Corps de l’article

Au Québec, comme c’est le cas dans la majorité des territoires en Amérique du Nord, le recours à l’ergonomie n’est pas explicitement prévu par la Loi sur la santé et la sécurité du travail, ni, à toutes fins pratiques, par la réglementation adoptée en vertu de cette loi. Toutefois, d’autres véhicules législatifs permettent à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) d’exiger une analyse ergonomique des postes de travail à des fins de prévention.

D’autres législateurs ont préféré encadrer spécifiquement le recours à l’ergonomie à des fins de prévention. Dans cet article, nous allons examiner les règlements nord-américains qui ont imposé une approche de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui tient explicitement compte des connaissances en ergonomie. Aux États-Unis la tentative d’implanter une telle réglementation a été l’objet de débats houleux comme on le verra dans l’analyse des expériences de la Californie, de l’État de Washington et de l’État fédéral. Au Canada, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont adopté des règlements de manière beaucoup plus discrète.

Au Canada anglais et aux États-Unis, ce genre de législation est connu sous le vocable de « ergonomic standards » ou « ergonomic regulations ». Pour les fins du présent article, nous avons retenu une définition qui circonscrit ainsi notre objet d’étude : des outils législatifs dont se dote l’État pour assurer la prévention des TMS, voire dans certains cas, la prévention des problèmes de santé, en s’appuyant sur les connaissances en matière d’ergonomie. Le terme législatif renvoie à la fois aux lois et aux législations subordonnées que sont les règlements, mais non aux directives ou politiques institutionnelles, qui n’ont pas force de loi.

Les normes volontaires en matière d’ergonomie, par exemple celles qui sont adoptées par ISO, ANSI, l’ACGIH ou NIOSH[1], ne sont pas légalement contraignantes. Une norme volontaire n’a pas de valeur réglementaire à moins que le législateur n’exige explicitement le respect de ces normes adoptées par des organismes spécialisés comme il l’a fait, on le verra, dans l’État de Washington.

La réglementation en matière d’ergonomie est adoptée en vertu d’une loi dite habilitante qui fixe des objectifs en matière de santé et de sécurité au travail (SST) et délègue le pouvoir d’établir des règles plus précises et des moyens pour assurer le respect de ces règles. Au Canada, chaque province a le pouvoir de réglementer le domaine de la santé au travail[2], et le gouvernement fédéral a le pouvoir d’adopter des règlements qui s’appliquent aux entreprises soumises à sa compétence[3]. Aux États-Unis, chaque État a le pouvoir de réglementer la santé au travail, mais l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA) a le pouvoir d’adopter des règlements qui s’appliqueront partout aux États-Unis en l’absence d’une réglementation sur le même sujet adoptée par les États[4].

L’ergonomie est cette « science ayant pour objet le développement et l’application des connaissances relatives aux capacités d’exécution des êtres humains, leurs limitations et d’autres caractéristiques et qui applique ces connaissances à la conception des interfaces entre l’homme et le travail[5] ». L’ergonomie ne se limite pas aux interventions visant à prévenir les TMS ; toutefois, comme nous allons le voir, les règlements en matière d’ergonomie que nous avons étudiés restreignent leur portée à la prévention des TMS (Colombie-Britannique, Saskatchewan, gouvernement fédéral américain par OSHA, et Washington), voire même à la prévention des seules lésions attribuables au travail répétitif (LATR) dans le cas de la Californie.

Les TMS représentent un problème important au Canada[6] et aux États-Unis[7]. Au Québec, près de la moitié des lésions professionnelles touchent le système musculo-squelettique, dos inclus[8].

À l’exception de ceux d’OSHA et de Washington, les règlements étudiés sont présentement (en mars 2004) en vigueur en tout ou en partie mais, dans la plupart des cas, l’application effective du règlement est récente. L’ordre chronologique de leur entrée en vigueur est le suivant : la Saskatchewan (1988), la Colombie-Britannique (1998), la Californie (de 1997 à 1999) et l’État de Washington (2000, entrée en vigueur par étapes à partir de 2002[9], et abrogation le 4 décembre 2003 suite à un référendum[10]). Il n’existe pas encore de littérature permettant de mesurer leurs effets, et nous allons nous en tenir à une analyse descriptive de la réglementation.

Au niveau fédéral américain, il y a eu publication en novembre 2000 d’un règlement développé par OSHA. Entré en vigueur en janvier 2001, il sera, sous l’administration Bush et sous la gouverne d’un Congrès alors à majorité républicaine, abrogé dès mars 2001. Vu l’importance de cette législation et les controverses animées qui en ont précédé l’adoption, et malgré son abrogation, nous en rendons compte dans ce texte, même si elle ne pourra pas, selon certains, être adoptée de nouveau par OSHA, tout au moins sous une forme analogue, sans l’intervention explicite du législateur fédéral[11].

D’autres stratégies réglementaires existent ailleurs, notamment dans certains pays scandinaves, dans plusieurs pays de l’Union européenne et au Brésil. Cet article n’aborde que la situation nord-américaine, non pas parce que les modèles d’outre-mer présentent moins d’intérêt, mais par souci de faire un bilan qui permette de mieux percevoir la situation québécoise dans le contexte des États limitrophes. Nous espérons poursuivre la réflexion ultérieurement à travers l’examen des législations d’autres pays.

Après avoir expliqué sommairement le contexte sociopolitique qui a donné lieu à l’émergence de ces règlements, nous allons décrire et comparer les différentes approches. Finalement, nous allons mettre en contexte la situation juridique québécoise dans ce domaine.

L’article se base sur une revue de la littérature[12] et une analyse juridique classique.

Le contexte d’émergence des règlements

Mise en contexte historique

Les règlements étudiés prennent des formes différentes, tant par les activités visées que par les modalités de mise en oeuvre des normes édictées. Un regard sur le contexte historique dans lequel ils ont évolué permet de mieux comprendre la diversité de ces approches.

Dans les pays anglo-saxons, la réglementation en matière de SST a fait son apparition au début du 19e siècle avec les Factory Acts, en Angleterre. Dès 1802, une loi commandait un certain contrôle des heures de travail et des conditions de travail des jeunes apprentis dans l’industrie du textile. Mais c’est en 1833 seulement qu’une législation renouvelée en la matière a autorisé la création d’un réseau indépendant d’inspecteurs dotés de pouvoirs larges y compris celui de pénétrer dans les manufactures et les moulins, de décréter des ordonnances, et d’initier des poursuites afin de faire appliquer la loi[13].

C’est là le début de l’approche traditionnelle dite de commande et de contrôle. La réglementation devait se développer en suivant l’évolution des risques qui apparaissaient dans les manufactures, les mines, et plus tard les usines et les autres lieux de travail.

Plusieurs auteurs[14] signalent les faiblesses de l’approche traditionnelle. Ils soulignent qu’elle entraîne un nombre important de règles techniques et détaillées (spécifications) qui rendent difficile la compréhension et qui deviennent rapidement désuètes. Si cette approche donne l’avantage de fournir une liste précise et détaillée des mesures à appliquer, elle ne vise pas, selon eux, à encourager l’innovation et la recherche dynamique de solutions plus sécuritaires ou efficaces. En Angleterre, le comité Robens[15], dont le rapport a eu une influence importante à travers le monde anglo-saxon, a conclu que l’approche basée sur les spécifications favorisait une attitude attentiste à l’endroit de l’État et avait pour effet de séparer les questions de SST des questions relevant des relations industrielles. Cela aurait pour effet de diminuer l’implication des travailleurs et de leurs représentants dans l’élaboration de normes et le développement d’outils et de mécanismes visant à améliorer leur santé et sécurité au travail. On ajouta que l’approche traditionnelle ne constituerait pas non plus une solution aux problèmes résultant des risques associés à l’organisation du travail.

Depuis une trentaine d’années, on assiste à l’émergence d’une approche qui mise non seulement sur des règles précises mais aussi sur des exigences dites de « performance », terme qui comprend le devoir général de l’employeur de prévenir des lésions professionnelles[16]. Certains États ont adopté des mesures visant à encadrer le processus de prévention, parfois par voie de règlement, parfois dans le cadre de codes de pratiques. Les obligations d’assurer la formation, de fournir l’information sur les risques, de promouvoir la participation, d’effectuer une évaluation systématique des risques et, en général, de promouvoir un système de prise en charge de la gestion de la santé au travail sont toutes des normes dites de performance[17]. Ces exigences peuvent viser des objectifs généraux, comme l’élimination à la source des dangers pour la santé, ou cibler des risques spécifiques, comme les règlements étudiés ici qui visent la réduction de l’incidence des TMS.

Aux États-Unis, un devoir général de prévention est inscrit dans la législation fédérale, applicable partout aux États-Unis, législation qui a assuré la création d’OSHA en 1970[18]. La revue de la littérature permet de voir les avantages de telles dispositions législatives. Alors que la détermination de règlements techniques visant des risques spécifiques est souvent un processus lent et fastidieux, la formulation d’un devoir général de prévention a pour effet d’assurer à l’organisme chargé de la prévention en matière de SST une possibilité d’intervenir et de sanctionner des pratiques dangereuses même lorsque aucune norme précise n’interdit le comportement visé par l’intervention. Si, par contre, une norme précise existe, tout au moins aux États-Unis, c’est en vertu de cette norme précise que le comportement doit être évalué et non en fonction du devoir général, à moins que le poursuivant puisse démontrer que la norme spécifique était, à la connaissance de l’employeur, inadéquate[19]. Rabinowitz et Hager soulignent qu’au Canada, les lois en matière de prévention (provinciales et fédérale) prévoient également un devoir général de prévention, et des poursuites peuvent être engagées pour violation du devoir général lorsque les dispositions spécifiques n’existent pas ou protègent inefficacement la santé du travailleur[20]. Au Québec, l’équivalent de ce devoir général de prévention est inscrit à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[21] (LSST) adoptée en 1979, article qui impose à l’employeur des obligations générales et précises de prévention[22] et en vertu duquel il est possible de porter plainte même si l’employeur s’est conformé à l’ensemble des normes établies par la réglementation spécifique en matière de SST[23].

Le devoir général de prévention constitue parfois le seul fondement juridique permettant de sanctionner un comportement ou procédé dangereux lorsque le travail est peu assujetti aux règlements spécifiques. Il est également important pour permettre une intervention préventive basée sur de nouvelles connaissances scientifiques, et ses termes généraux permettent au droit d’évoluer sans intervention active de la part du législateur. Il existe dans la plupart des législations nord-américaines et il a parfois fait l’objet de critiques, notamment de la part de politiciens américains conservateurs qui ont cherché à limiter sa portée sinon carrément à le faire disparaître[24].

C’est dans ce contexte que les règlements en matière d’ergonomie ont été développés. En Amérique du Nord, c’est principalement la montée en flèche des coûts des lésions musculo-squelettiques et le constat d’échec de la législation en vigueur[25], qui ont servi à justifier l’intervention de l’État, et cela explique peut-être pourquoi ces règlements ne touchent qu’à la prévention des TMS.

L’émergence des normes nord-américaines en matière d’ergonomie a levé le voile sur les enjeux politiques correspondant à ces visions du rôle de l’État dans la prévention des lésions professionnelles, visions quelque peu contradictoires. Les uns ont voulu créer un cadre permettant d’introduire des obligations en matière d’ergonomie qui laisseraient un maximum de souplesse aux premiers acteurs chargés d’appliquer ces normes, soit les employeurs, les syndicats et les travailleurs. La réglementation de la Colombie-Britannique reflète bien ce type d’approche qui mise sur les critères de performance, intégrant des obligations à l’égard du processus d’évaluation et de prévention. Les autres, comme l’État de Washington, ont préféré une approche beaucoup plus structurante et encadrée, basée sur des spécifications précises qui serviront à déclencher de nouvelles obligations[26]. Et nous verrons qu’il y a des acteurs importants qui résistent à toute forme de réglementation dans ce domaine.

Des approches réglementaires négociées

Certaines des différences dans les approches réglementaires sont le produit de négociations entre un grand nombre d’acteurs ayant des intérêts distincts et des visées diversifiées : travailleurs, syndicats, employeurs, associations patronales et agents gouvernementaux.

Saskatchewan

Alors que d’autres gouvernements en étaient encore à leurs premières réflexions sur cette question, celui de la Saskatchewan a, en 1988, adopté un premier règlement, assez général dans son approche, visant la prévention des TMS. Elle l’a fait suite à de multiples consultations de regroupements d’employeurs et de travailleurs, mais sans avoir toutefois constitué formellement des groupes de travail tripartites[27]. Une révision du règlement a été faite en 1996[28] par un groupe de travail composé d’une personne de la Division de la santé et sécurité au travail (DSST) et de représentants d’employeurs et de travailleurs. Il semble que les réactions des divers milieux aient été généralement positives. Les positions et les commentaires qui furent considérés dans la version finale du règlement ont été recueillis sur un mode plutôt informel.

Californie

En Californie, c’est au moins depuis 1987 que divers intervenants tentent d’amener le gouvernement à apporter des solutions à la problématique des LATR. Cette année-là, l’OSB (Occupational Safety Board) recevait une pétition de la part des syndicats dans le domaine des communications, lui enjoignant de réglementer l’usage des terminaux d’ordinateurs dans les milieux de travail. Un programme existant obligeait les employeurs à faire de la prévention, mais il ne fournissait pas suffisamment d’information aux employés en temps opportun pour être efficace. Ce programme ne permettait de pénaliser que les employeurs les plus négligents suite à une procédure complexe qui rendait illusoire la mise en oeuvre d’une solution efficace[29].

Le comité consultatif créé par l’OSB conclut, en 1989, à la nécessité d’une approche réglementaire. La DOSH[30] analyse le rapport et ses recommandations, les juge utiles mais questionne la portée restreinte proposée et recommande plutôt le développement d’un règlement en matière d’ergonomie, visant la prévention des TMS, devant s’appliquer à tous les travailleurs et non seulement à ceux qui travaillent sur terminal et porter entre autres sur la conception des postes de travail, ainsi que sur la formation.

Entre temps, quelques employeurs sont visés par des ordonnances spéciales leur enjoignant de fournir des pauses aux employés travaillant sur terminaux de même que des claviers, des écrans et des chaises ajustables ainsi que de l’espace adéquat pour les jambes. Cette situation introduit une iniquité entre employeurs, les uns étant obligés de pallier les effets nocifs de l’utilisation de terminaux, les autres non. Une loi est alors introduite en 1990 pour obliger l’OSB à adopter un règlement touchant l’utilisation des terminaux. Une loi dans ce sens est votée mais le gouverneur y oppose son veto, suggérant qu’il est préférable de laisser toute latitude aux employeurs.

Dans le cadre d’une réforme des lois touchant l’indemnisation des travailleurs, une disposition insérée dans le Code du travail oblige l’OSB à produire au plus tard le 1er janvier 1995 une norme réglementaire pour minimiser les LATR en milieu de travail. Un premier projet ne fait pas consensus ; ainsi l’OSB ne réussira pas à livrer le produit à temps et la Cour lui ordonne d’obtempérer[31]. Après beaucoup de tergiversations, le premier règlement américain en la matière est adopté en juillet 1997[32]. Sa validité sera contestée devant les tribunaux[33]. Les employeurs soutiennent notamment que la détermination des coûts du règlement n’a pas été faite au préalable et que la réglementation n’a pas été fondée sur des études scientifiques. Ces arguments ne seront pas retenus par les tribunaux. Les syndicats critiquaient notamment les exigences réglementaires voulant que le travailleur démontre que sa lésion était imputable à plus de 50 % au travail répétitif et que la preuve médicale identifie par des signes objectifs le diagnostic d’une LATR. Ils critiquaient aussi les mécanismes par lesquels les employeurs, en effectuant une démarche de prévention, pouvaient se mettre à l’abri d’une poursuite, le fardeau de preuve étant transféré au poursuivant qui devait démontrer qu’un autre remède aurait été plus efficace au niveau préventif sans imposer des coûts déraisonnables à l’employeur. Finalement, ils contestaient la portée restreinte du règlement, qui n’était applicable qu’aux employeurs ayant plus de dix salariés. Alors que le juge de première instance avait accepté l’ensemble de ces critiques, le tribunal d’appel a déclaré valide le règlement. Toutefois, il a accepté d’élargir sa portée à l’ensemble des lieux de travail. Hormis cette dernière modification, le règlement retrouve sensiblement la forme proposée par l’OSB[34].

Colombie-Britannique

En Colombie-Britannique[35], de nombreuses activités ont marqué un processus de discussion échelonné sur six années qui a finalement donné lieu à l’adoption d’un règlement en matière d’ergonomie.

C’est sur l’initiative institutionnelle du Workers’ Compensation Board, en réponse à des revendications syndicales soutenues, qu’un processus de révision du cadre réglementaire a débuté en 1991. Ont été créés deux comités internes, incluant des représentants des employeurs, des travailleurs et d’autres groupes. Après plusieurs rapports et plusieurs consultations publiques, qui ont permis d’identifier des points majeurs de désaccord, le règlement est adopté en 1997 et il entre en vigueur en 1998 à la suite de compromis importants survenus entre les principaux acteurs. La nature des facteurs de risque à inscrire au règlement et le caractère des remèdes à apporter pour chacun de ces facteurs constituaient des éléments particulièrement litigieux. On a déplacé, hors règlement, certaines dispositions définissant en termes quantitatifs les limites d’exposition à certains risques. Ces spécifications, qui avaient été initialement intégrées dans le projet de règlement, se sont retrouvées dans des directives non contraignantes[36].

Washington

L’État de Washington a amorcé le processus de réglementation en 1998. Mené par Dr Barbara Silverstein, une chercheure de pointe en matière de TMS ayant, de plus, participé à la préparation du règlement d’OSHA, le processus a réuni, à neuf reprises, fin 1998, des représentants des milieux des affaires, des milieux syndicaux et de la santé. Deux comités consultatifs ont travaillé à l’élaboration du règlement et à l’examen du règlement proposé et quatorze séances publiques de consultation ont permis à quelque 250 témoins de se faire entendre[37].

Le règlement a été adopté en mai 2000[38]. Il identifie deux niveaux d’exposition à des dangers potentiels en milieu de travail, l’un qui incite à la prudence et à l’évaluation, l’autre qui indique la présence effective d’un danger et qui nécessite des mesures palliatives.

On a tenté d’assurer certaines formes de concertation pour favoriser la prise en compte des intérêts divers. Un Blue Ribbon Panel donne son appui à la mise en vigueur du règlement, car il note le succès des projets pilotes ; les matériaux éducatifs ont été préparés et largement diffusés ; les exigences du règlement sont compréhensibles ; et les procédures de mise en oeuvre sont équitables et cohérentes.

En 2001, le Sénat reporte la mise en vigueur. Une coalition d’entreprises a contesté le règlement, invoquant que cela avait été fait de façon arbitraire et capricieuse. Le 12 juillet 2002, cette contestation est déboutée en cour supérieure, et la Cour suprême de l’État est saisie d’un appel[39].

On prévoit une mise en vigueur progressive du règlement, à partir de 2002, selon le secteur et la taille des entreprises, les secteurs les plus à risque et les entreprises les plus grandes étant touchés en premier. Toutefois un groupe d’employeurs réussit à porter le débat aux urnes et, suite à un référendum perdu en novembre 2003, le règlement est abrogé[40].

L’État fédéral américain (OSHA)

OSHA s’intéresse à la problématique de l’ergonomie depuis les années 1970, utilisant une clause de « devoir général » et signifiant aux entreprises au cours des années plus de 500 infractions[41]. Un règlement applicable dans un seul secteur, celui de la production des viandes, est adopté au début des années 1990. En 1993, l’agence annonce son intention de procéder à l’élaboration d’un règlement général en matière d’ergonomie, couvrant des lésions dues aux gestes répétitifs et à des positions inconfortables pendant des périodes prolongées[42].

On assiste par la suite à ce qui semble être une campagne bien orchestrée pour dénoncer l’ergonomie (cette science bizarre, « weird science », basée sur des théories douteuses[43]) et toute approche ergonomique réglementaire, que ce soit celle d’OSHA ou celle qui est discutée en Californie. La Chambre des représentants adopte trois résolutions en 1995 pour bloquer par divers moyens les efforts d’OSHA pour développer un tel règlement, mais, en 1998, OSHA rencontre près de 400 intervenants afin de préparer un projet de règlement[44].

Le projet de règlement, publié en 1999, attire presque 11 000 commentaires et, aux audiences publiques, plus de 700 personnes se font entendre. Il est adopté en novembre 2000. Les critiques dénoncent l’approche basée sur une exigence de performance plutôt que sur des spécifications précises, véhiculant le spectre de coûts non contrôlés engendrés par des obligations mal définies[45]. Contesté devant les tribunaux[46], ce règlement entre néanmoins en vigueur le 16 janvier 2001[47], mais les premiers délais de conformité n’auront pas à être respectés car le règlement est abrogé par le Congrès au printemps 2001, suite à l’arrivée de l’administration Bush[48].

OSHA annonce alors un nouveau plan, soit le développement de directives par industrie et par tâche[49]. On crée alors un nouveau comité consultatif national pour identifier les lacunes existantes dans la recherche en matière d’ergonomie. L’approche réglementaire à portée générale, applicable à l’ensemble des industries, est laissée de côté pour un bon moment.

Les règlements nord-américains en matière d’ergonomie en 2004

Il existe dans les administrations examinées une grande diversité d’approches réglementaires. Ces différences se situent notamment aux plans suivants : le(s) déclencheur(s) des actions ; les modalités d’identification d’un problème potentiel de caractère ergonomique et de détermination de l’ampleur du problème ; les facteurs de risque ; l’ensemble des actions requises par la réglementation ; finalement, le cas échéant, les modalités de suivi pour fins d’évaluation et de correction du tir.

Le tableau 1 permet de voir la synthèse des règlements étudiés, facilite la comparaison et permet de comprendre les informations complémentaires qui suivront.

Notons toutefois qu’il est impossible de tracer des cloisons entre les différentes étapes du processus qui soient communes à tous les règlements. Il n’est pas non plus possible de fournir avec justesse les détails spécifiques de chacun des règlements. Néanmoins, les étapes charnières seront présentées ici.

Les déclencheurs

Dans quatre cas, l’entrée en vigueur du règlement déclenche par elle-même l’obligation d’agir de la part des entreprises. Par contre, toutes les actions prévues ne sont pas nécessairement applicables, et certains règlements, comme celui d’OSHA, prévoient plusieurs étapes, chacune ayant des déclencheurs spécifiques, que nous examinerons dans la section qui suit.

Le règlement de la Californie ne déclenche aucune action à moins que des circonstances précises ne se présentent. Il ne concerne que les LATR et n’exige une action de l’entreprise que si deux LATR affectant plus d’un travailleur sont survenues dans l’exercice d’un travail identique, dans la même entreprise et dans un laps de temps égal ou inférieur à 12 mois. Les lésions doivent être causées de manière prépondérante par un travail, un processus ou une opération à caractère répétitif, et doivent être diagnostiquées par un médecin. Le règlement ne contient pas de définition de ce qu’est une LATR, mais tous semblent s’entendre pour en exclure les problèmes de dos[50].

Sauf pour la Californie et, en ce qui concerne le deuxième niveau d’exigences, pour OSHA, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un TMS chez un travailleur de l’entreprise pour déclencher l’application intégrale du règlement.

L’étape de l’évaluation : approche préventive ou approche corrective ?

Le coeur des règlements porte sur l’évaluation des risques. Ici, nous regarderons la démarche exigée et dans la section suivante nous aborderons les différents facteurs de risque.

Dans trois des quatre cas où, dès son entrée en vigueur, le règlement nécessite une ou des actions de la part des entreprises, les actions exigées sont d’ordre préventif.

Tableau 1

Étapes prévues dans la réglementation en matière d’ergonomie, 2004

Étapes prévues dans la réglementation en matière d’ergonomie, 2004

a, b. Ces deux règlements ne sont plus en vigueur. Ils sont présentés ici à des fins analytiques. Les outils développés peuvent continuer à être utilisés; cf., e.g., http://www.lni.wa.gov/Safety/Topics/HazardInfo/ Ergonomics/ServicesRessources/Tools/default.asp.

-> Voir la liste des tableaux

En Saskatchewan, en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington, une évaluation est obligatoire afin d’identifier les problèmes qui pourraient se poser suivant les critères retenus dans chacun des règlements.

Ainsi, en Saskatchewan, l’employeur revoit régulièrement les activités réalisées dans le lieu de travail qui pourraient causer ou aggraver les lésions musculo-squelettiques[51] (LMS). En cas de risque de LMS, l’employeur informe le travailleur de ce risque et des signes et symptômes caractéristiques d’une LMS associée au travail qu’il réalise. De plus, l’employeur réduit le potentiel nocif des activités en fournissant les équipements appropriés, en modifiant les pratiques et les procédures de travail, et en modifiant l’horaire, la charge ou la distribution du travail.

Le règlement identifie de manière qualitative et non quantitative un ensemble de facteurs de risque reconnus comme étant susceptibles de causer une LMS. Cependant, le règlement n’exige pas que le travailleur établisse le lien causal entre le travail, le facteur de risque et ses symptômes.

Au cas où un travailleur présenterait effectivement des symptômes de LMS, l’employeur doit conseiller au travailleur de consulter un professionnel de la santé. L’employeur doit revoir rapidement les activités de ce travailleur et des autres travailleurs qui effectuent un travail similaire, afin de prévenir d’autres lésions en identifiant toute cause possible de ces symptômes[52] et en remédiant au problème.

En Colombie-Britannique, l’employeur est tenu d’identifier les facteurs du milieu qui peuvent exposer les travailleurs au risque d’une LMS. Des facteurs de risque à considérer sont prédéterminés mais non quantifiés dans le règlement et, lorsqu’ils sont présents dans l’entreprise, doivent donner lieu à une évaluation du risque pour les travailleurs. Contrairement à ce qui se fait en Saskatchewan, l’évaluation comporte deux étapes distinctes, d’abord l’identification de facteurs de risque, ensuite l’évaluation du risque.

La troisième administration où on a retenu une approche préventive est celle de l’État de Washington, où on prévoit également deux étapes distinctes dans le processus d’évaluation : d’abord l’identification dans l’entreprise des emplois dont les tâches habituelles comprennent des facteurs de risque identifiables ; ensuite, le cas échéant, une analyse des dangers que pourraient receler ces emplois jugés à risque.

Toute entreprise doit s’assurer de manière raisonnable qu’il n’existe pas chez elle « d’emplois à risque » (caution zone jobs), c’est-à-dire des emplois dans lesquels les tâches typiques comprennent un de 14 facteurs de risque stipulés au règlement. Une tâche typique est celle qui, de manière régulière et prévisible, survient plus d’un jour par semaine, et plus d’une semaine par année. En l’absence d’emplois à risque, l’entreprise n’est pas assujettie aux autres exigences réglementaires, mais en présence de tels emplois, l’entreprise doit les analyser de près et en réduire les risques le cas échéant.

L’OSHA a une approche mixte, tantôt préventive, tantôt corrective. Dans un premier temps, une information doit être offerte aux travailleurs de manière systématique, concernant les TMS courants, leurs signes et symptômes ; l’importance de faire le plus tôt possible rapport des signes et des symptômes de TMS et les conséquences de ne pas le faire ; la manière de faire un tel rapport ; les facteurs de risque, les emplois et les activités de travail qu’on associe le plus souvent aux TMS ; et doit leur être transmise également une courte description des dispositions du règlement.

Cependant, ce n’est que suite à la production par un travailleur d’un rapport de symptômes de TMS que l’employeur sera obligé de procéder à l’évaluation des emplois existant dans son entreprise. Il le fera par étapes. Dans un premier temps, l’employeur déterminera s’il y a eu un « incident de TMS » et ce, selon des critères précis : la lésion est reliée au travail et elle requiert des jours de congé, du travail restreint d’une manière quelconque ou des traitements médicaux ; ou, les symptômes sont jugés reliés au travail et ils perdurent pendant sept jours consécutifs après le signalement[53]. Si le rapport ne répond pas à ces critères, il n’est pas considéré comme un incident de TMS et aucune suite n’est donnée. S’il s’agit bien d’un incident de TMS, alors on évaluera si cet incident constitue un déclencheur d’action. L’employeur doit alors déterminer si l’emploi qu’occupe le travailleur ayant vécu l’incident (et tous les autres emplois similaires dans l’établissement) expose ce travailleur à des risques indus. Si c’est le cas, l’employeur devra y apporter les correctifs appropriés. Sinon, l’employeur n’est soumis à aucune autre exigence particulière.

Seule la Californie a une approche purement corrective, étant donné que la survenance de deux LATR en 12 mois dans le cadre d’un travail identique[54] constitue le déclencheur d’obligations. Suite au déclenchement, l’action réglementée consiste alors en la détermination par l’employeur de la nature et de l’ampleur du problème, et ce, en une seule étape.

Les facteurs de risque et l’évaluation de la nature du problème

Dans toutes les législations étudiées, sauf celle de la Californie, on identifie des facteurs de risque qui doivent faire l’objet d’une attention particulière selon les dispositions propres à chacune. Ces facteurs sont décrits de manière générique ou qualitative en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. La réglementation d’OSHA et celle de l’État de Washington imposent des facteurs de risque quantifiés.

Le tableau 2 présente les différents types de facteurs de risque qui sont considérés par chaque règlement.

Une approche qualitative pour l’identification des facteurs de risque

En Saskatchewan, plusieurs facteurs doivent être ciblés par tous les employeurs en vue de protéger la santé des travailleurs. Ces facteurs comprennent notamment les exigences en matière de manutention, de répétition et de force physique, les caractéristiques du poste de travail, les conditions environnementales dans lesquelles s’exécute le travail et certaines facettes de l’organisation du travail comme telle. Une attention particulière doit être portée aux situations où ces facteurs pourraient causer ou aggraver des LMS.

En Colombie-Britannique, la liste des facteurs de risque couvre sensiblement le même spectre que dans le cas précédent, mais de manière plus détaillée. On vise :

  • la demande physique du travail (y compris la force requise, les gestes répétés ou répétitifs, la durée, la posture, le stress de contact) ;

  • la disposition de la station de travail (y compris les distances et les hauteurs, les sièges, les surfaces des planchers) ;

  • les caractéristiques des objets manipulés (y compris leur taille et forme, la charge, la distribution des poids, les poignées) ;

  • les conditions environnementales (y compris le froid) ; et

  • l’organisation du travail (y compris les cycles de récupération, la variation des tâches, les cadences de travail).

Des directives non contraignantes décrivent de manière plus détaillée les facteurs de risque — et les parties du corps les plus à risque — directives auxquelles les personnes intéressées peuvent s’attarder en étudiant les causes possibles, les signes ou les symptômes d’une LMS. Aucun des facteurs de risque identifiés n’est quantifié, ni dans le règlement ni dans les documents d’accompagnement. On mise ainsi sur l’éducation des employeurs[55] et des travailleurs[56] pour faciliter l’adoption de nouvelles pratiques.

Tableau 2

Principales dispositions couvrant les facteurs de risque, l’information et la formation

Principales dispositions couvrant les facteurs de risque, l’information et la formation
  1. Le règlement parle de la « force » requise. La problématique de la « prise » est traitée dans la documentation en accompagnement.

  2. On doit porter attention aux sources de lumière sur le poste de travail, car mal conçues ou mal mises en application, elles peuvent être source de difficultés. Les reflets, par exemple, peuvent provoquer chez le travailleur le besoin de prendre de mauvaises postures pour compenser.

  3. Pas dans le règlement, mais dans le guide d’accompagnement, sous la rubrique Environnement.

  4. Indirectement, en raison de la définition de « Administrative controls » in OSHA, 1910.900 (z).

  5. Indirectement, en raison de la définition de « Administrative controls » in OSHA, 1910.900 (z).

-> Voir la liste des tableaux

Une approche quantitative pour l’identification des facteurs de risque

Dans les deux règlements qui quantifient les facteurs de risque, soit ceux d’OSHA et de Washington, on cible moins de facteurs, mais ceux qui sont ciblés sont quantifiés soit dans le texte du règlement[57], soit par renvoi à des outils et normes développés par d’autres organismes[58].

Dans le cas de Washington, lorsque l’employeur a identifié dans son entreprise des emplois comprenant au moins un des facteurs de risque (« emplois à risque »), il doit évaluer la nature de ces facteurs et la gravité du risque qu’ils engendrent, seuls ou en combinaison avec d’autres facteurs de risque des TMS reliés au travail.

Cet employeur peut choisir, à sa discrétion, entre deux approches pour réaliser cette analyse. La première approche, dite générale, fait appel à des outils et approches spécifiés[59], à l’aide desquels l’employeur mesure les « emplois à risques » pour y identifier ceux qui comportent des dangers de TMS devant être diminués. La deuxième approche, dite spécifique, est identique en tous points à l’approche générale sauf que l’employeur se référera pour le travail d’évaluation à un ensemble de critères, soit des facteurs de risque quantifiés, compris dans le règlement.

Les facteurs de risque identifiés sont les facteurs à partir desquels l’entreprise détermine la présence ou non d’ « emplois à risque », bien qu’au stade de la détermination du danger ces facteurs sont plus nombreux (plus de 21, plutôt que 14) et plus exigeants, du point de vue de celui qui veut démontrer l’obligation d’agir. On trouve les mêmes catégories de facteurs de risque, mais le niveau danger (passages en italique) est plus élevé que le niveau risque. Par exemple,

  • concernant la posture inconfortable : travailler quatre (et non deux)heures par jour les mains au-dessus de la tête ou les coudes au-dessus des épaules ; soulever de manière répétée les (la) main(s) au-dessus de la tête ou le(s) coude(s) au-dessus des épaules plus qu’une fois par minute pendant plus de 4 heures au total durant la journée ; ou

  • exercer une activité intensive de saisie de données pendant plus de sept (et non quatre) heures au total dans une journée ; ou encore exercer une activité intensive de saisie de données pendant plus de quatre heures au total dans une journée en ayant à le faire dans une posture inconfortable, soit avec les poignets en flexion à au moins 30 degrés, en extension à au moins 45 degrés, ou en déviation ulnaire à au moins 30 degrés.

Dans le cadre proposé par OSHA, une action remédiatrice de la part d’un employeur n’est obligatoire que suite à deux constats. Le premier consiste en l’identification d’un « incident de TMS » selon des critères précis y compris celui de savoir si le TMS est relié au travail. L’employeur peut faire appel à un médecin pour déterminer s’il s’agit d’un événement relié au travail. Le travailleur a le droit à un deuxième avis d’un professionnel de son choix, sans coût pour lui. Il existe un processus de résolution d’avis discordants[60]. Le deuxième constat est celui de l’existence d’un « déclencheur d’action ». Celui-ci existe s’il y a eu « incident de TMS » et si l’emploi concerné expose le travailleur une journée ou plus par semaine à au moins un des facteurs de risque identifiés de manière quantifiée dans le règlement[61]. Le cas échéant, des actions remédiatrices sont nécessaires. La détermination de ces actions nécessite une analyse spécifique ; des outils pouvant être utilisés en complément aux critères quantifiés réglementés sont identifiés dans le règlement.

Les gestes répétitifs, l’usage excessif de force, les postures inconfortables, les contacts répétés engendrant un stress et les vibrations excessives sont les situations de travail couvertes par le règlement d’OSHA. Des mouvements typiques dans chacune de ces catégories — sources potentielles de TMS — sont décrits, quantifiés et associés à une région du corps (cou/épaule, main/poignet/bras, dos/torse/hanche ou jambe/genou/cheville). Ces mouvements peuvent, de manière caractéristique, être associés à des problèmes de santé dans une seule partie du corps, plus d’une partie, voire dans les quatre parties du corps notées dans la grille. On quantifie les poids, les angles pour les postures inconfortables, et le nombre de gestes par heure ou par journée de travail.

Les actions exigées

Le processus d’identification des facteurs de risque sert à déterminer l’étendue des obligations d’agir des employeurs. Ici nous présenterons les actions exigées, l’ordre de présentation reflétant le degré d’encadrement et d’exigences, en commençant avec le règlement qui exige le moins des employeurs.

La Californie

Parmi les cinq administrations étudiées, c’est en Californie que l’encadrement réglementaire est le moins exigeant. Quand surviennent deux LATR dans le cadre d’activités de travail identiques à l’intérieur d’une période de douze mois, un employeur est obligé d’instaurer un programme visant à minimiser les LATR.

Ce programme comprendra l’évaluation et le contrôle des expositions ayant causé les LATR, de même que la formation nécessaire pour les employés[62]. L’évaluation traitera de l’emploi ayant donné lieu à la LATR et de tout autre emploi comprenant des tâches ou des opérations identiques ; aucune exigence plus précise n’est proposée. Toute exposition ayant causé des LATR sera corrigée (le « contrôle » des expositions[63]) ou, si cela s’avère impossible, minimisée dans la mesure du possible. Ces contrôles sont notamment de type génie (re-design du poste de travail ou des outils de travail, installation d’éléments ajustables) et de type organisationnel (rotation, cadences, pauses).

La formation doit expliquer le programme de l’employeur, les expositions dont l’association avec les LATR a été démontrée, les symptômes et les conséquences des LATR, l’importance de rapporter les symptômes et les lésions ainsi que les méthodes mises en oeuvre par l’employeur pour réduire les LATR.

On présumera de toute activité réalisée par l’employeur pour répondre à ces objectifs (évaluation, contrôle, formation) qu’elle satisfait aux obligations de l’employeur à moins d’une preuve qu’une action alternative qui ne lui était pas inconnue aurait pu, avec une certaine probabilité, réduire davantage les lésions et ce, sans imposer des coûts additionnels déraisonnables[64].

Aucun suivi (évaluation post-« contrôle des expositions ») n’est prévu au règlement, par exemple pour en assurer, voire mesurer, l’efficacité ou la pertinence continue.

La Saskatchewan

En Saskatchewan, en consultation avec le comité SST, l’employeur revoit régulièrement les activités de travail qui pourraient causer ou aggraver les TMS[65].

En cas d’identification d’un risque, l’employeur doit informer les travailleurs susceptibles d’être exposés à des risques de développer des symptômes de TMS reliés à leur travail. En cas de symptômes de TMS chez un travailleur, l’employeur doit recommander à celui-ci de consulter un professionnel de la santé et revoir ses activités de travail et celles des autres travailleurs réalisant un travail similaire.

L’employeur apporte une protection aux travailleurs potentiellement à risque, en fournissant des équipements conçus, construits, installés et maintenus en état pour réduire les effets nocifs d’une activité, en mettant en oeuvre des pratiques de travail appropriées et en implantant des horaires de travail, des charges de travail ou d’autres arrangements alternatifs visant la réduction des effets nocifs de l’activité. L’employeur devra offrir de la formation sur la réalisation sécuritaire du travail. Il devra revoir « régulièrement » les activités de travail pouvant causer ou aggraver les TMS.

La Colombie-Britannique

En Colombie-Britannique, quatre étapes distinctes sont prévues : l’identification des risques, l’évaluation des risques, le contrôle des risques et l’évaluation périodique.

Les facteurs de risque sont identifiés pour aider à l’identification et à l’évaluation des risques de TMS. La fonction de contrôle implique d’éliminer les risques lorsque cela peut être fait ; sinon, de les minimiser. Il est précisé que l’équipement protecteur personnel ne doit être utilisé que comme substitut à des contrôles de type génie ou administratif lorsque ceux-ci s’avèrent irréalisables. Lorsque l’implantation des mesures de contrôle permanentes implique des délais, l’employeur doit sans délai implanter des mesures de contrôle transitoires[66].

L’employeur devra procéder à une évaluation afin de veiller à l’efficacité des mesures prises pour se conformer aux exigences du règlement et ce, au moins annuellement. En cas de constat d’une déficience, il devra agir « sans délai indu » pour corriger les lacunes que comportent ces mesures[67].

L’employeur doit assurer aux travailleurs l’information nécessaire concernant les risques de TMS au travail, la reconnaissance précoce des symptômes des TMS et leurs conséquences potentielles sur la santé et offrir une formation quant à l’usage de toute mesure mise en oeuvre pour contrôler le risque de TMS.

Washington

La réglementation en matière d’ergonomie de l’État de Washington impose les actions qu’elle définit seulement aux employeurs ayant des « emplois à risque », c’est-à-dire ceux dont les activités ordinaires comprennent, plus d’une journée par semaine et plus d’une semaine par année, au moins un des facteurs de risque physiques identifiés dans le règlement[68]. Le règlement oblige cependant tous les employeurs à déterminer s’il existe dans leur entreprise des « emplois à risque »[69].

Il y a une continuité entre les facteurs de risque servant à identifier un « emploi à risque » et les critères, plus sévères, qu’on doit appliquer s’il y a risque, pour analyser et réduire les dangers de TMS[70].

Rappelons le choix qu’a l’employeur, s’il y a présence « d’emplois à risque », d’adopter une des deux approches déjà mentionnées[71] pour mener à bien l’évaluation. Suite à l’analyse des risques, les deux approches exigent que les dangers soient diminués en deçà des critères prescrits par l’approche choisie ou jusqu’au degré réalisable des points de vue technologique et économique. La revue des mesures prises pour réduire les risques ergonomiques est faite au moins annuellement, pour en vérifier l’efficacité et déterminer le besoin d’amélioration.

La sensibilisation des travailleurs occupant des « emplois à risque » ainsi que la formation concernant la mise en oeuvre de toute mesure de nature ergonomique, le cas échéant, sont obligatoires.

Il n’y a pas d’obligation de produire un plan d’action écrit. Cependant, l’employeur doit être en mesure de démontrer que les dangers de TMS reliés au travail ont été réduits en deçà des seuils déterminés par règlement ou jusqu’au degré jugé technologiquement et économiquement faisable.

La législation fédérale américaine (OSHA)

Le programme en matière d’ergonomie que doit mettre en place une entreprise ayant fait le double constat de la présence « d’incident de TMS » et de « déclencheur d’action » comporte cinq caractéristiques :

  • le leadership au plan de la gestion, tel que démontré par un système efficace de signalement des TMS, des actions rapides en réponse à ces signalements, une identification claire des responsabilités quant au programme et une communication régulière avec les employés au sujet du programme ;

  • la participation des employés, telle que démontrée par le signalement rapide des TMS et l’implication active des employés et de leurs représentants dans l’implantation, l’évaluation et le développement du programme ;

  • l’analyse et le contrôle des risques au travail, tels que démontrés par un processus d’identification et d’analyse utilisant des contrôles de génie reliés aux pratiques de travail et des contrôles administratifs pour contrôler ou réduire à des niveaux réalisables les risques de TMS[72], et qui évalue ces contrôles afin d’en assurer l’efficacité ;

  • la formation des gestionnaires, des superviseurs et des employés (sans coût pour ces employés) quant au programme d’ergonomie et quant à leur rôle dans ce programme, à la reconnaissance des signes et symptômes des TMS, à l’importance du signalement rapide, à l’identification des risques de TMS dans les emplois du milieu de travail et aux méthodes de contrôle mises en place ; et

  • l’évaluation de programme, telle que démontrée par des révisions régulières des éléments du programme et de l’efficacité du programme dans son ensemble, à l’aide de mesures telles la réduction dans le nombre et la sévérité des TMS, l’augmentation du nombre d’emplois dans lesquels les risques de TMS ont été effectivement contrôlés, ou la réduction du nombre d’emplois posant des risques de TMS pour les employés ; et par la correction des déficiences identifiées dans le programme[73].

Dans le cas où une « solution rapide » serait permise, car l’entreprise n’aurait connu qu’un incident TMS dans cet emploi et deux incidents au maximum dans l’entreprise depuis 18 mois[74], la version alternative des exigences permet de surseoir à la quatrième exigence (la formation des gestionnaires…), mais l’essentiel des autres éléments est maintenu.

Un échéancier rigoureux est fixé[75]. De plus, toute entreprise de 11 employés et plus doit maintenir pendant trois années des registres électroniques concernant les TMS rapportés, la réponse de l’entreprise dans chaque cas, les analyses des risques, les mesures de contrôle adoptées, toute procédure de solution rapide, toute évaluation de programme d’intervention ergonomique, et toute situation de perte de temps de travail et de restriction du travail due à des TMS et les opinions médicales la justifiant.

Les acteurs interpellés

Plusieurs acteurs jouent des rôles décrits aux règlements, et le tableau 3 permet une comparaison des différentes législations à cet égard. Certains acteurs qui devront, en pratique, être interpellés dans le cadre du processus, sont passés sous silence dans les textes réglementaires, notamment les ergonomes. On exige simplement la participation d’individus ayant reçu une formation adéquate pour réaliser l’analyse des risques requise par la réglementation[76].

Les employeurs, et les associations d’employeurs et sectorielles[77]

Les différents règlements font des employeurs les premiers répondants. En Saskatchewan et en Californie, tous les employeurs sont assujettis à la réglementation. En Colombie-Britannique, la couverture s’étend aussi à tous les employeurs, sauf ceux des mines et des chemins de fer. Dans le cas de OSHA, tous les employeurs[78] étaient assujettis à la réglementation sauf ceux de la construction, de l’industrie maritime, de l’agriculture et des chemins de fer[79]. Finalement, dans l’État de Washington, ont été assujetties à l’ensemble de la réglementation seulement les entreprises où on a déterminé qu’il existe des emplois à risque. On sait, toutefois, que tous les employeurs devaient, pour se mériter l’exemption, réaliser une évaluation raisonnable démontrant l’absence d’emplois à risque dans leur entreprise[80].

Les travailleurs et leurs associations

Tous les règlements étudiés, à l’exception de celui de la Californie, circonscrivent explicitement l’implication des travailleurs et de leurs associations dans les différentes étapes du processus.

Tableau 3

Les acteurs interpellés1

Les acteurs interpellés1

Tableau 3 (suite)

Les acteurs interpellés1

1. Ces informations sont tirées des références législatives indiquées dans le texte et de Village, note 27.

-> Voir la liste des tableaux

En Saskatchewan, le comité SST a un rôle à jouer dans le processus régulier de révision des activités. Il en est de même en Colombie-Britannique : la consultation du comité SST ou du représentant SST est obligatoire à toutes les étapes des processus d’identification, d’évaluation, de contrôle, de suivi et de formation. De plus, en cas d’évaluation des risques, l’employeur doit consulter tout travailleur qui manifeste des signes ou des symptômes de TMS, ainsi qu’un nombre représentatif de travailleurs qui accomplissent le travail faisant l’objet de l’évaluation[81].

Dans l’État de Washington, lors de l’évaluation des « emplois à risque », la participation des travailleurs est obligatoire, tout comme celle des comités SST qui existent dans certaines entreprises comprenant 11 employés ou plus. L’employeur devra informer le comité SST, là où il existe, des exigences réglementaires, des emplois à risque identifiés, des emplois qui représentent un danger et des mesures qui seront prises pour réduire les dangers. Le comité doit être impliqué dans la révision annuelle des activités ergonomiques. S’il n’existe pas, un mécanisme aussi efficace de participation des employés doit être prévu[82].

Dans le cas d’OSHA, les travailleurs et leurs représentants sont associés aux processus de développement, d’implantation et d’évaluation du programme en matière d’ergonomie (PME). Les travailleurs doivent être informés des symptômes et des risques de TMS et des mécanismes doivent leur être fournis pour leur permettre de signaler des symptômes ou des risques de TMS et de recevoir rapidement de l’employeur un suivi dont la nature est précisée dans le règlement. Ils doivent recevoir un sommaire des exigences réglementaires, une copie du règlement et l’information sur le PME en place[83]. L’employeur leur demande des suggestions pour réduire les risques de TMS rattachés à un emploi problématique[84].

Les professionnels de la santé

Les activités des professionnels de la santé sont mentionnées dans trois des législations examinées. Ces professionnels sont appelés à jouer des rôles assez différents à des moments distincts dans l’application du régime réglementé. Alors que les règlements de la Californie et d’OSHA assignent aux médecins un rôle de filtrage, la Saskatchewan fait référence à eux dans l’objectif d’assurer une détection précoce des TMS[85].

En Californie, le médecin doit intervenir afin de confirmer qu’il s’agit bien d’une LATR objectivement identifiée et diagnostiquée[86].

Dans le cadre de la réglementation d’OSHA, le médecin peut être appelé à confirmer que le TMS est bien relié au travail. Le traitement médical pour un TMS est un des critères considérés dans la définition d’un incident deTMS. Le travailleur peut, s’il le souhaite, obtenir un deuxième avis médical et ce, sans frais. Un troisième médecin peut intervenir, encore sans frais pour le travailleur, pour trancher un éventuel désaccord sur le diagnostic et la recommandation[87].

Les agents gouvernementaux

Les acteurs gouvernementaux, y compris les inspecteurs, ont des rôles spécifiques à jouer, respectivement dans la mise en oeuvre et le maintien du régime réglementaire, dans son administration et en tant qu’agents investis du pouvoir d’en vérifier le bon fonctionnement. La mise en application des règlements implique le développement de nouvelles équipes, formées spécifiquement pour la prévention des TMS. Les ressources disponibles pour la mise en application des règlements en santé au travail sont variables, mais dans la plupart des administrations étudiées, la mise en application de la réglementation a eu pour effet d’intégrer davantage d’ergonomes dans les équipes d’inspection et d’augmenter la formation des inspecteurs sur les questions de prévention des TMS[88].

La réglementation québécoise en contexte

Au Québec, la législation en matière de SST comporte peu d’encadrement réglementaire visant spécifiquement les questions d’ergonomie. Le devoir général de prévention prend sa forme législative à l’article 51 de la LSST, et cet article peut servir à encadrer la plupart des interventions des inspecteurs travaillant à la prévention des TMS[89].

Les six articles regroupés actuellement dans la section intitulée Mesures ergonomiques particulières du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST)[90] n’offrent pas une approche globale des risques visés par l’intervention en ergonomie. Ces articles datent d’au moins 30 ans et ont été préparés dans un tout autre contexte[91]. Lors de la refonte du RSST en 2001, ils ont été regroupés et renommés. Ils touchent à certains facteurs de risque relatifs à la position debout, à la manutention et à la position de travail, mais ils n’abordent aucunement la majorité des facteurs de risque faisant l’objet des règlements étudiés ici.

Ce n’est donc pas en vertu d’un texte législatif ciblant l’ergonomie que la CSST est appelée à intervenir en cette matière. Cela ne l’empêche pas toutefois d’imposer aux entreprises l’obligation d’élaborer et de mettre en place un plan d’action pour prévenir les TMS. D’ailleurs, elle travaille activement à l’élaboration d’une nouvelle stratégie dans ce sens[92].

Les syndicats et les travailleurs québécois peuvent également exiger l’intervention des inspecteurs de la CSST pour prévenir les TMS. Que ce soit par le biais du devoir général de prévention (art. 51 LSST)[93] ou en vertu du droit de refus d’un travail dangereux (art. 12 LSST)[94], les inspecteurs interviennent depuis des années pour évaluer la conformité des conditions de travail avec les obligations générales de prévention et d’élimination à la source du danger.

Même si la législation actuelle peut servir à imposer des changements, tout au moins en principe[95], il y a lieu de s’interroger sur son efficacité pour assurer une stratégie de prévention globale. Ainsi, alors qu’un inspecteur avait ordonné à l’employeur de faire intervenir un ergonome pour assurer la sécurité de différents postes de travail, le tribunal annulait l’avis de correction de l’inspecteur en ce qui concerne les postes autres que celui ayant fait spécifiquement l’objet d’un droit de refus et d’une évaluation par l’inspecteur :

l’inspecteur n’est pas justifié, du seul fait que la méthode de travail est déficiente à un poste de travail, d’imposer à l’employeur l’obligation de revoir l’organisation du travail à tous les postes pour s’assurer que les pièces manipulées par les travailleurs ne compromettent pas leur santé et leur sécurité en raison du fait qu’elles seraient lourdes ou surdimensionnées.

Lors de la révision administrative du dossier, la CSST souligne avec raison que la LSST est une loi d’ordre public, que l’employeur doit s’y conformer et que l’inspecteur n’a pas à le lui rappeler de façon générale. C’est ce que fait en quelque sorte l’inspecteur dans le présent cas. Il demande à l’employeur de lui faire un plan d’action visant l’analyse de tous les postes où des employés sont susceptibles de se blesser en raison de la manipulation de pièces lourdes ou volumineuses mais il n’identifie pas les postes, ni ce qu’il considère être une pièce lourde ou volumineuse[96].

L’inspecteur, dans ce cas, a tenté d’imposer une démarche qui aurait été autorisée par plusieurs des législations étudiées dans le présent article. Reste à savoir si la réticence exprimée par le tribunal dans cette affaire reflète bien l’attitude de l’ensemble des commissaires saisis d’une contestation d’un avis de correction visant à promouvoir une approche systématique de prévention.

Conclusion

Nous avons voulu tracer un portrait sommaire du contexte d’adoption et de la portée des normes visant à prévenir des risques de TMS en Amérique du Nord. Malgré l’importance des problèmes que présentent les risques sur lesquels peut agir l’ergonomie, seulement cinq administrations ont à ce jour choisi la voie législative pour obliger le recours à des principes tirés de l’ergonomie, et aucune d’entre elles n’exige qu’on fasse appel à l’ergonomie pour des risques autres que les TMS. Cette situation diffère beaucoup de celle qui existe en Europe[97], et les stratégies législatives nord-américaines passent outre à plusieurs besoins de prévention, notamment ceux qui sont en lien direct avec l’organisation du travail. Ces « modèles » ne présentent donc pas un portrait équilibré ni exhaustif des options qui s’offrent aux législateurs, et passent à côté d’éléments importants qui devront être étudiés à fond si on veut bien cerner cette problématique.

Les TMS constituent un problème de santé au travail dont l’ampleur et la gravité se sont accrues de manière exponentielle au Québec comme ailleurs[98]. Les coûts associés à ces problèmes, pour les employeurs seulement, ont été évalués à deux à trois fois les coûts d’indemnisation des travailleurs[99]. Il y a lieu de réfléchir sur la pertinence des diverses stratégies législatives de prévention et sur les leçons à tirer des expériences nord-américaines. Les cinq régimes étudiés présentent une variété importante quant au contexte d’adoption, quant aux approches législatives et quant à la pertinence des législations adoptées. Même si aucune de ces législations n’a fait l’objet, à notre connaissance, d’une évaluation quant à son efficacité dans la prévention des TMS[100], plusieurs constats se dégagent déjà de ces diverses expériences.

La conjoncture d’adoption de ces cinq règlements a été, dans certains cas, un facteur déterminant de leur contenu. Le Québec et les autres provinces canadiennes se situent dans un contexte politique différent de celui de l’État de Californie ou du gouvernement fédéral américain. La Californie présente l’exemple par excellence d’une stratégie d’intervention législative fort judiciarisée, qui a donné lieu à une législation édulcorée au point d’être impotente face à son objectif premier. Même si aucune évaluation systématique n’en a été faite, il semble clair qu’un règlement qui vise à prévenir uniquement les LATR (et non les TMS), et uniquement dans les entreprises où il est prouvé que deux travailleurs occupant un poste identique ont été atteints d’une LATR attribuable à plus de 50 % au travail, ne constitue pas un outil de prévention qui répond aux besoins actuellement documentés par la communauté scientifique. Dans ce cas, l’approche judiciarisée a non seulement retardé l’application de la législation, mais a aussi atteint le fondement même de la législation. La conjoncture politique a eu raison de la réglementation d’OSHA et de l’État de Washington. Néanmoins, leur contenu demeure nettement plus intéressant que l’instrument californien. En 2004, aucun règlement étudié n’impose des spécifications préalablement quantifiées, bien qu’on puisse espérer que les normes non contraignantes suggérées par OSHA et l’État de Washington auront une certaine influence sur les comportements des entreprises.

Les règlements canadiens ont été adoptés dans un contexte moins marqué par la confrontation. Celui de la Colombie-Britannique résulte de compromis dans le libellé du texte réglementaire mais non au niveau de l’objectif de la législation. Le règlement actuellement en vigueur vise à promouvoir l’évaluation des risques, en spécifiant les risques à évaluer, sans toutefois les quantifier. Il aurait pu contenir également des éléments plus précis qui avaient été l’objet de critiques de la part des employeurs, mais le législateur a préféré inclure ces spécifications dans des guides non contraignants.

Abstraction faite de la conjoncture politique, il y a lieu de réfléchir sur les qualités et défauts des différentes approches. Une approche basée sur les spécifications a l’avantage de permettre à tous de comprendre les attentes du législateur, mais il se peut que l’approche quantitative incite à un comportement qui ferait échec à l’objectif premier, qui est de prévenir les TMS. Les TMS sont d’étiologie multifactorielle, et la variété des combinaisons des facteurs de risque susceptibles de causer un TMS chez un individu dans un poste de travail précis échappe à une définition exhaustive. Concevoir un règlement qui viserait à les définir et à les quantifier de manière pertinente pour tous les travailleurs et travailleuses est, selon certains[101], impossible. Parmi les autres obstacles à une approche quantitative, Kilbom souligne les facteurs organisationnels et psycho-sociaux qui influencent le degré de risque associé à des activités physiques particulières, la grande variété des réactions entre individus aux mêmes stimuli, les difficultés de la mesure, en regard des TMS, d’une exposition, d’une dose et d’une réponse ; et, finalement, les difficultés d’une interprétation juste des effets d’une exposition en fonction de la connaissance du fonctionnement physiologique d’un individu sain.

Le pari de ceux qui prônent la législation basée sur des attentes de performance est qu’une telle approche, qui mise sur l’obligation d’évaluer et de prévenir les risques, a plus de chances d’atteindre des résultats pertinents pour une situation précise qui se présente dans un lieu de travail donné, bien qu’elle présente le défaut d’être plus ambiguë et de rendre plus difficile la sanction lorsqu’elle n’est pas respectée.

Le Québec a déjà des outils législatifs permettant aux inspecteurs d’intervenir pour prévenir les TMS, mais ces outils ne sont pas conçus spécifiquement pour atteindre cet objectif et l’évaluation de leur efficacité n’a pas été faite. Il se peut que le droit actuel, incluant le devoir général de prévention[102], fournisse tout ce qui est nécessaire pour assurer la prévention des TMS, si l’article est appliqué de manière systématique et si le suivi des stratégies de prévention dans l’entreprise est assuré. On sait, par contre, qu’une telle stratégie de prévention n’a pas encore été appliquée de manière systématique[103], et ce travail reste à faire.

Sans doute l’adoption d’un règlement visant à promouvoir la prévention des TMS comporte-t-elle un objectif pédagogique visant tous les acteurs du système de la santé au travail, des employeurs aux travailleurs et à leurs représentants, en passant par les inspecteurs et autres fonctionnaires chargés de promouvoir la prévention des lésions professionnelles. Le simple fait d’imposer à l’employeur l’obligation d’informer son salarié de l’importance de consulter un professionnel de la santé s’il éprouve de la douleur en effectuant un travail à risque, comme la Saskatchewan l’a fait, montre que des exigences simples mais importantes peuvent faire partie d’une stratégie réglementaire pertinente. Cet objectif pédagogique peut, à lui seul, justifier l’adoption d’un règlement dit d’ergonomie. Il importe de choisir les stratégies législatives qui répondent le mieux aux besoins de prévention. Pour ce faire, il faudrait évaluer ce qui se fait en vertu du droit québécois actuel, suivre l’évolution de l’application de certains des règlements étudiés dans cet article (notamment ceux de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan) et explorer les stratégies adoptées dans les États européens.