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Dans cet ouvrage, les auteurs abordent les différents thèmes associés à la négociation. L’analyse ne porte pas spécifiquement sur le contexte des relations du travail mais bien sur l’activité en son sens le plus large. D’entrée de jeu, Alvin Goldman et Jacques Rojot classent les écrits sur ce sujet en deux catégories, traités théoriques et guides pratiques. Le volume recensé se veut, pour ses auteurs, un pont entre ces deux catégories.

Dans un premier temps, les auteurs définissent le concept de négociation comme mode de résolution de conflits. Partant du postulat qu’il ne peut y avoir de négociation sans conflit, le premier chapitre porte sur ce dernier. Les auteurs y présentent trois approches traditionnelles et prennent position en faveur d’une approche « managériale » où le conflit est reconnu comme inévitable et doit être résolu. Un conflit peut être résolu de différentes façons et c’est là qu’apparaît l’importance de la négociation, mode de résolution en soi mais aussi intégré à d’autres modes. Le premier chapitre se conclut par un commentaire sur la rationalité des individus. Cette rationalité porte sur différents aspects de l’individu (elle n’est pas qu’économique) et les auteurs, à l’instar de Herbert Simon, la présentent comme forcément limitée. Le second chapitre porte sur la structure de la négociation. Comme toute activité, cette dernière se situe dans un contexte qui doit être pris en compte.

Les troisième et quatrième chapitres portent sur le pouvoir de négociation et sont d’une grande importance puisqu’ils servent de point de référence pour tout ce qui suit. Partant de la définition weberienne du pouvoir, Goldman et Rojot élaborent un modèle explicatif du concept de pouvoir de négociation qui mérite que l’on s’y attarde quelque peu. L’élément fondamental de ce modèle est la perception. Fondé sur le postulat de rationalité limitée des acteurs, le pouvoir de négociation d’une partie dépend de la perception qu’a l’autre de différents facteurs à la base de ce pouvoir. Ces facteurs, dont les différentes sources d’accord, la valeur de l’offre faite par l’autre partie ainsi que les coûts associés à la négociation, agissent positivement ou négativement sur le pouvoir de négociation en permettant une analyse coûts bénéfices de la négociation en cours. Ainsi, plus la conclusion d’une entente avec A est perçue comme alléchante face aux solutions de rechange qui se présentent à B et plus grand est le pouvoir de négociation dont dispose A.

Au chapitre cinq, les auteurs abordent la question de la stratégie. Cette dernière est aussi liée au postulat de rationalité limitée ainsi qu’au modèle de pouvoir de négociation élaboré précédemment en ce qu’une stratégie est le choix d’un ou plusieurs éléments du modèle de pouvoir dont il faudra influencer la perception chez l’autre partie. Les stratégies sont aussi mises en lien avec différents styles de négociation présentés selon deux axes : (1) niveau de conflictualité et (2) volonté d’obtenir un règlement.

Ces considérations stratégiques sont suivies d’éléments de tactique. À partir de l’analyse transactionnelle, méthode issue des sciences comportementales, les auteurs présentent des « états de personnalité » (ego states) qui sont plus ou moins compatibles entre eux et plus ou moins opportuns selon la situation de négociation. Le chapitre sept poursuit dans la même veine en présentant un vaste éventail de contributions des sciences comportementales quant aux tactiques de modification de la perception des négociateurs. Les auteurs y présentent de nombreux conseils et mises en garde, notamment pour les questions de traitement de l’information, d’ordonnancement des objets de la négociation et de vérification et d’assurance de respect des engagements pris par les parties.

Après une brève discussion sur les diverses méthodes de résolution des conflits, où la médiation est présentée et mise en lien avec le modèle de pouvoir de négociation développé plus tôt, les auteurs abordent la question de l’effet des variables culturelles sur la négociation. L’influence de la culture sur les individus y est suivie d’une présentation de mises en garde par rapport aux difficultés inhérentes à la négociation entre individus d’origines culturelles différentes (langue, valeurs, protocoles, etc.).

Le volume se conclut enfin sur quelques considérations quant à la prise de décision et la répartition des tâches au sein d’une équipe de négociation.

En ce qui concerne la nature de l’ouvrage, les auteurs tiennent parole, il s’agit bien d’un compromis entre ouvrage théorique et guide pratique. Même s’il nous semble qu’il réponde davantage aux besoins des praticiens, il a la qualité, importante, d’appuyer des conseils pratiques sur une littérature scientifique étoffée plutôt que sur l’expérience personnelle (et forcément partielle) d’un quelconque auteur. L’ouvrage a aussi la vertu de cohérence. En effet, le modèle de pouvoir de négociation développé au chapitre trois sert de fil conducteur à tout ce qui suit.

Toutefois, ce même modèle nous semble limiter l’intérêt de l’ouvrage pour le domaine des relations du travail. Comme nous l’avons déjà mentionné, le livre de Goldman et Rojot vise la négociation au sens large mais cette généralité ne permet pas de rendre compte des spécificités de la négociation collective puisque, contrairement à d’autres formes de négociation (p. ex., commerciale), la négociation collective, dépendance mutuelle des parties oblige, est caractérisée par l’utilisation de moyens de pression comme substitut partiel à l’abandon de la relation en cas d’impasse. Or, nous n’avons pas retrouvé cette dimension du pouvoir de négociation dans le modèle présenté par les auteurs, ce qui est d’autant plus décevant sachant que ces derniers oeuvrent dans le champ des relations industrielles.

Une défaillance majeure du modèle proposé par les auteurs est donc de ne pas prendre en considération la question des moyens de pression. De plus, si on intégrait cet élément dans leur modèle, le résultat obtenu irait à l’encontre de ce qui est proposé dans la documentation sur la question. En effet, dans l’optique de ce modèle, le recours à des pressions ne peut que diminuer le pouvoir de négociation de la partie initiatrice en augmentant les coûts perçus pour la poursuite des négociations, en augmentant le nombre de solutions de rechange alléchantes pour l’autre partie et en diminuant le niveau de confiance de celle-ci.

Enfin, le seul cadre de l’action rationnelle stratégique (même s’il est question de rationalité limitée) privilégié par les auteurs, c’est-à-dire une approche individualiste méthodologique, ne permet pas de rendre compte de l’importance des dynamiques collectives propres aux relations du travail et des impacts de l’environnement sur la négociation.

Cela dit, l’ouvrage de Goldman et Rojot offre une synthèse intéressante des contributions des sciences comportementales à la compréhension de certaines dynamiques en négociation, contributions qui pourraient s’avérer utiles, principalement pour les négociateurs désirant améliorer leur pratique.