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Le 29 mai 2008, intervenait un accord de coopération dans le domaine du travail entre la République du Pérou et le Canada, complément d’un accord de libre-échange entre les deux pays signé le lendemain. À la suite de la mise en veilleuse de l’ambitieux projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), les accords bilatéraux liant, tantôt les États-Unis, tantôt le Canada et différents autres pays américains, se multiplient. Ainsi, dans le premier cas, le président Bush signait le 14 décembre 2007 une loi qui approuvait un accord de libre-échange avec le Pérou également, entente qui renfermait des chapitres relatifs au travail et à l’environnement. Il incitait à la même occasion le Congrès américain à accepter de semblables accords déjà réalisés entre la Colombie et le Panama. Le Congrès l’avait d’ailleurs antérieurement fait dans le cas d’un semblable instrument entre le Chili et les États-Unis entré en vigueur le 1er janvier 2004[1]. Le Canada n’est pas en reste : en plus de cet Accord Canada-Peru de coopération dans le domaine du travail (ACPCT), il concluait avec succès des accords de libre-échange et de coopération dans les domaines du travail et de l’environnement avec la Colombie le 7 juin 2008 et il continue de négocier, à des stades différents, des ententes dans les mêmes domaines avec le Panama, quatre autres pays d’Amérique centrale (Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua), la République dominicaine et des pays du CARICOM[2].

Dans ce contexte, le récent accord Canada-Pérou relatif au travail prend un relief particulier, du moins d’un point de vue canadien. Le milieu gouvernemental le présente en effet comme un accord « nouvelle génération » par rapport à l’important Accord Nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), liant le Mexique, les États-Unis et le Canada et dont l’entrée en vigueur remonte déjà au 1er janvier 1994, à celui intervenu trois ans plus tard avec le Chili, qui reprenait substantiellement le contenu de l’ANACT, et même, malgré certains traits originaux, par rapport à l’entente avec le Costa Rica, entrée en vigueur le 1er janvier 2002. L’Accord Canada-Pérou se voudrait ainsi en quelque sorte la matrice des futures ententes auxquelles adhérera le Canada dans les prochaines années, malgré d’inévitables adaptations devant tenir compte des disparités de situation économico-sociales de ses partenaires et des aléas de chaque négociation. Il en résulterait en quelque sorte des objectifs de négociation, tout comme, aux États-Unis, les accords récents, dont celui signé entre ce pays et le Pérou, reflètent ceux du Trade Promotion Authority Act de 2002 et ceux de l’accord bipartisan intervenu entre la Présidence et le Congrès le 10 mai 2007.

La précédente conjoncture incite donc, après avoir pris connaissance du contenu essentiel de l’ACPCT, à le comparer à celui des accords antérieurs liant le Canada, de même qu’avec celui intervenu quelques mois auparavant entre le Pérou et les États-Unis. Ces rapprochements devraient permettre d’apprécier le degré d’originalité de l’ACPCT et même, sa valeur, actuelle et potentielle, en tant qu’instrument pouvant contribuer à l’affirmation des droits du travail dans les Amériques.

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Contenu essentiel

Les objectifs généraux de l’Accord, que dégage typiquement le préambule initial, sont liés à ceux de l’Accord de libre-échange entre les deux pays (ALÉCP); en somme : « complémenter les possibilités économiques créées par l’ALÉCP par le développement des ressources humaines, la protection des droits fondamentaux des travailleurs, la coopération entre employeurs et travailleurs et l’apprentissage qui caractérisent les économies à haute productivité ». Ils sont également liés aux obligations déjà assumées par les deux pays à titre de membre de l’OIT, en particulier à leur engagement d’appliquer la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) de l’Organisme. Dans le respect de la constitution et de la législation de chaque pays, les signataires s’engagent ainsi notamment à « encourager la consultation et le dialogue entre les travailleurs, les employeurs et l’État », à « collaborer en vue de maintenir un environnement de travail propice à la santé et à la sécurité du travail », à « assurer la protection des droits des travailleurs migrants » et à « encourager les pratiques librement consenties de responsabilité sociale des entreprises » dans leur territoire respectif.

Le contenu obligationnel général de l’Accord porte à la fois sur le contenu et sur la mise en oeuvre du droit national de l’une et l’autre Partie. Dans le premier cas, l’une et l’autre « […] fait en sorte que ses lois et règlements, de même que les pratiques établies sous son régime, incorporent et protègent les principes et les droits internationalement reconnus dans le domaine du travail […] » (art. 1). Il s’agit non seulement des droits qu’affirme la Déclaration de 1998 de l’OIT (liberté d’association et droit de négociation collective, y compris le droit de grève, suppression de toute forme de travail forcé, abolition effective du travail des enfants, y compris les mesures de protection des enfants et des jeunes gens, suppression de la discrimination en matière d’emploi et d’activités professionnelles), mais également « des conditions de travail acceptables en ce qui touche au salaire minimum, aux heures de travail et à la sécurité au travail » (art. 1c) et de « la reconnaissance aux travailleurs migrants des mêmes protections juridiques que celles dont jouissent les ressortissants de la Partie concernée en matière de conditions de travail » (art. 1,f), soit des sujets s’inscrivant, pose-t-on, dans l’agenda pour le travail décent de l’OIT. Chaque Partie s’engage de surcroît spécifiquement à ne pas déroger ou renoncer à son droit de travail d’une façon qui affaiblisse ou diminue ces précédents droits internationalement reconnus « dans le but de stimuler le commerce ou l’investissement » (art. 2).

Le droit du travail ainsi défini, chacune des Parties s’engage à en promouvoir le « respect ainsi que l’application au moyen de mesures gouvernementales appropriées » (dont un inspectorat du travail, des services de médiation, de conciliation et d’arbitrage et l’institution de « procédures pour rechercher des sanctions ou des mesures correctives appropriées » (art. 3)). Se greffent à ces moyens de mise en oeuvre du droit du travail national la garantie offerte à tout justiciable intéressé à faire valoir l’un de ses droits du travail reconnu par la législation nationale de pouvoir saisir un tribunal compétent et en mesure de « prononcer des mesures correctives » (art. 4). Chaque Partie prend ainsi l’engagement que ses procédures de mise en oeuvre du droit du travail, notamment celles de nature juridictionnelle, seront « justes, équitables et transparentes », accessibles et normalement publiques et qu’elles respecteront les principes de la « justice naturelle », en particulier les principes du contradictoire et d’impartialité du décideur (art. 5). Elle s’engage aussi à assurer une publicité adéquate à son droit du travail et aux décisions auxquelles il donne lieu et à sensibiliser le public à leur sujet (art. 6).

Des mécanismes institutionnels sont établis de façon détaillée pour assurer l’application de l’Accord : un Conseil ministériel, composé des ministres chargés des affaires du travail des Parties ou de leur délégué, organe de supervision de la mise en oeuvre de l’Accord et dont les réunions, qu’il détermine en fonction des besoins, « comporte[nt] une séance durant laquelle les membres du Conseil ont l’occasion de rencontrer des membres du public et de s’entretenir avec eux de questions relatives à la mise en oeuvre du présent accord » (art. 7); des points de contact nationaux, soit un Bureau administratif national (BAN), au sein de chaque administration gouvernementale. Chaque BAN est notamment chargé de la communication de renseignements à l’autre Partie, de la supervision de la participation de son pays à un éventail varié d’activités de coopération, tant pour ce qui est des moyens utilisés (art. 9), que des domaines auxquels ils peuvent s’adresser (Annexe 1). Il voit aussi à la réception et à l’examen des communications du public portant sur des questions relatives au droit du travail se posant sur le territoire de l’autre Partie et « se rapportant à toute question liée au présent accord » (art. 10). Il ne peut toutefois pas s’agir d’une affaire en instance devant un tribunal national, ou encore, dont est saisi un organisme international (Annexe 2).

L’interprétation et l’application de l’Accord doivent reposer d’abord et avant tout sur des procédés de consultation entre les Parties (art. 11). Ces consultations peuvent atteindre le niveau ministériel, relativement à toute obligation prévue au présent Accord (art. 12). Cette dernière étape franchie sans succès, la Partie en demande peut requérir la formation d’un groupe spécial d’examen formé de trois membres indépendants des deux Parties. Il doit toutefois s’agir d’une « question reliée au commerce » (expression qui s’entendrait, faute de précisions dans l’ACPCT lui-même, du commerce entre les Parties, à la manière d’accords similaires, semble-t-il). De plus, la question doit avoir pour objet, soit « une pratique systématique [de la part de l’autre Partie] de manquer à l’application effective de son droit du travail, soit un défaut relatif aux engagements relatifs au contenu du droit national (art. 1 et 2), mais seulement alors dans la mesure où ces obligations « se rapportent à la Déclaration de l’OIT » (art. 13). On notera en particulier que les travaux des groupes spéciaux d’examen sont publics, sauf convention contraire des Parties (art. 16). Selon les prescriptions détaillées régissant l’examen, ce dernier conduit à un rapport initial de la part du groupe spécial. Un constat de manquement donnera lieu à des recommandations, lesquelles préconiseront généralement la mise en oeuvre d’un plan d’action pour permettre de corriger la « pratique de non-conformité ». Un rapport final suivra et tiendra compte des observations des Parties. Le constat du défaut de se conformer à l’Accord persistant, les Parties conviennent « d’un plan d’action mutuellement acceptable pour mettre en oeuvre les recommandations du groupe spécial d’examen » (art. 19). Le défaut de convenir d’un tel plan d’action, ou encore, de le respecter, peut enfin conduire le groupe spécial, à la demande de la Partie requérante, à déterminer le montant d’une compensation monétaire, dont le montant ne dépassera pas 15 millions de dollars américains par année. Ce montant sera versé dans un fonds choisi par le Conseil et dépensé selon les directives de ce dernier « pour des initiatives appropriées dans le domaine du travail sur le territoire de la Partie visée par l’examen ». Le paiement de ce montant peut au besoin être poursuivi devant un tribunal canadien ou péruvien, selon le cas, sur dépôt de la conclusion certifiée du groupe spécial d’examen (art. 20 et Annexe 4).

En finale, l’Accord prévoit notamment que les langues officielles à ses fins sont le français, l’anglais et l’espagnol (art. 28), et qu’il demeurera en vigueur tant et aussi longtemps que l’Accord de libre-échange entre les Parties le sera. Dans le cas contraire, sa dénonciation prendra effet dans les quatorze jours de la réception d’un préavis (art. 31). Notons enfin que la répartition de la compétence constitutionnelle en matière de travail dans l’État fédéral canadien (compétence usuelle de chacune des provinces sur son territoire et compétence fédérale exclusive dans le cas d’entreprises reliées à certains secteurs d’activité au Canada) a conduit les Parties à préciser que le Canada ne ménagera aucun effort pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre de ses provinces à l’Accord. Cette participation se présente d’ailleurs comme une condition de constitution d’un groupe spécial d’examen à la demande du Canada, à la requête de l’une et l’autre de ses provinces, ou encore, à la demande du Pérou, relativement à une loi du travail édictée par une province canadienne (Annexe 5).

Analyse comparative

Formellement, les engagements réciproques des deux pays signataires se trouvent consignés dans un instrument propre à ce domaine et non dans l’accord de libre-échange qui en est l’occasion, comme le veut la pratique américaine actuelle. Si cette façon de faire canadienne veut tenir compte de la compétence provinciale étendue en matière de travail, elle présente de surcroît l’avantage de mettre en relief les valeurs humaines fondamentales inhérentes au travail, qui n’est pas objet de commerce. On notera aussi à travers les diverses dispositions de tous ces accords liant les États-Unis aussi bien que le Canada et y compris celui présentement à l’étude, qu’un objectif général de coopération et de consultation entre les Parties les sous-tend. Enfin, l’Accord Canada-Pérou fait référence d’une façon originale parmi tous ces accords à des concepts promotionnels contemporains que sont la responsabilité sociale des entreprises (préambule) et la notion de travail décent de l’OIT (art. 1).

Pour ce qui est du contenu obligationnel, l’Accord se distingue des premières ententes conclues par le Canada en ce qu’il comporte une obligation nette des signataires d’incorporer et de protéger dans leur droit respectif certains « droits internationalement reconnus dans le domaine du travail » (art. 1). L’ANACT (art. 2) et l’Accord avec le Chili (art. 2) ne formulaient en effet qu’un engagement général des signataires « d’améliorer leurs normes de travail », sans référence à de tels droits. Il revenait à l’Accord Canada-Costa Rica, conclu après l’adoption de la Déclaration de 1998 de l’OIT, d’y faire référence (Annexe 1) et d’obliger les Parties à concrétiser et à garantir les droits qu’elle énonçait (art. 2). Le chapitre 17 de l’Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Pérou oblige semblablement les États signataires à inclure dans leur ordre juridique les droits énoncés dans la Déclaration de l’OIT. Toutefois, à la différence de l’Accord Canada-Pérou, il se limite à ces derniers droits, sans étendre le contenu obligé du droit national à certaines conditions de travail minimales ni à l’égalité de traitement pour les travailleurs migrants, a-t-on vu (art. 1c) et f). Par ailleurs, le texte américain restreint aussi les violations de l’obligation qu’il définit au sujet du contenu du droit national aux seules situations portant atteinte au commerce et à l’investissement entre les Parties (art. 17.2, note 1). Pour sa part, l’Accord canadien n’impose cette restriction que relativement à la saisine d’un groupe spécial arbitral (art. 13). Il faut alors en outre que l’obligation en cause se rapporte aux seuls sujets de la Déclaration de l’OIT. Plus englobant que sa contrepartie américaine, l’Accord liant le Canada fait toutefois silence quant à certains droits du travail, comme, peut-on observer, en matière de licenciement, individuel et collectif, et d’indemnisation des lésions professionnelles. Enfin, l’obligation d’application effective du droit national, qu’énonce vigoureusement l’Accord — chacune des Parties la « promeut » (art. 3), — se retrouve dans les ententes antérieures liant le Canada, de même que dans le chapitre 17 de l’Accord américain (art. 17.3). Par rapport à ses antécédents canadiens, l’Accord Canada-Pérou se montre plus libéral en ce qu’il ne distingue pas de manière restrictive l’accès aux stades de tierce intervention en fonction des sujets de droit du travail en cause. (L’ANACT exclut ainsi les sujets primordiaux que sont la liberté d’association et les droits de négociation collective et de grève dès le stade de l’intervention d’un comité évaluatif d’experts (art. 23); voir aussi l’art. 29, pour ce qui est de l’accès, encore plus restrictif, au stade arbitral.) Pour ce qui est de l’Accord liant les États-Unis et le Pérou, il limite généralement l’atteinte à l’obligation d’appliquer le droit du travail national aux seules situations de manquements à la fois systématiques et qui portent atteinte au commerce et à l’investissement (art. 17). L’Accord Canada-Pérou ne retient pour sa part ces dernières restrictions que lorsqu’il s’agit de l’accès au groupe spécial d’examen (art. 13). Enfin, les garanties procédurales élaborées s’attachant à la procédure administrative et juridictionnelle de chaque pays, de même que les obligations relatives à la publicité du droit national réitèrent dans leur ensemble des passages d’une grande portée pratique aussi bien des ententes antérieures liant le Canada que du chapitre 17 de l’Accord États-Unis-Pérou (art. 17.4).

Les aspects institutionnels de l’Accord ne se démarquent pas substantiellement de ceux reliés aux accords antérieurement conclus par le Canada et les États-Unis, sauf, dans le cas de l’ANACT, l’inexistence d’une commission, qui serait ici inappropriée compte tenu du caractère bipartite de l’entente et de l’importance relative des économies en présence. On notera seulement de façon ponctuelle dans le cas des activités de coopération coordonnées par les BAN, que certaines d’entre elles viendront, d’une façon originale, traiter de « […] la facilitation de la mobilité des travailleurs puisque les Parties reconnaissent les avantages mutuels pouvant résulter d’une mobilité accrue de la main-d’oeuvre et sont résolues à étudier les moyens d’atteindre cet objectif » (art. 9, par. 2 et Annexe I, par. 2). Toujours pour qui est de l’activité des BAN et à l’instar de l’ensemble des autres accords ici comparés, la présentation des communications du public ne se trouve heureusement aucunement limitée par des restrictions tenant à l’identité de leur auteur ou la nature de leur objet (art. 10). Il est cependant dommage que les deux seules Parties n’aient pas convenu des grandes lignes d’une procédure commune d’examen y compris le recours à des séances publiques lorsqu’approprié (Annexe 2).

Même si jusqu’à présent aucun des accords antérieurement conclus par le Canada n’a encore donné lieu à une forme ou l’autre de tierce intervention, y compris dans le cas de l’ANACT, il convenait que les Parties établissent une procédure relativement détaillée d’examen par un groupe spécial indépendant (art. 13 et suivants). À la différence de l’ANACT (et de l’Accord liant le Canada et le Chili), l’intervention consécutive à l’étape des consultations ministérielles (art. 12 et suivants) ne comporte pas une pluralité de stades d’intervention (comité évaluatif d’experts (ANACT, art. 23) et intervention subséquente d’un groupe spécial arbitral (ibid., art. 29)). Elle est au contraire unifiée, comme c’était déjà le cas de l’Accord Canada-Costa Rica (art. 15). Les restrictions apportées à la saisine du groupe spécial d’examen ont déjà été analysées (art. 13). Plus avant, le groupe recommandera, si la situation le requiert, aux Parties de convenir elles-mêmes d’un plan d’action correctif, mais il n’est pas lui-même habilité à en établir un, à la différence du stade final de tierce intervention dans les accords antérieurs liant le Canada (art. 17 et 19; compar. ANACT, art. 39; Canada-Costa Rica, art. 20). Mais l’option déterminante du rapport réside avant tout dans le mode de sanction, au sens large, du défaut d’établir un plan correctif d’action ou de s’y conformer. À la différence de l’entente États-Unis-Pérou, (art. 21.16), de l’ANACT, mais seulement alors à l’encontre des États-Unis et du Mexique (art. 41), la suspension proportionnelle des avantages tarifaires de l’accord de libre-échange est exclue. À la différence cette fois de l’Accord Canada-Costa Rica, qui s’en tient vaguement à ce sujet « à des mesures appropriées, sauf imposer des amendes ou prendre toute mesure affectant le commerce, mais y compris modifier les activités de coopération […] (article 23), l’Accord prévoit, a-t-on vu, le versement d’une compensation monétaire, comme l’envisagent l’ANACT dans le cas du Canada (Annexe 41A) et l’Accord Canada-Chili (art. 35). Le produit de cette compensation monétaire sera « dépensé, selon les directives du Conseil, pour des initiatives appropriées dans le domaine du travail sur le territoire de la Partie visée par l’examen » (art. 20, par. 5).

Positionnement d’ensemble

Nul doute que l’ensemble des éléments constitutifs de l’Accord Canada-Pérou situent résolument ce dernier dans cette famille d’accords internationaux de coopération en matière de travail à laquelle il vient d’être comparé. En témoignent ainsi son souci d’application effective des droits du travail nationaux en cause, y compris les garanties procédurales qu’ils doivent offrir, ses différents aménagements institutionnels, la place privilégiée réservée aux activités de coopération et de consultation interétatiques en matière de travail, l’ouverture aux communications du public et l’intervention décisionnelle de tiers indépendants pour solutionner les différends d’application.

Conclus à l’occasion de la signature d’une entente principale portant sur la libéralisation des échanges commerciaux, de tels accords de coopération en matière de travail sont empreints d’une certaine ambiguïté. S’ils visent à promouvoir par différents moyens le droit du travail et les valeurs qui y sont associées, ils traduisent aussi, parfois de façon limitative quant à ce dernier objectif, un souci de protection du libre-commerce entre les Parties. Cette préoccupation se manifeste également dans la possibilité d’imposer une sanction commerciale, à la manière de la clause sociale traditionnelle des accords commerciaux. Certes, le présent Accord maintient une certaine dose de cette ambiguïté caractéristique de la famille d’ententes à laquelle il continue de se rattacher; il l’amenuise néanmoins. Le rattachement du contenu obligationnel de l’Accord à un éventail de droits du travail internationalement reconnus, qui comprend, mais dépasse les droits fondamentaux de la Déclaration de l’OIT, pour le situer dans la perspective plus englobante de la notion de travail décent promue par cet Organisme, accentue, en effet, la dimension plus authentiquement sociale de cet accord. L’avancée demeure cependant partielle, a-t-on constaté : la saisine d’un groupe spécial d’examen se limite aux questions reliées au commerce et, lorsqu’elle a trait au contenu du droit national, elle se limite aussi aux seuls droits figurants dans la Déclaration de l’OIT. L’abandon de la sanction commerciale au profit d’une compensation monétaire affectée à des « initiatives appropriées dans le domaine du travail » dans le pays défaillant est aussi révélateur de l’accentuation de la portée sociale de l’Accord.

Tout compte fait, l’Accord Canada-Pérou facilite, d’un point de vue politique, l’adhésion de la société civile des pays en cause à l’accord principal de libéralisation du commerce que ces derniers concluent. Ce rapprochement sur le plan économique devient l’occasion d’un instrument, plus accentué que les ententes similaires qui l’ont précédé, de promotion des droits du travail selon les valeurs internationalement reconnues auxquelles les signataires réaffirment leur adhésion commune.

Pour ce qui est de sa mise en oeuvre effective, l’Accord demeure entre les mains des États signataires eux-mêmes. Son application sera ainsi tributaire, notamment pour ce qui est des activités de coopération, de la volonté politique du moment qui y prévaut (comme le démontre les fluctuations de l’activité dérivée de l’ANACT…) et des affectations budgétaires. L’accès aux stades des consultations ministérielles et de la procédure d’examen par un groupe spécial se trouve ainsi monopolisé par les appareils gouvernementaux, à l’exclusion d’éléments de la société civile, ce qui pourrait conduire à une certaine « prudence diplomatique » dans le cours de la mise en oeuvre future de l’Accord (comme la mise en oeuvre de l’ANACT peut aussi l’illustrer). Dans cette perspective, l’ouverture totale que manifeste l’Accord envers la société civile lorsqu’il s’agit de communications du public paraît d’une importance primordiale (comme l’illustrent, encore une fois, les dernières années d’application de l’ANACT). Malgré les coûts inhérents à leur présentation, elles pourraient être au besoin l’occasion d’alliances entre des syndicats et des ONG des deux pays.

Le caractère bilatéral de l’Accord en limite forcément la portée si on devait le comparer à différentes institutions multinationales, voire supranationales, associées au développement social régional dans le monde. Son impact face à la souveraineté classique de l’État, qui lui sert d’arrière-plan, paraît toutefois significatif en matière de travail. En effet, comme dans le cas de ces autres accords auxquels il a été comparé, il ne se contente pas d’apporter un cadre bilatéral favorisant des activités de coopération diversifiées destinées à « consolider des actions dans le domaine du travail », mais il permet en outre à chacun des États signataires d’exercer un certain droit de regard sur l’application effective du droit du travail dans l’autre pays. Mais, d’une façon distinctive, ce qui vaut d’être réitéré, l’Accord Canada-Pérou impose à l’un et à l’autre État de s’assurer d’un droit du travail qui incorpore et protège un ensemble de droits internationalement reconnus plus étendu qu’auparavant. Ne pourrait-on voir là l’annonce d’un mouvement vers une harmonisation régionale du droit du travail, si progressive soit-elle ?