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Le présent ouvrage traite des risques émergents des changements qui ont caractérisé le travail au cours des dernières décennies et de leurs effets sur la santé psychologique des travailleurs. Selon l'auteure, les changements organisationnels récents favoriseraient l'émergence de facteurs de risques qui porteraient atteinte à la santé psychologique des travailleurs, plutôt qu'à leur santé physique. La relation entre ces « nouveaux » risques et leurs atteintes psychologiques serait encore mal cernée et mériterait d'être documentée davantage. Au surplus, l'auteure mentionne que, selon l'article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (L.R.Q., c. C-12) : « toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique ». Or, le manque d'information sur la relation entre ces « nouveaux » facteurs de risques et leurs atteintes à la santé mentale rendrait actuellement difficile l'interprétation et l'évaluation de cet article. Cet ouvrage représente donc une tentative de contextualisation de cette disposition. Il mène conséquemment à des recommandations quant au droit à la santé appliqué au domaine du travail en regard de ces risques émergents.

Le volume découle d'un travail de recherche et il se divise en deux parties. Dans la première partie, l'auteure recense les écrits sur les facteurs de risques au travail ainsi que leurs effets sur la santé des travailleurs. Cette recension permet subséquemment le développement d'une grille d'indicateurs de facteurs de risques à la santé associés aux récents changements organisationnels. Enfin, cette grille est utilisée pour réaliser une étude sur des dossiers d'enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (appelée, ci-après, la Commission). Au total, 51 dossiers ont été l'objet d'analyse. Il s'agissait de dossiers de plaintes déposés à la Commission entre 1994 et 1999 par des victimes, des témoins ou des accusés d'un acte allégué de discrimination ou de harcèlement. L'analyse des dossiers a été complétée par des entrevues semi-dirigées menées auprès de 10 enquêteurs-médiateurs de la Commission. Pour conclure, l'auteure discute de l'obligation de protection et de mise en œuvre du droit à la santé. Elle traite de ce droit en regard des recours déjà existants et propose, le cas échéant, des solutions de rechange aux procédures déjà en place.

Ainsi, dans la première partie de l'ouvrage, l'auteure recense les principaux effets sur la santé que peut entraîner un travail jugé néfaste. Ces effets sont divisés en trois catégories : (1) les effets cliniques reconnus (ex., les troubles de sommeil, l'anxiété et la dépression); (2) les effets non reconnus sur le plan clinique (ex., le stress, l'épuisement professionnel et l'irritabilité); (3) les effets non spécifiques (ex., l'absentéisme et l'insatisfaction au travail). Les facteurs de risques sont ensuite présentés selon trois niveaux d'analyse : (1) le contexte macrosociologique, (2) l'organisation du travail et (3) les conditions de travail. Le premier niveau concerne la mondialisation, les changements technologiques et la tertiarisation. Le deuxième regroupe notamment l'éclatement du cadre temporel, les modes de surveillance, mais aussi les nouvelles formes de gestion et de production, ainsi que la précarisation du travail. Enfin, le dernier niveau réfère à certaines caractéristiques liées au cadre temporel, à l'intensification du travail et au cadre social. L'auteure conclut la recension en précisant que plusieurs facteurs de risques et de protection sont documentés dans la littérature et qu'il est possible de postuler l'existence de liens entre ces facteurs et leurs effets (cliniques ou non) sur la santé mentale des travailleurs. En ce qui a trait aux facteurs de risques, l'absence de marge de manœuvre et l'insatisfaction du travail semblent avoir le plus d'effets néfastes sur la santé des travailleurs. Les principaux facteurs de protection identifiés sont la reconnaissance, la présence de marge de manœuvre, l'accès à la formation et le soutien social.

La deuxième partie de l'ouvrage comporte deux sections. La première a pour but de rendre compte, d'analyser et de mettre en relation les facteurs de risques ainsi que leurs incidences sur la santé. Pour ce faire, les informations colligées à partir des dossiers de la Commission et des entrevues sont utilisées. Les facteurs de risques sont ainsi divisés en deux catégories : (1) ceux liés aux relations sociales au travail et (2) ceux liés à l'organisation du travail. En ordre décroissant de fréquence et d'incidence sur l'intégrité psychologique, les facteurs de risques liés aux relations sociales comprennent le harcèlement par les supérieurs, l'abus de pouvoir et les mauvaises relations au travail, le harcèlement par les collègues et l'absence de soutien social. Bien que la violence soit le risque le moins fréquent, il serait le plus dommageable. Les facteurs de risques liés à l'organisation du travail concernent, en ordre de prévalence, ceux qui impliquent un lien hiérarchique (ex., l'absence de reconnaissance et la présence d'une surveillance excessive), les politiques de gestion (ex., la gestion par objectifs) et la gestion du temps de travail (ex., les horaires atypiques imposés). Quant aux atteintes à la santé psychologique au travail, ce sont, en ordre décroissant de fréquence : (1) les situations pathogènes, c'est-à-dire pouvant mener à la maladie (ex., le stress, l'anxiété et l'irritabilité); (2) les situations non spécifiques à la santé (ex., l'absentéisme et l'insatisfaction); (3) les situations dont les atteintes sont les plus graves, qualifiées de morbides (ex., la détresse psychologique, les problèmes de sommeil et la consommation de psychotropes). Enfin, des exemples additionnels tirés d'une série d'enquêtes spéciales de la Commission sur la situation d'intervenants dans des centres jeunesse du Québec ainsi que d'autres cas médiatisés sont aussi présentés. Ces derniers servent à compléter l'analyse menée à l'aide des dossiers d'enquêtes ainsi que des entretiens avec les enquêteurs de la Commission.

La mise en relation des facteurs de risques avec leurs atteintes à la santé respectives permet à l'auteur d'identifier deux types de stratégies en ce qui concerne la souffrance au travail : (1) les stratégies défensives et (2) les stratégies directes. Selon l'auteure, le premier type regrouperait les stratégies d'évitement. Ces dernières lient presque tous les facteurs de risques avec les effets non spécifiques à la santé (ex., l'absentéisme et l'insatisfaction). Elles caractérisent aussi les situations d'atteinte pathogène à la santé (ex., la violence et le harcèlement), qui sont liées aux facteurs de risques les plus virulents (c.-à-d., qui causent le plus de dommage) quant aux relations sociales. Les stratégies directes expriment plutôt la souffrance psychologique des travailleurs de manière tangible. Elles caractérisent les situations d'atteintes à la santé les plus graves (ex., la dépression et la consommation de psychotropes) qui sont en lien avec les facteurs de risques virulents dans les relations sociales. Ces stratégies caractérisent aussi les situations de détresse psychologique, qui sont liées à des risques moins virulents quant aux relations sociales (ex., l'absence de soutien social) et à l'organisation du travail (ex., la surveillance et la sous-utilisation des compétences). En ce qui a trait à la deuxième section, l'auteure établit les recommandations qui s'imposent en regard au droit à la santé appliqué au domaine du travail. En bref, il s'agirait de réaffirmer une zone d'interdits sociaux face aux facteurs de risques les plus virulents et aux atteintes les plus graves. L'auteure propose aussi des améliorations dans les mécanismes de recours pour les travailleurs, de même que des moyens pour la prévention des facteurs de risques et des situations d'atteintes.

L'incidence des transformations du travail sur les travailleurs constitue une question essentielle qui, du moins jusqu'à présent, a fait l'objet de bien peu de recherches. L'ouvrage recensé constitue un excellent tour d'horizon de plusieurs facteurs de risques actuellement présents dans les milieux de travail, ainsi que de leurs conséquences psychologiques. Cependant, il aurait été intéressant, puisque cet ouvrage expose et analyse les conditions de travail émergeant des transitions du travail, de tracer des parallèles avec les conditions de travail antérieures aux changements mentionnés. En fait, l'auteure souligne bien le fait que la charge mentale du travail s'accroît actuellement, alors qu'auparavant c'était la charge physique. Toutefois, quelques facteurs de risques abordés pourraient trouver leur origine dans les modes de production plus anciens (ex., le contrôle est également très présent dans le mode de production fordiste, mais d'une manière différente). Par ailleurs, la classification des facteurs de risques diffère de celle rencontrée habituellement dans le champ des relations industrielles. Par exemple, la définition de l'« organisation du travail » adoptée par l'auteure inclut différents modes de production (ex., le « juste-à-temps ») et de gestion des ressources humaines (ex., la gestion au mérite), mais l'auteure n'y inclut pas les conditions de travail (ex., la robotisation et la marge de manœuvre). Il reste tout de même que cet ouvrage représente une excellente synthèse des risques à la santé psychologique dans le contexte de travail actuel, qui a également le mérite de soulever le besoin d'adapter les législations ainsi que les mécanismes de recours aux transformations que connaît présentement le monde du travail.