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L’évolution du marché du travail dans la plupart des pays industrialisés a été marquée ces dernières années par des transformations sectorielles (un déplacement de l’industrie vers le tertiaire) et catégorielles (baisse de la part des emplois d’ouvriers à temps complet) dans la structure de l’emploi non qualifié. Cette évolution s’est accompagnée d’une montée des inégalités en termes de chômage et d’une accentuation des écarts de rémunérations entre les différentes catégories socioprofessionnelles selon le niveau de qualification, le sexe voire même selon l’origine ethnique. Dans ce contexte défavorable aux faibles qualifications, on assiste ces dernières années au développement des emplois dits précaires. Cette question de la précarité, dont la définition diffère d’un pays à l’autre et qui représente le coeur des politiques sociales d’assistance aux bas salaires et de lutte contre la pauvreté au travail, fait l’objet principal de cet ouvrage. En effet, ce dernier entend répondre à la question suivante : l’insécurité et la précarité de l’emploi concernent-elles les femmes plus que les hommes ?

Pour ce faire, les auteurs organisent leur réflexion en trois temps. Tout d’abord, ils présentent, dans un chapitre introductif, la définition, l’évolution et l’étendue du concept de la précarité sur le marché du travail. Ensuite, une deuxième partie fait état, de manière très précise, du phénomène des emplois dits précaires dans onze pays industrialisés. Enfin, les auteurs concluent par l’analyse, répartie sur quatre chapitres, des pistes de recherches liées à cette question et notamment son expression dans la nouvelle économie et le secteur de la santé.

Les auteurs commencent par un exposé détaillé, particulièrement réussi selon moi, concernant le contenu et les contours du concept de la précarité ou de la précarisation de l’emploi. La définition d’un tel phénomène peut porter aussi bien sur la nature même de l’emploi que sur les caractéristiques, reflétées par le niveau de qualification et l’expérience, du travailleur qui occupe cet emploi. Dans cet ouvrage, un emploi est considéré comme étant précaire lorsqu’il ne remplit pas les normes en matière de sécurité de l’emploi tels que les contrats à durée déterminée et à temps partiel qui sont généralement rémunérés au salaire minimum.

L’approche empirique pluridisciplinaire adoptée dans cet ouvrage présente l’intérêt d’analyser et de cerner les contours du concept de la précarité de l’emploi dans une perspective multidimensionnelle (spatiale, sociale, sectorielle…) basée sur le sexe. Cette analyse qui se fait via une approche comparative entre onze pays développés permet d’avoir une vision plus globale et donc particulièrement intéressante de l’évolution de la structure de l’emploi. Cette deuxième partie de l’ouvrage, portant sur l’analyse des transformations de la précarité de l’emploi et de l’insécurité sur le marché du travail, peut être divisée selon moi en trois sous-parties. Dans la première, l’exclusion sociale et la pauvreté au travail sont étudiées dans des économies réputées d’être flexibles. C’est le cas par exemple du Canada et des États-Unis où les régulations publiques sont moins contraignantes notamment en ce qui concerne le salaire minimum, l’assurance-chômage et les programmes d’assistance aux faibles qualifications qui s’avèrent peu généreux. Les auteurs font état d’une surreprésentation dans ces deux pays des femmes et des mères célibataires dans les emplois à temps partiel et faiblement rémunérés. Toutefois, il est à noter que le cas américain doit être nuancé par le fait que la précarité sur le marché du travail est plus marquée selon l’origine ethnique, notamment chez les immigrés.

La deuxième sous-partie concerne les pays considérés comme étant rigides et dont le fonctionnement du marché du travail serait l’explication plausible de la montée des inégalités en termes de chômage. Pour mieux rendre compte de ce système, je soulignerais le cas de la France qui est traité dans cet ouvrage. Dans cette économie, la précarité ou l’instabilité de l’emploi serait plutôt liée aux contrats à durée déterminée (souvent proposés par les agences d’intérim) et au développement ces dernières années du temps partiel dit « subi ». Le concept de précarité peut également être évoqué pour faire référence aux familles vulnérables à faible revenu. Les auteurs arrivent à la conclusion classique et relativement présente dans la littérature selon laquelle la France serait un terrain propice au développement des écarts de taux de chômage au détriment des travailleurs peu ou pas qualifiés.

La dernière sous-partie traite des pays ayant adopté une approche plus ou moins inspirée de la flexicurité dans leurs politiques de lutte contre la pauvreté au travail et d’incitation au retour à l’emploi. Je citerai ici, à titre d’exemple, le cas de la Suède. Dans cette économie, la précarité de l’emploi (définie selon trois groupes) est particulièrement différente des autres pays, notamment à cause de son système de sécurité sociale et ses interactions avec la participation au marché du travail. La surreprésentation des femmes dans les emplois précaires à temps partiel subi et à courte durée s’expliquerait alors en particulier par des raisons sociales.

Cet ouvrage est globalement convaincant pour plusieurs raisons. J’en citerai trois. D’abord, le premier chapitre lié à la définition du concept de la précarité de l’emploi est très intéressant dans la mesure où il prépare le lecteur (y compris le non spécialiste) à l’analyse développée dans les chapitres suivants. Ensuite, l’étude comparative au sein de plusieurs pays industrialisés présente l’intérêt de mettre les choses en perspective dans une période de crise économique ayant contraint certains pays à revoir et reconcevoir leurs politiques publiques sur le marché du travail. Enfin, je tiens également à souligner l’intérêt particulier que l’on peut porter au caractère pluridisciplinaire de l’ouvrage qui rend selon moi ses résultats plus pertinents.