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Contexte théorique

Il est bien documenté que les parents d’enfants présentant une déficience intellectuelle (DI) sont plus à risque de présenter un taux élevé de stress parental et de vivre de la détresse psychologique que les parents d’enfants neurotypiques (Burke et al., 2020; Emerson et al., 2010; Morin et al., 2014; Patton et al., 2018; Staunton et al., 2020). Plusieurs facteurs peuvent y contribuer, dont la difficulté à obtenir des services et l’isolement social (Emerson et Brigham, 2015; Staunton et al., 2020). Les écrits scientifiques démontrent que l’obtention d’information (Douglas et al., 2017; Douma et al., 2006; Tétreault et al., 2012), l’aide financière ainsi que les échanges avec d’autres parents vivant des situations similaires (Felizardo et al., 2016) sont des besoins nommés fréquemment par les parents (Picard, 2012). De manière générale, les études portant sur les besoins des parents d’enfants présentant une DI permettent de mettre en lumière leurs insatisfactions face à l’accès aux services et aux ressources disponibles (Dreyfus et Dowse, 2020; Tremblay et al., 2012).

Au Québec, des services publics sont disponibles pour les parents d’enfants présentant une DI. Ils comprennent des services de première ligne offrant, entre autres, l’obtention d’un diagnostic, du soutien à domicile, des services de prévention et de réadaptation. Ils incluent également certains services plus spécialisés (services de deuxième ligne) offerts en centres de réadaptation, tels que les services d’adaptation et de réadaptation pour les personnes présentant une DI ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ayant besoin d’un suivi spécialisé ou d’un service d’hébergement. Finalement, des services surspécialisés (services de troisième ligne) sont offerts dans les centres hospitaliers en soins psychiatriques (Ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2018).

Malgré l’existence de services publics pour les parents d’enfants présentant une DI, une accessibilité restreinte à ces derniers est documentée au Québec et ailleurs dans le monde (Dreyfus et Dowse, 2020; Milot et al., 2019; Tremblay et al., 2012). Certaines familles sont placées sur une liste d’attente pour recevoir des services et peuvent se retrouver sans soutien durant plusieurs mois, voire des années, et ce, malgré la présence de besoins importants (Rivard et al., 2015; Rivard et al., 2018). Le manque d’information face aux services disponibles, les longues listes d’attente, les critères d’admissibilité spécifiques ainsi que le manque de continuité des services sont nommés par les parents comme des barrières à l’accès aux services (Milot et al., 2019; MSSS, 2016; Tétreault et al., 2012; Tremblay et al., 2012). L’information n’étant pas toujours facilement accessible, certaines familles ont de la difficulté à être renseignées sur les services et les ressources disponibles ou le sont trop tard (Conseil de la famille et de l’enfance, 2007; Piérart et al., 2014; Rivard et al., 2015; Weiss et Lunsky, 2010).

Afin de pallier les différentes limites soulevées par les parents au sujet de l’accès aux services, certains organismes ou associations donnent des informations aux parents d’enfants présentant une DI, mais sans que cette information soit intégrée à un programme validé. C’est dans ce contexte qu’un programme d’information a été offert à des parents d’adolescents présentant une DI à Montréal (Québec, Canada). Le contenu de ce programme découle d’une enquête menée au Québec auprès de parents ayant un enfant présentant une DI (Picard, 2012; Picard et al., 2020). Il ressortait de cette enquête que les parents d’adolescents étaient ceux qui énonçaient le plus de besoins de soutien (Picard et al., 2020). En effet, la période d’adolescence implique de nombreux défis pour les adolescents et leurs parents dont la recherche de l’autonomie, l’affirmation de soi, l’opposition aux parents et l’influence des pairs (Boisvert, 2003; Shaffer et Kipp, 2010). Pour les parents d’adolescents présentant une DI, ces défis sont encore plus grands. Ces défis impliquent les inquiétudes quant à la vulnérabilité aux abus, la sexualité et les grossesses non planifiées, la fin de la scolarisation de leur enfant et la recherche d’un emploi, le départ éventuel de la maison (Picard et al., 2014). Un programme d’information (Picard et Morin, 2009) a donc été créé pour répondre à leurs besoins spécifiques et il a été expérimenté auprès de groupes de parents d’adolescents présentant une DI. Ce programme a été grandement apprécié des parents tant sur le plan du contenu que de l’animation en groupe qui permettait des échanges entre les participants (Picard et al., 2014). La décision a donc été de l’offrir à des parents qui sont en attente de services dans des établissements de première ligne (Centre local de services communautaires, CLSC) et de deuxième ligne (centre de réadaptation) afin de soutenir ces parents avant qu’ils ne reçoivent des services formels pour leur enfant. Des modifications ont été apportées au contenu du programme afin de diminuer le nombre de rencontres de groupe (6 rencontres de 2 heures au lieu de 10 rencontres), de le mettre à jour en ce qui concerne les ressources disponibles au moment de l’expérimentation et de l’adapter à la région de Montréal (Picard et Morin, 2014). Les six rencontres abordent les thèmes suivants : 1) les services gouvernementaux; 2) les organismes communautaires et autres services disponibles; 3) les habiletés parentales et la famille; 4) l’adolescence, l’amitié, l’amour et la sexualité; 5) la vie après l’école; et 6) les aspects financiers et légaux. Les parents recevaient une copie des documents pertinents à chacune des rencontres, ce qui formait le guide d’information complet à la fin du programme. Cinq animatrices ont été formées par Dre Picard, l’instigatrice et l’animatrice du programme, pour animer les rencontres de groupe avec cette nouvelle version du programme. Ce sont des gestionnaires qui ont identifié des intervenantes travaillant dans chacun des milieux (première et deuxième ligne) pour être animatrices afin que le programme de formation puisse continuer à être utilisé dans ces milieux si les résultats s’avéraient positifs. Deux cohortes ont été créées, incluant chacune un groupe expérimental et un groupe contrôle. Le groupe contrôle participait ensuite au programme et devenait alors lui-même un groupe expérimental. Le programme a donc été offert à quatre reprises et 29 parents en attente de services y ont participé, ce qui correspond à un taux de participation de 32 % pour les services de deuxième ligne et de seulement 9 % pour les services de première ligne.

Objectif

L’objectif de cet article consiste à connaître la perception des animatrices et des gestionnaires sur la faisabilité et l’utilité d’implanter dans leur établissement un programme d’information aux parents d’adolescents présentant une déficience intellectuelle en attente de services et de décrire les facilitateurs et les barrières à l’implantation d’un tel programme. Un sous-objectif est de vérifier si c’est à même les services de première ou de deuxième ligne que devrait être offert un tel type de programme.

Méthode

Un devis de recherche descriptif de type qualitatif a été retenu pour évaluer l’implantation du programme. Deux certificats d’éthique ont été obtenus. Pour les services spécialisés, un certificat a été émis par le Comité d’éthique de la recherche conjoint destiné aux centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement, et pour les services génériques, un certificat a été émis par le Comité d’éthique de la recherche de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

Participants

Huit femmes ont participé aux entrevues semi-structurées, dont cinq animatrices (trois travailleuses sociales et deux psychoéducatrices) et trois gestionnaires (deux à l’emploi du centre offrant des services de deuxième ligne et l’autre du centre offrant des services de première ligne). Le taux de participation est de 100 % puisque toutes les personnes impliquées dans la mise en place du programme (animatrices et gestionnaires) ont été sollicitées et ont accepté de participer à l’entrevue.

Déroulement

Une assistante de recherche a communiqué avec les animatrices et les gestionnaires pour leur expliquer le but de la recherche et leur a fait parvenir la lettre et le formulaire de consentement. L’assistante leur a précisé qu’il y aurait un enregistrement audio de l’entrevue. Les formulaires de consentement ont été signés sur place au moment de la rencontre. Les entrevues individuelles ont eu lieu dans les milieux de travail des participantes à une date qui leur convenait. C’est l’assistante qui avait été présente comme observatrice aux rencontres de groupe lors de l’expérimentation du programme qui a fait les entrevues avec les animatrices et les gestionnaires, puisqu’elle avait une bonne connaissance du programme.

Canevas d’entrevue

Un canevas d’entrevue semi-structurée a été élaboré par l’assistante de recherche et les chercheuses en tenant compte des informations importantes à colliger auprès des participantes afin de bien couvrir tous les éléments à évaluer. Le même canevas d’entrevue a été utilisé pour les animatrices et les gestionnaires. Toutefois, pour les gestionnaires, les questions portant spécifiquement sur l’animation du groupe de formation et sur la satisfaction et les effets perçus chez les parents ont été retirées. Le canevas portait principalement sur les éléments suivants : enjeux liés au recrutement des parents, facilitateurs et barrières à l’implantation, satisfaction et effets perçus chez les parents et modifications proposées ainsi que par quels services (première ou deuxième ligne) devraient être offerts dans un tel programme.

Analyses

Un membre de l’équipe de recherche a transcrit intégralement les huit entrevues semi-structurées réalisées auprès des animatrices et des gestionnaires. Un autre membre de l’équipe de recherche s’est ensuite familiarisé avec les verbatim et a procédé à leur analyse qualitative en utilisant l’analyse thématique de contenu de Bardin (2007).

Le but de la méthode de Bardin (2007) est d’identifier, de classifier, de synthétiser et de rapporter les thèmes principaux qui ressortent des réponses et des propos des répondants. Le processus débute par une préanalyse, qui consiste à faire une première lecture non structurée des données afin de s’approprier le contenu et le contexte. Quelques notes sont prises durant cette étape pour dresser un premier aperçu. Ces notes sont utiles lors de l’étape suivante (pour la construction de codes et de catégories). L’analyse consiste en une deuxième lecture structurée incluant le codage, suivi par la catégorisation et la numérisation.

L’analyse de contenu des entrevues semi-structurées complétées auprès des animatrices et des gestionnaires a mené à l’identification de 160 codes qui ont été réduits à 155 à la suite du nettoyage. Le processus de catégorisation a conduit à la création de trois catégories et de 17 sous-catégories. Seuls les codes mentionnés par plus de 50 % des participants ont été retenus pour identifier les thèmes qui permettent d’avoir une vue d’ensemble des données brutes d’une manière cohérente et signifiante comme suggéré par Hill et al. (2005).

Résultats

L’analyse des entrevues fait ressortir trois catégories (barrières à l’implantation, satisfaction et effets perçus chez les parents, modifications proposées) et 17 thèmes abordés par plus de 50 % des participants. Ces thèmes et le pourcentage des répondants en ayant fait mention sont indiqués dans le Tableau 1.

Description des thèmes : barrières à l’implantation

Six thèmes ont été identifiés quant aux barrières de l’implantation. Ces derniers sont expliqués plus bas en plus d’extraits des entrevues avec les animatrices et les gestionnaires pour appuyer la compréhension des thèmes.

Préparation exigeante pour les animatrices

Six des huit répondantes ont mentionné que la préparation pour l’animation du programme a été exigeante et stressante, notamment en raison du temps nécessaire pour s’approprier le matériel et se sentir à l’aise pour animer les séances. L’animation du programme a été perçue comme une tâche qui s’ajoute aux responsabilités déjà lourdes des animatrices dans le cadre de leur travail régulier. Selon les animatrices, le programme n’était pas suffisamment « clé en main ». Elles auraient souhaité recevoir plus de formation et de soutien à l’exercice de cette tâche supplémentaire et recevoir davantage de documentation permettant l’appropriation des contenus.

Tableau 1

Thèmes identifiés parmi les perceptions des participants regroupés en catégories principales de résultats (n=8)

Thèmes identifiés parmi les perceptions des participants regroupés en catégories principales de résultats (n=8)

Note. Seuls les thèmes mentionnés par au moins 50 % des participants sont rapportés.

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Investissement important de la part des parents en tant que contrainte à leur participation

Six des huit répondantes étaient d’avis que plusieurs parents n’ont pas participé au programme en raison des exigences de la recherche (complétion de questionnaires) et de l’investissement de temps nécessaire pour assister à chacune des rencontres, incluant celle où ils devaient se présenter 5 mois après la fin du programme.

Les gens avaient peur de s’engager pour tout ce que ça demandait, je pense qu’ils ont eu peur, parce que c’était une recherche […], parce qu’ils n’étaient pas sûrs de pouvoir revenir à toutes les rencontres, de s’investir comme ç’a été demandé.

ENT3

Gardiennage en tant que contrainte à la participation des parents

Six des huit répondantes ont souligné que l’horaire du soir posait un problème pour les parents. Certains d’entre eux n’ont pu assister de manière régulière aux rencontres en raison de la difficulté à trouver une personne pour garder les enfants à la maison. Selon les répondantes, cette difficulté pourrait aussi expliquer, du moins en partie, le faible taux de participation des parents qui ont été sollicités dans la phase de recrutement.

Contrainte liée à la nécessité d’une mise à jour régulière du programme

Cinq des huit répondantes ont souligné qu’une mise à jour régulière du programme est à prévoir en raison des changements susceptibles de se produire au fil du temps. Les informations relatives aux ressources et services disponibles dans la communauté doivent aussi nécessairement être périodiquement vérifiées.

C’est sûr qu’il est à réviser à chaque fois avant, parce qu’au niveau des ressources par exemple ou des prestations ça change rapidement. Donc, c’est sûr qu’avant de le donner, faudrait juste revérifier, revalider toutes les informations.

ENT3

Difficultés associées au double rôle des animatrices

Quatre des huit répondantes ont souligné avoir ressenti de l’inconfort à être à la fois agentes du Service d’accès, d’évaluation et d’orientation (AEO) et responsables de l’animation du programme. Elles ont donc eu des contacts avec les parents dans deux contextes différents. Le fait de connaître les parents en tant qu’animatrices du programme tout en prenant part aux décisions concernant l’accès aux services pouvait rendre plus difficile le traitement des demandes en provenance de ces parents en toute impartialité.

Ça nous a placées parfois dans des drôles de positions, du fait de notre tâche, si les gens devaient rappeler ou quoi que ce soit, vu qu’ils ne devaient pas y avoir de traces dans les notes au dossier, ce qui était pas clair pour nous non plus au début […] Je pense que ce n’est pas idéal une clientèle qui est en attente, parce qu’après, veux, veux pas, ils ont nos noms et on veut pas créer de favoritisme ou quoi que ce soit. Puis inversement aussi, on a leur nom, donc on se fait une image aussi de telle famille, de leur implication… Puis il est arrivé différentes situations, soit des demandes de placements, soit des demandes de priorisation… puis on les connaissait ces familles-là, ça changeait la donne un peu. Donc on était moins objectif.

ENT3

Difficultés associées à la gestion du groupe

Quatre des huit répondantes ont mentionné que la gestion du groupe avait été difficile lors de l’animation, certains parents accaparant plus l’attention que les autres. Les animatrices ont soulevé l’importance d’établir une saine dynamique de groupe de manière à favoriser les échanges et la participation de chacun des membres.

C’est sûr qu’il y a des gens qui prennent plus d’espace que d’autres. Puis, c’est de favoriser, dans le fond, les échanges pis de laisser assez de place aux gens qui sont peut-être un peu plus timides ou un peu plus réservés. Je pense que c’était ça le défi.

ENT5

Description des thèmes : satisfaction et effets perçus chez les parents

L’analyse des entrevues a permis d’identifier quatre sous-thèmes à la satisfaction et les effets perçus chez les parents. On retrouve la reconnaissance de.s : 1) l’utilité du programme; 2) la pertinence du programme dans l’offre de services; 3) la viabilité du programme; et 4) bienfaits de l’intervention de groupe.

Reconnaissance de l’utilité du programme

Sept des huit répondantes ont mentionné percevoir le programme comme très utile pour les parents. D’après elles, les informations présentées sont pertinentes par rapport aux besoins et aux préoccupations des parents et correspondent bien à leur réalité. Le guide d’information (Picard et Morin, 2014) qui leur est destiné et les ressources dont il fait mention sont aussi considérés comme une composante importante du programme, d’autant plus que le guide demeure utile une fois le programme terminé. La très grande majorité des répondantes s’accorde pour dire que le programme procure aux parents des outils concrets qu’ils pourront utiliser après avoir complété le programme.

Le contenu, il est super puis ce qui reste après, les ressources, c’est très utile.

ENT3

Je pense que les professionnelles [animatrices] arrivaient toujours emballées, elles ont vraiment beaucoup aimé ça, elles y ont cru au projet, pour elles, c’est clair que ça répond à un besoin.

ENT8

Reconnaissance de la pertinence du programme dans l’offre de services

Sept des huit répondantes ont mentionné percevoir le programme comme s’intégrant tout à fait à l’offre de services, particulièrement aux services de première ligne. En effet, selon les répondantes, le programme permet d’offrir des informations de base et du soutien initial plus rapidement. Il permet aussi de répondre directement aux besoins de personnes en situation de vie difficile, à un moment crucial et approprié de leur trajectoire. Selon les répondantes, ceci correspond à ce qu’un service de première ligne devrait offrir.

C’est en plein dans le mille […] pis davantage aussi pour les gens qui sont en première ligne […] Dans notre liste d’attente, on a beaucoup de parents qui auraient avantage à être rencontrés tôt dans le processus pour pouvoir avoir rapidement des lieux où s’adresser, des réponses facilitantes dans leur acceptation ou dans leurs démarches.

ENT6

Les responsables de l’AEO [Service d’accès/évaluation/orientation] réfléchissaient à des moyens de soutenir les familles en attente et voyaient ce programme comme un des moyens d’y parvenir.

ENT4

Reconnaissance de la viabilité du programme

Six des huit répondantes étaient d’avis que la reproduction du programme est possible, réaliste et faisable. Ces répondantes ont mentionné souhaiter offrir de nouveau le programme, ce qui nécessiterait cependant un investissement de temps et de ressources de la part de l’organisation qui soutient ce programme.

Je le reprendrais sans problème. Je pense que c’est très […] faisable. Comme je disais, ça répond de plus en plus vers quoi on s’en va.

ENT3

Je pense que oui, mais ça prendrait des intervenants dédiés à ça […] peut-être des éducateurs, des psychoéducateurs, mais qui s’occuperaient de toutes les modalités qui vont avec, mais investis temps plein, qui s’occupent de ça point.

ENT2

Reconnaissance des bienfaits de l’intervention du groupe

Le fait que le programme soit offert sous forme d’intervention de groupe présente des avantages spécifiques. Selon les répondantes, le programme a permis aux parents de créer des liens et de s’entraider, notamment en discutant de leur expérience et des solutions qu’ils ont pu trouver à différentes situations problématiques qu’ils avaient en commun. Ces échanges auraient permis aux parents de se rendre compte qu’ils n’étaient pas seuls à vivre des émotions et des préoccupations semblables. Les répondantes ont aussi eu connaissance d’échanges informels entre parents, notamment durant les moments moins structurés. Certains parents auraient gardé contact, même après la fin du programme.

Je pense que, pour eux, c’était bien de savoir qu’ils n’étaient pas seuls dans la même situation. Qu’ils se posaient les mêmes questions que les autres parents. Je pense que c’est réconfortant.

ENT5

C’est sûr que les parents qui se ressemblent s’assemblent, ils ont une même situation de vie puis, ils connectent plus facilement. Moi, j’ai vu dans leur regard et leur sourire… à la fin des séances, ils en profitaient pour jaser entre eux. Ou au début des séances, on voyait des papiers s’échanger, genre voici ma carte d’affaires. Donc je pense qu’ils se soutenaient mutuellement ces parents-là.

ENT1

Ils se sont rendu compte qu’ils étaient loin d’être les seuls à vivre tous ces questionnements-là et ces problématiques-là. Donc, ça c’est énorme en fait, parce que parler de ses difficultés avec son enfant handicapé c’est difficile, des fois les proches ne sont pas capables de gérer ça, ils ne savent pas trop comment réagir. Donc les parents vont moins en parler, alors que là, ils ont un espace pour le faire puis des gens qui les comprennent, donc ça c’est le pouvoir du groupe.

ENT3

Description des thèmes : modifications proposées

Quant à la dernière catégorie, sept sous-thèmes ont été identifiés, dont quatre touchant spécifiquement les modalités du programme.

Possibilité de diffuser le programme dans les organismes communautaires

Six des huit répondantes étaient d’avis que le programme pourrait être offert dans le cadre des activités d’organismes communautaires. Une répondante mentionne que ceci permettrait également de rejoindre un plus grand nombre de parents et une clientèle plus diversifiée.

Ça pourrait être dans le milieu communautaire qui va chercher une autre clientèle qui n’a pas nécessairement de services ou qui n’est ni en attente, ni en octroi de services ou, pour les gens pour qui le réseau ça fait peur, parce que c’est une grosse machine le réseau officiel, alors passer par le communautaire des fois c’est mieux.

ENT4

Modalité du programme : offrir des séances « à la carte »

Cinq des huit répondantes ont proposé de laisser aux parents le choix de participer à toutes les séances ou uniquement à celles qui les intéressent le plus. Le programme prendrait alors davantage la forme de soirées d’information ouvertes à tous. Les parents qui y participeraient pourraient avoir davantage de points en commun, en lien avec les problématiques qu’ils vivent ou en lien avec l’âge de leur jeune. Cette formule pourrait se rapprocher du mode de fonctionnement habituel dans les services de première ligne.

Adaptation du programme aux parents d’enfants ayant un TSA

Cinq des huit répondantes ont mentionné qu’un tel programme devrait être adapté et offert aux parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme. Les répondantes rappellent que comparativement à la déficience intellectuelle, le diagnostic du trouble du spectre de l’autisme est en hausse, ce qui fait que la majorité des personnes en attente de services ont un trouble du spectre de l’autisme. Les besoins des parents de ces jeunes sont conséquemment importants.

Je pense qu’un programme similaire serait vraiment bénéfique si on visait la clientèle qui a un trouble du spectre de l’autisme, ça, ça pourrait être très bénéfique à mon avis.

ENT1

L’autre aspect, c’est qu’on s’est concentré beaucoup sur la clientèle déficience intellectuelle. Mais en tout cas, pour en avoir parlé avec mes intervenantes, je pense qu’on est en mesure de l’élargir à la clientèle trouble du spectre de l’autisme parce que c’est vraiment avec cette clientèle-là qu’on a une prévalence au niveau des diagnostics. Il y a beaucoup d’augmentation.

ENT6

Modalité du programme : varier les plages horaires

Pour donner la chance à un plus grand nombre de parents de bénéficier du programme, quatre des huit répondantes croient qu’il serait intéressant d’offrir le programme à différents moments de la journée, en alternance. L’horaire de soir pourrait mieux convenir aux parents qui travaillent et qui peuvent faire garder leur enfant. L’horaire de jour serait certainement apprécié des parents qui ne travaillent pas, alors que leur enfant est à l’école.

Si on le donne [le programme] à quelques reprises, on pourrait varier les temps, parce que pour les parents qui ne travaillent pas, ça leur permettrait de venir pendant les journées d’école […] Il n’y aura jamais de plages horaires parfaites pour tout le monde, mais en variant d’une session à l’autre, ça permet d’aller rejoindre peut-être plus de parents.

ENT3

Modalité du programme : offrir le programme en ligne

La moitié des répondantes ont mentionné que le contenu du programme devrait être disponible en ligne. Même si cette alternative ne permet pas aux parents de bénéficier du soutien et de l’entraide des autres parents, elle permettrait de joindre des parents qui ne pourraient autrement avoir accès au contenu du programme.

Je pense qu’il y a de plus en plus de parents qui ont accès à internet donc un site internet complet ça pourrait être bien sympathique, qui est mis à jour évidemment régulièrement.

ENT3

Ils se sentiraient peut-être plus à l’aise, puis c’est ça que les gens font actuellement, les gens ne se déplacent pas ou ils pourraient suivre certaines formations en ligne ou aller voir une fois qu’elle est donnée ils pourraient aller la voir en ligne, pourquoi pas. C’est sûr qu’on aime davantage que les gens soient présents, parce que y’ a un double objectif, ils reçoivent de l’information, mais ils s’allient à un système de soutien avec ça, mais sinon, c’est les moyens du jour maintenant.

ENT2

Modalité du programme : offrir le programme une fois par année

Quatre des huit répondantes ont mentionné que le programme devrait être offert une fois par année. La période de l’année jugée la plus propice est l’automne.

Je pense qu’une fois par année ce serait suffisant, pas plus que ça. Puis, j’irais même jusqu’à dire à l’automne, plus qu’à l’hiver, parce que c’est plus facile de se déplacer et parce que l’été, les gens sont en vacances […], et puis, les intervenants aussi, d’ailleurs, on a moins de disponibilités pour donner des groupes l’hiver, nous, c’est notre grosse période de soutien à la famille, de renouvellement du programme de soutien à la famille […]. Plus qu’une fois par année, je pense qu’on n’a pas un renouvellement de clientèle assez grand pour le faire.

ENT3

Disposer d’un lieu et de conditions favorables au bon déroulement des rencontres

Quatre des huit répondantes ont souligné l’importance de disposer d’un lieu et de conditions favorables au bon déroulement des rencontres. Le mode de fonctionnement en établissement et les règles visant à assurer la sécurité des employés et des usagers ne sont pas nécessairement toujours bien adaptés à ce type d’activité. Par exemple, la gestion de l’accès à des lieux généralement non fréquentés en dehors des heures habituelles de travail (porte d’entrée de l’établissement, local où est offert le programme, salle de bains) n’aurait pu être assurée par une seule animatrice. Ces répondantes souhaiteraient qu’un local soit dédié au programme avec du matériel et des ressources fonctionnelles, incluant l’accès à internet afin d’expliquer aux parents comment retrouver des informations sur certains sites ou de présenter des ressources en particulier.

Pour aller à la salle de bain, on ne voulait pas que les gens accèdent à différents bureaux, ça, je trouvais que ça amenait toute une gestion. On était trois, on n’était pas de trop, puis pourtant, c’était quand même un petit groupe. Je me disais, admettons qu’on aurait été 15-20… on en aurait peut-être échappé des bouts. Pour la sécurité, je ne sais pas, mais j’ai trouvé que ça avait été un défi.

ENT2

Discussion

La présente étude visait à connaître la perception des animatrices et des gestionnaires sur la faisabilité et l’utilité d’implanter un programme d’information à des parents d’adolescents en attente de services ainsi qu’à identifier les facilitateurs et les barrières à cette implantation. Les écrits scientifiques permettent de constater que les parents d’enfants présentant une DI ont des besoins importants en termes de soutien et d’informations (Douglas et al., 2017; Douma et al., 2006; Picard, 2012; Picard et al., 2020; Tétreault et al., 2012). Cependant, l’accès aux services étant restreint et difficile, un programme répondant à ces besoins pourrait être bénéfique afin de soutenir les parents qui sont en attente de services. Présentement, au Québec, peu de programmes d’information sont disponibles pour les parents d’enfants présentant une DI. C’est dans cette optique que cette étude a été réalisée, permettant ainsi d’évaluer la faisabilité et l’utilité d’un tel programme.

Parmi les barrières à l’implantation d’un tel programme, trois éléments ressortent davantage : le temps de préparation nécessaire pour l’offrir, la mise à jour périodique des informations et le gardiennage. Il appert que l’appropriation du contenu d’un tel programme est un travail exigeant qui nécessite beaucoup de temps de la part des animatrices, notamment pour bien connaître l’ensemble des ressources présentées aux parents. De l’avis des répondantes, il devrait y avoir des animatrices dédiées à ce programme et du temps spécifique devrait leur être attribué pour la préparation et l’animation des groupes. Une autre difficulté concerne la mise à jour constante d’un tel programme. En effet, les services et les ressources pour les personnes présentant une DI sont en constante évolution. Le travail de mise à jour a été réalisé par l’équipe de recherche, mais il devra éventuellement être effectué, le cas échéant, par l’équipe responsable d’offrir le programme. Et enfin, le fait de ne pouvoir offrir un système de gardiennage a été vu comme une barrière à la participation de certains parents.

L’analyse qualitative fait ressortir aussi plusieurs éléments qui appuient la faisabilité de l’implantation du programme en milieu de pratique. En effet, la majorité des animatrices et des gestionnaires ont mentionné que le programme répond à un besoin des parents. Presque toutes les répondantes considèrent aussi que le programme s’intègre bien à l’offre de services et qu’il devrait être implanté à plus large échelle.

Plus de la moitié des répondantes ont souligné que le mode de diffusion en groupe contribue à la valeur du programme, puisqu’il permet aux parents qui vivent des situations similaires de se soutenir mutuellement. Certains parents auraient même développé des liens d’amitié. Ces résultats vont dans le même sens que plusieurs études qui démontrent que les parents souhaitent échanger avec d’autres parents vivant des situations similaires (Hammarberg et al., 2014; Jackson et al., 2018; Solomon et al., 2001). Les interventions de groupe multiplient les sources d’information, les occasions d’avoir des interactions et de donner et de recevoir du soutien (Hammarberg et al., 2014; Jackson et al., 2018; Mandell et Salzer, 2007). De plus, le fait de participer à des interventions en groupe est associé à une diminution de l’isolement social (Cappe et al., 2019), ainsi qu’à une augmentation du bien-être (Hammarberg et al., 2014). Un des éléments clés pour assurer le succès d’une intervention en groupe consiste à réunir des participants dont l’expérience de vie est assez semblable (Jackson et al., 2018). Dans la présente étude, le fait de cibler des parents d’adolescents en attente de services visait à ce que les préoccupations des participants soient les plus homogènes possibles afin que le contenu du programme réponde à leurs besoins spécifiques. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les parents d’enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ont été exclus de ce programme.

Un autre point important du programme semble être le guide remis aux parents. En effet, les répondantes ont souligné l’importance de ce guide qui peut être consulté, une fois le programme terminé. Les informations qu’on y trouve sont jugées pertinentes et utiles pour les parents. Ceci confirme les résultats de l’étude sur la perception des parents par rapport à ce programme, dans laquelle les parents ont rapporté être très satisfaits du programme et trouvé très avantageux de pouvoir consulter le guide (Morin et al., 2016; Picard et al., 2014).

Toutes les répondantes s’entendent pour dire que le programme offert aux parents est en lien direct avec les services de première ligne puisqu’il offre des informations de base et que les parents en attente de services en constituent le public cible. Effectivement, le mandat de la première ligne est, tout d’abord, d’offrir des services de prévention, de réadaptation ainsi que des activités de santé publique (MSSS, 2016) et le présent programme s’insère bien dans ces services. Six des huit participantes ont aussi mentionné que le programme pourrait être offert par des organismes communautaires. On mentionne qu’un tel programme pourrait aussi être vraiment utile pour les parents d’un enfant qui présente un trouble du spectre de l’autisme.

Parmi les recommandations ou les modifications proposées par les répondantes, plus de la moitié ont proposé l’utilisation de groupes ouverts, pour que les parents puissent assister aux séances d’information qui les intéressent plus particulièrement. Cette formule permettrait aux parents de se sentir à l’aise de ne pas se présenter à toutes les rencontres, ce qui pourrait augmenter le nombre de participants. Le faible taux de participation au programme (32 % des parents en attente de services de deuxième ligne et 9 % de ceux en attente de services de première ligne) pourrait d’ailleurs s’expliquer par des contraintes reliées à leur disponibilité et à l’organisation du gardiennage. Plusieurs études ont d’ailleurs démontré que l’horaire chargé des parents, leur manque de temps et les difficultés de déplacement peuvent nuire à leur participation à des programmes qui leur sont destinés (Jackson et al., 2018; Ludlow et al., 2012; Milot et al., 2018). L’étude de Tremblay et al. (2012), quant à elle, a mis en évidence que le répit-gardiennage est le service le plus réclamé par les parents d’enfants présentant une DI, ce qui pourrait expliquer leur difficulté à s’absenter pour participer à un programme d’information.

On ne peut pas approfondir les raisons pour lesquelles des parents n’acceptent pas de participer à la recherche puisque certains refusent en amont d’être contactés par les chercheurs et d’autres refusent de participer sans donner de raison. Toutefois, les informations récoltées auprès de l’assistante de recherche, de certains parents, des animatrices et des gestionnaires confirment qu’une seule façon de dispenser le programme aux parents est insuffisante, et ce, même quand ils ont manifesté le besoin de recevoir des services. Des horaires variables (jour et soir) pourraient favoriser la participation de certains parents. De plus, les organismes communautaires pourraient également inciter leurs membres à participer à un tel programme afin d’obtenir de l’information et du soutien. Les répondantes ont aussi soulevé la possibilité d’offrir le programme en ligne (par internet) pour les parents qui ne voudraient pas ou ne seraient pas en mesure de se déplacer. Plusieurs études démontrent que l’utilisation d’Internet dans la mise en place de programmes comprend de nombreux avantages pour les parents, comme le fait de ne pas avoir besoin de recourir à des services de gardiennage, la possibilité de suivre le programme selon son propre horaire ainsi que la simplicité d’accès (Douma et al., 2006; Grenier-Martin et Rivard, 2020; Pratte, 2019; Tomlinson et al., 2018). De plus, le contexte lié à la pandémie de Covid-19 a permis de mettre un accent important sur l’accessibilité à l’information et aux services en ligne, favorisant ainsi le concept de distanciation sociale entre les personnes (Dwivedi et al., 2020). Plusieurs études démontrent une nécessité de fournir des programmes disponibles en ligne, afin de pallier aux divers bris de services disponibles en présentiel (Chilla et al., 2021; Kaiper-Marquez et al., 2020; Ruiz et al., 2020).

Forces et limites de l’étude

Un point fort de cette étude est d’avoir interrogé à la fois des intervenants et des gestionnaires, qui sont deux groupes dont le mandat et la vision diffèrent considérablement. Ainsi, la pertinence du programme d’information a pu être étudiée tant en ce qui concerne sa gestion que sa mise en oeuvre sur le terrain.

L’étude impliquait seulement deux services de première ligne et un de deuxième ligne de Montréal. Les résultats auraient pu être différents si davantage d’animateurs et de gestionnaires avaient été impliqués. La région où ces services ont été offerts pourrait avoir influencé les résultats en ce qui concerne à la fois le taux de participation au programme et la perception des animatrices et des gestionnaires. Le nombre restreint d’animatrices et de gestionnaires constitue une autre limite de la présente étude. Il en va de même du nombre peu élevé de fois où le programme a été offert. Le programme a été donné à seulement quatre reprises. Les réponses des animatrices auraient pu être différentes si le programme d’information avait été offert plus souvent. Ainsi, les animatrices auraient mis de moins en moins de temps à se préparer et elles auraient pu s’approprier davantage le programme d’information. De plus, un biais possible existe du fait que c’est l’assistante observatrice qui a fait les entrevues avec les participantes.

Conclusion

Les résultats de cette étude font ressortir qu’un programme d’information est utile et répond aux besoins des parents en attente de service et que le guide et le format en groupe sont des valeurs rajoutées. Toutefois, les animatrices et les gestionnaires mentionnent qu’un programme à la carte où le parent peut choisir les sessions auxquelles il pourrait décider de participer pourrait convenir à plus de parents ainsi que la possibilité d’offrir le programme en visioconférence. Selon elles, un tel programme pourrait être étendu à différents groupes d’âge et à différents diagnostics, tels que le trouble du spectre de l’autisme. La forme que prennent les rencontres pourrait varier, mais les informations fournies sont pertinentes pour les parents. Les animatrices et les gestionnaires pensent qu’un tel programme devrait être offert dans les services de première ligne.

Malgré la perception des animatrices et des gestionnaires sur l’utilité du programme, il ressort de cette étude que le défi le plus important est celui de la mise à jour d’un tel type de programme afin qu’il reste viable à long terme, en plus de nécessiter des ressources humaines et des locaux pour tenir les rencontres. Un autre défi reste celui du taux de participation. Une seule formule ne semble pas être suffisante pour répondre aux besoins des parents. D’autres formules ou des formules mixtes seraient certainement plus appropriées pour répondre à leurs besoins (p. ex., rencontres de groupe, formation en visioconférence ou à la carte). Des recherches futures devraient d’ailleurs tester et comparer les programmes offerts sous diverses formules et identifier les publics cibles à qui ces programmes devraient s’adresser et les contextes dans lesquels ils devraient être déployés.