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Peter Auer dirige une équipe de recherche au Bureau international du travail et Bernard Gazier est professeur à l’Université Paris I. Tous deux sont économistes du travail et spécialistes des politiques de l’emploi. Dans leur ouvrage L’introuvable sécurité de l’emploi, ils brossent un tableau de la situation à laquelle sont confrontés plusieurs pays européens depuis les années 1980. Outre le chômage, la précarité et la nouvelle pauvreté se sont imposées et n’ont cessé d’accentuer les inégalités sur le marché du travail. Les auteurs abordent ces problèmes et leurs solutions en empruntant aux politiques mises en oeuvre dans certains pays européens. Ce livre veut donc répondre à une question : « Sur quoi fonder l’action et le retour à l’espoir ? ». Les auteurs reconnaissent qu’une nouvelle politique économique n’est pas suffisante. Leur réflexion s’inscrit plutôt dans un courant d’étude né dans les années 1990, visant à s’adapter aux transformations du capitalisme.

Dans le premier chapitre, Auer et Gazier présentent le concept de « flexisécurité », qui vise à combiner « les exigences de la flexibilité du marché du travail et celles de la sécurité des personnes ». Cette combinaison est basée sur une législation protectrice de l’emploi et sur une sécurité sociale caractérisée par un marché du travail plus ouvert. Par contre, les auteurs mentionnent que la flexibilité libérale n’est pas la solution, ils croient plutôt que « c’est parce que l’on dispose de sécurité que l’on pourra faire preuve de flexibilité, et non l’inverse ». Ils se questionnent sur les conditions d’une trajectoire professionnelle stabilisée, où la mobilité ne serait plus subie mais plutôt choisie et collectivement supportée. Selon ces deux auteurs, la combinaison « flexibilité du travail et sécurité des travailleurs » est possible à la condition de repenser le modèle social en s’inspirant des réussites de certains pays européens. Pour cela, « il faut d’abord sortir du cadre franco-français, de nos certitudes et de nos références, car nous avons intérêt à diversifier nos sources d’inspiration, surtout lorsque notre trajectoire nationale s’enlise ».

Dans le deuxième chapitre, les auteurs passent en revue les différents modèles et dispositifs qui existent dans le but de permettre aux travailleurs de gérer au mieux leur mobilité ou leur continuité dans l’emploi. Les auteurs prennent en exemples certains pays européens qui semblent avoir trouvé des dispositifs intéressants : les Pays-Bas (4 % de chômage), le Danemark (5 %) et l’Autriche où il existe des Fondations du travail chargées du reclassement. Selon Auer et Gazier, les pays nordiques sont de bons exemples, car ils possèdent un système de formation de qualité et une expérience intéressante en matière de dialogue social. Les dispositifs mis en oeuvre dans ces pays assurent aux travailleurs licenciés les moyens de retrouver rapidement et efficacement un nouvel emploi. Par contre, les auteurs mettent un bémol en mentionnant que ce qui est efficace dans un pays ne l’est pas nécessairement dans l’autre. Le défi est donc de taille : il s’agit de s’instruire des expériences qui portent fruit tout en respectant les logiques sociales de chacun des pays.

Dans le troisième chapitre, les auteurs insistent sur le fait que le modèle traditionnel de l’emploi stable à vie est bien révolu pour certains travailleurs qui se promènent entre petits boulots et chômage, allant même jusqu’à l’exclusion. Ces « transitions » imposées ou ces mobilités contraintes sont souvent régressives, douloureuses et désastreuses. Auer et Gazier vont jusqu’à dire que « la machine à intégrer est devenue une trieuse et une broyeuse ». Pour améliorer l’avenir des individus, il est possible d’agir sur les « mobilités socialisées », ce qui nécessite d’imaginer des moyens de les aider à mieux contrôler leur carrière. Les syndicats, les économistes et les acteurs politiques ont introduit diverses notions, telles que le « travail décent », la « sécurité sociale professionnelle », la « mobilité protégée », la « sécurisation des trajectoires professionnelles », ce qui démontre la difficulté de s’entendre sur un projet commun.

Pour conclure, les auteurs tentent de trouver le « noyau dur d’un modèle social renouvelé ». Ils se positionnent en faveur « d’une version collective de la flexisécurité » dont le dialogue social serait la pierre angulaire. Pour eux, ce sont la solidarité et la coordination entre les différents partenaires sociaux qui rendraient la mobilité acceptable par tous. Ces conditions permettraient à chacun d’adapter sa relation d’emploi aux différentes étapes de sa vie, et cela, en fonction de ses besoins et aspirations. Les auteurs ne s’engagent pas en faveur de l’un ou l’autre des dispositifs particuliers. Leur réflexion repose toutefois sur une double conviction : d’une part, il faut d’abord sortir du cadre franco-français et, d’autre part, il faut aller au-delà des modes pour savoir ce qui marche et comment ça marche. Les expériences étrangères sont des sources d’inspiration, mais il faut demeurer méfiant à l’égard de « modèles » idéalisés, ce qui n’exclut pas de développer certains dispositifs législatifs ou institutionnels.

À vrai dire, nous ne pouvons pas critiquer négativement cet essai, qui comporte plusieurs qualités. Tout en exposant la dure réalité du chômage et de la précarité, Auer et Gazier montrent une lueur d’espoir par la mise en oeuvre d’une politique adaptée aux besoins des individus, et cela pour chaque pays. Ils insistent sur le fait que même si la sécurité de l’emploi est de moins en moins confondue avec la stabilité, cela n’est pas une catastrophe si l’on parvient à sécuriser les mobilités. De plus, les auteurs font remarquer que certains dispositifs définis sous le nom de « flexicurité » accentuent la fragilité de l’emploi en éliminant les axes de stabilité et insistent sur le fait qu’il y a de bonnes et de mauvaises solutions pour assurer la flexibilité. Leur démarche prend acte des transformations récentes du marché du travail et vise à développer des compromis acceptables et mutuellement bénéfiques pour les acteurs sociaux.