Corps de l’article

Introduction

La notion de projet de vie est utilisée dans de nombreux domaines tels que le handicap (Jaeger, 2009; Nair, 2003; Nair et Wade, 2003; Pachoud, Leplège et Plagnol, 2009), le développement de l’enfant (Montambault et Paquette, 2005) et de l’adolescent (Castellan et Riard, 2005), le vieillissement (Dubé, Bouffard, Lapierre et Alain, 2005) ou encore les politiques sociales (Calin, 2005; Vidal-Naquet, 2009).

Même si cette notion est courante dans la littérature, ses définitions sont multiples. Par exemple, dans le domaine développemental le projet de vie renvoie à un indicateur qui repose sur une synthèse complexe et dynamique de trois notions : l’élan, sa représentation en fonction du désir et la mobilisation des voies de réalisation qui se poursuit au long de la vie (Castellan et Riard, 2005). Dans le champ du handicap, il peut se définir comme les choix de vie d’une personne (Pachoud et al., 2009). Dans la législation française, les notions de désirs, de besoins et d’aspirations sont mises en avant. En effet, depuis la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, l’explicitation d’un projet de vie constitue le point de départ de la procédure qui mène à la compensation.

Le projet de vie s’inscrit clairement dans la capacité d’autodétermination des individus. Selon la définition de Jecker-Parvex (2007) liée au handicap, l’autodétermination accorde « la possibilité aux personnes d’être véritablement actrices de leur vie et de faire des choix en ce qui concerne leur vie. [...] L’autodétermination implique le droit de vivre selon ses préférences sans que le handicap ne soit un facteur d’exclusion. » (p. 40). Il s’agit donc des capacités d'une personne à faire des choix et à prendre des décisions fondées sur ses propres préférences et intérêts, à vérifier et à réguler ses propres actions, à rester fixée sur ses objectifs et à s’autodiriger (Wehmeyer, 1997). Les individus autodéterminés choisissent et adoptent leurs choix, à partir d’une prise de conscience de leurs besoins personnels dans la poursuite constante de leurs meilleurs intérêts (Martin et Marshall, 1995; Mithaug, 1994).

Dans ce contexte, l’élaboration et la réalisation d’un projet de vie, d’objectifs de vie ou encore d’objectifs personnels en accord avec le concept d’autodétermination ont des conséquences extrêmement positives pour la personne. Des études ont montré que cette démarche est reliée positivement à la satisfaction de vivre et négativement à la dépression (Emmons, 1986), à l’anxiété (Hosen, 1990) et aux troubles physiques et psychiatriques (Nair, 2003). Elle est également source de sens à la vie (Reker et Wong, 1984), favorise le développement personnel (Cross et Markus, 1991), la valorisation de soi (Liber, 1982), le concept de soi (Montambault et Paquette, 2005), la qualité de vie (Thornton et Hakkim, 1997), le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1993), la réussite (Gerber, Ginsberg et Reiff, 1992) et le bien-être psychologique (Dubé, Lapierre, Bouffard et Labelle, 2000; Ryan, Sheldon, Kasser et Deci, 1996; Sheldon et Kasser, 1998).

Du fait de son rôle central dans le parcours développemental, différentes méthodes d’aide à l’élaboration d’un projet de vie ont été proposées. Par exemple, la méthode de gestion des buts personnels a pour objectif d’aider les participants à préciser leurs désirs, buts et aspirations et à les opérationnaliser de manière efficace pour mieux les poursuivre. Cette méthode comporte quatre étapes : 1) l’élaboration - inventaire des désirs, objectifs et projets et sélection des buts concrets à opérationnaliser; 2) la planification - identification des étapes de réalisation de ses objectifs, des obstacles et des ressources personnelles; 3) la poursuite - concentration des ressources afin de réussir à compléter les différentes étapes spécifiées; et 4) l’évaluation de la poursuite du but - évaluation des progrès accomplis et du niveau de satisfaction suite à la complétion du projet (Dubé et al., 2000). Des résultats extrêmement bénéfiques de cette méthode ont été observés sur différents paramètres de santé tels que l’anxiété, le bonheur, le sens à la vie, la détresse et l’expérience de la retraite, ainsi que des répercussions avérées sur la capacité à atteindre des buts personnels. Ces améliorations étaient maintenues six mois après l’intervention. (Dubé et al., 2000)

D’autres exemples d’intervention ont été proposés tels que le Living Well with a Disability (Ravesloot et al., 1998) qui permet d’aider à la poursuite d’objectifs (Ravesloot et al., 2006), le programme ChoiceMaker qui renforce les compétences d'autodétermination, en aidant la personne à identifier ses intérêts, ses forces et ses limites (Martin et Marshall, 1995), Whose Future is it Anyway? qui initie les élèves et les accompagne dans la planification des périodes de transition (Wehmeyer et al., 2004) ou encore le Self-Determined Learning Model of Instruction (Wehmeyer, Palmer, Agran, Mithaug et Martin, 2000) qui impact les résultats académiques et l’atteinte des objectifs scolaires et de transition des élèves (Shogren, Palmer, Wehmeyer, Williams-Diehm et Little, 2012) et est présenté comme ayant un potentiel de soutien universel (Shogren, Wehmeyer et Lane, 2016).

Ces différentes interventions reposent sur l’idée que l’élaboration d’un projet de vie nécessite différentes compétences telles que faire des choix, se connaître, connaître son passé et son environnement, se projeter dans l’avenir, anticiper, planifier, résoudre des problèmes ou encore s’exprimer. Cependant, des études ont montré que ces capacités sont déficitaires chez les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) et en particulier des personnes avec une trisomie 21. Plus précisément, les personnes avec une trisomie 21 ont des difficultés de mémoire épisodiques (Jarrold et Baddeley, 2001), de langage, de communication (Kumin, 1996; Rondal, 1995), de fonctionnement exécutif (Lanfranchi, Jerman, Dal Pont, Alberti et Vianello, 2010), de raisonnement et de production d'idées (Malak, Kotwicka, Krawczyk-Wasielewska, Mojs et Szamborski, 2013). Plus globalement, pour les personnes présentant une DI, ils ont un niveau d'autodétermination limité (Stancliffe, Abery et Smith, 2000; Wehmeyer, Kelchner et Richards, 1995; Wehmeyer et Metzler, 1995), des difficultés de mémoire prospective (Levén, Lyxell, Andersson, Danielsson et Rönnberg, 2008), des occasions limitées de faire des choix, de prendre des décisions et d’exprimer leurs préférences (Houghton, Bronicki et Guess, 1987; Kishi, Teelucksingh, Zollers, Park-Lee et Meyer, 1988; Murtaugh et Zettin, 1990; Stancliffe, 1997; Stancliffe et Abery, 1997; Stancliffe et Wehmeyer, 1995). Leurs choix sont limités et souvent influencés (Wehmeyer et Metzler, 1995) et ils ont une tendance à être dirigé de l’extérieur (Bybee et Zigler, 1999). Ces difficultés vont donc considérablement limiter les capacités de ces personnes à élaborer un projet de vie. De ce fait la plupart des décisions concernant le projet de vie des personnes présentant une DI ont été prises à leur place sans tenir compte de leurs préférences et de leurs intérêts (Hughes et Agran, 1998).

Élaborer un projet de vie occupe donc une place centrale dans le parcours développemental des personnes avec des répercussions extrêmement positives sur des paramètres de santé au sens large, sur la qualité de vie et l’inclusion sociale. Mais cette démarche est complexe notamment pour les personnes présentant une DI. Pourtant, pour ces personnes, les enjeux sont d’autant plus importants que, depuis la loi de 2005 (pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) l’explicitation d’un projet de vie est au centre de la procédure qui mène à la compensation. Dans ce cadre, les chercheurs ont développé, en partenariat avec l’Association Trisomie 21 en France et l’équipe d’orthopédagogie de l’Université de Mons (Professeure Marie-Claire Haelewick) un outil numérique d’aide à l’élaboration d’un projet de vie (Landuran, Haelewick, Bastien, Consel et N’Kaoua, 2018).

Toutefois, tel qu’indiqué, la notion de projet de vie n’est pas clairement explicitée dans la littérature. De ce fait et pour concevoir l’outil, une pré-étude fut réalisée visant à mieux définir cette notion et à mieux comprendre les enjeux qu’elle représente pour les personnes présentant une DI ainsi que pour leurs aidants familiaux et professionnels. Les résultats de cette pré-étude font l’objet de ce présent article.

Méthode

Participants

Un total de 9 jeunes adultes avec une trisomie 21, soit 5 hommes et 4 femmes d’un âge moyen de 29,9 ans (ÉT=6,5) de même que 7 parents et 5 professionnels (4 éducateurs du Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et 1 assistante parcours de vie) ont été interrogés. L’ensemble des participants a été recruté par le biais de l’Association Trisomie 21 Gironde (France). Les adultes avec une trisomie 21 interrogés dans cette étude étaient tous suivis par le SAVS et le SAT (Service d’accompagnement au travail).

Matériel

Les chercheurs ont conçu un questionnaire comportant cinq questions portant sur : 1) la définition du projet de vie ; 2) l’importance de ce projet dans le parcours d’adultes présentant une trisomie 21; 3) la démarche d’élaboration; 4) les difficultés rencontrées dans l’élaboration de ce projet par les différentes parties prenantes (personnes avec une trisomie 21, aidants professionnels et aidants familiaux); 5) et enfin, la valeur ajoutée d'un outil d'assistance numérique.

Procédure

Les participants ont réalisé un entretien d’une heure durant lequel ils ont été invités à échanger sur les différents sujets abordés dans le questionnaire. Ces entretiens semi-directifs ont eu lieu dans les locaux des services d’accompagnement de l’Association Trisomie 21 Gironde ou au domicile des participants.

Analyse des données

Pour l’ensemble des questions, une analyse descriptive et une analyse des données textuelles (analyse lexicale, analyse sémantique et la classification hiérarchique descendante) ont été effectuées à l’aide du logiciel Sphynx Quali (Boughzala, Moscarola et Hervé, 2014).

Résultats

Pour l’ensemble des questions, la richesse lexicale des réponses des parents et des professionnels était supérieure à celle des personnes présentant une trisomie 21.

Définition du projet de vie

Les analyses lexicales des trois groupes montrent que le projet de vie n’est pas perçu de la même manière par les différentes parties prenantes (voir les partie A, B et C de la Figure 1).

Pour les personnes présentant une trisomie 21, il repose sur deux champs sémantiques principaux qui sont les projets de vie quotidienne et les professionnels et fait donc référence à la mise en place de projets de leur vie quotidienne avec l’aide de professionnels. Pour les parents, il s’agit des choix de la personne concernant ce qu’elle souhaite faire dans sa vie avec trois champs sémantiques principaux qui sont la vie, le choix et l’action. Enfin, pour les professionnels, le projet de s’inscrit dans une co-construction et est décrit à l’aide de cinq champs sémantiques principaux : les buts, l’avenir, la personne, le besoin et la famille.

Même si l’analyse lexicale de chaque groupe diffère, l’analyse lexicale globale révèle cinq champs sémantiques principaux qui sont : la vie, les buts, le choix, la personne, l’avenir. Cette analyse est présente dans la partie D de la Figure 1.

Importance du projet de vie dans le parcours des personnes avec une trisomie 21

Un total de 20 personnes sur les 21 interrogées pensent que le projet de vie est quelque chose d’essentiel dans le parcours des personnes avec une trisomie 21 (hormis pour une personne avec trisomie qui estime qu’il s’agit de quelque chose de moyennement important). Avoir un projet de vie est donc essentiel pour les trois groupes.

L’analyse sémantique montre que l’importance de ce projet n’est pas perçue de la même manière pour les personnes avec une trisomie 21 qui le considère uniquement comme un moyen d’atteindre « des objectifs personnels ». Les deux autres groupes (parents et professionnels) considèrent que le projet de vie est important pour tous, qu’il permet de donner une direction au parcours en rendant la personne actrice de son projet et qu’il favorise le développement personnel.

Démarche actuelle de l’aide à l’élaboration du projet de vie

À partir des données issues de ce corpus, les modalités d’aide à l’élaboration du projet de vie restent assez floues pour l’ensemble des parties prenantes et notamment pour les adultes avec une trisomie 21, la plupart déclarant qu’ils ne savent pas comment se déroule cette démarche.

Les trois groupent soulignent l’importance des discussions entre les différentes parties prenantes. Pour les parents et les professionnels, cette démarche repose sur un accompagnement important des personnes centré sur leurs choix et leurs demandes. De nombreuses difficultés peuvent apparaître notamment celles en lien avec la problématique de liberté de choix et d’importance des influences extérieures.

Difficultés des parties prenantes.Difficultés des personnes avec une trisomie 21 perçues par les différentes parties prenantes (par elles-mêmes et par les deux autres groupes). Ce corpus souligne que les difficultés perçues par les adultes avec une trisomie 21 diffèrent de celles perçues par leurs aidants. En effet, pour les personnes avec une trisomie 21, ces difficultés reposent uniquement sur leur propre capacité d’apprentissage et presque la moitié considèrent ne pas avoir de difficulté. Les visions des deux autres groupes (sur les difficultés des personnes avec une trisomie 21) sont similaires. Les difficultés des personnes avec une trisomie 21 perçues par les parents et les professionnels peuvent être répertoriées en deux grandes catégories : les difficultés personnelles et les difficultés externes.

Les difficultés personnelles reposent notamment sur la capacité de choix, la projection dans l’avenir, l’expression de leur projet, la compréhension de certaines notions ou concepts et la connaissance de soi et de leur environnement. Les difficultés externes font référence, dans ce corpus, à la trop grande importance des influences extérieures dans les choix des personnes et également au manque de moyens pour accompagner les personnes dans leurs projets.

Figure 1

Nuages de mots de l’analyse lexicale globale et par groupe

Nuages de mots de l’analyse lexicale globale et par groupe

-> Voir la liste des figures

Difficultés des parents perçues par les différentes parties prenantes. Dans ce corpus, les difficultés des parents perçues par les différents groupes ne sont pas les mêmes. Pour les adultes avec une trisomie 21, leurs parents n’ont pas de difficultés particulières même si certains rapportent que cela peut être difficile. Les difficultés des parents perçues par eux-mêmes concernent la communication et la collaboration entre les différentes parties prenantes, le manque de temps et la non-visibilité de l’avenir de leur enfant. Enfin pour les professionnels, les parents ne feraient pas assez confiance aux autres parties prenantes et manqueraient de connaissances concernant l’élaboration du projet de vie.

Difficultés des professionnels perçues par les différentes parties prenantes. Globalement, ce corpus montre que les adultes avec une trisomie 21 ne perçoivent pas de difficultés particulières pour les professionnels. Les deux autres groupes ont une vision relativement commune de ces difficultés. Les difficultés des professionnels perçues par les parents et les professionnels eux-mêmes portent sur la communication, la coordination entre les différentes parties prenantes et le manque de ressources (moyens, outils adaptés ou encore formations).

Intérêt d’un outil numérique. Globalement, ce corpus montre que l’élaboration d’un outil numérique est perçue comme positive par tous les groupes. L’intérêt perçu diffère entre le groupe d’adultes avec une trisomie 21 qui souligne uniquement ses compétences et son attrait pour ce type d’outil et les deux autres groupes. Les parents et les professionnels considèrent que l’outil numérique peut avoir de nombreux avantages pour les personnes notamment en termes de compréhension, d’autonomie, de choix et d’expression. Un intérêt est également souligné dans le cadre de l’accompagnement et de l’aide au partage d’un projet commun ou encore du suivi de l’évolution du projet.

Discussion et conclusion

La notion de projet de vie reste encore complexe et mal définie. Dans ce contexte l’objectif de l’étude était de mieux comprendre cette notion à travers le regard des différentes parties prenantes impliquées dans l’élaboration du projet de vie d’adultes avec une trisomie 21.

Comme l’indiquent les résultats, le projet de vie s’inscrit clairement dans la capacité d’autodétermination des individus. Le concept d’autodétermination concerne le fait de décider de son destin ou de sa vie en minimisant les influences externes indues. Il fait donc référence au droit et à la capacité des personnes à gouverner leur vie (Lachapelle et Wehmeyer, 2003). Dans ce contexte, l’autodétermination s’inscrit au centre des démarches d’accompagnement des personnes avec incapacités dans de nombreux pays tels que : la Suisse avec sa Loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides (LIPPI, 2006); la Suède et sa Loi sur le soutien et les services à certaines personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles (LSS, 1993) ; les États-Unis avec la Rehabilitation Act Amendments, 1992; ou encore la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006) émis par l’Organisation des Nations Unies et qui a été ratifiée par le Canada en 2010. En France, la Loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a été adoptée en 2005 et place le projet de vie au centre du processus de compensation. La personne présentant une DI élabore un projet de vie pour obtenir des aides (financière, humaine, etc.) permettant d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, etc. L’émergence des directives sociales visant à promouvoir l’autodétermination et ainsi la capacité des individus à gouverner leur vie, montrent l’importance et les enjeux sociétaux que constitue l’accompagnement des personnes vulnérables dans cette démarche d’élaboration d’un projet de vie.

Les résultats montrent que l’ensemble des parties prenantes a conscience de la nécessité d’accompagner les personnes avec une trisomie 21 dans l’élaboration de leur projet de vie. Pour l’ensemble des participants, le projet de vie a un rôle essentiel dans le parcours des personnes avec une trisomie 21. Il permet de favoriser le développement personnel et donne une direction au parcours de la personne en la rendant actrice de son projet.

En ce qui concerne l’analyse des discours, les résultats montrent des différences entre le groupe d’adultes avec une trisomie 21 et les deux groupes d’aidants. Pour l’ensemble des questions, la richesse lexicale des réponses des personnes avec une trisomie 21 était nettement inférieure à celle des parents et des professionnels. Des études ont montré que le vocabulaire expressif des personnes avec une trisomie 21 est significativement plus faible que celui des personnes du même âge (Caselli, Monaco, Trasciani et Vicari, 2008; Chapman, Seung, Schwartz et Bird, 1998; Roberts et al., 2007). Les énoncés restent simples, avec généralement une absence de subordination et de coordination, l'omission de certains morphèmes grammaticaux (Chapman et al., 1998; Comblain et Thibaut, 2009) et seulement la moitié des énoncés produits par les adultes avec une trisomie 21 sont complets et grammaticalement corrects (Rondal et Lambert, 1983). Ces difficultés d’expressions peuvent, en partie, expliquer les différences de richesse lexicale entre les adultes avec une trisomie 21 et les deux autres groupes.

Les réponses des adultes avec une trisomie 21 reposent uniquement sur des éléments et des projets concrets de leur vie quotidienne. Aucun adulte ne propose de notion générale et les réponses sont centrées sur leur expérience personnelle. Des études ont montré que les personnes présentant une DI ont des difficultés à comprendre les relations abstraites entre paires d'objets (Paour, 1992), à résoudre des problèmes analogiques (personnes avec une trisomie 21: Buckley, 1985, Natsopoulos, Christou, Koutselini, Raftopoulos et Karefillidou, 2002), à comprendre le vocabulaire conceptuel, le langage métaphorique verbal et visuel et dépassent difficilement un niveau concret de raisonnement (Shnitzer-Meirovich, Lifshitz-Vahab et Mashal, 2017). Les personnes présentant une DI utilisent rarement le langage figuré dans leurs conversations quotidiennes, préférant une structure de phrases simples et concrètes à une structure abstraite (Shnitzer-Meirovich et al., 2017). Ces différents éléments expliquent les caractéristiques des discours recueillis dans cette étude.

De plus, dans cette étude, les personnes avec une trisomie 21 n’ont pas de vision des difficultés des autres parties prenantes. Globalement, les seules difficultés rapportées sont celles qu’elles rencontrent elles-mêmes. Ces résultats sont à mettre en relation avec les difficultés de « théorie de l’esprit » rencontrées par ces personnes (Giaouri, Alevriadou et Tsakiridou, 2010; Yirmiya, Solomonica‐Levi, Shulman et Pilowsky, 1996) qui renvoient au problème de la compréhension des états mentaux d’autrui (Abbeduto et al., 2001; Binnie et Williams, 2002; Yirmiya et al., 1996; Zelazo, Burack, Benedetto et Frye, 1996) et d’attribution des intentions dans des situations non ambigües (Leffert, Siperstein et Millikan, 2000; Maheady, Mailand et Sainato, 1984).

Dans cette étude, les trois groupes interrogés n’ont pas tout à a fait la même définition du projet de vie. Les adultes avec une trisomie 21, font référence à la mise en place de projets concrets de leur vie quotidienne avec l’aide de professionnels. Les parents se centrent sur les notions de choix, de souhaits et d’aspirations de la personne. Pour les professionnels, le projet de vie s’appuie sur une co-construction impliquant les différentes parties prenantes. Toutefois, globalement, les champs sémantiques identifiés permettent d’associer la définition du projet de vie à cinq notions qui sont la vie, les buts, le choix, la personne et l’avenir. Certaines de ces notions sont également présentent dans d’autres définitions proposées dans la littérature telle que la notion de choix (Pachoud et al., 2009), l’orientation de sa vie (Castellan et Riard, 2005), l’’expression de ses besoins et de ses aspirations (Jaeger, 2009) ou encore les buts personnels (Dubé et al., 2000).

Les résultats suggèrent que les différentes modalités d’aide à l’élaboration du projet de vie restent relativement floues en particulier pour les personnes avec une trisomie 21. Des méthodes d’aide à l’autodétermination sont proposées dans la littérature telles que la méthode de gestion des buts personnels (Dubé et al., 2000), le programme Living Well with a Disability (Ravesloot et al., 2006), le programme ChoiceMaker (Martin et Marshall, 1995) ou encoure le Self-Determined Learning Model of Instruction (Wehmeyer et al., 2010). Dans ce contexte, les résultats soulignent la nécessité de définir une démarche claire, s’inspirant des méthodes proposées ci-dessus et permettant à l’ensemble des parties prenantes d’identifier son rôle et son implication dans ce processus d’accompagnement à l’élaboration d’un projet de vie. De plus, les parties prenantes indiquent toutes avoir des difficultés dans l’élaboration du projet de vie. Et, l’utilisation d’une assistance numérique est perçue comme positive par tous les interlocuteurs, notamment pour des raisons de facilité et d’autonomie dans l’utilisation, de possibilités d’expression ou encore de suivi, etc.

Dans ce contexte, la présente étude constituait une étape préalable à la conception d’un outil numérique d’aide à l’élaboration du projet de vie adapté aux besoins et caractéristiques des personnes avec une trisomie 21 ainsi qu’à leur entourage familial et professionnel (Landuran et al., 2018). L’assistant numérique a été conçu afin de répondre aux remarques et difficultés soulevées dans cette étude par les futurs utilisateurs et l’ensemble des personnes concernées. Il est actuellement en ligne sur le site de l’Association Trisomie 21 en France à l’adresse suivante : http://www.monprojetdevie.trisomie21-france.org/. Il a d’ailleurs reçu le premier prix « Soutenir la recherche appliquée » de la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap en 2014 et le premier prix aux trophées de l’accessibilité universelle de l’Association pour adultes et jeunes handicapés, en 2016. L’outil fonctionne sur la base de questions/réponses simples et laisse une large part à des réflexions sur la notion de choix (ce que l’on peut choisir, ce que l’on ne peut pas choisir, etc.) sur la notion de trajectoire individuelle (réflexion sur le passé et le présent, pour mieux s’inscrire dans le futur), et sur les projets que la personne souhaite réaliser dans les différentes sphères de la vie quotidienne (familiale, professionnelle, des loisirs, etc.). Les premiers retours montrent des résultats très satisfaisants et soulignent surtout l’aide qu’apporte l’assistant aux différentes parties prenantes notamment comme support de discussion. Cela confirme l’importance du projet de vie dans la trajectoire d’une personne présentant une DI et la nécessité d’apporter des aides adaptées à l’ensemble des parties prenantes dans la démarche d’accompagnement.