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Très peu présentes au début de la conquête spatiale, les entités privées sont devenues des acteurs incontournables de la scène spatiale. Les années 1980 marquent le début de l’ère commerciale dans le domaine spatial[1]. Le processus de privatisation des services de satellites de télécommunication entamés dans les années 1980 a augmenté la demande de services de lancement assurés par les États occidentaux. Pour répondre à cette demande, les Européens ont fondé Arianespace ; les Américains, quant à eux, ont commercialisé l’accès à l’espace par l’utilisation de la navette spatiale[2]. Avec la fin de la Guerre froide, nous avons assisté à l’accélération du processus de privatisation; il s’agit d’« une privatisation systématique et dogmatique »[3]. À partir des années 2000, nous avons commencé à parler du phénomène du New Space, dynamique entamée aux États-Unis par laquelle

la sphère privée étend désormais son emprise sur des secteurs jusqu’alors réservés à la puissance publique, notamment le développement des moyens de lancement et les vols habités qui caractérisent la puissance spatiale d’un État[4].

New Space a permis aux entrepreneurs américains de développer des technologies moins chères, tout en assurant plus de fiabilité grâce au soutien financier du gouvernement américain[5].

Tableau 1

Implication des entités non gouvernementales dans les activités spatiales

Implication des entités non gouvernementales dans les activités spatiales

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L’espace est devenu une nouvelle manne économique, car il devient de plus en plus important sur le plan financier[6]. Contrairement au début de la conquête spatiale, le rôle joué par les entités non gouvernementales est maintenant d’une importance capitale. Comme avancé par Stewart, « the seed of private space activity has been planted. The embryo is now growing […] »[7]. Dans le contexte de la commercialisation et de la privatisation des activités spatiales, une nouvelle pratique est née dans les années 1990 : le transfert en orbite des satellites.

Ce sont principalement les satellites de télécommunication se trouvant en orbite géostationnaire qui font l’objet d’un transfert. L’opérateur récipiendaire peut offrir les mêmes services que l’opérateur cédant; utiliser les positions orbitales du satellite et les fréquences pour offrir un autre service ou bien déplacer le satellite à une autre position orbitale (ce qui serait extrêmement coûteux)[8]. Dans la pratique, ce qui est généralement transféré c’est soit la maîtrise soit la propriété d’un objet spatial. Il est aussi possible que l’utilisation d’un satellite soit transféré dans le cadre d’un contrat de crédit-bail pour une période déterminée (sans le transfert de propriété)[9].

Dans la loi française[10], le terme « maîtrise » est employé « pour sa connotation technique »[11] alors que le législateur belge opte pour le terme « contrôle effectif » qui « ne doit pas s'entendre au sens strict de l'exécution technique »[12]. Le contrôle effectif est défini dans l’article 3 de la loi belge[13], il s’agit de :

la maîtrise des moyens de commande ou de télécommande et des moyens de surveillance associés, nécessaires à l’exécution des activités de lancement, d’opération de vol ou de guidage d’un ou plusieurs objets spatiaux .

Le terme « maîtrise » n’est pas défini dans la loi française, mais c’est le cas de « la phase de maîtrise » qui couvre

la période de temps qui, dans le cadre d’une opération spatiale, débute à la séparation du lanceur et de l’objet destiné à être placé dans l’espace extra-atmosphérique et qui s’achève à la survenance du premier des événements suivants :

― lorsque les dernières manoeuvres de désorbitation et les activités de passivation ont été effectuées;

― lorsque l’opérateur a perdu le contrôle de l’objet spatial;

― le retour sur Terre ou la désintégration complète dans l’atmosphère de l’objet spatial.

La personne qui assure la maîtrise d’un objet spatial est identifiable comme opérateur et a donc une responsabilité au niveau interne. Après avoir dédommagé la victime sur la base du droit international, plus particulièrement sur la base de la Convention sur la responsabilité, les États défendeurs peuvent exercer une action récursoire à l’encontre de l’opérateur à l’origine du dommage. Ce qui est autorisé par les États c’est l’opération spatiale conduite par l’opérateur, « qui conduit, sous sa responsabilité et de façon indépendante, une opération spatiale »[14]. Conformément à cette définition, l’opérateur est indépendant et titulaire des obligations prévues par la loi et par l’autorisation. L’opérateur et le propriétaire de l‘objet spatial peuvent être des personnes différentes.

Il y a une seule disposition dans le Traité de l’Espace[15] traitant la question de la propriété. Selon l’article VIII de ce dernier, les droits de propriété sur un objet spatial établis sur terre restent intacts, quelle que soit sa localisation. C’est aussi bien la propriété publique que privée qui est visée par cette disposition[16]. Dans les traités spatiaux, il n’y a pas de définition de la propriété ni du propriétaire. Le second est néanmoins défini dans l’article 4 de la loi danoise[17] : « a natural or legal person who owns a space object »[18].

Au regard de la définition de l’opérateur, la propriété n’a pas d’importance ; ce qui compte, c’est le contrôle effectif de l’objet spatial[19]. La propriété d’un objet spatial n’est pas exigée pour obtenir une autorisation. La propriété ne joue pas non plus un rôle direct sur l’attribution de la responsabilité. Le changement de propriétaire aura possiblement des conséquences sur le contrôle effectif de l’objet spatial[20]. Il n’en reste pas moins que le changement de propriétaire ne signifie pas toujours un transfert de maîtrise d’un objet spatial. Il n’existe donc pas toujours de corrélation entre la propriété et la maîtrise d’un objet spatial.

Le transfert peut être effectué entre deux entités non gouvernementales sous la juridiction du même État, entre les États de lancement du même objet spatial (ou les entités non gouvernementales relevant de la juridiction de ces États) ou entre un État de lancement ou un non-État de lancement (ou les entités non gouvernementales relevant de la juridiction de ces États)[21]. Le transfert en orbite des satellites n’est pas prévu dans les traités spatiaux. Ce manque de cadre rend le transfert de satellites au profit d’un non-État de lancement (ou d’un ressortissant de cet État) problématique. La principale difficulté est que l’État cédant reste État de lancement après le transfert en orbite alors que l’État récipiendaire ne peut le devenir et n’est donc pas liable au regard des traités spatiaux[22]. Le second État est néanmoins responsible, mais ne peut immatriculer l’objet spatial, car il n’est pas un État de lancement[23]. Le problème découle du fait que l’État de lancement d’un objet spatial reste liable après le transfert en orbite de l’objet, alors même que cet État n’a pas la possibilité d’éviter le dommage causé par cet objet sous la surveillance continue d’un autre État[24].

Les États sont responsibles de leurs activités nationales[25] au sens de l’article VI du Traité de l’Espace, mais ce sont les États de lancement qui sont liables des dommages causés par un objet spatial au sens de l’article VII. Comme rappelé par Kerrest, il est possible de :

dégager une distinction entre la responsibility, conçue comme une obligation générale de répondre et donc de contrôler les activités nationales dans l'espace, et la liability qui semble réduite à une responsabilité objective en cas de dommage[26].

Nous pouvons donc avancer que la responsibility a un effet « prospectif »[27] alors que l’effet de la liability est « rétrospectif ». La responsibility et la liability d’un État existent indépendamment l’une de l’autre et il n’y a pas de relation de lex specialis entre elles[28].

Il est évident que les traités spatiaux ne sont pas adéquats au traitement de toutes les questions découlant de la commercialisation des activités spatiales[29]. Néanmoins, les traités spatiaux n’empêchent pas le développement de ces activités. Les activités des entités non gouvernementales sont permises à condition qu’elles soient autorisées et continûment surveillées par les États conformément à l’article VI du Traité de l’Espace. Si un État n’autorise ni ne surveille une activité non gouvernementale, il manque à son obligation internationale découlant de l’article VI du Traité. Dans un tel cas, sa responsabilité peut être engagée[30]. Les États peuvent s’acquitter de ces obligations sans mettre en place des législations nationales. L’adoption d’une législation nationale n’est pas obligatoire, mais utile pour les États, parce qu’elle offre un cadre juridique clair aux entités non gouvernementales et que les États ont l’occasion d’élaborer une politique juridique spatiale. L’aspect prescriptif des législations nationales permet aux États d’assurer une conformité avec le droit international et avec leurs intérêts nationaux[31].

Les mécanismes d’autorisation et de surveillance continue, qui rattachent une activité privée à un système juridique, revêtent une importance particulière en matière spatiale. De la Rochère voyait dans ces mécanismes « une sorte de pouvoir de police des États sur les activités des entités non gouvernementales »[32]. En effet, ce pouvoir est essentiel pour assurer le respect de l’État de droit dans l’espace extra-atmosphérique[33]. Le droit international est un droit de coordination qui est créé, appliqué et mis en oeuvre par ses sujets, contrairement au droit interne qui est un droit de subordination[34]. Les règles de droit international sont créées par les États, car ils en ont besoin; les États se conforment à leurs obligations internationales, car c’est dans leur intérêt[35]. L’autorisation et la surveillance continue sont un outil essentiel pour les États afin de faire respecter leurs obligations internationales aux personnes conduisant une opération sous leur juridiction et ainsi d’éviter de voir leur responsabilité engagée.

L’obligation d’autorisation et de surveillance continue s’impose à « l’État approprié partie au Traité ». La question de savoir quel État est « approprié » pour une activité spatiale a fait couler beaucoup d’encre dans la doctrine. Le concept d’« État approprié » est sans aucun doute l’un des plus discutés du droit de l’espace. C’est la raison pour laquelle la deuxième recommandation de la Résolution onusienne sur les législations nationales relatives à l’exploration et à l’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique[36] était l’un des points épineux du processus d’élaboration de la Résolution[37].

L’article VI du Traité impose trois obligations aux États qui prennent part à des activités spatiales : la responsabilité internationale pour les activités nationales, l’obligation d’assurer une conformité de celles-ci avec les dispositions du Traité et l’obligation d’autorisation et de surveillance continue des activités non gouvernementales. Suivant une lecture littérale de l’article VI conformément à l’article 31(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’État approprié est l’État qui a la responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique[38]. L’obligation de l’autorisation et de la surveillance continue s’impose donc à l’État des activités nationales. L’État des activités nationales/l’État approprié n’est donc pas toujours l’État de lancement de l’objet spatial. Il faut aussi rappeler que l’État de lancement est un concept figé alors que l’État approprié est un concept flexible[39].

Nous assistons donc à une dissociation entre le concept d’État de lancement et celui d’État approprié. Le transfert de contrôle effectif d’un objet spatial risque aussi de conduire à une dissociation entre l’État d’immatriculation et l’exercice de juridiction/contrôle sur l’objet spatial, que nous allons étudier en première partie (I). En seconde partie, nous allons mettre l’accent sur les solutions proposées dans les législations nationales relatives aux opérations spatiales (II). Les législations nationales adoptées dans les années 2000-2010 retiendront particulièrement notre attention.

I. Dissociation du concept d’État d’immatriculation de l’exercice de juridiction/contrôle

Nous allons d’abord rappeler le principe d’exercice de juridiction et de contrôle en matière spatiale (A), avant d’étudier les solutions proposées face à la dissociation entre l’État d’immatriculation et l’exercice de juridiction/contrôle sur l’objet spatial (B).

A. Le principe d’exercice de juridiction et de contrôle sur un objet spatial

Les objets spatiaux sont rattachés à un ordre juridique par le moyen de l’immatriculation. Le rattachement d’un objet spatial à un sujet de droit international est nécessaire pour maintenir l’ordre public dans l’espace[40]. Le rattachement d’un objet spatial à un sujet de droit international est ainsi « le complément nécessaire du principe de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique »[41]. L’immatriculation découle de la nécessité de l’identification de l’objet spatial pour la restitution de l’objet à l’autorité de lancement, et de l’identification de l’État de lancement pour la mise en jeu de la responsabilité[42]. Conformément à l’article VIII du Traité de l’Espace, l’État d’immatriculation exerce sa juridiction et son contrôle sur l’objet spatial et tout le personnel à bord quand ils se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou sur un corps céleste[43].

L’exercice de la juridiction est principalement territorial[44]. Cet exercice est directement lié au principe de souveraineté et à la non-ingérence dans les affaires intérieures des États[45]. Les États exercent également une juridiction personnelle sur leurs ressortissants qui se trouvent à l’extérieur de leur territoire et sur les objets spatiaux, les navires et les aéronefs. La juridiction inclut deux compétences, celle d’édicter la règle de droit, jurisfaction, et celle d’exécuter la règle de droit, jurisaction[46]. Plus précisément, la jurisfaction est définie comme « le pouvoir qu’a un État d’édicter des règles générales ou individuelles, à travers ses organes législatifs, exécutifs ou juridictionnels » et la jurisaction comme

le pouvoir que possède un État de mettre en oeuvre une règle générale ou une décision individuelle par des actes matériels d'exécution pouvant aller jusqu'à la mise en oeuvre de la contrainte étatique[47].

L’exercice de la jurisaction est principalement territorial. L’exercice de la jurisaction personnelle d’un État sur le territoire d’un autre État (sans son consentement) constituera donc une violation du droit international[48]. Il n’en reste pas moins que l’exercice de la jurisfaction personnelle de l’État peut s’exercer partout[49]. Pour qu’un État exerce sa jurisfaction sur une personne/une activité à l’extérieur de son territoire conformément au droit international, il doit y avoir un rattachement considéré comme suffisant entre l’État et celles-ci[50].

Dans l’article VIII du Traité de l’Espace, en plus du terme « juridiction », le terme « contrôle » est employé. Ce dernier

est un composant ou un attribut de la juridiction relatif notamment aux fonctions du centre de commande au sol (ou dans l’espace) qui assure le contrôle à distance du mouvement de l’objet et la gestion de l’équipage[51].

La notion de contrôle « remplit [donc] un rôle purement technique »[52]. Cela veut dire que le concept de « contrôle » inséré dans l’article VIII va au-delà de l’exercice de juridiction, ce qui justifie son emploi[53]. Schmidt-Tedd et Mick estiment que le contrôle au sens de l’article VIII permet à l’État approprié d’exercer sa surveillance continue conformément à l’article VI[54]. En effet, le contrôle exercé sur l’objet spatial est le résultat d’un lien substantiel constitué entre l’État d’immatriculation et l’objet spatial[55].

Selon Lafferranderie, il faut concevoir la juridiction et le contrôle exercé par l’État d’immatriculation comme un « bloc »[56]. Pourtant, il est envisageable de dissocier la juridiction et le contrôle s’il y a plusieurs États de lancement dans une même opération spatiale[57]. Rappelons que, conformément au deuxième paragraphe de l’article II de la Convention sur l’immatriculation, quand il y a plus qu’un État de lancement, ces États déterminent conjointement l’État d’immatriculation de l’objet spatial. Conformément au même paragraphe, ils peuvent aussi conclure des accords appropriés au sujet de la juridiction et du contrôle de l’objet spatial et de son personnel. Aloupi évoque, par exemple, le cas selon lequel un État d’immatriculation prescrit les règles applicables alors qu’un autre État (de lancement) contrôle l’objet spatial[58]. Il s’agit d’un contrôle sans base juridictionnelle. Dans ce sens, prenons un exemple d’application de l’article II (2) de la Convention sur l’immatriculation. EUTELSAT n’a pas encore émis de déclaration d’acceptation des droits et obligations prévues dans la Convention sur l’immatriculation[59]. C’est la raison pour laquelle, conformément à un accord conclu entre la France et EUTELSAT, c’est la France qui immatricule de façon provisoire les satellites de ce dernier dans son registre.

En cas de transfert de maîtrise de l’objet spatial à un non-État de lancement (qui est l’État des activités nationales), ce dernier ne peut pas l’immatriculer, mais il est possible qu’il exerce sa juridiction et son contrôle.

B. Les solutions proposées par la doctrine et en pratique

Le transfert de l’immatriculation n’est pas prévu par la Convention sur l’immatriculation[60]. Cependant, cette dernière ne l’exclut pas non plus. Le transfert d’un objet spatial à un autre État de lancement ne pose aucune difficulté au sujet de l’immatriculation. Le transfert d’immatriculation vers un État qui n’est pas État de lancement est pourtant problématique. Le problème découle du fait que l’État qui conserve de jure sa juridiction et son contrôle sur l’objet spatial (l’État d’immatriculation) et l’État qui a le contrôle de facto sur l’objet spatial après son transfert (l’État national du nouvel opérateur) n’est plus le même[61]. L’État national de l’opérateur ne peut devenir l’État d’immatriculation, car il n’est pas un État de lancement.

Vous trouverez ci-dessous quelques exemples afin d’éclaircir ces propos. Après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, les satellites géostationnaires AsiaSat1 et 2, Apstar-I et IA du registre britannique ont été transférés au registre chinois (Registre des objets spatiaux de Hong Kong)[62]. Ce transfert a été communiqué au Secrétaire général de l’ONU dans le cadre des renseignements supplémentaires, conformément au deuxième paragraphe de l’article IV de la Convention sur l’immatriculation. Pour ces satellites de télécommunication, la Chine est un des États de lancement, État dont le territoire sert aux lancements (conduits à partir de Xichang).

S’agissant du transfert de cinq satellites de l’Intelsat à la société néerlandaise New Skies NV, les Pays-Bas ne se sont considérés ni comme l’État de lancement, ni comme l’État d’immatriculation[63]. Toutefois, le Royaume s’est considéré comme État d’activité nationale de ladite société et a précisé, dans la note verbale qu’il était en droit d’exercer sa juridiction et son contrôle sur les satellites. La question qui se pose alors est la suivante : « Comment les Pays-Bas peuvent-ils prétendre exercer leur juridiction et leur contrôle sur les satellites, dès lors qu’ils ne sont pas l’État d’immatriculation[64]? » Pourtant, la Suède a immatriculé un objet spatial (BSB- 1A) qui avait déjà été immatriculé par le Royaume-Uni alors qu’elle n’est pas un État de lancement[65]. Elle a informé le secrétariat de l’ONU l’avoir immatriculé dans son registre national (sous le nom du Sirius 1) après son achat par Nordic Satellite AB (NSAB)[66]. Ce renseignement fourni par la Suède nous laisse dubitatifs au niveau de sa véracité étant donné qu’elle n’est pas un État de lancement de l’objet spatial.

L’une des questions posées au sein du Comité de l’Utilisation de l’Espace Extra-Atmosphérique (CUPEEA) en 2002 était la suivante : « Un État qui n’était pas un État de lancement lorsqu’un satellite a été lancé peut-il devenir ultérieurement un État de lancement[67]? » Comment est-il possible de trouver un moyen pour remédier à cette dissociation de concepts, autrement dit comment reconnaître le pouvoir de l’État du nouvel opérateur sur l’objet spatial (qui n’est pas un État de lancement)?

Dans la doctrine, il a été avancé avec une approche téléologique que l’État national du nouvel opérateur pourrait/devrait devenir un État de lancement comme étant l’État qui fait procéder au lancement[68]. Selon une telle interprétation, le titre d’État de lancement ne s’obtient pas seulement au moment du lancement, il est aussi possible de l’acquérir après le lancement. C’est notamment le cas pour « l’État qui fait procéder au lancement ». Rappelons-le : faire procéder au lancement d’un objet spatial signifie « making it happen », « paying for it » ou « licensing it »[69]. Cet État est « celui qui fait lancer par un autre »[70].

Chatzipanagiotis estime que c’est l’État national du nouvel opérateur qui a un lien substantiel avec l’objet spatial et qu’il faut permettre à cet État d’immatriculer cet objet[71]. Pour renforcer son argumentation, l’auteur se réfère entre autres au dernier paragraphe des préambules de la Convention sur l’immatriculation, qui précise l’objet et le but de la Convention[72] :

Estimant qu’un système obligatoire d’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique faciliterait, en particulier, l’identification desdits objets et contribuerait à l’application et au développement du droit international régissant l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique.

Selon l’auteur, permettre à l’État cessionnaire (qui n’est originairement pas un État de lancement) d’immatriculer l’objet spatial transféré assurera au mieux l’objet et le but de la Convention sur l’immatriculation. La solution proposée est sans doute d’une grande importance face à la dissociation des concepts. Espérons que les États la tiendront en considération au moment de l’amendement des traités spatiaux.

Nous pensons toutefois que cette interprétation est contestable, car la règle est claire : le titre d’État de lancement s’obtient seulement au moment du lancement. Nous devons nuancer notre propos en ce qui concerne le cas de la livraison en orbite. Le contrat de livraison en orbite est conclu entre le constructeur du satellite, qui « supporte tous les risques, allant de la conception du satellite jusqu'à son fonctionnement en orbite, en passant par sa construction et son lancement », et un acheteur[73]. En plus de ces services fournis par le fabricant, le contrat de construction peut impliquer la mise à poste du satellite, ce qui relève normalement de la compétence de l’opérateur[74]. L’État national de l’acheteur peut être considéré comme « État qui fait procéder au lancement », ce qui lui permet d’immatriculer la charge utile[75]. Schmidt-Tedd et Mick font une telle interprétation, car, sans l’initiative de l’entité privée, le lancement n’aurait pas lieu.

La volonté des parties à la Convention sur l’immatriculation devrait limiter l’interprétation évolutive de ses dispositions. Quelle a été alors la volonté des parties à la Convention sur l’immatriculation (et à la Convention sur la responsabilité) au sujet du caractère (évolutif ou fixe) du concept d’État de lancement ? Nous pouvons objectivement constater que l’État de lancement n’est pas un concept « évolutif », mais « figé » au moment du lancement d’un objet spatial. Le contenu fixe du concept d’État de lancement ne devrait donc pas permettre une interprétation évolutive de ce concept en s’écartant de la volonté des parties.

Voyons maintenant une autre solution proposée par la doctrine. Horl et Hermida proposent qu’en conformité avec le droit coutumier et conventionnel, les États pourraient transférer leurs droits et leurs obligations découlant de l’immatriculation de l’objet spatial à un non-État de lancement (ce qui n’est pas interdit par l’article II de la Convention sur l’immatriculation)[76]. Il est à noter que ce transfert ne sera possible qu’avec l’accord de tous les États de lancement conformément à l’article II(2) de la Convention sur l’immatriculation[77]. Rappelons aussi l’effet relatif des traités consacré par l’article 34 de la Convention de Vienne. Selon cet article, « Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement ». Comme souligné par Rivier,

cette règle est le pendant de la nécessaire exécution du traité par les parties, qu’elle complète pour former un tout. Car ce qui doit être respecté n’est pas le traité en tant que tel, mais le lien conventionnel qu’il a pour objet d’établir[78].

Si une obligation est née pour un État tiers d’une disposition d’un traité, le consentement de l’État tiers doit être exprès et consigné (article 35). S’il s’agit d’un droit créé en faveur d’un État tiers, le consentement de l’État tiers est présumé tant qu’il n’y a pas d’indication contraire (article 36). Dans ces deux cas de figure, le mécanisme de l’accord collatéral nécessite le concours de deux actes unilatéraux : d’abord la volonté (de la collectivité des parties) d’extension des effets d’un traité pour un tiers (ou un groupe d’État) ensuite l’acceptation de l’offre par le(s) tiers[79]. Donc, le transfert des droits et des obligations découlant de l’immatriculation en faveur d’un État tiers est possible au moyen d’un accord collatéral. La question de la répartition des responsabilités en cas de dommages causés par l’objet en question peut aussi être traitée au moyen d’un tel accord. Ce faisant, l’État récipiendaire peut accepter d’indemniser l’État cédant pour les dommages causés par l’objet spatial si la responsabilité de ce dernier est engagée au titre de la réparation d’un dommage causé par l’objet transféré.

Les instruments non contraignants traitent aussi la question du transfert en orbite des satellites et offrent des solutions. La résolution de l’AGNU sur la pratique des États et des organisations internationales intergouvernementales concernant l’immatriculation des objets spatiaux[80] est d’une grande utilité pour faciliter l’identification des objets spatiaux. Celle-ci vise notamment l’harmonisation des pratiques des États au niveau de l’immatriculation et des renseignements fournis à l’ONU. La quatrième recommandation de celle-ci porte sur le cas de transfert d’un objet spatial vers un non-État de lancement (État approprié exerçant sa surveillance continue sur l’opération spatiale). Deux hypothèses sont prévues : l’existence d’un État d’immatriculation et l’absence d’un État d’immatriculation. Commençons par la première. Il y est recommandé que l’État d’immatriculation, en coopération avec l’État approprié, fournisse les renseignements nécessaires prévus dans le paragraphe (a) de la recommandation au secrétariat de l’ONU, à savoir i) la date du changement touchant la supervision[81]; ii) l’identification du nouveau propriétaire ou exploitant; iii) toute modification de la position orbitale; iv) toute modification de la fonction de l’objet spatial. Ces informations sont d’une importance particulière pour assurer une transparence dans la conduite des opérations spatiales. Nous pouvons remarquer que cette recommandation s’inscrit dans la logique de renseignements complémentaires communiqués au Secrétaire général de l’ONU prévue dans l’article IV(2) de la Convention sur l’immatriculation. Ce qui est le plus important pour notre sujet, c’est le deuxième élément. L’identification du nouveau propriétaire ou exploitant est utile pour savoir quel État est l’État approprié[82]. Le renseignement supplémentaire communiqué par le Brésil au sujet de l’immatriculation de l’orbite géostationnaire Brasilsat-A1 illustre ce cas de figure[83]. Dans ce renseignement, il est précisé que le propriétaire de ce satellite est Star One S.A. et qu’il a été loué à PANAMSAT (qui était un opérateur de satellite américain) le 15 novembre 1995. Passons à la seconde hypothèse. Selon le para. (b) de la quatrième recommandation, en cas de non-présence de l’État d’immatriculation pour un objet spatial, c’est à l’État approprié de fournir les renseignements prévus au secrétariat de l’ONU.

Ensuite, la résolution onusienne sur l’application du concept d’État de lancement[84] aborde la question. Le troisième paragraphe de celle-ci invite les États à communiquer des informations sur leur pratique concernant le transfert en orbite. Sur la base de ces informations, les États sont invités à harmoniser leurs pratiques pour assurer une convergence dans les législations nationales (quatrième recommandation).

La huitième recommandation de l’AGNU sur les législations nationales met l’accent sur la surveillance continue de l’objet en cas de transfert de propriété ou de contrôle en orbite et recommande aux États de

prévoir des prescriptions d’autorisation concernant le transfert de propriété ou l’obligation de communiquer des informations sur les changements survenus au niveau de l’exploitation d’un objet spatial en orbite[85].

À cet égard, les législations nationales sont des outils importants pour responsabiliser les opérateurs sur une telle obligation de communication. Dans le même sens, selon l’article 9 des lignes de conduite de l’International Law Association (ILA), le transfert d’une activité ou d’un objet spatial à un autre opérateur nécessite l’autorisation préalable de l’autorité compétente[86].

Ces instruments non contraignants sont notamment pris en considération dans le processus d’élaboration ou d’amendement des législations nationales. Les lignes de conduite de l’ILA ont, par exemple, servi de référence pour les législateurs danois[87] et finlandais[88]. Ces instruments, qui correspondent plus à l’esprit de l’époque, sont d’une grande utilité pour le rapprochement de la pratique des États. Malgré leur caractère non contraignant, ces instruments sont très utiles dans la clarification de la pratique et facilitent l’adhésion aux dispositions des traités spatiaux.

Après avoir exposé les interrogations soulevées par le transfert en orbite des satellites et les principales solutions proposées, nous pouvons maintenant étudier la manière dont la question est traitée dans les législations nationales relatives aux opérations spatiales.

II. Les législations nationales comme remède face à la dissociation des concepts

Nous allons d’abord nous intéresser au traitement de la question dans les législations nationales (A), ensuite nous proposerons une synthèse et un modèle à la lumière de celles-ci (B).

A. Le transfert de propriété/de contrôle en orbite dans les législations nationales spécifiques aux opérations spatiales

Les États ne traitent pas tous la question du transfert de propriété ou de contrôle dans leur législation nationale. Pour les États dont la législation nationale ne prévoit pas ce cas de figure, il est possible d’avancer que le transfert est faisable au cas par cas[89].

Dans la législation de certains États, il est expressément précisé que l’autorisation n’est pas transférable. Par exemple, la section 8 de la loi néerlandaise exclut le transfert de l’autorisation (section 8§1)[90]. Toutefois, le changement de nom de la personne morale inscrite dans le registre est possible en cas de fusion, de division ou de changement de nom de celle-ci (section 8§2). Selon l’article 12 du décret chinois, le transfert de l’autorisation n’est pas possible[91].

D’autres législations nationales ont prévu le cas de transfert. En cas de transfert d’une technologie spatiale à un autre État, une entreprise ou une organisation internationale, l’Agence spatiale de l’Ukraine l’enlève du registre de l’État, en application de l’article 14 de la loi ukrainienne[92]. Dans la loi australienne, le transfert est possible à condition que l’opérateur récipiendaire soit conforme aux exigences générales requises par la loi[93]. Conformément à la loi japonaise de 2016 (entrée en vigueur le 15 novembre 2018), si la station au sol de l’opérateur récipiendaire se trouve au Japon, l’autorisation est nécessaire pour l’opérateur récipiendaire et l’opérateur cédant; mais si la station au sol de l’opérateur récipiendaire n’est pas sur le territoire japonais, une notification de l’opérateur cédant au premier ministre suffit[94]. Au sens de la loi autrichienne, le changement d’opérateur est soumis à autorisation (section 8)[95]. Les conditions générales d’autorisation prévues dans la section 4 y sont applicables. Selon la loi coréenne, les changements concernant l’objet spatial doivent être autorisés (article 11(1))[96].

Au sens de la loi danoise, le transfert d’un objet spatial ou d’une activité spatiale à un autre propriétaire ou opérateur est soumis à une autorisation préalable[97]. Si le nouveau propriétaire ou opérateur n’est pas domicilié au Danemark, un accord portant sur l’indemnisation des dommages peut être exigé entre le Danemark et l’État national du nouveau propriétaire ou opérateur[98]. Selon Hulsroj et Pecujlic, cet accord peut être conçu comme une condition d’autorisation si l’État du nouvel opérateur/propriétaire n’est pas un État de lancement[99].

Selon la section 11 de la loi finlandaise, en cas de transfert du contrôle effectif d’un objet spatial ou d’une activité spatiale à un nouvel opérateur ou propriétaire, une autorisation préalable est nécessaire[100]. Dans ce cas-là, les conditions générales d’autorisation prévues dans la section 5 sont applicables. Le transfert de propriété seul ne nécessite pas d’autorisation tant qu’il n’y a pas de transfert du contrôle effectif. Si le nouveau propriétaire ou opérateur n’est pas finlandais, un accord portant sur l’indemnisation des dommages peut être exigé entre l’État national du nouveau propriétaire ou opérateur et la Finlande, selon le deuxième paragraphe du même article. Rappelons aussi que la section 12 de la loi impose à l’opérateur l’obligation d’informer immédiatement du changement de propriétaire. Le non-respect de cette obligation de façon intentionnelle ou par négligence est passible d’une amende pour violation portant sur les activités spatiales (violation concerning space activities) (section 21, penal provisions)[101].

Selon la section 6(1) de la loi britannique pour le transfert de licence, le consentement écrit du Secrétaire d’État est requis[102]. Selon la loi britannique de 2018, le transfert de licence est possible par un consentement écrit du Régulateur[103]. En cas de réunion des conditions indiquées dans la section 15(2), ce dernier peut donner son accord au transfert. Pour que le régulateur accorde son consentement, la personne récipiendaire doit notamment avoir une capacité technique et financière, le transfert doit être dans l’intérêt du Royaume-Uni et doit respecter les obligations internationales.

En vertu de la section 53 de la loi néo-zélandaise, une autorisation préalable est nécessaire dans deux situations : dans le cas du transfert d’un intérêt dans l’autorisation et dans le cas où le détenteur de l’autorisation serait une personne morale qui subit un changement de contrôle[104].

La loi française a mis en place un régime spécifique pour le transfert de maîtrise de l’objet spatial en orbite[105]. En cas de transfert de maîtrise d’un objet autorisé en application de la loi française, une autorisation préalable est nécessaire conformément à l’article 3 de la loi. Selon le deuxième paragraphe de ce dernier, tout opérateur français qui entend prendre la maîtrise d’un objet spatial non autorisé au titre de la loi française est également soumis au régime de l’autorisation. Dans le premier cas de figure, la France est un État de lancement alors que dans le deuxième elle ne l’est pas[106]. Après le transfert de maîtrise de l’objet, l’activité devient une activité nationale de la France justifiant une autorisation en application de la loi française[107]. Le transfert de propriété n’est pas visé par l’article 3 de la loi. Clerc nous a rappelé que, selon l’arrêté du 12 août 2011, l’opérateur doit fournir des informations dont notamment l’historique de la propriété (article 1(4))[108]. Conformément à l’article 2 de l’arrêté, l’opérateur transmet sans retard toute modification des informations demandées dans l’article premier.

L’article 14 du « décret autorisation[109] » précise les modalités d’application de l’article 3 de la loi. Selon cet article 14, une demande d’autorisation conjointe de l’opérateur qui a la maîtrise de l’objet (l’opérateur cédant) et de l’opérateur récipiendaire est nécessaire (article 14(I)). Dans la demande, les renseignements sur la nature de l’objet spatial, les pièces nécessaires de la procédure d’autorisation et la licence prévue à l’article 4 de la loi française (si l’opérateur en dispose) doivent être inclus. Si l’opérateur récipiendaire n’est pas soumis à la loi française sur les opérations spatiales, c’est à l’opérateur cédant de soumettre une demande d’autorisation[110]. Celui-ci doit inclure dans sa demande des pièces expliquant la nature de l’objet et justifiant la non-application de la loi à l’opérateur récipiendaire. Il doit y avoir également des garanties sur l’immatriculation de l’objet spatial après son transfert et sur la notification du transfert au Secrétaire général de l’ONU (article 14(II)).

Le transfert du contrôle effectif d’un objet spatial résultant d’une cession de droits ou d’activités autorisées nécessite une autorisation au sens de l’article 13 de la loi belge[111]. Donc, si la cession n’a pas pour but de transférer le contrôle d’un objet, l’autorisation n’est pas nécessaire. Ce n’est pas le transfert de la propriété du satellite qui est visé, mais le transfert du contrôle effectif. En conséquence, dans le cas d’un changement de propriétaire, une autorisation ne sera pas requise. Mais si le propriétaire (qui est aussi l’opérateur) d’un objet spatial transfère le contrôle effectif à un sous-contractant (sans transférer la propriété), une autorisation est requise[112]. Le régime général d’autorisation est mutatis mutandis applicable à l’autorisation du transfert de la maîtrise de l’objet spatial (article 13(3)). La demande d’autorisation peut être assortie de conditions imposées non seulement à l’opérateur cessionnaire, mais aussi à l’opérateur cédant, selon le quatrième paragraphe de l’article. Si l’opérateur cessionnaire ne se trouve pas sur le territoire belge, l’autorisation peut être refusée sans accord spécifique entre l’État de nationalité de l’opérateur cessionnaire et la Belgique, pour la protection de cette dernière contre tout recours de responsabilité à son encontre (article 13(4)). Un tel accord peut également inclure les points touchant la surveillance continue de l’activité spatiale et l’échange d’information si la Belgique reste l’État d’immatriculation de l’objet en question[113].

B. Synthèse des législations nationales et la proposition d’un modèle

Les conditions principales d’autorisation exigées de la personne privée portent sur sa capacité et sa fiabilité au niveau professionnel, financier et technique. C’est à partir de celles-ci que les États assurent une conformité des activités des entités non gouvernementales avec le droit international et leurs intérêts nationaux. Les États, disposant d’une marge d’appréciation, peuvent refuser la demande d’autorisation de transfert de la maîtrise d’un objet spatial si les conditions ne sont pas réunies.

Le transfert de propriété ne devrait pas être soumis à une autorisation pour des raisons que nous avons soulignées dans l’introduction : notamment l’absence d’effet direct de la propriété au niveau de l’attribution de la responsabilité. Néanmoins, vu ses implications potentielles sur l’opération autorisée et sur l’identification de l’objet spatial, l’opérateur doit immédiatement informer l’autorité compétente du changement de propriétaire comme c’est le cas dans la loi finlandaise et dans l’arrêté français du 12 août 2011. En cas de non-respect de cette obligation de façon intentionnelle ou par négligence, une amende peut aussi être prévue, comme dans la loi finlandaise.

Dans l’intérêt des États, il serait préférable de soumettre le transfert des satellites en orbite (soit une activité déjà autorisée en application de la loi soit un transfert au bénéfice d’un ressortissant) au régime de l’autorisation, car c’est leur responsabilité qui est en jeu. Les législations nationales sont des outils importants pour que les États prévoient les deux hypothèses évoquées. Ces deux hypothèses sont seulement prévues dans la loi française. Commençons par la seconde. Un transfert au bénéfice d’un ressortissant fait que cette activité devient une activité nationale au sens de l’article VI du Traité de l’Espace nécessitant donc une autorisation préalable. Ce qui compte ici, c’est la nationalité de l’opérateur. Le lieu de la station au sol de l’opérateur récipiendaire n’a aucune importance comme c’est le cas dans la loi japonaise.

Passons à la première. Un transfert de maîtrise vers un opérateur relevant de la juridiction du même État (probablement de l’État de l’immatriculation) ne pose pas de difficulté dans l’application. Dans ce cas de figure, les conditions générales d’autorisation sont applicables. Celles-ci sont également applicables à un transfert de maîtrise au profit d’un État (soit un État de lancement soit un non-État de lancement) ou d’un ressortissant de cet État. Dans ce cas-là, l’autorisation octroyée par l’autorité compétente peut être assortie de conditions et de garanties au sujet de la surveillance continue de l’opération spatiale (1) de la répartition des responsabilités (2) ou de l’immatriculation (3).

(1) L’État cédant devra chercher à garantir que l’État approprié acquitte correctement ses obligations découlant des traités spatiaux : notamment la surveillance continue de l’activité spatiale conduite par l’entité non gouvernementale.

Même s’ils n’assurent plus le contrôle effectif de l’engin, les États de lancement, du fait de leur responsabilité, ne peuvent en effet accepter sans précautions une gestion hasardeuse de l’engin durant sa vie en orbite[114].

C’est la raison pour laquelle, comme prévu dans l’article 11 de la loi finlandaise et recommandée dans la huitième recommandation onusienne sur les législations nationales, la décision d’autorisation peut être assortie des conditions nécessaires pour la conduite et la supervision en toute sécurité de l’opération spatiale[115]. Ce cas de figure est notamment envisageable « si le droit de l’État récipiendaire de l’objet [est] peu exigeant ou si ses institutions de contrôle présent[ent] d’importantes faiblesses[116] ». Cela nécessiterait sans doute la mise en place d’un mécanisme de coordination entre les deux États pour faciliter la mise en oeuvre de la surveillance continue de l’opération spatiale.

(2) Au sujet de la liability, un accord portant sur la répartition des responsabilités peut aussi être exigé pour garantir les États de lancement en cas de dommages causés. Ce cas de figure est prévu dans la loi danoise, la loi finlandaise et la loi belge sans être obligatoire. Au moyen d’un accord, l’État récipiendaire peut donc accepter d’indemniser l’État cédant pour les dommages causés par l’objet spatial si la responsabilité de ce dernier est engagée au titre de la réparation d’un dommage causé par l’objet transféré. Si l’État récipiendaire est aussi un État de lancement, celui-ci et l’État cédant continuent à être liables. Ces États auraient pu conclure un tel accord avant le transfert en orbite de l’objet spatial[117]. Rappelons-le. En cas de lancement commun d’un objet spatial, les États participant au lancement sont solidairement responsables et aucune gradation de la responsabilité n’est prévue (article V(1) de la Convention sur la responsabilité). L’accord conclu par ces États pour répartir leurs responsabilités ne peut porter atteinte au droit de la victime (article V(2)). La victime pourra obtenir la pleine et entière réparation auprès de l’État de lancement de son choix, indépendamment des conditions de cet accord.

(3) Concernant l’immatriculation de l’objet spatial, si l’État récipiendaire est un État de lancement, cet État peut inscrire celui-ci dans son registre national et exercer sa juridiction et son contrôle sur cet objet. Cet État n’est pourtant pas contraint de l’immatriculer. Des garanties sur l’immatriculation de l’objet spatial après son transfert et sur la notification du transfert au Secrétaire général de l’ONU peuvent être exigées au moment de la demande de l’autorisation.

Si l’État récipiendaire n’est pas un État de lancement, les États de lancement peuvent transférer les droits et obligations découlant de l’immatriculation de l’objet spatial au moyen d’un accord. L’État cédant restera très probablement l’État d’immatriculation de l’objet transféré. Si l’État récipiendaire n’exerce pas correctement sa juridiction et son contrôle, l’État d’immatriculation risque de voir sa responsabilité engagée. En effet, l’État d’immatriculation « remains internationally quasi guarantor of the obligations following jurisdiction and control[118] ».

La huitième recommandation onusienne sur les législations nationales propose de prévoir l’obligation de communiquer des renseignements sur les changements survenus au Secrétaire général de l’ONU. L’État d’immatriculation et l’État approprié devraient ainsi coopérer pour communiquer les éléments précisés dans la quatrième recommandation onusienne sur la pratique concernant l’immatriculation. En effet, il est probable que l’État d’immatriculation n’ait pas toutes les informations nécessaires pour communiquer des renseignements en cas de transfert. Il serait donc préférable d’exiger des garanties de la part de l’État récipiendaire en vue d’assurer la communication des renseignements sur les changements survenus au Secrétaire général des Nations Unies.

***

Dans le contexte actuel, le nombre d’accords conclus en cas de transfert en orbite est restreint. En effet, la conclusion de ces accords est généralement vue comme contraignante, longue et pouvant engendrer des difficultés politiques[119]. C’est la raison pour laquelle, exiger des garanties de la part de l’État récipiendaire au moment de la demande de l’autorisation serait une stratégie plus pragmatique. Ce cas de figure est prévu à l’article 14(II) du « décret autorisation » français concernant l’immatriculation de l’objet spatial après son transfert et sur la notification du transfert au Secrétaire général de l’ONU. En vue de l’obtention des garanties (et de l’autorisation de transfert par la suite), l’opérateur cédant et l’opérateur cessionnaire doivent entreprendre les démarches requises. Les opérateurs, jouant un rôle de passerelle, peuvent ainsi faciliter le dialogue et les éventuelles négociations entre leur État d’origine.

Similairement, il est plus pragmatique d’introduire une obligation à la charge de l’opérateur cédant au moment du transfert contractuel de satellite. Comme proposé par Gerhard, l’opérateur cédant peut être rendu obligé, en cas de futur transfert, d’inclure une clause dans le contrat de transfert obligeant l’opérateur cessionnaire à souscrire une assurance pour couvrir les dommages causés aux tiers et à le garantir en cas d’action récursoire exercée à son encontre[120]. Cette proposition est d’une importance capitale pour responsabiliser les opérateurs sur les effets d’un transfert en orbite et notamment sur la dissociation des concepts qui en découle.

À la lumière de ce qui précède, il est convenable d’inclure les dispositions suivantes dans une législation nationale relative aux opérations spatiales :

III. PERSPECTIVES FUTURES

A. Le financement des activités spatiales et le Protocole Spatial UNIDROIT

La Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles[121] a pour but de créer une garantie internationale reconnue par tous les États contractants et d’encourager le financement de l’acquisition des biens, à savoir : les aéronefs, le matériel roulant ferroviaire et les biens spatiaux[122]. Le Protocole spatial a été adopté à Berlin le 9 mars 2012[123]. Même si le Protocole spatial n’est pas encore entré en vigueur et est mal accueilli par l’industrie spatiale, il reste un document important dans la mesure où c’est le premier instrument du droit international privé dans le domaine spatial[124]. Malgré cet échec, l’expérience acquise durant le processus d’élaboration du Protocole sera bénéfique pour un futur instrument, qui a pour but d’encourager le financement de l’acquisition des biens spatiaux et pourrait simplifier le transfert en orbite des satellites.

Pendant le processus d’élaboration de ce protocole, les questions découlant du transfert du bien spatial[125], notamment la transférabilité des licences au créancier, étaient l’un des points controversés. Dès le début du processus d’élaboration, il a fallu trouver un équilibre entre les intérêts étatiques et l’intérêt commercial du créancier. À cet égard, la limitation éventuelle des mesures en cas d’inexécution, était un point critique de ce compromis. Il faut rappeler que, dans la Convention du Cap, la prise de possession et de contrôle du bien est l’une des mesures prévues en cas de défaillance du débiteur[126]. Pourtant, il est complexe de prendre possession d’un bien spatial après sa mise en orbite d’un point de vue pratique[127]. En raison de cette complexité, la notion de contrôle est plus adaptée dans la réalisation d’une sûreté sur un satellite[128].

Quant à la réalisation d’une sûreté sur les autorisations et licences, qui sont « considérées comme des actifs aux yeux du créancier »[129], elle rencontre aussi des contraintes juridiques. Celles-ci sont accordées par les gouvernements ou organisations internationales sur une base intuitu personae et leur transfert ne dépend pas que du débiteur. Avant de les octroyer, les États tiennent compte de leurs obligations internationales et de leurs intérêts nationaux.

Dans l’article XXVI du Protocole, le pouvoir des États est préservé concernant le transfert et la cession des licences, l’utilisation des positions orbitales/des fréquences et les codes de commande[130]. Dans le deuxième paragraphe de l’article, la place centrale de l’État est soulignée pour rassurer les États. Selon le dernier paragraphe de l’article, la reconnaissance ou l’exécution d’une garantie internationale à l’encontre des règlementations des États contractants (dans le domaine du contrôle des exports et de la sécurité nationale) est exclue. Chaque État contractant décide ce qu’il entend par « sécurité nationale »[131].

Les considérations portant sur la sécurité nationale jouent un rôle primordial dans le processus de l’octroi de l’autorisation. Ces termes étant vagues, l’autorité délivrant l’autorisation dispose d’une large discrétion. Les règles portant sur le contrôle des exportations ont une importance particulière dans le domaine spatial par rapport aux autres domaines, car l’espace est un domaine beaucoup plus « sensible » que les autres[132]. L’origine technologique des produits commerciaux spatiaux est militaire; la frontière entre ceux-ci et les produits militaires est encore floue[133]. C’est pour cette raison que les sociétés impliquées dans le domaine spatial doivent être au courant de la réglementation portant sur l’exportation des biens et de la technologie sensible, notamment de la réglementation américaine qui est la plus importante et complexe. Le régime applicable au contrôle des exportations est donc un facteur à tenir en considération au moment du transfert des satellites et le respect des règles applicables doit donc être assuré.

B. Le rapport entre les législations nationales et les sources du droit de l’espace

Nous pouvons constater une interdépendance entre les traités spatiaux et les législations nationales. Les principes consacrés par les premiers encadrent les secondes, qui assurent une effectivité aux premiers. Les législations nationales, qui remplissent un rôle complémentaire assigné par les traités spatiaux, permettent aux États de s’adapter aux évolutions technologiques et politiques et de favoriser le développement de leur industrie spatiale. Les législations nationales sont ainsi devenues un outil essentiel dans la gouvernance des activités spatiales. En conséquence, les traités spatiaux n’empêchent pas le développement des activités spatiales conduites par les entités non gouvernementales qui sont permises à condition d’être autorisées et continûment surveillées, notamment à travers la mise en place des législations nationales. Prenons l’exemple des services de maintenance en orbite qui n’étaient possiblement pas prévus pendant l’élaboration des traités spatiaux. Pourtant, ce cas peut être prévu par les législations nationales. Dans ce sens, Clerc rappelle l’importance de l’article 3 de la loi française pour les opérations de maintenance en orbite[134]. Cette disposition permet de transférer la maîtrise de l’objet spatial, ce qui est nécessaire pour la réalisation des opérations de maintenance. Le transfert de maîtrise est donc effectif durant la conduite de l’opération. Le cadre extérieur (les traités) reste le même, mais le contenu évolue (les législations nationales). Les législations nationales n’ont pas influencé l’élaboration des traités spatiaux, mais elles influenceraient certainement l’amendement de ceux-ci ou l’adoption d’un nouveau traité.

Les législations nationales étudiées dans le cadre de cette étude sont importantes dans la mesure où elles sont l’expression de l’opinio juris des États au sujet du transfert en orbite des satellites. Si la pratique étatique devient uniforme et constante, combinée avec l’opinio juris, il sera possible de parler d’une norme coutumière applicable au transfert en orbite des satellites. Toutefois, il est difficile de constater une uniformité et constance dans la pratique étatique. Il n’est donc, pour le moment, pas possible de parler d’une règle coutumière applicable au transfert en orbite. Nous pensons qu’avec la maturité des activités spatiales, la coutume aura une place plus importante dans l’élaboration du droit de l’espace. Elle a actuellement une place limitée en raison de la jeunesse du droit de l’espace et du choix des traités au début de la conquête spatiale[135]. Le rapprochement des législations nationales s’effectue déjà à travers le mode informationnel employé dans l’élaboration de la politique juridique des États. Le mode informationnel permet aux États de se servir d’expériences d’autres États dans la détermination de leur politique juridique[136]. Les initiatives soft d’harmonisation entreprises au niveau international et européen facilitent également le rapprochement de la pratique des États.

Tableau 2

Précisions sur certains concepts clés du droit de l’espace

Précisions sur certains concepts clés du droit de l’espace

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