de ma vie à me faire chier, c’est pas possible quoi. » Du coup, j’ai lâché la PMI, j’ai pris le Planning […] J’avais besoin aussi du Planning pour arriver à me bousculer, parce que je me dis je peux aussi facilement repartir sur des idées plus étroites et, du coup, j’aime bien que le Planning vienne me secouer les neurones aussi quoi.

Florence, salariée, quarantaine

On l’a vu, l’association à l’étude se compose en majorité de personnes qui ne faisaient pas de la défense de la cause des femmes un motif premier d’entrée au Planning familial, et certaines ne se définissaient pas comme féministes lors de leur recrutement. Pourtant, la socialisation secondaire opérée dans ce type d’association favorise une appropriation des idées féministes (Albenga et Bachmann 2015), surtout si les travailleuses ne sentent pas de jugements négatifs de la part de collègues aux discours plus radicaux et critiques concernant les modes hétérosexuels traditionnels de conjugalité et de parentalité traditionnels :

Mais je me dis que je suis féministe, que j’y adhère à 100 pour 100, ce que j’aurais pas imaginé avant d’y être, en fait. Et après le Planning moi, je m’y retrouve aussi, c’est rigolo, tu retrouves un schéma très classique, enfin [ici] quand tu prends les vies de chacune, la majorité on est avec le même mec depuis un siècle, deux enfants, voire trois ou quatre, il y a un truc très classique je trouve, du coup je me retrouve, je suis pareil sur un schéma très classique, je me suis pas retrouvée avec des nanas qui étaient toutes antigosse, antimec, à manifester tous les trois jours le poing en l’air. C’est sur des parcours assez proches en fait, au point de trouver ça étonnant d’ailleurs, cette association féministe où tu as toutes ces nanas mariées depuis 30 ans avec le même mec, qui ont fait des enfants bien sages comme tout le monde [Rires.], il y en a quelques-unes qui ont dépassé leurs quotas qui en ont fait quatre [Rires.] comme Nicole ou Sophie.

Florence, salariée, quarantaine

Ces travailleuses trouvent au Planning familial l’expression d’un féminisme conciliable avec leur mode de vie, en même temps qu’elles apprécient d’« être bousculées ». Plus encore, celles qui n’ont jamais été engagées dans des collectifs militants peuvent concevoir leur travail au Planning familial comme un engagement compatible avec leur disponibilité biographique réduite. Elles sont nombreuses à réaliser un travail de soin (care) important pour leurs proches (enfants qu’elles élèvent seules, enfant en situation de handicap, parents âgés, etc.) :

Alors pour moi, c’est clair dans le sens, j’ai pas de temps à consacrer à ça [le bénévolat], donc voilà, un moment donné, tu peux pas tu peux pas quoi, donc je culpabilise pas là-dessus. Je me dis : « Chacun fait comme il peut », et il y en a d’autres qui sont dans d’autres contextes, tu fais/tu fais pas, on a pas à rentrer dans la vie des gens, tu vois. Ça n’empêche pas d’être en, je sais pas, en adéquation avec les idées du Planning ce genre de truc, même si t’es pas dans du temps extérieur.

Nathalie, salariée, quarantaine

Pour Nathalie, comme pour Francesca par exemple, être « en adéquation avec les idées du Planning » se traduit par un rapport au travail particulier : que ce soit à titre de « militante salariée » ou de « professionnelle engagée », le travail au Planning familial permet de pratiquer un féminisme de terrain et de contribuer à l’élaboration collective et permanente d’une pensée féministe. L’engagement au travail de ces deux salariées se prolonge par ailleurs en dehors du Planning familial, dans leur vie privée : elles déclarent intervenir plus souvent dans des discussions de groupe, reprendre leur mari ou leurs amis ou amies quand elles entendent des propos sexistes et affirment se sentir « outillées » pour participer à une discussion et défendre leur point de vue.

Les travailleuses féministes qui exercent en tant qu’animatrice de prévention ou CCF ne sont pas les seules à tirer des gratifications de leur travail au Planning familial. Les salariées du pôle administratif reçoivent elles aussi des formes de rétribution matérielles (rémunération) et symboliques (sentiment de compétence politique, satisfaction morale d’agir en faveur d’une cause juste, enrichissement personnel). Thérèse, née en 1951, est entrée au Planning familial à 49 ans après avoir enchaîné des emplois de vendeuse et des périodes de chômage. Elle n’a jamais participé à des mobilisations collectives, mais connaissait « un peu » le Planning familial parce qu’elle avait été « un peu féministe » durant les années 70 :

Ben moi, je suis arrivée en mars 2000. Je n’ai jamais eu affaire au Planning familial quand j’étais jeune, je me suis toujours débrouillée toute seule. [Rires.] Ça a été vraiment par personne interposée, je cherchais du boulot, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit : « J’ai une copine qui est au conseil d’administration du Planning et qui cherche une secrétaire. » J’avais fait une formation de gestion, donc j’y suis venue mais sans vraiment… […] Donc quand on m’a dit : « Le Planning cherche », oui je me suis dit : « Pourquoi pas », donc je suis venue et en fait c’était un […] contrat aidé à mi-temps pour trois mois. J’ai toujours été seule, donc j’avais besoin d’argent.

Thérèse, salariée, soixantaine

Quand Thérèse entre au Planning familial, c’est d’abord pour subvenir à ses besoins en tant que femme célibataire. La « cdisation » de son contrat, pour un temps de travail qu’elle a choisi, a constitué une condition favorable à son maintien dans l’association à l’étude. Incitée à suivre des formations et à participer aux réunions d’équipe, elle a développé son intérêt pour la cause des femmes :

Mais l’évolution que j’ai eue, c’était qu’au départ j’étais en dehors des réunions d’équipe et quand [les deux dernières directrices] sont arrivées, on m’a dit : « Mais pourquoi tu viens pas aux réunions d’équipe? », et pour moi, c’était intéressant de venir, parce que ce qui m’intéressait aussi, c’était toutes les discussions, les réflexions qu’on peut avoir dans les réunions, moi ça m’intéresse quand même, j’ai fait une formation « genre écoute sexualité » aussi, tu vois, parce que je répondais au téléphone aussi, et j’ai appris sur le tas, mais alors dans la cuisine des tas de choses!

Thérèse, salariée, soixantaine

L’organisation du travail dans l’association à l’étude permet ainsi une politisation durable et offre une rétribution qui favorise le maintien dans le travail féministe des salariées, qu’elles aient des expériences dans le militantisme féministe au préalable ou non, qu’elles soient en contact avec le public ou non.

Conclusion

Ainsi, la dichotomie entre bénévolat/désintéressement, d’une part, et salariat/ intérêt, d’autre part, ne résiste pas à l’épreuve de l’enquête ethnographique. Si le discours vocationnel est présent chez l’ensemble des travailleuses féministes, elles sont une minorité à être entrées dans l’association à l’étude pour y exercer un militantisme féministe. Elles sont en effet plus nombreuses à s’y joindre pour se former dans le contexte d’un projet professionnel ou pour « se rendre utile » : le féminisme apparaît alors comme un motif secondaire au moment de leur entrée au Planning familial. Cependant, la socialisation féministe au sein de l’association à l’étude contribue à l’acquisition de capitaux militants et à la maîtrise des sujets clivants au sein de l’espace de la cause des femmes. En ce sens, nombre d’entre elles sont devenues féministes en travaillant au Planning familial, tandis que d’autres ont vu leur engagement féministe façonné et renouvelé par leur travail à cet endroit.

Cette politisation au travail dépend notamment de l’organisation du travail et de l’existence d’un groupe qui dispose de capitaux militants. Ainsi, l’existence de temps de réunion consacrés aux échanges sur des sujets féministes, le suivi d’une formation longue ou régulière au sein de l’organisation ou encore la possibilité de tenir des discussions informelles sur le lieu de travail favorisent la politisation de l’ensemble des membres par une poignée d’entre elles aguerries au militantisme féministe. Les processus de politisation au travail reposent donc sur les ressources militantes d’une partie des membres de l’association, mais aussi sur des facteurs propres à l’organisation du travail, largement dépendante des ressources financières. Ainsi, lorsque l’association à l’étude est confrontée à une crise financière, les temps consacrés à la discussion sur des sujets féministes d’actualité ont été abandonnés au profit d’échanges sur des éléments liés à la gestion de la crise (recherche de financement, organisation d’une mobilisation, réflexion sur une réorganisation du travail).