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Introduction

Communiquer est un droit fondamental reconnu dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Organisation des Nations Unies [ONU], 2006). Plus précisément, il est exigé des États Parties qu’ils garantissent la liberté d’expression et d’opinion en recourant à tous les moyens de communication nécessaires. Par ailleurs, l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, 2016) préconise que l’éducation à la communication soit considérée comme priorité absolue, ceci dans le but d’offrir la possibilité à toute personne de s’exprimer, d’interagir, de faire part de ses besoins, de ses douleurs ou encore de ses choix. En d’autres termes, il s’agit de permettre aux personnes d’être davantage actrices de leur vie et d’augmenter ainsi, leur participation sociale (Fougeyrollas, 2010). Cet article s’intéresse à la manière dont il est possible d’accompagner, par le biais d’une recherche-action participative (RAP), les professionnels dans l’élaboration de projets individualisés visant à augmenter les habiletés communicatives des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI). L’article débute par une brève présentation du développement des premiers stades de la communication et des particularités liées à la DI. La nécessité de promouvoir la mise en place de projets individualisés auprès d’adultes présentant une DI et ayant peu ou pas de langage, visant l’amélioration des habiletés communicatives, est ensuite discutée. Le processus de recherche s’appuyant sur la méthode des RAP est ensuite exposé. Finalement, les résultats concernant tant le processus de recherche mis en place que les effets sur les habiletés communicatives des adultes présentant une DI ayant peu ou pas de langage oral sont présentés.

Le développement des premiers stades de la communication : l’importance de l’interlocuteur

Dès sa naissance, le bébé se manifeste par des mouvements, des expressions faciales, des pleurs ou encore des vocalisations. L’adulte va alors attribuer un sens à ces comportements et y répondre. Ainsi, la qualité du développement des premiers stades de la communication dépend en grande partie de la capacité de l’interlocuteur à attribuer une intention communicative aux comportements observés chez l’enfant (Bruner, 1987; Nader-Grosbois, 2006). Sur cette base, les premières routines de communication vont s’installer et l’enfant va petit à petit découvrir que par ses comportements, il peut agir sur son environnement (Gremaud, 2015; Nader-Grosbois, 2006). Le développement du contact oculaire, de l’attention conjointe ou encore des gestes vont ensuite permettre à l’enfant d’indiquer à son interlocuteur sur quoi porte son attention, ainsi ses comportements deviennent peu à peu intentionnels. Dans un premier temps, ils seront non conventionnels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas toujours compris ni acceptés par l’entourage (Rowland, 2014). Il peut par exemple s’agir de mouvements du corps ou des vocalises non spécifiques. Petit-à-petit, des comportements tels que le pointage, l’orientation triangulaire ou encore des gestes naturels fonctionnels comme tendre la main paume ouverte pour demander quelque chose ou encore hocher la tête pour dire « oui » vont apparaître, ils continueront à être utilisés tout au long de la vie, ces gestes sont conventionnels. Ils permettent de pallier l’utilisation du langage orale ou de préciser le message énoncé. De plus, les auteurs mentionnent que « comme leur nom l'indique, ces gestes sont le résultat d'une convention entre un signifié (le concept à représenter) et un signifiant (le geste). » (Guidetti, Turquois, Adrien, Barthélemy et Bernard, 2004, p. 132-133). Ils reposent sur un code partagé par les membres d’un même groupe culturel. Ces gestes sont considérés comme des étapes transitoires vers l’acquisition du langage, selon la perspective de Bates, Benigni, Camaioni et Volterra (1979) qui postule une continuité entre geste et langage (Bernard, Guidetti, Adrien et Barthelemy, 2002). Ainsi, c’est dans le cadre de routines régulées par l’interlocuteur que ces gestes apparaissent suivis des premiers mots (Coquet, 2005). En conclusion, l’environnement joue un rôle majeur et peut faciliter ou entraver le développement de la communication. Marcos et ses collaborateurs (2000) démontrent par exemple que le mode de garde des enfants peut avoir une forte influence. Les enfants accueillis dans les milieux extrafamiliaux présentent des scores plus élevés que leurs pairs gardés par un assistant maternel ou par leurs parents, en ce qui concerne la longueur moyenne des énoncés, le nombre de tours de parole ainsi que celui des énoncés compréhensibles. Les auteurs attribuent ces différences au fait que les enfants entendent une quantité de langage plus importante.

Les particularités du développement de la communication dans le champ de la déficience intellectuelle

Le développement des habiletés communicatives des enfants présentant une DI suit les mêmes étapes que celles des enfants « neurotypiques » (Nader-Grosbois, 2006). Néanmoins, certaines particularités cognitives peuvent l’affecter. Son développement pourrait alors être ralenti ou entravé (Cataix-Nègre, 2011). Julien-Gauthier, Dionne, Héroux et Mailhot (2012) précisent que « le développement est d’autant plus lent que les incapacités sont importantes, il demeure incomplet sur plusieurs plans. » (p. 104). Ce constat est soutenu par l’expertise collective de l’INSERM (2016) qui spécifie que, « quel que soit le niveau de développement cognitif et le degré de déficience des participants, les capacités langagières se situent systématiquement en deçà de l’âge chronologique. » (p. 513).

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait. Premièrement, la DI porte atteinte aux processus cognitifs qui ont pour effet de ralentir le développement de certaines habiletés. Rondal (2006) indique que les particularités neurologiques de différents syndromes génétiques comme la trisomie 21, le syndrome de Williams ou encore celui de l’X-fragile ont un impact sur le développement langagier. Par ailleurs, l’analyse des profils linguistiques de ces différents syndromes montre de fortes variabilités inter-syndromiques et intra-individuelles (Rondal, 2006), aussi une évaluation précise du développement de la communication est préconisée pour mettre en place un projet individualisé répondant aux besoins des personnes concernées.

Deuxièmement, de nombreux auteurs rapportent que la pauvreté des apports langagiers adressés aux enfants présentant une DI pourrait impacter le développement de la communication (Cataix-Nègre, 2011; Julien-Gauthier et al., 2012; McCathren, 2010). En effet, le langage s’acquiert grâce à des situations d’interaction riches. Or, lorsque l’enfant manifeste peu d’expressions ou lorsqu’il répond de manière succincte aux incitations communicatives, les interlocuteurs ont tendance à produire moins de langage. Pour ces enfants, le passage entre les comportements communicatifs non conventionnels à conventionnels ou encore au langage oral n’est pas simple et peut ne jamais se faire. L’introduction d’un système de communication améliorée et alternative (CAA) est alors nécessaire pour permettre à l’enfant de communiquer au moyen de symboles abstraits avec son entourage (Branson et Demchak, 2009).

Promouvoir la mise en place de projets individualisés auprès d’adultes présentant une déficience intellectuelle

Les particularités du développement du langage des enfants présentant une DI impliquent qu’à l’âge adulte, il pourrait rester inachevé (INSERM, 2016).  Ainsi, les personnes présentant une DI devraient pouvoir continuer de bénéficier d’opportunités d’apprentissage en lien avec les habiletés communicationnelles et cela tout au long de la vie. Pourtant, le passage à l’âge adulte et l’avancée en âge s’accompagnent souvent d’une diminution des possibilités de communiquer. En effet, les milieux socio-éducatifs ou résidentiels peuvent être peu stimulants (Walker, 2003). La vie en institution est faite de routines laissant de faibles opportunités pour formuler une demande, interagir socialement voire fournir ou rechercher une information. Schalock et al. (2005) indiquent que le manque d’opportunités de communication a un impact négatif sur la qualité de vie des personnes concernées. Sans une communication fonctionnelle, l’individu peut se retrouver isolé et n’avoir que peu d’emprise sur sa vie. Bambara et Koger (2005) indiquent que donner l’occasion à la personne d’exprimer ses choix est essentiel pour lui permettre de préciser ses préférences et d’accéder ainsi à un certain niveau de contrôle sur sa vie. De plus, il est reconnu que la plupart des problèmes de comportement des adultes présentant une DI sont occasionnés par des habiletés communicatives insuffisantes ou déficitaires (Lloyd et Kennedy, 2014; Walker et Snell, 2013). Sands et Wehmeyer (2005) mentionnent également qu’une réduction de ces troubles peut être observée lorsque la personne a la possibilité de communiquer. 

Healy et Noonan-Walsh (2007) mettent en lumière les difficultés rencontrées par les professionnels dans l’accompagnement des personnes adultes présentant une DI et ayant peu ou pas de langage oral. Ils relèvent, par exemple qu’ils peinent à se faire comprendre et à interpréter certains comportements communicatifs. De plus, Hagan et Thompson (2014) indiquent qu’il est rare que les personnes présentant une DI et ayant peu ou pas de langage oral bénéficient de moyens de CAA adaptés. Ils relèvent également que les connaissances lacunaires de certains professionnels dans ce domaine constituent un frein majeur à l’établissement d’un projet individualisé visant à améliorer les habiletés communicatives de ces personnes.

Objectifs

Le premier objectif de cette recherche est d’accompagner les professionnels, par le biais d’une RAP, dans la mise en place de projets individualisés visant l’amélioration des habiletés communicatives des personnes adultes présentant une DI et de documenter leurs avis concernant la méthode employée. Le deuxième objectif est de décrire les interventions mises en place et de mesurer leurs effets sur les habiletés communicatives des adultes présentant une DI ayant peu ou pas de langage oral.

Méthode

Cette recherche a suivi les principes méthodologiques des RAP (Reason et Bradbury, 2007). Elle permet, au travers d’un processus de recherche et d’une démarche participative, de développer une action ou de résoudre une problématique identifiée par les professionnels. Cette approche favorise ainsi la mobilisation et le partage des connaissances autour d’un projet de recherche (Anadón, 2007). En ce sens, elle facilite l’implémentation de nouveaux outils et soutient les changements dans les pratiques professionnelles. Elle présente également l’avantage de favoriser la participation et l’autodétermination des professionnels impliqués (Camden et Poncet, 2014). Pour conclure, elle facilite le transfert des connaissances entre la recherche et le terrain (Lemire, Souffez et Laurendeau, 2009).  

Participants

La recherche a été initiée par un responsable d’un établissement socio-éducatif (ESE). Il souhaitait proposer aux professionnels d’être accompagnés dans l’établissement de projets individualisés visant à améliorer les habiletés communicatives des personnes présentant une DI. L’échantillon se compose de 10 professionnels de quatre équipes éducatives. Les équipes éducatives ont été sélectionnées par le responsable sur la base deux critères : 1) accueillir des personnes présentant une DI et ayant peu ou pas de langage oral; et 2) rencontrer des difficultés dans l’élaboration de projets individualisés liés à la communication. Chaque équipe a été responsable de désigner deux ou trois professionnels souhaitant participer à la recherche. Deux personnes référentes de l’ESE, soit une psychologue et une responsable pédagogique, ont également pris part à la recherche. Les professionnels ont ensuite sélectionné les personnes présentant une DI avec lesquelles elles allaient mettre en place un projet individualisé. La sélection s’est faite sur la base des critères suivants : 1) se situer dans les premiers stades de développement de la communication; et 2) ne bénéficier d’aucun suivi thérapeutique spécifique dans le domaine de la communication au moment de la sélection. L’échantillon se compose de huit personnes.

Participants : professionnels (n=10). Dix professionnels de quatre équipes éducatives ont participé à la recherche, deux d’entre eux n’ont pas suivi l’ensemble du processus de recherche, car ils ont quitté l’ESE au cours de la recherche. Ces professionnels accompagnent quotidiennement, 6 à 8 personnes présentant une DI dans des groupes éducatifs au sein de l’ESE. La plupart (n=9) sont des femmes. La moyenne d’âge est de 33,3 ans (min : 27; max : 47). La majorité (n=8) a une formation d’éducateur, tandis que deux ont un diplôme d’assistant socio-éducatif. Aucun d’entre eux n’a bénéficié de formation spécifique dans le domaine de la communication, hormis les cours dispensés dans leur formation de base.

Participants : personnes présentant une déficience intellectuelle (n=8). Durant le processus de recherche, des projets individualisés ont été proposés à quatre femmes et quatre hommes présentant une DI. Ils sont âgés en moyenne de 45 ans (min : 19; max : 56). Tous ont un diagnostic de DI, deux présentent également un trouble du spectre de l’autisme. Une personne présente une déficience auditive sévère. Tous vivent dans les groupes éducatifs de l’ESE. Chaque personne possède une chambre individuelle, les espaces communs sont partagés. Quatre d’entre elles y résident depuis plus de 33 ans. Les quatre autres y sont établis depuis moins de cinq ans, ils vivaient auparavant dans l’internat d’un autre ESE. Quatre personnes travaillent à temps partiel dans les ateliers protégés de l’ESE, les autres n’ont pas d’activités professionnelles. Quatre d’entre elles bénéficient d’un accompagnement ergothérapeutique, les autres n’ont pas de suivi particulier. En ce qui concerne les habiletés communicatives, tous ont une communication intentionnelle et s’expriment par des vocalises, des gestes conventionnels et non conventionnels, seuls quatre atteignent une communication symbolique par l’usage de quelques mots. Aucun n’a accès à un système de communication améliorée et alternative.

Instruments de collectes des données

Questionnaires. Un questionnaire a été proposé aux professionnels afin de documenter leurs opinions concernant la méthode employée. Le questionnaire a été élaboré par l’équipe de recherche sur la base du concept de validité sociale. Trois éléments composent la validité sociale d’une procédure : la signification sociale des objectifs, l’adéquation des procédures et l’importance sociale des effets (Clément et Schaeffer, 2010; Foster et Mash, 1999; Wolf, 1978). Le questionnaire se compose de deux parties. La première permet aux professionnels d’indiquer, en répondant à des questions oui/non et des questions ouvertes, s’ils considèrent que les buts de la recherche ont été atteints et si la recherche a répondu à toutes leurs attentes (signification sociale des objectifs). La deuxième partie est composée d’une échelle de Likert en 5 points et invite les répondants à préciser leur degré de satisfaction quant au matériel utilisé, au déroulement des séances de travail, à l’investissement demandé et aux retombées de la recherche (adéquation des procédures et importance sociale des effets). La dernière question était ouverte et invitait les professionnels à commenter leurs réponses.

Matrice de communication (Rowland, 2014). La Matrice de communication (MC), traduite en français de Rowland (2014), a été utilisée comme instrument pré et post-test afin de mesurer les effets de l’intervention liée au projet individualisé. Cet outil d’évaluation a été développé spécifiquement pour déterminer le niveau de communication de personnes en situation de handicap dans les premiers stades de développement de la communication (Rowland, 2011; Rowland et Fried-Oken, 2010). Il est particulièrement utilisé avec des enfants présentant des difficultés de développement du langage, mais peut également être employé avec des adultes ayant peu ou pas de langage oral. Il couvre les deux premières années du développement typique de la communication. Comme beaucoup d’autres grilles d’évaluation, elle est basée sur une approche pragmatique de la communication qui postule une continuité entre le développement prélinguistique et linguistique (Bates et al., 1979; Bruner, 1987).

La MC se compose de 24 questions réparties en 4 grilles. Chacune des grilles évalue une raison fondamentale de communiquer : a) refuser (3 questions); b) obtenir (9 questions); c) s’engager dans des interactions sociales (8 questions); et d) fournir ou chercher de l’information (4 questions). Les sept niveaux de compétences décrits permettent d’évaluer les premiers stades de la communication. Les niveaux de compétences se distinguent par les comportements utilisés pour communiquer. Pour chaque question, le répondant doit indiquer si oui ou non la personne est capable de le faire. Si la réponse est positive, le répondant doit entourer les comportements communicatifs utilisés par la personne. Il ne doit cocher que les comportements que la personne manifeste de manière spontanée et régulière. Le type de comportements utilisé va permettre de déterminer le niveau de communication de la personne. Les réponses sont synthétisées dans un profil qui met en évidence quel est le niveau de communication de la personne dans les différentes grilles (pour une présentation complète de l’outil, de ses fondements et de ses propriétés : Gremaud, 2015; Rowland, 2011). 

Déroulement

La recherche s’est déroulée entre janvier 2016 et février 2017. Douze séances de travail ont été planifiées (une fois par mois), durant lesquelles tous les participants et les chercheurs se sont rencontrés.

Lors de la première séance, la Matrice de communication (Rowland, 2014) a été présentée par les chercheurs. Les professionnels ont ensuite complété le profil de communication des participants qui avaient été préalablement sélectionnés (T1). Lors de la deuxième séance, en fonction de chaque profil, un projet individualisé a été élaboré et des objectifs pédagogiques ont été définis pour chaque participant présentant une DI. Durant la troisième séance, le groupe a échangé sur les interventions possibles à mettre en place pour atteindre les objectifs pédagogiques. Les échanges ont permis de partager les expériences et les pratiques de chacun. La mise en place des interventions a nécessité l’introduction d’aménagements. Ces derniers portent sur des modifications de l’environnement physique et social ou sur l’introduction de stratégies par exemple l’oubli d’un objet indispensable qui offre l’opportunité à la personne de le demander. Les professionnels ont ensuite filmé les interventions réalisées et les ont présentées lors des séances suivantes. La méthode employée a permis aux professionnels de raconter ce qui a été mis en place sur la base d’actions filmées. Les discussions de groupe qui ont suivi ont notamment été utiles pour affiner, modifier ou préciser tant les objectifs pédagogiques que les interventions proposées. En d’autres termes, les séances entre les membres du groupe de travail visaient à questionner et à améliorer les pratiques professionnelles. Toutes les séances ont été filmées et transcrites. La transcription ainsi qu’un document de synthèse ont été donnés aux professionnels après chaque séance. Il rappelait pour chaque participant présentant une DI les objectifs pédagogiques définis ainsi que les interventions à mettre en place.

Finalement, après une année, lors de la dernière séance, les membres de chaque équipe éducative ont complété un deuxième profil de communication (T2). Le questionnaire a été distribué à la fin de la dernière séance. Un délai de deux semaines a été laissé aux professionnels pour le remplir.

Analyse des données

Le traitement des données s’est déroulé en plusieurs étapes. Les questionnaires ont été analysés, comme le nombre de participants était faible, des indices descriptifs ont été utilisés pour documenter les réponses des professionnels. La présentation des résultats au questionnaire est complétée par des commentaires laissés à la fin du questionnaire. En ce qui concerne la description des interventions et de leurs effets auprès des personnes adultes présentant une DI, un tableau comptabilisant les objectifs pédagogiques posés et les aménagements proposés pour chaque participant présentant une DI a été élaboré. Finalement, les résultats des profils complétés aux T1 et T2 ont été analysés. Une procédure de codage des profils de communication a permis d’attribuer un score aux réponses aux questions de la matrice pour chacun des niveaux. Deux points ont été accordés si la personne parvenait à manifester les comportements souhaités de manière régulière et spontanée. Si le comportement était considéré comme émergent (manifestations irrégulières et incitées), un point a été attribué. Aucun point n’était attribué lorsqu’aucun comportement n’était manifesté. Afin de comparer les résultats aux T1 et T2, des analyses statistiques réalisées à l’aide du logiciel IBM SPSS (version 24) ont été effectuées. Étant donné que la taille de l’échantillon est faible et que la distribution des données ne suit pas une loi normale, le test non paramétrique de Wilcoxon a été exécuté. La présentation des résultats est complétée par la description, pour chacun des participants présentant une DI, d’une intervention illustrée par des extraits de verbatims issus des séances de travail.

Résultats

Les résultats sont présentés en deux parties : 1) Description des avis des professionnels concernant la méthode employée; et 2) Description des interventions menées auprès des personnes présentant une DI et de leurs effets sur les habiletés communicatives.

Description des avis des professionnels concernant la méthode employée

Sept professionnels ont complété le questionnaire concernant la démarche employée. Les résultats décrivent les trois domaines de la validité sociale : signification sociale des objectifs, adéquation des procédures et importance sociale des effets. 

Signification sociale des objectifs. Les objectifs de la recherche ont été formulés en collaboration avec les responsables de l’institution. Ainsi, elle visait à répondre à des besoins exprimés par les professionnels. Les résultats aux questionnaires indiquent qu’ils sont satisfaits, tous (n=7) précisent que les buts de la recherche ont été atteints. Néanmoins, ils spécifient qu’il a été parfois difficile d’impliquer l’ensemble des professionnels de l’équipe éducative, seuls quatre indiquent avoir réussi à le faire. Un professionnel conseille :

« Il aurait pu être utile que les chercheurs viennent filmer les éducateurs sur les groupes, cela aurait peut-être pu permettre d'impliquer plus les équipes et de pouvoir faire des remarques en temps réel.  ».

Adéquation des procédures. De manière générale, les professionnels sont satisfaits (n=6) voire très satisfaits (n=1) de leur participation à la recherche. Ils expliquent que le déroulement et l’organisation des séances leur ont convenu (n=5). Seules deux personnes répondent de manière plus nuancée et indiquent que le déroulement des séances leur a « plutôt » convenu, sans toutefois donner d’indication complémentaire. En ce qui concerne le matériel utilisé, tous considèrent (n=7) la MC (Rowland, 2014) comme étant un outil d’observation et d’évaluation intéressant et utile dans le cadre de leurs pratiques professionnelles. Les synthèses élaborées suite aux séances de travail ont également été utiles, sauf pour une personne. En effet, bien que les retombées soient positives, ils relèvent tout de même que la participation à la recherche leur a demandé beaucoup d’investissement et d’organisation. Ainsi une personne précise qu’elle n’a pas pu participer à toutes les séances et indique :

« Je n’étais pas toujours disponible aux dates choisies ou quelques fois je n’étais pas disponible pour le projet, car la situation du résident dont je suis référente a été compliquée tout au long de l’année et m’a demandé beaucoup de temps. ».

Une autre explique que les aléas du travail quotidien ont rendu parfois difficile le suivi du projet. Finalement, une personne regrette

« de n’avoir pas eu plus de temps (hors travail quotidien et séances de travail) pour pouvoir préparer les supports à la communication et faire les vidéos ». 

Importance sociale des effets. Tous les professionnels (n=7) considèrent que le fait de participer à la recherche leur a permis d’améliorer leurs compétences afin de mieux accompagner les personnes présentant une DI et ayant peu ou pas de langage oral. Une personne déclare :

« La recherche nous a vraiment obligés à nous remettre en question, à communiquer et à réfléchir à une situation. C’était un peu comme une analyse de l’activité. En fait, par rapport aux vidéos, cela demandait d’analyser, de se positionner, de dire comment on réagissait, pour pouvoir ensuite mieux le faire. ».

Les sept professionnels se sont sentis soutenus dans leurs activités professionnelles. De plus, ils ont tous observé des changements, une professionnelle explique :

« La recherche a modifié notre attitude quand on revient sur le groupe. Ça donne des changements à long terme. ».

Si la recherche était reconduite, tous recommanderaient (n=7) à d’autres professionnels d’y participer. 

Description des interventions menées auprès des personnes présentant une DI

La mise en place des projets individualisés a induit la pose de 22 objectifs pédagogiques. Pour mener les interventions, il a été nécessaire d’introduire 31 aménagements. Ces derniers portent sur des modifications de l’environnement physique et social ou sur l’introduction de stratégies. Pour chaque participant, un exemple d’intervention est proposé ci-dessous.

Léon. Un objectif concernait l’émergence de comportements dans différentes situations de choix. Par exemple, deux fruits différents ont été proposés, hors de portée lors de la collation afin de favoriser les demandes. Cette stratégie a été utilisée durant d’autres moments de la journée afin de faciliter la généralisation des comportements attendus. L’utilisation de cette stratégie a permis de favoriser l’apparition de comportements communicatifs conventionnels pour obtenir comme le pointage ou tendre la main paume ouverte. 

Mario. Un des objectifs concernait l’aménagement de situations visant à favoriser les comportements conventionnels pour refuser. Ainsi la stratégie de « ruptures de rituels » a été introduite à certains moments de la journée. Par exemple, lors d’une sortie, la balade étant terminée et la collation prise, le professionnel propose de repartir marcher, au lieu de rentrer à l’ESE en bus comme habituellement. Cette stratégie permet d’offrir l’opportunité à la personne de refuser ce qui lui est proposé. Le participant a alors manifesté son refus en utilisant des vocalisations spécifiques et en regardant successivement le bus et le professionnel.

Léa. La personne communique verbalement, elle utilise un, voire deux mots. L’objectif était de favoriser la production de verbes. La stratégie des « réponses inadéquates » a été employée afin d’amener la personne à clarifier ses propos. Par exemple, au moment du repas, la participante va régulièrement vers le cuisinier demander le menu en n’exprimant qu’un mot: « Pizza ». Le cuisiner répond alors : « Ah tu veux m’aider à faire la pizza !». L’objectif a été partiellement atteint, la personne manifeste des comportements émergents en ce qui concerne l’emploi d’énoncé à deux éléments.

Anne. Le principal objectif posé concernait les opportunités de choix. Chaque matin, deux foulards ont été présentés à distance puis, afin de favoriser la généralisation, d’autres choix ont été introduits, comme ceux des chaussures pour partir en balade. L’objectif a été atteint, la personne manifeste des comportements conventionnels lorsque des choix lui sont proposés par exemple, elle pointe le vêtement désiré. Les stratégies utilisées ont également permis de favoriser l’autodétermination de la participante selon les propos du professionnel :

« Même la dernière fois j’avais été surprise, on était les seules à entrer dans le vestiaire et elle était allée chercher la paire de chaussures qu’elle voulait et en plus une paire de chaussures que je ne lui avais encore jamais fait choisir. ».

Julie. L’un des objectifs travaillés concernait les opportunités de choix. Le moment de la collation a été utilisé pour aménager une situation propice aux choix. Dans un premier temps, deux yaourts ont été proposés. La participante rencontrait des difficultés pour choisir. Les discussions de groupe ont permis de modifier la situation, la personne a été invitée à prendre son yaourt directement dans le frigidaire ; les possibilités de choix ont donc été augmentées. Le professionnel explique :

« Dans cette situation (ndlr : choix dans le frigo), je trouve qu’elle arrive plus facilement à choisir. ».

Suite à l’intervention, la participante a manifesté des comportements conventionnels, elle tend la main paume ouverte ou encore regarde alternativement l’objet désiré et le professionnel.

Blaise. Un des objectifs travaillés avec ce participant concernait le fait de favoriser les comportements de demande en utilisant un système CAA. Le moment du repas a été choisi pour travailler cet objectif. Une carafe d’eau est à disposition au milieu de la table lors du repas. Trois pictogrammes symbolisant un verre sont disposés devant le participant. Ils permettent de réguler la demande et donnent l’opportunité à la personne de choisir à quel moment elle désire son verre d’eau pendant le repas.  Le professionnel explique qu’avec cet aménagement :

« Ça lui permet de demander de manière appropriée pour qu’on lui serve. ».

Cette situation a permis l’introduction de symboles concrets pour communiquer.  

Jules. Le principal objectif travaillé avec ce participant a été le choix entre trois activités durant les moments de loisir aux moyens de symboles concrets. Dans un premier temps, les activités ont été présentées à l’aide d’objets. Le professionnel étayait le comportement attendu en pointant successivement chacune des possibilités. Les propos suivants présentent la procédure employée :

« Ça marche bien avec les objets (ndlr : Le participant tend l’objet représentant l’activité désirée et va ranger les autres), alors j’ai fait des photos des trois objets. Là, on commence avec les images en les associant aux objets. Après, il faut voir sur le long terme si on arrive à enlever les objets. ». 

Laure. Les deux principaux objectifs travaillés ont été les choix et les demandes. Le petit déjeuner a été organisé sous forme de buffet permettant à la personne de composer son repas. Le professionnel reste à disposition à proximité pour répondre aux demandes s’il y en a. La participante s’est rapidement montrée capable de composer elle-même son repas par des choix successifs et de demander de l’aide, en tendant, par exemple, au professionnel le pot de miel qu’elle ne parvenait pas à ouvrir. Le professionnel explique : 

« Alors c’est vrai que le matin, ils mangent de manière échelonnée, on s’est dit qu’à ce moment-là, on pouvait organiser les choses différemment. Ça a l’air d’assez bien leur convenir. ». 

Effets sur les habiletés communicatives des participants

En ce qui concerne les effets de l’intervention sur les habiletés communicatives des participants présentant une DI. Le Tableau 1 présente pour chaque participant le nombre d’objectifs pédagogiques travaillés, le nombre d’aménagements proposés, ainsi que les résultats aux pré et post-tests. L’analyse quantitative des résultats aux pré et post-tests montre une différence significative entre les résultats au T1 et au T2 (t = 36, p = 0,012) avec une large taille de l’effet (r = 0,89). Tous les participants (n=8) ont amélioré leur score à la MC, la moitié (n=4) ont augmenté leurs points de plus de 40 %. Pour les autres (n=4), des augmentations comprises entre 16 et 30 % sont observées.

Tableau 1

Synthèse de toutes les interventions proposées et des résultats aux pré et post-tests

Synthèse de toutes les interventions proposées et des résultats aux pré et post-tests

* Participants présentant déficience intellectuelle et ayant peu ou pas de langage

** Les évaluations aux T1 et T2 ont été réalisées à l’aide de la Matrice de communication (Rowland, 2014)

*** Test de Wilcoxon : (t = 36, p = 0,012)

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Discussion

La Convention de l’ONU (2006) exige des États Parties qu’ils mettent en place tous les moyens possibles afin de garantir le respect du droit à la communication des personnes en situation de handicap. L’éducation à la communication tout au long de la vie constitue l’un de ces moyens et doit être considérée comme une nécessité (INSERM, 2016). Ainsi, les professionnels doivent être en mesure de mettre en place des projets individualisés favorisant les apprentissages dans ce domaine. La méthode employée dans cette recherche a permis d’accompagner les professionnels dans cette démarche. L’analyse des questionnaires montre que le travail collaboratif soutient les réflexions menées au sujet de la mise en place d’interventions individualisées visant à favoriser le développement des habiletés communicatives des personnes adultes présentant une DI. Patton (2002) précise que ce type de collaboration permet d’aller plus loin que la seule expression d’idée individuelle. Selon Julien-Gauthier, Héroux, Ruel et Moreau (2013), il est possible que « les participants ajoutent ainsi des commentaires supplémentaires qui vont au-delà de leurs propres réponses originales. » (p. 76). L’utilisation de l’analyse vidéo permet aux professionnels de visualiser leur pratique et de les commenter. Les professionnels ont ainsi adapté une posture réflexive et ont amélioré leurs capacités à analyser leurs pratiques, à les évaluer et à les modifier (Maclean et White, 2007; Tripp et Rich, 2012). Certaines difficultés ont également été relevées par les participants, notamment ce qui concerne leur implication. Participer à la recherche a nécessité un grand investissement, certains professionnels n’ont pas pu assister à toutes les réunions principalement pour des raisons organisationnelles.

Les résultats de cette recherche montrent également que lorsque des interventions individualisées sont proposées, les personnes présentant une DI ayant peu ou pas de langage oral, même d’un âge avancé, peuvent améliorer leurs habiletés communicatives. Ce constat est soutenu tant par les exemples d’intervention proposés pour chaque participant que par les résultats aux pré et post-tests. Par ailleurs, il concorde avec celui de l’expertise de l’INSERM (2016) qui indique que dans la plupart des domaines liés à la communication, les possibilités d’apprentissage ne connaissent pas de limite temporelle. Comme le montre la description des interventions, de multiples situations de la vie quotidienne peuvent être utilisées pour favoriser les opportunités de communication et faciliter tant la mobilisation des habiletés communicatives déjà acquises que l’apprentissage de nouvelles habiletés. La plupart des interventions impliquent la mise en place d’aménagements visant à introduire des ruptures dans les rituels de la vie quotidienne. En conséquence, une vie institutionnelle parfois peu stimulante (Walker, 2003) peut être modifiée par ces ruptures et fournir ainsi des occasions de communiquer. L’ensemble des interventions ont été recensées dans un manuel (Gremaud et Tessari, 2017). Il constitue un outil pour les professionnels désirant mettre en place des projets individualisés visant à développer les habiletés communicatives des personnes adultes présentant une DI.

Les résultats témoignent également du fait que travailler des objectifs pédagogiques concernant les situations de choix dans un contexte social usuel permet à la personne d’exprimer ses préférences au quotidien. De surcroît, cela favorise l’apparition de comportements autodéterminés (Sands et Wehmeyer, 1996). Les progrès d’Anne illustrent ces propos. Suite à l’introduction de choix en lien avec les tenues vestimentaires, elle s’est finalement dirigée d’elle-même vers la paire de chaussures qu’elle souhaitait mettre pour aller en balade. Brown et Brown (2009) précisent, par ailleurs, que c’est par ces apprentissages réguliers que, peu à peu, il sera finalement possible, pour les personnes présentant une DI, de faire des choix plus complexes. 

Limites 

Les résultats de cette étude doivent être interprétés à la lumière de ses différentes limites. Premièrement, le recrutement des participants s’est fait sur la base d’un échantillon proposé par l’établissement socio-éducatif et par les professionnels impliqués dans la recherche. Cette procédure ne permet pas d’assurer une réelle représentativité. Deuxièmement, les professionnels ont procédé eux-mêmes aux évaluations pré et post-tests ainsi qu’à la mise en place des interventions. Cette procédure a été choisie, car l’un des objectifs de la recherche concernait l’accompagnement des professionnels dans la mise en place de projets individualisés visant l’amélioration des habiletés communicatives. Néanmoins, elle ne permet pas de garantir que les évaluations soient menées en toute objectivité. Ainsi, les progrès des personnes peuvent être attribués à l’attention plus soutenue des professionnels sur les comportements communicatifs. Il serait donc intéressant de poursuivre cette recherche afin de vérifier si des progrès similaires peuvent être observés lorsque l’évaluation est réalisée par une personne externe ne connaissant pas les objectifs pédagogiques travaillés. Il serait également intéressant de mener une recherche longitudinale afin de vérifier, d’une part, que la procédure suivie a permis aux professionnels de mettre en place d’autres projets individualisés et d’autre part, que les progrès observés concernant les habiletés communicatives des personnes présentant une DI se maintiennent dans le temps.

Conclusion

Malgré ses limites, cette étude permet d’établir certains constats et quelques recommandations. Le questionnaire visant à documenter les opinions des professionnels concernant la méthode employée montre que le travail collaboratif a eu de nombreuses répercussions positives sur les pratiques professionnelles. Les échanges ont permis de partager les expériences et les pratiques ainsi que de favoriser l’adoption de postures réflexives. Des soutiens devraient continuer à être proposés aux équipes éducatives afin de les accompagner dans cette démarche. Les résultats concernant les effets sur les habiletés communicatives des adultes présentant une DI ayant peu ou pas de langage démontrent l’importance d’aménager l’environnement pour fournir des occasions de communiquer, ce qui contribue à augmenter d’une part les possibilités d’apprentissage et d’autre part, la participation sociale, la qualité de vie et l’autodétermination des personnes présentant une DI.