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Les agences de location de personnel sont bien implantées aux quatre coins du monde[1] et elles font désormais partie intégrante des institutions qui déterminent et conditionnent l’évolution du marché de l’emploi (Peck et Theodore, 2002 : 169). L’agence Manpower Temporary Help Agency, qui comptait plus de 600 000 employés aux États-Unis en l’an 2000, était d’ailleurs le plus gros employeur de ce pays à cette époque (Bourhis et Wils, 2001 : 73). L’industrie de l’intérim est aujourd’hui concentrée aux mains de quelques entreprises transnationales qui profitent de la globalisation des marchés pour étendre leurs opérations en adaptant leur stratégie d’expansion aux spécificités nationales des pays où elles s’installent (Peck et Theodore, 2002 : 144–145 et 170).

Le Québec et la France n’échappent pas à la croissance remarquable que connaît cette industrie. Les intérimaires[2] embauchés par les entreprises de travail temporaire (ci-après citée « ETT ») pour effectuer des prestations de travail au sein d’entreprises utilisatrices (ci-après citée « EU ») ont ainsi vu leurs effectifs croître considérablement au cours des dernières décennies. Or si les intérimaires québécois et français travaillent dans des environnements juridiques totalement différents, ils ont au moins un trait commun : ils ne sont pratiquement pas syndiqués auprès des ETT[3].

Pour expliquer ce constat nous formulons l’hypothèse que cette situation résulte des caractéristiques propres au travail intérimaire qui rendent difficiles l’organisation et la mobilisation syndicales de cette catégorie de travailleurs en raison de leur dispersion au sein d’une multitude d’EU. Pour vérifier le bien fondé de ce postulat, nous ferons les portraits schématiques de cette industrie, décrirons les cadres réglementaires qui régissent le travail intérimaire, examinerons certaines caractéristiques des régimes de représentation collective et analyserons les conditions dans lesquelles s’exerce le syndicalisme des intérimaires au Québec et en France.

Comme nous le verrons, si les caractéristiques du travail intérimaire peuvent effectivement rendre ardue la syndicalisation de cette catégorie de travailleurs, le très faible taux de présence syndicale dans cette industrie découle également d’autres facteurs spécifiques à chacun de ces pays. Au Québec, cette situation résulterait principalement de considérations juridiques, lesquelles révèlent les limites inhérentes du régime de représentation collective en vigueur, tandis qu’en France le très faible taux de syndicalisation des intérimaires s’expliquerait plutôt par une multiplicité de facteurs qui ne sont manifestement pas d’ordre juridiques.

L’industrie de l’intérim

L’industrie de l’intérim au Québec

À partir des années 1970, les ETT québécoises connaissent une expansion marquée. Leur essor s’inscrit dans un contexte de récession économique où les corporations visent « […] à rationaliser leurs opérations, à rechercher la souplesse, la flexibilité et la capacité à s’adapter rapidement au changement […]. Il s’agit d’une recherche d’amélioration de la productivité par l’ajustement des besoins de main-d’oeuvre aux cycles de production » (Tapin, 1993 : 4). La tertiarisation de l’économie, la féminisation de la main-d’oeuvre et la récession économique des années 80 contribuent à la multiplication de ces entreprises dont les salariés jouent une fonction nouvelle sur le marché de l’emploi, soit celle « d’amortisseurs absorbant les premiers contre-coups des aléas de la conjoncture économique » (Grant et Laporte, 1987 : 1210).

Au tournant des années 1990, les ETT canadiennes entreprennent une période de diversification et de spécialisation de leurs services[4]. En plus de voir au placement d’employés dans les secteurs du secrétariat, de l’administration et des employés généraux, l’industrie fait une percée significative dans le domaine des services sociaux et dans la fonction publique en général. Les coupures massives faites par les gouvernements offrent une occasion d’affaire inespérée à cette industrie qui comble désormais d’importants besoins de main-d’oeuvre dans les établissements de santé, dans les administrations provinciale, fédérale et municipale ainsi que dans les services publics et le transport (Vosko, 2000 : 134–136). Les ETT offrent dorénavant toute une gamme de services en gestion des ressources humaines incluant le recrutement, la sélection, l’évaluation, la formation des candidats, la gestion de la paie et la supervision directe des intérimaires dans les établissements opérés par les EU (Vosko, 2000 : 137–153).

De 1993 à 2002, le nombre d’ETT au Canada est passé de 1 191 à 3 966 (Statistique Canada, 1997 : 3, 2002 : 20). Les recettes canadiennes de l’industrie, qui totalisaient 1,4 milliard de dollars en 1993, se chiffrent à 5,6 milliards de dollars en 2002, l’industrie québécoise ne comptant que pour 16,5 % de l’ensemble de ces revenus d’exploitation (Statistique Canada, 1997 : 3, 2002 : 2–5). Les salaires versés par l’industrie de l’intérim québécoise sont ainsi passés de 264 millions de dollars en 1990 à 686 millions de dollars en 2002 (Tapin, 1993 : 22 ; Statistique Canada, 2002 : 20).

Plus de 425 000 Canadiens ont eu recours aux services des ETT pour se trouver du travail en 2002 (Statistique Canada, 2002 : 11). La majorité des emplois ainsi comblés ne nécessitent que peu de qualifications et la presque totalité des intérimaires canadiens (96 %) n’est pas syndiquée (Galarneau, 2005 : 14–15). Ces salariés sont relativement jeunes puisque 44 % d’entre eux ont entre 25 et 34 ans et l’on y retrouve légèrement plus d’hommes que de femmes. Ces dernières sont davantage susceptibles d’occuper des emplois à temps partiel dans le secteur des services sociaux et les hommes des emplois à temps complet dans le domaine de la production de biens dans les secteurs agricole, manufacturier, de la construction[5] et des ressources naturelles (Vosko, Zukewich et Cranford, 2003 : 23–24)[6].

L’industrie française de l’intérim, comme nous le verrons maintenant, partage de nombreux traits communs avec son homologue industriel québécois.

L’industrie de l’intérim en France

Les premières ETT apparaissent en France vers la fin des années 1950. À partir des années 1980, on observe une croissance importante de l’industrie alors que les agences s’implantent dans les communes de 10 000 à 30 000 habitants (Michon et Ramaux, 1992 : 41). Au cours des années 1990, on assiste à l’organisation et à l’implantation des grands réseaux d’ETT tels qu’on les connaît aujourd’hui. L’industrie veut être présente partout sur le territoire, investir toutes les sphères d’activités, se rapprocher des EU afin de répondre aux demandes croissantes de la clientèle. Les plus petites ETT disparaissent ou alors tâchent tant bien que mal de survivre « sur des niches locales ou de spécialité » tandis que les grands de l’industrie[7] ne cessent d’ouvrir de nouvelles agences qui se limitent souvent à de simples terminaux informatiques disposés stratégiquement dans les lieux publics ou dans les locaux des agences gouvernementales responsables de l’emploi (Lefèvre, Michon et Viprey, 2002 : 48–49).

Les ETT spécialisent leur offre de service en mettant sur pied des agences vouées aux secteurs médico-social, de l’informatique, de la téléphonie et de la comptabilité. Elles se présentent comme les spécialistes indispensables d’une gestion efficace des ressources humaines. Elles se targuent de maintenir des liens étroits et permanents avec les écoles techniques et professionnelles, d’assurer un suivi constant de l’évolution technologique, de faire de la prospection active et systématique du marché du travail et de coopérer activement avec le service public de l’emploi en leur qualité d’agents privilégiés de l’insertion sociale et du maintien dans l’emploi (Lefèvre, Michon et Viprey, 2002 : 52–55). Bien que la demande d’intérimaires pour les métiers de hautes technologies, de techniciens et de cadres est en croissance rapide, l’intérim concerne encore « […] pour l’essentiel des métiers ouvriers, peu qualifiés, des populations jeunes, fréquemment en insertion professionnelle à la sortie du système scolaire » (Macaire et Michon, 2002 : 10).

Le marché français de l’intérim se porte bien puisqu’il est le second en importance au monde après les États-Unis en termes de chiffre d’affaires de l’industrie (Macaire et Michon, 2002 : 11). En 1999, son volume d’activité représentait 3,3 % de tout l’emploi salarié en France (Macaire et Michon, 2002 : 6) et il comptait près de 600 000 postes en équivalant temps complet (SETT, 2002). En 2003, les ETT ont réalisé un chiffre d’affaires de 17,7 milliards d’euros et leur réseau comptait 6 034 agences réparties sur tout le territoire français (SETT, 2003 : 3).

Sur les deux millions de travailleurs qui ont accompli au moins une mission d’intérim en 2003, on compte 71 % d’hommes et 29 % de femmes. Les jeunes de moins de vingt-cinq ans, hommes et femmes confondus, représentent 35,2 % de l’ensemble de ces salariés, l’intérim ayant été, pour quatre jeunes sur dix, l’occasion d’occuper un premier emploi (SETT, 2003 : 26). Être intérimaire en France est habituellement une affaire temporaire et transitoire sauf pour un bassin d’environ 25 % d’entre eux qui constituent un noyau dur de professionnels de l’intérim (Fréchou, 2004 : 2–5).

Un business fructueux

Toute proportion gardée, et bien que l’industrie de l’intérim soit nettement plus développée en France qu’au Québec, on observe de profondes similitudes au niveau des caractéristiques de cette industrie dans ces deux pays. On y retrouve tout d’abord les mêmes géants du placement temporaire tels Manpower, Adecco, Vedior et Ranstad. L’industrie embauche un bassin important de jeunes travailleurs, en majorité des hommes, pour effectuer des tâches ne nécessitant, en général, que peu de qualifications. La détention d’un emploi intérimaire est, plus souvent qu’autrement, une affaire transitoire et temporaire qui sert de tremplin pour intégrer le marché du travail (Faure-Guichard, 1999 ; Kapsalis et Tourigny, 2005 : 36). Le lien d’emploi qui unit les intérimaires aux ETT est donc généralement éphémère ne durant que quelques mois, voire quelques années tout au plus (Galarneau, 2005 : 51 ; Fréchou, 2004 : 5).

Au Québec comme en France l’industrie de l’intérim est prospère car elle permet aux EU de réaliser d’importantes économies sur les coûts de la main-d’oeuvre. Ces entreprises n’assument aucun frais de sélection, de recrutement ou de formation du personnel, ne versent aucune indemnité en cas de licenciement collectif ni ne doivent bonifier les conditions de travail des salariés référés par les ETT en raison de l’accumulation de l’ancienneté. En outre, au Québec, comme nous le verrons maintenant, le recours à la main-d’oeuvre intérimaire permet aux EU de faire des économies substantielles sur la rémunération et les avantages sociaux des salariés de même que sur les coûts relatifs à la prise en charge de la santé et de la sécurité des travailleurs du fait de « l’externalisation des risques » qu’implique ce mode particulier de gestion des ressources humaines (Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 500).

La réglementation du contrat de travail intérimaire

La réglementation du contrat de travail intérimaire au Québec

Il n’existe aucune réglementation particulière régissant les conditions de travail des intérimaires québécois. Leurs conditions de travail sont donc assujetties aux dispositions de la Loi sur les normes du travail [8] ou, le cas échéant, aux dispositions des conventions collectives en vigueur dans les EU. Or près de 60 % des conventions collectives québécoises stipulent qu’elles ne s’appliquent pas aux salariés remplaçants, occasionnels ou surnuméraires (Pelletier, 2004 : 170). Les ETT sont donc libres de déterminer, pratiquement sans contrainte, les conditions de travail des employés qu’elles réfèrent aux EU. Aussi, on constate que les intérimaires gagnent des salaires en moyenne 40 % inférieurs à ceux que reçoivent les salariés réguliers de l’EU (Galarneau, 2005 : 8) et qu’ils n’ont pas accès aux mêmes avantages sociaux que ces derniers (Vosko, 2000 : 169–170 ; Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 491–496).

Par ailleurs, la détermination du véritable employeur de l’intérimaire pose problème en droit québécois puisque celle-ci pourra varier en fonction de la législation concernée[9]. Un intérimaire peut ainsi être considéré comme salarié d’une ETT pour les fins du Code civil du Québec, de la Loi sur les normes du travail et de la Loi sur les impôts tout en étant considéré comme salarié de l’EU pour les fins du Code du travail[10]et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (Bich, 2001 : 296). Dans un important jugement rendu en 1997, l’affaire Ville de Pointe-Claire[11], la Cour suprême du Canada affirme que pour identifier le véritable employeur d’un salarié pour les fins du Code du travail dans le cadre d’une relation d’emploi tripartite, l’analyse de la situation factuelle ne doit pas se limiter à l’étude du seul critère, démesurément rigide, du contrôle quotidien et effectif de la prestation de travail ni à une appréciation restrictive de la notion de subordination juridique[12]. En plus de porter sur les processus de sélection, d’embauche, de formation, de discipline, d’évaluation, de supervision, d’assignation des tâches et de rémunération, il faut considérer le degré d’intégration du salarié dans l’entreprise et identifier l’entité qui détient le contrôle fondamental sur la détermination des conditions de travail des salariés.

De tels débats ne sont guère susceptibles d’avoir cours en France puisque le législateur y est intervenu, il y a déjà plus de vingt ans, afin de clarifier de multiples aspects des relations d’emploi triangulaires.

La réglementation du contrat de travail intérimaire en France

Malgré de timides interventions législatives au début des années 1970[13] ce n’est qu’en 1982[14] que le gouvernement français imposait de nouvelles règles du jeu à l’industrie de l’intérim en limitant considérablement les conditions de recours au travail intérimaire et en imposant aux partenaires sociaux la négociation d’une convention collective. C’est dans ce contexte que les grandes organisations syndicales et patronales de l’époque intensifiaient les discussions préconisées par le ministre du Travail afin de trouver des solutions originales permettant de donner aux intérimaires un statut aussi proche que possible de celui des salariés travaillant dans les EU (Berthonneau, 1993 : 323–324).

Au fil des ans, plusieurs ententes allaient ainsi se conclure sur de nombreux sujets dont la formation professionnelle, l’indemnisation complémentaire de la maladie et des accidents de travail, la retraite, la maternité, la prévoyance, le droit syndical, la représentation du personnel et l’insertion professionnelle des jeunes (Berthonneau, 1993 : 324–327). Ces ententes constituent les bases mêmes sur lesquelles s’est érigé le régime législatif actuel de protection des intérimaires en France.

En vertu de ce régime, l’ETT est l’employeur du salarié intérimaire[15]. C’est donc à son niveau que s’exercent les droits de représentation collective de cette main-d’oeuvre. L’ETT sélectionne, recrute, rémunère et licencie le salarié mis à la disposition de l’EU pour la durée d’une « mission » au cours de laquelle l’intérimaire est placé sous l’autorité directe de l’EU (Delamotte et Marchand, 1999 : 92).

Le Code du travail [16] prévoit que le recours à l’intérim ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de combler durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice[17]. La loi énumère de façon limitative les cas où le recours à l’intérim est autorisé[18]. Toute mission de travail temporaire doit en outre comporter un terme précis dont la durée totale, sauf exception, ne peut dépasser dix-huit mois, renouvellement compris[19]. Si l’EU omet de respecter ce terme en gardant à son emploi l’intérimaire après la fin de sa mission, ce dernier sera alors réputé être lié à cette entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée[20].

Le Code du travail impose également le formalisme contractuel à l’industrie du travail temporaire en exigeant la conclusion de deux accords écrits distincts, soit un premier, appelé contrat de mise à disposition, entre l’ETT et l’EU, et un second, appelé contrat de mission, entre l’ETT et l’intérimaire[21]. Ces deux contrats doivent notamment préciser le motif pour lequel il est fait appel au salarié, le terme de la mission, les caractéristiques particulières du poste à pourvoir, la qualification professionnelle exigée, le lieu de la mission, l’horaire de travail, la nature des équipements de protection individuelle que le salarié doit utiliser et le montant total de la rémunération prévue. Toute clause contractuelle qui interdit l’embauchage de l’intérimaire par l’EU au terme de la mission est réputée non écrite. Si le contrat de mise à disposition ne contient pas toutes les mentions imposées par la loi, il sera considéré comme nul et deviendra par le fait même assujetti au régime juridique général qui régit le contrat à durée indéterminée (Lavanchy, Roset et Tholy, 2004 : 312).

La législation prévoit enfin que la rémunération versée à l’intérimaire ne peut être inférieure au montant de la rémunération que percevrait, dans la même entreprise, après période d’essai, un salarié sous contrat de travail à durée indéterminée de qualification équivalente et occupant les mêmes fonctions. Le salarié intérimaire a notamment accès aux installations collectives dont bénéficient les employés réguliers de l’EU et il a droit au versement d’une somme équivalente à 10 % de la rémunération totale brute qui lui est due pour compenser la précarité de sa situation[22].

Deux pays, deux approches

Le Québec et la France ont réagi de façon très différente à l’expansion de l’industrie de l’intérim. Consciente des effets néfastes que pourraient avoir les pratiques de gestion de cette industrie sur les conditions de travail des intérimaires, et en réponse à la mobilisation syndicale, la France a fait preuve d’interventionnisme en légiférant dès le début des années soixante-dix pour tenter de limiter le développement de l’emploi intérimaire. Si elle a manifestement échoué à ce niveau, elle a néanmoins su mettre en place un dispositif réglementaire exemplaire afin d’encadrer les pratiques de l’industrie et protéger les intérimaires des abus dont ils pourraient autrement être victimes.

Il y a cependant lieu de rester vigilant car on constate l’existence de lacunes au plan de l’effectivité de la règle de droit puisque certains intérimaires accomplissent dans les faits les mêmes missions auprès des même EU depuis six, sept, voire quatorze années consécutives (Clauwaert, 2000 : 42). Cela se confirme par l’important contentieux qui oppose les travailleurs intérimaires aux EU devant les juridictions du travail en France[23]. En outre, les pressions exercées par les organisations patronales de l’intérim pour que soit déréglementée cette industrie et assouplie la législation française (CIETT, 2005 : 18) semblent porter fruit car une réflexion en ce sens a actuellement cours en France (Virville, 2004 : 58). La Loi du 18 janvier 2005[24] a d’ailleurs amendé le Code du travail afin d’y ajouter de nouveaux motifs permettant d’utiliser la main-d’oeuvre intérimaire.

Au Québec, le législateur a omis de mettre en oeuvre les diverses recommandations qui ont été formulées depuis plus de quinze ans par les nombreux spécialistes qui se sont penchés sur la question (Commission des normes du travail, 1995 : 2–3, 1996 : 12–19 ; Laflamme et Carrier, 1997 : 180 ; Vosko, 2000 : 209 ; Bich, 2001 : 319 ; Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 510–512). L’incertitude entourant la détermination du véritable employeur de l’intérimaire persiste puisque l’affaire Ville dePointe-Claire n’a manifestement pas permis de dissiper toutes les ambiguïtés relatives à cette problématique[25]. On constate, en outre, le recours au « marchandage de main-d’oeuvre », pratique en vertu de laquelle les EU font appel à du personnel d’agences pour combler des besoins permanents de l’entreprise (Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 497).

Les syndicats accrédités auprès des EU peuvent sans aucun doute contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des intérimaires québécois en négociant des dispositions prévoyant leur assujettissement à la convention collective en vigueur[26]. Les intérimaires peuvent quant à eux constituer des syndicats de leur choix et tenter de se syndiquer auprès des ETT. Une telle avenue est cependant fort hasardeuse en raison des particularités mêmes du régime de représentation collective québécois que nous allons maintenant décrire de façon synoptique.

Le régime de représentation collective

Le régime de représentation collective au Québec

Le régime de rapports collectifs québécois est inspiré du modèle mis en place au siècle dernier aux États-Unis (Verge et Murray, 1991). Ce régime protège et encadre le droit d’association en conférant au syndicat accrédité le droit exclusif de représentation des salariés, en imposant à l’employeur l’obligation de négocier une convention collective, en interdisant certaines pratiques déloyales et en réglementant le recours à la grève. Ce régime de monopole de représentation impose à l’employeur le précompte des cotisations syndicales et autorise l’insertion dans les contrats de travail de clauses d’appartenance syndicale obligatoire (Bonenfant, 2003 : 6)[27]. Ce régime prévoit également que l’accréditation détenue par un syndicat ne pourra être remise en question par une autre association qu’à certaines périodes bien précises déterminées en fonction de la date d’expiration de la convention collective.

Le droit à l’accréditation, qui n’existe que pour les salariés d’un seul et même employeur, est toutefois conditionnel à l’expression de la volonté d’une majorité de personnes salariées parmi celles qui travaillent, ou qui forment un groupe distinct de travailleurs, au sein d’une entreprise. À défaut d’entente entre les parties patronale et syndicale quant aux frontières de l’accréditation, il reviendra à un Commissaire du travail de déterminer l’unité de négociation appropriée. Si l’unité regroupant l’ensemble des salariés de l’entreprise est présumée être appropriée, lorsqu’un syndicat cherche à obtenir une accréditation ne visant qu’un groupe distinct de salariés, la Commission des relations du travail devra évaluer le caractère approprié de cette unité restreinte en fonction de certains critères élaborés par la jurisprudence[28].

Parmi ces critères, on compte la volonté des personnes salariées, l’histoire des relations du travail dans l’entreprise, la division territoriale de l’entreprise et la paix industrielle. Le cinquième critère, celui de la communauté d’intérêts, est indispensable à la constitution d’une unité de négociation appropriée. Cette communauté d’intérêts sera évaluée en tenant compte du nombre de salariés dans l’entreprise, de la similitude de leurs fonctions, des qualifications requises, des métiers occupés, de la mobilité et de l’interchangeabilité du personnel, du fait que les tâches sont accomplies isolément ou en complémentarité avec d’autres salariés, de la similarité des conditions de travail, de la structure organisationnelle et administrative de l’entreprise et des horaires de travail. Cette opération vise à évaluer l’homogénéité et la cohésion du groupe, lesquelles sont les meilleurs gages de la viabilité de l’unité de négociation recherchée (Gagnon, 2003 : 307–317).

La détermination d’une unité de négociation appropriée constitue donc une étape fondamentale dans le processus de syndicalisation des salariés au Québec laquelle peut avoir un impact déterminant sur le sort même de la requête en accréditation puisque le calcul du caractère représentatif de l’association se fera en fonction du groupe décrit par la Commission des relations du travail.

Le régime de représentation collective français ignore pour sa part de tels débats puisqu’il détermine à l’avance les types de regroupements possibles et parce que l’accès à la syndicalisation n’est nullement conditionnel à l’obtention d’une majorité d’adhérents parmi les travailleurs d’une entreprise particularisée.

Le régime de représentation collective en France

Le processus de constitution et de reconnaissance des syndicats en France fait preuve d’un libéralisme absolu. Pour former une association de salariés, il suffit de tenir une assemblée de fondation et de déposer les statuts de l’association à la mairie de la commune où le syndicat a son siège social (Langé, 2003 : 161). Le Code du travail autorise deux formes de regroupements, soit un premier de type occupationnel, qui rassemble l’ensemble des personnes exerçant une même profession, et un second de type industriel, qui regroupe l’ensemble des travailleurs d’une industrie donnée (Langé, 2003 : 162). Aucune procédure formelle de reconnaissance par l’autorité publique n’est donc requise.

La Loi du 12 mars 1920 [29] désigne les syndicats comme les représentants de l’ensemble de la profession exercée par leurs adhérents si bien que ces derniers « ne représentent pas des personnes mais des intérêts, ceux de la profession exercée par les personnes qu’ils rassemblent » (Langé, 2003 : 160). Il s’agit là incontestablement de la première caractéristique fondamentale du droit syndical en France.

Le Code du travail interdit par ailleurs le prélèvement à la source des cotisations syndicales par l’employeur et la négociation de clauses d’appartenance syndicale obligatoire (Langé, 2003 : 164). Chaque salarié dispose ainsi du droit fondamental d’adhérer au syndicat de son choix et d’annuler son adhésion à tout moment (Couturier, 2001 : 339). La seconde particularité du droit syndical français est donc le pluralisme syndical, principe signifiant que « […] dans une même industrie ou un même établissement, deux ou plusieurs syndicats appartenant à des centrales différentes groupent des travailleurs qui pourraient tout aussi bien faire partie de l’un ou de l’autre syndicat […] » (Dion, 1986 : 349).

Considérant que le pluralisme syndical est susceptible de poser d’importants problèmes au niveau de la négociation des conventions collectives, la législation française[30] fait appel à la notion d’organisations professionnelles les plus représentatives qui permet de désigner seulement certains syndicats comme étant les porte-parole privilégiés des membres d’une profession. La désignation de ces associations se fait en fonction de l’aptitude d’un syndicat à représenter adéquatement une collectivité de travailleurs plus vaste que celle de ses adhérents. Les cinq grandes organisations syndicales françaises[31] sont d’office considérées comme des syndicats représentatifs et elles participent en conséquence à la négociation des conditions de travail des intérimaires (Couturier, 2001 : 346–353). Notons enfin que la Loi du 27 décembre 1968[32] a grandement modifié le paysage des relations du travail en France en reconnaissant pour la première fois certaines prérogatives aux syndicats dans l’entreprise (Couturier, 2001 : 329).

Dans le secteur de l’intérim, une « Commission paritaire professionnelle nationale du travail temporaire » a été mise sur pied afin de garantir le libre exercice des droits syndicaux. Cet organisme, qui joue un rôle conseil en ce qui concerne l’application et l’interprétation de la législation et des conventions collectives (Storrie, 2002 : 15), a permis l’élaboration et la mise en oeuvre de règles spécifiques dans le but d’adapter les mécanismes de représentation collective à la situation particulière vécue par la main-d’oeuvre intérimaire (Berthonneau, 1993 : 328).

Deux régimes antinomiques

Les régimes de représentation collective en vigueur au Québec et en France sont profondément différents. Le second, contrairement au premier, est fondé sur le pluralisme syndical, il interdit le prélèvement à la source des cotisations syndicales et il prohibe l’inclusion dans les conventions collectives de clauses d’appartenance syndicale obligatoire. Le régime français est très centralisé tandis que le régime québécois, sauf exception, est totalement décentralisé puisqu’il s’exerce d’abord et avant tout au sein de chaque entreprise. La convention collective française s’applique à toutes les personnes salariées travaillant dans un secteur d’activité donné, ou qui exercent une certaine profession, tandis qu’au Québec la convention ne s’applique généralement qu’aux personnes salariées comprises dans une unité de négociation. Contrairement à la situation qui prévaut au Québec, le régime français ne génère aucun contentieux relatif à la détermination des unités de négociation préférant plutôt débattre de la question de la représentativité des organisations syndicales.

D’autre part, le régime français prévoit des mécanismes originaux permettant aux intérimaires d’exercer efficacement leur droit d’association. À l’opposé, au Québec, la syndicalisation de la main-d’oeuvre intérimaire auprès des ETT est pratiquement impossible puisqu’elle se heurte à deux problèmes majeurs découlant des particularités mêmes du régime de représentation collective. Le premier découle du fait que, dans le sillon de l’affaire Ville de Pointe-Claire, l’EU est généralement considérée comme étant l’employeur véritable de l’intérimaire pour les fins du Code du travail (Bich, 2001 : 278)[33]. Deuxièmement, même si, dans un cas d’espèce, l’ETT était reconnue comme étant le véritable employeur de ces travailleurs, il pourrait s’avérer ardu de constituer une unité de négociation appropriée et de maintenir une réelle communauté d’intérêts parmi des salariés qui sont dispersés chez plusieurs EU et qui sont susceptibles de travailler dans des secteurs d’activités forts variés.

L’exercice du droit d’association par les intérimaires auprès des ETT

L’exercice du droit d’association par les intérimaires au Québec

Le Québec est la région la plus syndiquée en Amérique du Nord avec un taux de présence syndicale de l’ordre de 41,4 % en 2003 (Labrosse, 2004 : 9). Pourtant, les vérifications faites en 2004 auprès de la Commission des relations du travail révélaient qu’il n’existait à cette époque aucune accréditation au Québec visant une « agence de travail temporaire » ou une « agence de placement ». Les intérimaires québécois ne sont donc pas syndiqués auprès des ETT. Cette situation, comme nous l’avons vu, s’explique notamment par le fait que les tribunaux considèrent généralement les EU comme étant les employeurs véritables des intérimaires pour les fins du Code du travail.

Or, même dans l’éventualité où la Commission des relations du travail décidait, dans un dossier particulier, que l’ETT est l’employeur véritable des intérimaires, l’octroi d’une accréditation couvrant l’ensemble ou une partie de ces salariés est susceptible de poser de sérieuses difficultés tant au niveau de l’obtention du caractère représentatif requis par la loi qu’au niveau de la délimitation de l’unité de négociation.

En effet, considérant la dispersion des intérimaires au sein d’une multitude d’EU, à défaut de mécanismes permettant à l’association de salariés d’obtenir des renseignements relatifs à l’identité de tous les intérimaires travaillant pour une ETT, toute démarche de syndicalisation constituera une aventure audacieuse et incertaine (Trudeau, 1997 : 374). De longs débats sur la confection de la liste des personnes salariées devant être utilisée pour évaluer le caractère représentatif de l’association requérante sont donc à prévoir.

D’autre part, en ce qui concerne la détermination de l’unité de négociation, dans l’hypothèse du dépôt d’une requête en accréditation visant une unité regroupant l’ensemble des salariés d’une ETT, des objections importantes pourront éventuellement être soulevées quant à la communauté d’intérêts qui existe réellement entre des individus qui accomplissent leur prestation de travail chez plusieurs EU sans se côtoyer quotidiennement, voire sans se connaître (Grant et Marcotte, 1986 : 319). Dans l’hypothèse du dépôt d’une requête en accréditation ne visant que les salariés qui oeuvrent au sein d’une seule et même EU, des objections pourront alors être formulées à l’effet que l’unité proposée est inappropriée puisqu’elle exclut des travailleurs avec qui les intérimaires partagent d’importants liens de solidarité et de fraternité. En effet, dans la mesure où les salariés de l’ETT et de l’EU se fréquentent quotidiennement dans le cadre de l’exécution de leurs fonctions, on peut s’attendre à ce que naisse une solidarité toute naturelle entre les membres de ces deux groupes de salariés puisqu’ils exercent leurs métiers dans les mêmes lieux physiques, se servent des mêmes outils de travail et sont assujettis aux même règles et autorités (Gagnon, 1991 : 81).

En conséquence, dans l’état actuel des choses, bien que l’accréditation d’un syndicat d’intérimaires auprès d’une ETT ne soit pas impossible au Québec, à défaut d’une réforme législative ou d’un revirement jurisprudentiel aussi radical qu’inattendu, un tel projet semble relever davantage de l’utopie que de la réalité.

L’exercice du droit d’association par les intérimaires en France

Bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision les effectifs syndicaux réels en France (Soubie, 1991 : 927 ; Bevort, 1995 : 40), le taux global de syndicalisation en 2004 y était de l’ordre de 8,2 %, soit le plus faible taux de tous les pays européens (Labbé et Courtois, 2001 : 10). En ce qui concerne le secteur de l’intérim, neuf intérimaires sur dix bénéficient des « accords de branche » négociés par les grandes organisations syndicales tandis seulement 2,5 % d’entre eux y sont effectivement syndiqués (Amossé, 2004 : 2–5). Considérant que la loi française facilite l’exercice du droit d’association par les intérimaires, il faut donc chercher ailleurs que dans les particularités du régime de représentation collective les causes du très faible taux de présence syndicale dans ce secteur d’activité.

Les faiblesses de l’implantation syndicale seraient principalement liées à quatre facteurs, soient « le refus pour certaines entreprises d’accepter le fait syndical […], le coût relatif et la complexité des institutions de représentation, l’existence de relations quotidiennes informelles dans les petites structures et l’absence traditionnelle de lien entre les salariés des PME et les organisations syndicales de salariés » (Berthonneau, 1993 : 327–328). Ces considérations s’appliqueraient aux multinationales de l’intérim puisqu’elles ne constituent en fait que l’addition d’une multitude de PME que sont les agences locales et régionales de travail temporaire. Les difficultés d’organisation syndicale seraient en outre accentuées par la nature intermittente du lien contractuel et par la dispersion des intérimaires ce qui rend difficile l’établissement d’une permanence de représentation syndicale (Berthonneau, 1993 : 328).

Le taux de syndicalisation des intérimaires en France est donc trois fois moindre que celui des autres salariés français. Ce constat est surprenant car les cinq grandes organisations syndicales françaises sont bien présentes dans le secteur de l’intérim. Non seulement participent-elles depuis plus de vingt ans aux négociations relatives à la détermination de leurs conditions de travail (Berthonneau, 1993 : 324), mais elles n’hésitent pas à intervenir devant les juridictions du travail pour obtenir la requalification des contrats de leurs adhérents[34] ou pour préserver leurs prérogatives au sein des structures de représentation du personnel dans les ETT[35].

La quasi absence de syndicalisation des intérimaires en France s’expliquerait aussi peut-être par l’attitude générale de désintéressement, voire de méfiance, qu’entretiennent actuellement bon nombre de salariés français envers le milieu syndical (Labbé et Courtois, 2001 : 1–27). Cela est d’autant plus vrai dans le secteur de l’intérim puisque cette démobilisation affecte principalement les jeunes de 18 à 24 ans, chez qui le taux de syndicalisation est passé de 9 % en 1981 à seulement 1 % en 1999 (Soubie, 1991 : 928 ; Labbé et Courtois, 2001 : 66), alors que ce groupe de travailleurs compose justement plus du tiers de la main-d’oeuvre intérimaire en France.

Des défis à relever

Au Québec, comme dans le reste du Canada, l’organisation des travailleurs intérimaires auprès des ETT et la mise en place de structures de représentation et de négociation collectives constituent des défis importants pour le milieu syndical (Vosko, 2000 : 261). Les syndicats doivent surmonter leurs hésitations naturelles à organiser cette catégorie de salariés dont les revendications peuvent être perçues comme étant susceptibles d’entrer en conflit avec les intérêts de leurs membres actuels (Vosko, 2000 : 275). On ne saurait craindre d’organiser des syndicats d’intérimaires sous prétexte que cela équivaudrait à légitimer l’utilisation de cette main-d’oeuvre car, qu’on le veuille ou non, l’industrie de l’intérim est florissante. Ainsi, ignorer ou négliger ces travailleurs rendrait les syndicats complices de la précarité dont ils sont victimes. L’expérience française démontre à quel point le mouvement syndical peut contribuer à améliorer les conditions de travail de ces salariés.

D’autre part, l’organisation des travailleurs intérimaires constitue un défi colossal pour l’ensemble du mouvement syndical parce les intérimaires travaillent dans des secteurs d’activités très variés, sont des travailleurs itinérants, éparpillés, difficiles à localiser, à rejoindre et à mobiliser en raison des caractères intermittent, discontinu et temporaire de leurs affectations de travail au sein des EU (Vosko, 2000 : 173 ; Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 498). Un tel projet, s’il peut contribuer à revitaliser l’action syndicale, implique nécessairement la formulation de revendications exigeant des réformes législatives importantes puisque les lois actuelles du Québec sont totalement inadaptées à la réalité vécue par cette main-d’oeuvre.

En France, la situation est bien différente puisque les intérimaires ne rencontrent aucun obstacle juridique à se syndiquer auprès des ETT et parce qu’ils ont peu à gagner de la syndicalisation en termes d’amélioration de leurs conditions de travail puisqu’ils bénéficient déjà en très grande majorité des accords de branche négociés au niveau national. Les causes du très faible taux de présence syndicale dans l’industrie de l’intérim résulteraient plutôt d’une combinaison de divers facteurs. Tout d’abord, les caractéristiques propres au travail intérimaire rendent effectivement difficiles et onéreuses l’organisation et la mobilisation syndicale de cette catégorie de travailleurs en raison des caractères transitoire et intermittent de leur lien d’emploi avec les ETT et de leur dispersion au sein d’une multitude d’EU. Deuxièmement, les syndicats français sont historiquement absents du monde des PME si bien qu’il leur est difficile de conquérir ces nouveaux espaces de travail en l’absence d’une base militante traditionnelle. Enfin on peut se demander si le marasme que connaît le syndicalisme en France aujourd’hui ne constitue pas finalement l’un des principaux facteurs qui expliquent le très faible taux de pénétration des syndicats français dans le monde de l’intérim.

Conclusion

Au Québec, malgré les dispositions des Chartes canadienne et québécoise qui érigent le droit d’association en liberté fondamentale, les particularités du régime de représentation collective empêchent en pratique les intérimaires de se syndiquer auprès des ETT. Pour s’implanter dans le secteur de l’intérim, les organisations syndicales québécoises doivent donc impérativement se mobiliser afin de faire les représentations qui s’imposent auprès des gouvernements pour que soient apportées les modifications législatives appropriées. L’expérience française nous convainc que les syndicats peuvent jouer un rôle déterminant à cet égard.

Pour corriger cette situation, plusieurs options peuvent être mises de l’avant. Le législateur peut adopter une législation particulière comme il en existe déjà dans certains domaines d’activités[36]. Cette alternative risque cependant d’être problématique dans la mesure où elle implique l’existence d’une réelle communauté d’intérêts parmi des personnes qui n’ont souvent en commun que la précarité de leur statut puisque les intérimaires travaillent dans une foule de secteurs d’activités, sont dispersés dans une multitude de lieux de travail et occupent des fonctions extrêmement diversifiées.

Le législateur peut aussi amender le Code du travail, notamment dans le sens des recommandations formulées par le Rapport Bernier (Bernier, Jobin et Vallée, 2003 : 510–512), afin de répondre une fois pour toute à la question de l’identité de l’employeur véritable de l’intérimaire. Il peut, à ce titre, décider que l’EU et l’ETT ne constituent qu’un seul et même employeur pour les fins de l’accréditation syndicale ou encore, à l’instar du législateur français, statuer que l’ETT est l’unique employeur de l’intérimaire.

De l’autre côté de l’Atlantique, le principal défi que doit relever le milieu syndical semble être d’une nature totalement différente. En effet, au cours des dernières décennies, la désindustrialisation, la hausse du taux de chômage et la progression de l’emploi précaire ont contribué à faire perdre aux centrales syndicales françaises près de 40 % de leurs effectifs (Labbé et Courtois, 2001 : 10). Pour compenser la diminution considérable de leurs revenus, les syndicats français reçoivent désormais des subsides de l’État, des collectivités locales et du patronat. Certains observateurs considèrent que la désyndicalisation en France s’explique justement par le fait de cette conjoncture qui a engendré une dépendance des associations de travailleurs vis-à-vis leurs bailleurs de fonds et un éloignement progressif des organisations syndicales des salariés et des milieux de travail (Labbé, 2001 : 104). Aussi, et si tel est le cas, s’ils veulent accroître de façon significative le nombre de leurs adhérents, notamment dans le secteur de l’intérim, les syndicats français doivent tout mettre en oeuvre pour améliorer leur image, revoir leurs pratiques, se rapprocher des salariés et adapter leur action collective aux nouvelles réalités des milieux de travail. L’ensemble du mouvement syndical gagnerait d’ailleurs à agir de la sorte en cette période de tourmente de mondialisation et de globalisation des marchés.