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Introduction

La Convention sur les droits des personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 2006), ratifiée par le Canada et le Québec, reconnaît aujourd’hui les principes d’une éducation inclusive, qui vise la participation pleine et entière à l’école et à la vie en société des personnes ayant des besoins particuliers (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010). La participation sociale est devenue une visée importante des politiques portant, entre autres, sur les personnes présentant une déficience intellectuelle (Verdonschot, Witte, Reichrath, Buntinx, & Curfs, 2009a), notamment au Québec (Office des personnes handicapées du Québec [OPHQ], 2009). Ainsi, la politique « À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité » (OPHQ, 2009) a pour objectifs, d’ici 2019, d’accroître la participation sociale, entre autres des personnes présentant des incapacités intellectuelles et pose trois grands défis : 1) une société plus inclusive ; 2) une société solidaire et plus équitable et 3) une société respectueuse des choix et des besoins des personnes et de leur famille. Cet article expose une étude de cas provenant de trois informateurs clés permettant de faire ressortir des processus de résistance active de personnes présentant des incapacités intellectuelles, en relation avec l’influence de l’environnement et le développement de leur participation sociale.

Problématique

Selon Verdonschot, DeWitte, Reichrath, Buntinx et Curfs (2009b), depuis les 30 dernières années, les personnes présentant une déficience intellectuelle ont plus d’opportunités de participer dans la société, dans des milieux non ségrégués. De cette façon, elles sont plus à même d’entretenir des relations interpersonnelles et de réaliser des rôles sociaux valorisés (Verdonschot et al.) Plusieurs auteurs (Amado, Stancliffe, McCarron, & McCallion, 2013; Foley et al., 2014; Verdonschot et al., 2009a, 2009b) relatent qu’il y a peu de connaissances au sujet de la participation des personnes présentant une déficience intellectuelle dans les différents domaines de vie, de même que les obstacles et les facilitateurs présents dans leur environnement. La situation des personnes présentant une déficience intellectuelle doit être explorée davantage (Berthelot, Camirand, & Tremblay, 2006).

Le concept de participation sociale permet d’aborder le handicap comme un fait social, non lié exclusivement aux seuls systèmes organiques : c’est un phénomène situationnel (Fougeyrollas, 2010 ; Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Côté, & St-Michel, 1998). Ce concept permet d’éviter de donner une valeur disproportionnée d’une atteinte à l’intégrité, c’est-à-dire la déficience de la personne (Fougeyrollas, Tremblay, Noreau, Dumont, & St-Onge, 2005). Selon Boisvert (2009-2010), le concept d’incapacités intellectuelles, plutôt que celui de déficience intellectuelle, convient mieux lorsqu’il fait référence au processus de production du handicap, ce qui amène à considérer la personne non plus comme « globalement déficiente », mais en fonction de ses limitations et de ses forces en termes de capacités, puis de participation sociale. Le concept de participation sociale permet de préciser le degré de difficulté, le type d’aide requis et le niveau de satisfaction de la personne à la réalisation des activités courantes ou des rôles sociaux valorisés (Fougeyrollas, 2010 ; Fougeyrollas et al., 1998).

La participation sociale est un indicateur de réalisation des habitudes de vie qui assurent la survie et l’épanouissement d’une personne dans la société tout au long de son existence (Fougeyrollas, 2010 ; Fougeyrollas et al., 1998). Outre l’éducation et le travail, les habitudes de vie correspondent à 13 domaines dont la nutrition, la condition corporelle, les soins personnels, la communication, l’habitation, les déplacements, les responsabilités, les relations interpersonnelles, la vie communautaire, les loisirs et les autres habitudes (Fougeyrollas, 2010 ; Fougeyrollas et al., 1998). D’après Fougeyrollas (2005, 2010), la participation sociale est une situation qui réfère à la réalisation des domaines ou habitudes de vie résultant de l’interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux.

Tant les facteurs personnels, les facteurs environnementaux que les habitudes de vie renvoient à des facteurs de risque et des facteurs de protection, qui influent sur le développement humain, sont évolutifs, changeants ou à l’état de latence et ce, tout au long de la vie d’une personne (Fougeyrollas, 2010), par exemple, présentant des incapacités intellectuelles. Un facteur de risque est un élément appartenant à l’individu ou provenant de l’environnement susceptible de provoquer une maladie, un traumatisme ou toute autre atteinte à l’individu ou au développement de la personne (Paré, Parent, Beaulieu, Letscher, & Point, 2015). Par ailleurs, un facteur de protection est un élément qui est susceptible de prévenir cette même maladie, ce même trauma ou cette même atteinte (Paré et al., 2015).

Les facteurs personnels sont évalués selon un continuum allant de la déficience à l’intégrité et de l’incapacité à la capacité, tandis que les facteurs environnementaux se traduisent sous forme d’obstacles ou de facilitateurs. La pleine réalisation des habitudes de vie correspond à une participation sociale optimale et, l’inverse, à une situation de handicap totale (Fougeyrollas, 2005, 2010). Le modèle des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale (Letscher, Parent, & Deslandes, 2009) est complémentaire au modèle du développement humain et du processus de production du handicap [MDH-PPH] (Fougeyrollas, 2010) et permet d’identifier des processus de résistance active (figure 1). Le modèle des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale a été éprouvé dans le cadre de plusieurs recherches Letscher, 2012; Letscher, Parent, & Beaumier, 2009, 2012, 2013, 2015, 2016).

La résistance active est un processus allant de l’oppression, la résignation, la résilience à la libération (Letscher, 2012). La résistance active peut se définir comme la capacité de la personne d’avoir une compréhension critique de sa situation ou de s’autodéterminer, de construire son identité, de s’engager dans la société et d’influer ainsi sur le développement de sa participation sociale (Letscher, 2012). Les processus de résistance active (Cyrulnik, 2001 ; Freire, 1974 ; Letscher, 2012) font appel à l’autodétermination, au pouvoir d’agir de la personne présentant des incapacités intellectuelles et sa famille, compte tenu, entre autres, de ses capacités d’exécution et de décision, de même que des ressources mobilisées pour répondre à la situation (Boisvert, 2009-2010). L’autodétermination renvoie à une approche par projet de vie, ce qui consiste à centrer les interventions sur les choix de vie des personnes (Coggins, Lafontaine, & Martin, 2009) notamment dans les plans d’intervention (Caouette & Lachapelle, 2014).

Figure 1

Modèle des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale (Letscher et al., 2009)

Modèle des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale (Letscher et al., 2009)

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Selon qu’il y a présence d’obstacles ou de facilitateurs dans l’environnement de la personne et que celle-ci est en situation de handicap ou a une forte participation sociale, elle va se retrouver dans l’un ou l’autre des quadrants. Il se révèle une forme de résistance active dans l’interaction de la personne avec son environnement, un processus qui apparaît plus dynamique que statique. Dans le quadrant 1, une personne peut être dans un environnement avec beaucoup d’obstacles, mais avoir une forte participation sociale du fait de sa résilience, par exemple, lorsqu’elle n’obtient aucun soutien de sa famille, mais réussit tout de même à se réaliser et s’épanouir dans la société. La présence de facilitateurs dans l’environnement de la personne facilite l’augmentation de sa participation sociale comme le présente le quadrant 2. Cela peut être le cas lorsque le gouvernement rend accessibles des services pour faciliter l’accès au marché du travail. À l’inverse, dans le quadrant 3, la présence d’obstacles et leur influence sur la personne entravent sa participation sociale. Par exemple, des attitudes discriminantes peuvent empêcher de participer pleinement dans les études. Le quadrant 4 permet de remarquer que, malgré la mise en place de facilitateurs dans l’environnement de la personne, celle-ci peut tout de même être en situation de handicap. Par exemple, il est proposé à la personne de s’engager dans un réseau de soutien, mais celle-ci refuse de le faire.

Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011) ciblent plusieurs facteurs de risque ou de protection environnementaux associés à la résilience de la personne présentant des incapacités intellectuelles compte tenu, par exemple, de l’adéquation des services, notamment en matière de répit, des occasions de participation sociale, du réseau social du jeune et des parents, des connaissances et de l’acceptation des pairs, des amis, des parents des amis, des personnes de l’entourage, de la formation des enseignants et des intervenants, de l’adaptation aux intérêts de la personne sur le plan scolaire, professionnel, de l’emploi et des loisirs, de l’intégration culturelle, de l’accompagnement offert à la personne et la famille, de la présence de mentors, de modèles agissant comme tuteurs de résilience. Des facteurs familiaux apparaissent aussi sur le plan de la structure et des relations familiales, les connaissances des parents sur la déficience intellectuelle, l’acceptation des différences de l’enfant, la mise en place d’activités structurées de participation, l’estime de soi parentale, le bien-être psychologique et la santé des parents, l’importance de la communication, le soutien des parents et de la fratrie, les confidences, l’humour, une vision positive de l’avenir, notamment (Jourdan-Ionescu & Julien-Gauthier).. S’ajoutent des facteurs de protection individuels en lien avec l’estime de soi de la personne, son identité positive, ses habiletés relationnelles, la reconnaissance de ses forces et de ses faiblesses, l’autonomie, la maturité sociale, l’expression des émotions, la vie active, les expériences diversifiées, la maîtrise de soi, l’optimisme et l’humour (Jourdan-Ionescu & Julien-Gauthier).

En ce sens, la recension des écrits de Verdonschot et al. (2009a) fait ressortir plusieurs facteurs qui influent positivement sur la participation des personnes présentant des incapacités intellectuelles dont des opportunités de faire des choix, des services variés et de stimulation dans l’environnement physique, des opportunités de participer dans les prises de décision, des services d’appoint résidentiels, un contexte favorable à l’autonomie, des services d’orientation, du soutien social, du soutien familial, des technologies d’aide et des attitudes positives du personnel de soutien. Le manque de transport et le fait de ne pas se sentir accepté sont des obstacles présents dans l’environnement de la personne présentant une déficience intellectuelle qui peuvent entraver sa participation dans la société (Verdonschot et al., 2009a).

Plus précisément, le réseau de soutien auprès de la personne présentant des incapacités intellectuelles constelle, plus particulièrement, autour de la famille et des intervenants, alors que les attitudes des voisins et des étrangers, entre autres, de même que le facteur « égalité des chances et orientations politiques » sont des obstacles (Paré, Fougeyrollas, Parent, & St-Michel, 2000). Selon Paré et al. (2000), plusieurs habitudes de vie nécessitent une aide humaine pour être réalisées : l) les loisirs ; 2) le travail ; 3) l’éducation et 4) la vie communautaire. Paré et al. (2000) ajoutent que les participants doivent recevoir de l’aide humaine et technique ou des aménagements pour : l) les responsabilités ; 2) la communication ; 3) les relations interpersonnelles et 4) l’habitation. Paré et al. (2000) précisent que les participants doivent recevoir de l’aide humaine pour réaliser, même avec difficulté, les habitudes de vie qui portent sur : l) les déplacements ; 2) la nutrition ; 3) la condition corporelle et 4) les soins personnels.

Ainsi, plusieurs études portent sur des obstacles et des facilitateurs à la participation sociale (par ex., Foley et al., 2014 ; Paré et al., 2000, 2015; Verdonschot et al., 2009a), qui peuvent prendre forme de facteurs de protection ou de risque en lien avec la résilience (par ex., Jourdan-Ionescu & Julien-Gauthier, 2011) des personnes présentant des incapacités intellectuelles. Toutefois, aucune recherche ne fait ressortir des processus de résistance active des personnes présentant des incapacités intellectuelles allant de l’oppression, la résignation, la résilience à la libération. De manière exploratoire, la présente étude a donc pour objectif d’explorer des processus de résistance active de personnes présentant des incapacités intellectuelles. Il est possible de retenir deux objectifs spécifiques, dans le cadre de cette recherche auprès de personnes présentant des incapacités intellectuelles : 1) Relever des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale ; 2) Identifier des processus d’oppression, de résignation, de résilience et de libération.

Méthode

Le projet exploratoire s’appuie sur un récit de pratique de trois informateurs clés parmi les chercheurs engagés dans l’étude associé à l’analyse de cas. Ces informateurs clés ont oeuvré pendant 5 à 20 ans auprès de personnes présentant des incapacités intellectuelles en institution spécialisée, en milieu scolaire ou encore sous forme d’accompagnement à domicile, au Québec. La démarche de recherche vise à situer des processus de résistance active de personnes présentant des incapacités intellectuelles en relation avec l’influence de l’environnement et le développement de leur participation sociale. L’analyse des résultats fait ressortir ainsi l’histoire de vie de huit personnes présentant des incapacités intellectuelles légères à profondes, âgées de 9 à 45 ans (tableau 1). Pour conserver la confidentialité des données, tous les noms utilisés sont fictifs et toute information risquant de compromettre l’anonymat a été soustraite de l’analyse. Cette recherche a été évaluée en vertu des normes de certification (CÉR-81-547) du comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Rimouski.

Le récit de pratique consiste en la narration d’un problème à partir de cas racontés qui ont valeur de témoignage de pratique (Desgagné, 2005 ; Hamel, 2013). Le récit de pratique peut favoriser une délibération inhérente au cas en lien avec l’objet d’étude visé (Desgagné), en l’occurrence ici, les processus de résistance active de personnes présentant des incapacités intellectuelles. Le récit de pratique est une méthode de collecte des données issue du récit de vie et tient sa source de l’ethnométhodologie, une démarche de recherche initiée depuis les années 1950 notamment dans le courant de la sociologie (Anadon, 2006; Grimaud, 2003). Cette méthode s’intéresse aux modalités selon lesquelles les groupes humains construisent la réalité quotidienne (Grimaud, 2003 ; Hamel, 2013), un moyen donc particulièrement pertinent pour identifier, entre autres, la participation sociale de personnes présentant des incapacités intellectuelles. Pour rappel, la participation sociale se définit par la réalisation des activités courantes et des rôles sociaux et est le résultat d’une interaction avec des facteurs personnels et des facteurs environnementaux (Fougeyrollas, 2010). Le récit de pratique (Desgagné, 2005) permet ainsi d’identifier des cas riches en informations (Patton, 1987), ce qui fait partie aussi des limites de cette étude, compte tenu du processus de sélection engagé par les chercheurs.

Le récit de pratique peut s’appuyer sur la méthode de l’analyse ou de l’étude de cas (Desgagné, 2005) dans une perspective naturaliste, constructiviste ou interprétative favorisant la recherche plus intensive d’un matériau qualitatif (Anadón, 2004). À partir de l’approche qualitative, l’analyse de cas permet de tenir compte d’une réalité globale vécue par les acteurs du monde de l’éducation (Savoie-Zjac & Karsenti, 2004), ou des réalités complexes, plurielles, diverses et interactives (Anadón, 2004). D’après Merriam (1988), il y a lieu de s’intéresser au pourquoi et au comment du phénomène, ce qui peut engager des problèmes conceptuels, quant à la façon de percevoir la réalité du jeune, les problèmes d’action, quant à la manière d’améliorer la situation, et les problèmes de valeur, quant à la conséquence indésirable générée par le phénomène. Merriam précise que l’étude de cas est particulariste, parce qu’elle s’intéresse au cas particulier ou un système restreint. L’étude de cas interprétative est également descriptive puisqu’elle peut contenir une description détaillée du cas et ainsi illustrer, soutenir ou réfuter les postulats théoriques adoptés avant la collecte des données (Merriam). L’étude de cas qualitative est inductive en ce qu’elle s’appuie sur un raisonnement afin de créer des catégories et des liens entre les catégories et les propriétés ou les hypothèses (Merriam). De même, l’étude de cas est heuristique, car elle permet une compréhension approfondie du cas (Merriam).

Tableau 1

Données sociodémographiques

Données sociodémographiques

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Il faut spécifier des limites inhérentes à l’analyse ou l’étude de cas qualitative dont la première met en cause la portée de généralisation. Pour amenuiser le risque d’hypervalorisation du cas (Van der Maren, 1995) et la difficulté de reproductibilité et de généralisation des résultats (Gagnon, 2005), l’étude de cas multiples a toutefois pu augmenter la validité externe (Merriam, 1998 ; Patton, 1987). En effet, les résultats d’une étude de cas multiples sont plus intéressants et plus convaincants que les résultats provenant de l’interprétation d’un seul cas, où sont envisagées le plus de variables possibles (Merriam, 1988). Un potentiel de généralisation des résultats apparaît alors plus dans les similitudes et les traits communs qui caractérisent le phénomène ou illustrent le cas typique (Anderson & Arsenault, 1998). L’étude comprend un nombre idéal de cas, selon Stake (2006), situé entre quatre et dix, puisque l’analyse repose ici sur huit cas racontés ou histoires de vie de personnes présentant des incapacités intellectuelles.

Dans le cadre de ce projet, il s’agit plutôt d’un échantillonnage théorique, c’est-à-dire des échantillons qui ne sont pas d’abord des échantillons de population ou de sujets, mais plutôt des échantillons de situations dans lesquelles le chercheur vise à recueillir des données « théorisables » (Guillemette, 2006 ; Hamel, 2013). Une saturation théorique (Guillemette) a été obtenue par l’illustration des différents profils de situations amenant un recoupement dans les résultats obtenus (Glaser & Strauss, 1967). L’entrevue avec les chercheurs a été réalisée à l’aide d’un magnétophone et transcrite intégralement par l’un des co-chercheurs.

Une triangulation a également été utilisée comme méthode de validation pour l’étude de cas (Karsenti & Demers, 2004 ; Merriam, 1998). La triangulation correspond au fait de recouper une source de données par d’autres, au moins deux (Van der Maren, 1995). La triangulation a pu se faire ici à partir : 1) d’une révision des données (Merriam, 1988; Stake, 1995) par les chercheurs engagés dans l’étude, 2) de différents outils de collecte des données, dont les recherches antérieures, l’entrevue et l’observation participante (Anadon, 2006 ; Patton, 1987 ; Van der Maren), 3) d’un échantillon de situations (Guillemette, 2006), caractérisant les profils allant de l’oppression, la résignation, la résilience à la libération, 4) une analyse longitudinale plutôt que transversale du site et du cas (Karsenti & Demers), en vue d’augmenter la validité externe. Le recoupement des informations avec les personnes présentant des incapacités intellectuelles ou d’autres informateurs clés n’a pas été effectué, ce qui peut constituer une limite. À noter l’impossibilité de rejoindre les cas sélectionnés ou d’autres informateurs clés, pour cause de décès ou de traçabilité. Le choix des chercheurs a tout de même été de préserver ces données, compte tenu de la richesse de l’information caractérisant les profils de situation.

La validité externe de l’étude de cas augmente si la description est très détaillée (Karsenti & Demers, 2004) permettant la description de variables, ce qui est courant dans le champ de l’éducation spécialisée (Stake, 1995). L’analyse s’est appuyée en effet sur une description détaillée des cas, à partir d’une grille déjà testée comme schéma pour codifier ou traiter les données recueillies (Gagnon, 2005 ; Letscher, 2012). L’analyse des résultats est à la fois orientée sur les variables faisant ressortir une comparaison (Miles & Huberman, 2003) à partir du recoupement des différents plans personnels et de l’environnement. L’analyse est également orientée sur le cas, en examinant le détail du cas, en profondeur, en faisant ressortir à la fois des thèmes et le caractère unique d’un fait lors de son émergence (Miles & Huberman). La méthode d’analyse de contenu est employée par codage et catégorisation, les propos de l’informateur clé étant codés en unités de sens. La préoccupation première est de laisser émerger les données, c’est-à-dire les propos de l’informateur clé. L’entrevue a débuté à partir d’une question ouverte demandant à l’interviewé de partager sa perception du parcours de vie de personnes présentant des incapacités intellectuelles, tout en identifiant des processus de résistance active, c’est-à-dire d’oppression, de résignation, de résilience ou de libération. Lors de l’analyse des résultats, un recoupement a été réalisé entre la participation sociale, les obstacles et les facilitateurs perçus chez la personne et dans son environnement pour établir des processus de résistance active.

Résultats

L’analyse des résultats illustre des processus dynamiques allant de l’oppression, la résilience à la libération dans trois cas (Francis, Matisse, Dany) et pour les cinq autres, de l’oppression à la libération chez Coralie et Antoine, de la résignation à la libération avec Christine et Charlotte et de propre à la libération pour Julien.

Sur le plan du macroenvironnement sociétal (tableau 2), plusieurs obstacles ou facilitateurs apparaissent, en lien avec l’habitation, les relations interpersonnelles, les loisirs et les autres habitudes de vie et sont vecteurs de résilience ou de libération. En premier lieu, la majorité des personnes ont pu bénéficier d’un service d’appoint résidentiel (Francis, Dany, Coralie, Julien, Christine, Charlotte, Antoine). Francis a pu vivre un processus d’oppression, de résilience puis de libération, en lien avec la transition de la désinstitutionnalisation à une vision d’inclusion sociale avec un regroupement de personnes dans un foyer de groupe au sein d’un village plutôt qu’en institution spécialisée (Francis) :

Francis : [Francis] était alité (…) dans l’[Institution spécialisée] (…). Le seul traitement qu’on faisait avec lui c’était de soigner ses escarres (…). Positionnement, dépositionnement, changer de couche, le gaver pour le nourrir. Les soins de base (…). Personne à l’époque ne se posait la question ce que l’on fait avec lui (…). Il me faisait des sourires. Bien, je me disais : il comprend câline ! (…). Tous les beaux fauteuils roulants que vous voyez aujourd’hui (…), ça vient tout de Francis (…). Cela faisait 25 ans qu’il était dans le lit (…). On voulait l’amener dans un village et qu’il se promène (…) à l’épicerie à côté, à la [Coopérative financière], aux loisirs (…). Les gens commençaient à s’intéresser (…). Les barrières s’estompaient tranquillement.

En deuxième lieu, il faut relever les sources de revenus de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et les services associés aux aides techniques et l’aménagement du domicile du Centre de santé et des services sociaux (CSSS), avec Dany, ou d’autres programmes de compensation financière chez les autres personnes présentant des incapacités intellectuelles. Troisièmement, il faut mentionner le manque de projets porteurs de l’organisme de soutien aux personnes ayant un traumatisme crânien de la région étant donné le roulement du personnel, par exemple (Dany). Ainsi, des difficultés éprouvées par l’organisme à répondre aux besoins des personnes ont pu apparaître ici comme un obstacle.

Sur le plan du mésoenvironnement communautaire (tableau 3), il faut retenir plusieurs facteurs associés à un processus d’oppression, en lien avec les domaines des soins personnels et de santé (Francis), de l’éducation et du travail (Dany) : 1) Approche d’intervention réduite aux soins de base (Francis) ; 2) Attitudes négatives, absence de soutien de la direction d’établissement, intimidation de la part d’élèves et d’un enseignant (Dany) ; 3) Attitudes négatives et intimidation de la part de commis de travail d’une épicerie (Dany).

Un processus d’oppression à libération apparaît, selon qu’il y a absence ou présence d’une relation proche avec une éducatrice qui peut développer la participation sociale de la personne sur le plan des relations interpersonnelles (Antoine), de la condition physique et du bien-être psychologique (Coralie) :

Coralie : Elle avait une relation particulière avec une éducatrice. Il y a une éducatrice qui, elle, n’avait pas de répugnance à son égard (…).C’est la seule éducatrice qui la prenait et qui la plaçait sur elle et qui la berçait. Personne ne faisait ça avec elle, c’est avec cette éducatrice-là qu’à un moment donné, on pouvait sentir (…) un apaisement, de la tranquillité, par rapport à ses comportements (…). Si l’éducatrice s’en allait un mois en vacances (…), elle régressait encore plus.

L’accompagnement, notamment les opportunités de loisirs, auprès de la personne est d’autant plus important que cela peut amener à sortir d’un processus de résignation vers une libération, à l’instar de Charlotte :

Charlotte: [Charlotte], la seule façon qu’elle avait pour communiquer, c’était avec les yeux. Elle ne bougeait pas. Elle était dans son fauteuil roulant (…). On s’est rendu compte de ça, cela a pris des années (…). Elle avait toujours hâte à l’été, au printemps, au baseball (…). Tu lui voyais les yeux changer (…), on voyait la vie qui reprenait en elle (…). Même quand l’éducatrice était en congé, elle y allait avec elle (…). Quand c’était fini, elle était résignée totalement (…). On essayait de retrouver des affaires qui l’allumaient, on n’a jamais été capable.

Il est possible de retenir des processus de résilience à libération à partir de plusieurs obstacles ou facilitateurs, dans le mésoenvironnement communautaire, qui influent sur la participation sociale dans les domaines de la communication, du travail, des déplacements (Francis) ou encore dans toutes les habitudes de vie (Dany) : 1) Approche visant l’inclusion sociale et professionnelle, par essai-erreur (Francis, Dany) ; 2) Aides techniques telles que le fauteuil électrique (Francis) ; 3) Service d’accompagnement à domicile et au travail par intermittence, avec une approche d’intervention axée sur les intérêts et les besoins et une relation de collaboration entre l’accompagnateur et le parent (Dany). Le développement de la participation sociale dans le domaine du travail est source de valorisation et d’autonomie pour la personne, comme le montre le cas de Dany :

Dany : Comme je travaillais notamment dans une ferme associative, j’ai proposé à Dany qu’il m’accompagne pour les soins aux animaux, l’entretien des jardins et d’autres activités manuelles comme la confection de cabanes d’oiseaux, de mangeoires en bois, de jeux en bois (…). On partait de ses intérêts, puis je l’accompagnais dans son milieu de vie avec sa mère, ce qui m’aidait un peu aussi à mieux comprendre Dany pour répondre à ses besoins (…). Avec la mère de Dany, en fait, on lui donnait une rétribution qui provenait de sa rente de la SAAQ et même si c’était très peu pour le travail à fournir, on lui donnait 5 $ par jour (…). C’était une source énorme de valorisation pour Dany, énorme. Il comptait ses sous chaque jour, autant qu’il le pouvait bien sûr. Parce qu’il avait des difficultés à compter et surtout à se représenter la valeur de l’argent. Mais, il était quand même capable d’aller s’acheter des choses à l’épicerie, une pinte de lait par exemple ou du Pepsi. Pour, lui, c’était une source d’autonomie aussi. Ou encore, il gardait son argent pour acheter un cadeau à sa mère, etc.

Tableau 2

Macroenvironnement sociétal

Macroenvironnement sociétal

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Plusieurs facteurs sont libérateurs : 1) Travail dans un atelier protégé ; 2) Soutien et attitudes positives des éducateurs ; 3) Activités de lecture en classe. De cette manière, Antoine a pu faire l’expérience.

Un travail dans un atelier protégé favorise le développement de la participation sociale sur le plan du travail comme dans le cas d’Antoine : « Il faisait des tâches répétitives (…). Par exemple, classer 50 bardeaux dans des barils (…). Il réussissait à être légèrement performant et réalisait les consignes qu’on lui demandait. L’agressivité baissait », mais aussi des responsabilités vis-à-vis de la gestion de l’argent et des relations interpersonnelles avec Francis, par exemple :

Francis : Francis, c’est un autre aussi qu’on a inclus dans le marché du travail (…). Un médecin de notre village faisait affaire avec une compagnie de déchiqueteuse (…). Au début, on ne le payait pas, mais à la fin, on le payait en fonction des dossiers qu’il était capable de faire et la quantité d’ouvrage et c’était son argent de poche.

Tableau 3

Mésoenvironnement communautaire

Mésoenvironnement communautaire

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Il faut relever également un contexte de classe qui a pu faciliter le développement de la participation sociale de Matisse sur le plan de la communication orale, de l’éducation de la lecture, du travail sous forme bénévole et des relations interpersonnelles, avec les autres élèves de la classe et les membres de sa famille.

Matisse : Il ne parlait pas. Il ne disait pas un mot et, malgré qu’on investissait peu, du jour au lendemain, parce que je faisais des activités de lecture avec mes autres élèves, il a commencé à lire. Il lisait, il écoutait et il était passionné (…). Il a commencé à lire avant de parler. Dès qu’il a commencé à parler, il s’est développé en quelques semaines, quelques mois. Cela a été le cas qui a surpris le plus (…). Le jeune a eu une très belle participation sociale qui a augmenté (…). Il allait voir aussi les élèves des autres classes ordinaires, sa parenté, ses cousins, etc. Il était très fier de voir, de montrer aux autres tout ce qu’il avait maîtrisé, soit sur le plan du langage, soit sur le plan de la lecture. Il prenait d’autres livres, il allait dans les bibliothèques. Entre autres, il allait dans les universités afin d’expliquer sa réalité.

Sur le plan du microenvironnement personnel (tableau 4), la structure familiale agit comme obstacle, selon qu’il y a abandon de l’enfant à la naissance (Coralie), séparation des parents (Dany), pas d’attentes ni d’aspirations envers l’enfant (Matisse), révélant ainsi un style parental absent ou distant. De tels facteurs mettent en jeu des processus d’oppression et de résilience. Par contre, des facilitateurs apparaissent compte tenu d’une relation proche avec les membres de la famille (Dany), avec un conjoint (Julien, Christine) ou encore avec le soutien du parent (Dany) et favorisent un processus de libération (Dany, Julien). Par exemple, la mère de Dany apporte du soutien à son enfant à l’égard de toutes ses habitudes de vie et agit ainsi comme aidante naturelle, par exemple, en l’incitant à extérioriser ses émotions par le biais de l’écriture : « Dany avait l’habitude d’écrire des choses pour extérioriser ses peines, sa tristesse (…). L’écriture de Dany, en fait, était très proche de l’orthographe alternative ».

Tableau 4

Microenvironnement personnel

Microenvironnement personnel

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La relation de Julien avec sa conjointe devient un facteur déterminant pour le développement de sa participation sociale sur le plan des relations interpersonnelles, de son habitation et de ses loisirs notamment.

Julien : Il y a 20 et quelques années (…), ses parents sont décédés, il s’en est allé dans un foyer de groupe (…). Je l’ai rencontré, par pur hasard, sur le camping cet été (…). Il me dit : Je travaille des bouts de caoutchouc. C’était un atelier protégé, avec des tâches très précises, un petit salaire (…). Je suis avec ma blonde (…). Elle a un camping ici (…). Elle travaille (…). Financièrement, ils doivent bien arriver (…). S’il n’avait pas eu cette personne-là, je suis convaincu qu’il serait retourné en foyer de groupe et il ne se serait pas rendu jusqu’ici.

Par contre, la relation de Christine avec des conjoints conduit plutôt à un processus de résignation. En effet, une relation proche se construit avec le conjoint, mais ne permet pas de développer sa participation sociale sur le plan de l’habitation, des relations interpersonnelles et des responsabilités.

Christine : Elle a un sens social très aiguisé (…). Elle vivait dans nos appartements (…). Elle était belle (…), perspicace. Elle trouvait toujours des jeunes hommes, des garçons d’à peu près de son âge, mais qui présentaient une déficience intellectuelle un peu plus marquée, assez gentils. Elle s’organisait toujours pour les séduire (…). Il y a un de nos jeunes qui s’est fait pogner puis il l’aimait. Tout d’un coup, elle l’a aimé. Mais on a su que les parents étaient décédés et que l’héritage s’en allait tout au petit gars. Le petit gars était tout seul. À 25 ans, il est majeur (…). Au bout de 3-4 ans, il n’avait plus d’argent. Il a fallu qu’on les reprenne (…). Elle a demandé une séparation (…). Elle l’a fait deux fois, avec deux clients différents. À un moment donné, on est allé en cour (…) et le juge a mis un interdit pour elle de se marier.

Les facteurs individuels renvoient à des capacités qui influent sur le développement de la participation sociale et favorisent des processus d’oppression, de résilience ou de libération (tableau 5). En lien avec la communication, il peut s’agir d’un sourire (Francis), d’un contact par les yeux (Charlotte). Un intérêt particulier, par exemple pour la lecture, un loisir, une activité manuelle, peut devenir une source de développement reliée à l’éducation et aux relations interpersonnelles (Matisse), au loisir (Charlotte) ou au travail (Dany). La gestion des émotions, compte tenu de la présence de violence verbale ou physique, par exemple, peut être une source d’oppression, sur le plan de la communication, de la condition physique, du bien-être et des relations interpersonnelles (Dany, Coralie), voire pour toutes les habitudes de vie (Antoine). Des habiletés sociales peuvent faciliter les relations interpersonnelles (Christine, Julien), la réalisation d’un travail (Julien). Par contre, le fait d’exploiter une relation peut nuire au développement de relations interpersonnelles (Christine).

Discussion

Les résultats de cette étude montrent que des obstacles et des facilitateurs sont présents dans l’environnement de personnes présentant des incapacités intellectuelles et influent sur le développement de leur participation sociale sur les plans : 1) du macroenvironnement sociétal ; 2) du mésoenvironnement communautaire ; 3) du microenvironnement personnel et 4) de la personne elle-même. Fougeyrollas (2010) soutient qu’il est nécessaire, pour les intervenants, de réduire les obstacles qui nuisent à la participation sociale et au plein épanouissement des personnes vivant des situations de handicap. Par l’analyse des données, il est possible de déceler, chez les cas à l’étude, des profils montrant clairement des processus allant de l’oppression, la résignation, la résilience jusqu’à la libération. Ces processus ne sont ni uniformes ni statiques chez les personnes présentant des incapacités intellectuelles, mais celles-ci vivent plutôt des expériences d’oppression, de résignation, de résilience et de libération qui varient dans le temps et, selon les différents plans, allant de l’individu à l’environnement. Cette dernière observation est conforme aux propos de Fougeyrollas (2010) qui parle de processus en termes de changements souhaités chez une personne qui vit des situations de handicap. La thèse de Letscher (2012) a pu montrer qu’au-delà de processus chez une même personne peut s’installer un profil d’oppression ou de résignation à force d’obstacles répétés dans les domaines du marché du travail, des services éducatifs, des attitudes et du soutien de l’entourage entravant la participation sociale dans les domaines de l’éducation et du travail. Autrement dit, bien qu’une personne présentant des incapacités intellectuelles peut vivre un processus d’oppression dans un domaine, par exemple un rejet dans sa famille, simultanément, des processus différents peuvent apparaître dans les domaines du travail, des loisirs, de la scolarisation ou des amitiés. Malgré cet éventail d’expériences de vie, pour chaque personne, un profil dominant se précise et imprègne la personnalité de l’individu.

Tableau 5

Facteurs individuels

Facteurs individuels

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Sur le plan du macroenvironnement sociétal, les personnes présentant des incapacités intellectuelles ont toutes pu bénéficier de services, d’abord sur le plan résidentiel. Francis, Julien et Christine, par exemple, ont pu vivre des expériences de vie en foyer de groupe. Francis a eu la chance de vivre une transition vers une désinstitutionnalisation puis Dany s’est rendu à une réelle inclusion sociale. Ici, l’inclusion sociale est définie ici comme la participation pleine et entière à la vie en société des personnes ayant des besoins particuliers (Organisation des Nations Unies, 2006). Une perspective inclusive tient compte que l’environnement s’adapte à la personne (par ex., AuCoin & Vienneau, 2010 ; Matsuura, 2008 ;Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2008) par la présence de facilitateurs, en termes de politiques, de services, d’attitudes et de soutien direct en vue de favoriser le développement de la participation sociale de tous les individus.

Force est de constater l’évolution du contexte social qui a influé sur les conceptions et les interventions auprès des personnes présentant des incapacités intellectuelles depuis plus de 60 ans (Fortin & Parent, 2004). Cette évolution dans le temps amène un processus qui permet à la personne en situation de handicap de passer d’une résilience à une libération, en lien avec le développement de la participation sociale, comme ce fut le cas notamment pour Francis, dans les domaines de l’habitation, des relations interpersonnelles et des loisirs. En effet, le cas de Francis obtenant un travail dans un service de déchiquetage de dossiers confidentiels montre clairement que si des obstacles perdurent sur le plan de l’égalité des chances, en ce qui a trait aux modes de participation aux prises de décision et à l’accès au marché du travail, les orientations des politiques gouvernementales favorisant une inclusion peuvent agir comme facilitateurs. Cette observation est conforme aux propos de Paré et al. (2000).

Verdonschot et al. (2009a) affirment que des services d’appoint résidentiels peuvent faciliter la participation de la personne tandis que le manque de transport peut être un obstacle dans son environnement. Cet élément a été observé dans la plupart des cas puisque Francis, Coralie, Antoine, Charlotte, Christine et Julien ont bénéficié de services résidentiels ou ont vécu en foyer de groupe, ce qui a accru considérablement leur qualité de vie. Par ailleurs, des groupes de défense des droits de la personne (par ex., Association canadienne pour l’intégration communautaire, 2013 ; Regroupement de parents de personnes présentant une déficience intellectuelle de Montréal, 2014) soulignent l’importance d’avoir des revenus ou des ressources financières permettant de combler minimalement les besoins des personnes présentant des incapacités intellectuelles. De plus, selon Paré et al. (2000), les revenus, l’emploi et la sécurité du revenu peuvent agir comme des facilitateurs à une plus grande participation sociale. Ainsi, dans le cas de Dany, les sources de revenus de la SAAQ et les services associés aux aides techniques et l’aménagement du domicile du CSSS sont, pour lui, sources de libération. Dans le même sens, plusieurs personnes présentant des incapacités intellectuelles, entre autres Francis et Julien, ont pu bénéficier d’un travail en atelier protégé. Les programmes de compensation financière, les programmes publics d’assurance invalidité ont été pour eux des facilitateurs (Paré et al., 2000). Contrairement à ce que mentionnent Paré et al. (2000) quant aux effets bénéfiques que peuvent apporter des groupes de soutien, les actions d’un organisme ont été un obstacle dans l’environnement de Dany sur le plan des loisirs et ce, compte tenu notamment du roulement de personnel. Cependant, Dany a réussi à développer une résilience et à participer dans ce domaine.

Sur le plan du mésoenvironnement communautaire, les résultats de cette étude montrent que plusieurs facteurs environnementaux agissent soit comme des obstacles et conduisent à des processus allant de l’oppression, la résignation à la résilience, soit comme des facilitateurs menant à un processus de libération, en lien avec la réalisation de toutes les habitudes de vie. Dans tous les cas, sauf Christine, les facteurs présents dans ce mésoenvironnement ont surtout joué un rôle de facilitateur. Premièrement, les attitudes et le soutien de la direction d’établissement, de l’enseignant, des élèves, de collègues de travail ont joué un rôle prépondérant pour faciliter la participation sociale de Francis, Dany, Coralie, Antoine, Charlotte, Matisse et Julien. Ensuite, les actions orientées vers une inclusion sociale et professionnelle ont été salutaires pour Francis et Dany. De plus, le fait, pour les intervenants, de respecter les intérêts et les besoins de la personne a réellement aidé Dany. Par ailleurs, comme le souhaite Fougeyrollas (2010), les intervenants ont vraiment fait le choix d’être des facilitateurs en : 1) portant une attention spéciale à la réalité de vie, et non exclusivement aux soins de base, de Francis ; 2) offrant des opportunités de loisirs à Charlotte, Dany et Francis ; 3) fournissant à Francis, Dany, Coralie, Antoine, Charlotte et Matisse, des adaptations en aide technique, humaine ou aménagement et ce, à domicile, à l’école et dans le milieu de travail  ; 4) encourageant une collaboration entre l’éducateur et le parent, comme cela fut le cas pour Dany. Letscher (2012) constate également que les processus d’oppression à libération peuvent varier dans le temps. Dans les cas de Francis et Matisse, un tel changement est apparu. Par ailleurs, Paré et al. (2015) soutiennent que la relation de l’éducateur avec la personne présentant des incapacités intellectuelles est primordiale pour engager un changement réel. L’analyse des données de cette étude permet de voir clairement que de saines relations ont conduit à des processus de libération dans les cas de Francis, Matisse, Dany, Coralie et Antoine.

Dans le mésoenvironnement communautaire, pour le cas de Matisse, il y a lieu de retenir, à l’instar de Paré et al. (2015), que les attitudes et le soutien de l’entourage de la direction d’école, des enseignants, des éducateurs spécialisés, des pairs, des amis et des parents des amis sont étroitement liés à la résilience de la personne présentant des incapacités intellectuelles. Dans le même ordre d’idées, tout comme le mentionnent Verdonshot et al. (2009a), l’accès à des services variés et de stimulation dans l’environnement physique, ainsi que l’existence d’un soutien social ont été pertinents pour l’épanouissement de Matisse.

Tous les cas font ressortir l’importance d’un contexte favorable à l’autonomie, des opportunités de faire des choix ou de participer dans les prises de décision, tout comme le préconisent Verdonshot et al. (2009a). L’autodétermination de Francis, de Dany et de Julien a pu se développer au sein même de leur communauté, dans leur milieu de travail, ou encore avec Matisse, par le partage de vécu dans les universités. Caouette et Lachapelle (2014) soulignent l’importance de favoriser l’autodétermination de la personne. De plus, toutes les personnes présentant des incapacités intellectuelles mentionnées dans cette étude ont pu développer des habiletés relationnelles et des habitudes de vie, des facteurs propices au développement de la participation sociale, selon Cisneros, Barbeau, Charrette, Léveillé et McKerral (2009-2010) ou Lefebvre, Levert et Gauvin-Lepage (2009-2010).

Tous les cas ont pu bénéficier d’un accompagnement sur le plan de l’aide humaine, technique ou des aménagements dans les domaines des responsabilités, de la communication, des relations interpersonnelles, de l’habitation, des déplacements, de la nutrition, de la condition corporelle et des soins personnels. Effectivement, Francis a pu bénéficier d’un prototype de fauteuil électrique comme aide technique alors que Dany se sert de matériel adapté à sa motricité spastique du côté droit pour cuisiner ou réaliser d’autres activités. Un aménagement du domicile ou encore des tâches de travail a été octroyé dans tous les cas. Tous les cas analysés ont besoin d’une humaine pour la réalisation de leurs activités quotidiennes et leur rôle social. Paré et al. (2000) retiennent que ces éléments sont essentiels pour permettre de favoriser une pleine participation sociale. Il faut donc saluer cet apport de la société québécoise et l’encourager pour toutes les autres personnes vivant des situations de handicap. Les résultats montrent clairement la pertinence de ces accommodements sous toutes ses formes puisque la participation sociale s’est nettement améliorée.

Il est possible de remarquer que l’intervention a été adaptée en fonction des goûts, des intérêts et des préférences de la personne. Cela a été le cas pour Antoine, Francis, Julien, Dany et Matisse, pour le choix de poursuivre une activité de travail, ou encore chez Charlotte, Dany, Matisse, dans le domaine des loisirs. Il s’agit d’une composante cruciale dans l’élaboration d’un projet de vie (Coggins et al., 2009)

Plusieurs chercheurs (par ex., Fougeyrollas, 2010 ; Letscher, Parent, & Beaumier, 2008) mentionnent que les intervenants doivent faire preuve de créativité et l’encourager chez les individus pour accroître la participation sociale des personnes en situation de handicap. Les données de l’étude montrent que Dany a développé par lui-même une écriture simplifiée qui s’apparente à l’ortograf altêrnativ (Langevin, Dionne, & Rocque, 2004), une méthode d’écriture qui a été développé par l’équipe du Groupe Défi apprentissage de l’Université de Montréal (Chouinard, 2004). De cette manière, Dany s’est servi de textes courts pour exprimer ses émotions ou pour la gestion de sa colère. L’écriture a ainsi pu, pour lui, devenir un moyen d’échanges et de communication.

Sur le plan du microenvironnement personnel, Deslandes (1996, 2005, 2007) ainsi que Letscher, 2012) indiquent que la structure familiale, le style parental et les pratiques parentales peuvent être des obstacles ou des facilitateurs au développement de la participation sociale de la personne présentant des incapacités intellectuelles. Dans cette étude, les résultats indiquent que la structure familiale a pris différentes formes. Elle a fait appel, pour Julien, à des relations avec sa conjointe et pour Christine, avec son conjoint. Les résultats montrent que les relations familiales furent positives pour Dany alors qu’elles ont conduit à une séparation pour Dany et à un désengagement pour Coralie.

Selon Deslandes (1996, 2005, 2007), le style parental renvoie aux attitudes et au soutien des parents. Le style peut prendre, entre autres, plusieurs formes : 1) Protecteurs ; 2) Absent ou distants ; 3) Défenseurs. L’analyse des données a permis de cerner que les parents ont été absents ou distants pour Francis, Coralie, Antoine, Charlotte, Matisse, Christine et Julien avec une faible participation. La mère de Dany est considérée comme un parent défenseur en ayant donné du soutien, des conseils, de la flexibilité, des opportunités de prendre des décisions et s’autodéterminer. Malheureusement, dans l’étude, la plupart des cas analysés soit Francis, Coralie, Antoine, Charlotte, Christine et Julien ont été retirés du domicile des parents pour être transférés en institution spécialisée ou en foyer de groupe. Selon Lindstrom, Doren, Metheny, Johnson et Zane (2007) et Letscher (2012), le style parental défenseur est un facteur déterminant pour favoriser une pleine participation sociale chez la personne vivant des situations de handicap.

Le cas de Dany, avec le soutien d’un parent défenseur, fait ressortir l’importance : 1) de l’acceptation et la connaissance des différences de l’enfant par les parents ; 2) de la mise en place d’activités structurées de participation ; 3) de la communication ; 4) des confidences ; 5) de l’utilisation de l’humour ; 6) d’une vision positive de l’avenir ; 7) du soutien de la fratrie et d’autres membres de la famille. Dany et Julien illustrent le constat de Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011) ainsi que celui de Paré et al. (2000) qui rappellent que la relation familiale ou conjugale peut favoriser ce qu’il y a lieu d’appeler des processus de libération.

Pour Fougeyrollas (2010), des facteurs individuels, en termes de capacités, sont étroitement reliés à ce que Letscher (2012) appelle des processus d’oppression, de résilience ou de libération et au développement de la participation sociale des personnes présentant des incapacités intellectuelles. Les résultats de l’étude montrent que ces facteurs sont variés. Il peut s’agir : 1) d’un sourire pour Francis ; 2) d’un contact par les yeux pour Charlotte ; 3) d’un intérêt particulier, par exemple pour la lecture chez Matisse, pour un loisir chez Charlotte ou pour une activité manuelle chez Dany ; 4) de la gestion des émotions chez Dany et Antoine ; 5) des habiletés sociales chez Christine et Julien ; 6) d’une fierté à échanger chez Matisse. Ces facteurs individuels ont joué un rôle très facilitant chez les participants et ils rejoignent ceux qui sont décrits par Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011) en lien avec l’estime de soi de la personne, une identité positive, des habiletés relationnelles, l’expression des émotions, la vie active, des expériences diversifiées, la maîtrise de soi et l’optimisme. La capacité d’adaptation psychosociale est un autre facteur individuel qui permet à la personne d’avoir une meilleure participation sociale selon Hamelin, Jourdan-Ionescu et Boudreault (2015). Cela apparaît plus particulièrement avec les cas de Coralie, de Christine, de Dany et d’Antoine. Par ailleurs, le cas de Matisse fait ressortir une motivation et une autodétermination, des facteurs individuels qui sont retenus par Holwerda, van der Klink, de Boer, Groothoff et Brouwer (2013) ou encore Caouette et Lachapelle (2014).

Conclusion

Des obstacles et des facilitateurs au développement de la participation sociale sont présents dans l’environnement de personnes présentant des incapacités intellectuelles et permettent d’identifier des processus de résistance active, allant de l’oppression, la résignation, la résilience à la libération. Le macroenvironnement sociétal met en évidence l’importance des services d’appoint résidentiels, des orientations politiques en matière d’inclusion et d’égalité des chances, des services de transport, des programmes de compensation financière, des programmes publics d’assurance invalidité, des actions des organismes de soutien. Le mésoenvironnement communautaire renvoie : 1) aux attitudes et au soutien et des personnes de l’entourage ; 2) aux actions orientées vers une approche d’inclusion sociale et professionnelle, d’autodétermination de la personne, des opportunités de développer la participation sociale, des adaptations en aide technique, humaine ou aménagement à domicile, à l’école et dans le milieu de travail, une collaboration entre l’éducateur et le parent. Dans le microenvironnement personnel, des relations positives entre les membres de la famille, avec le conjoint, un style défenseur, avec un rôle d’aidant naturel, des pratiques visant le développement de la participation sociale du jeune sont des facilitateurs. À l’inverse, une séparation, un désengagement des parents, un style protecteur, absent ou distant, des attentes ou des aspirations peu élevées à l’égard de l’enfant sont des obstacles. Il est possible de relever également des facteurs individuels, en termes de capacités, qui influent sur le développement de la participation sociale et des processus d’oppression, de résilience et de libération. Outre ces résultats, il faut rappeler les limites inhérentes à une étude de cas exploratoire à partir de trois informateurs clés, ce qui a pu permettre tout de même de faire ressortir la dynamique des processus de résistance active chez des personnes présentant des incapacités intellectuelles. Il y a lieu de poursuivre cette démarche de recherche visant à qualifier ces processus chez une même personne ou un groupe de participants et à mettre en place des dispositifs permettant à la personne de s’autodéterminer, de construire son identité, de s’engager dans la société et développer sa participation sociale.