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INTRODUCTION

La prévalence de troubles de santé mentale associés à la surcharge de travail s’est vue augmenter au cours des dernières décennies. Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2018), plus de 30 % des demandes de remboursement effectuées auprès des compagnies d’assurances pour incapacité à travailler seraient associées à des troubles mentaux. Par ailleurs, 27 % des travailleurs se sentiraient hautement stressés, et 62 % de ces travailleurs affirment que le stress qu’ils vivent découle principalement de leur travail (Crompton, 2011). Le constat est semblable chez les étudiants universitaires. Une enquête effectuée auprès de plus de 30 000 étudiants de niveau postsecondaire montre que 57,6 % d’entre eux rapportent des niveaux d’anxiété significativement plus élevés que la moyenne. Dans 56,5 % des cas, ce stress proviendrait surtout du milieu académique (Versaevel, 2014). Un stress élevé peut engendrer de l’anxiété et avoir un impact négatif sur la capacité d’un individu à effectuer une tâche, même chez les jeunes élèves (pour une recension sur les effets du stress académique, voir p. ex. Putwain, 2007).

L’une des causes de l’augmentation des demandes sur les étudiants et employés proviendrait de la multiplication du nombre de tâches à gérer. Par exemple, vue l’omniprésence des technologies de l’information et des communications, les employés qui effectuent du travail de bureau seraient de plus en plus interrompus dans leurs tâches (Jett et George, 2003). Le fait d’avoir un horaire chargé tend également à engendrer un sentiment d’anxiété, puisqu’il devient difficile de trouver du temps libre ou d’arriver à un équilibre entre la vie personnelle et professionnelle (Chernomas et Shapiro, 2013). Dans tous ces cas, l’impact négatif de la hausse de la charge de travail peut provenir des limites attentionnelles inhérentes à l’humain. Il est effectivement reconnu que les atteintes à la performance engendrées par la gestion de plusieurs tâches lors d’une même période de temps proviennent de limites attentionnelles (p. ex., Monk et al., 2004; Monsell, 2003). Par ailleurs, s’engager dans plusieurs tâches qui demandent un niveau de vigilance accru (p. ex., étudier, lire ou écrire un travail; Felsten, 2009) peut être difficile, car tout effort mental prolongé peut épuiser les ressources attentionnelles (Kaplan, 1995).

L’épuisement des ressources attentionnelles peut avoir plusieurs conséquences négatives. Selon Kaplan et Berman (2010), l’attention est une ressource commune au fonctionnement exécutif et à l’autorégulation, deux mécanismes-clés qui jouent un rôle prépondérant dans plusieurs tâches. Comme ces deux mécanismes omniprésents dans la réalisation de plusieurs tâches quotidiennes reposent en grande partie sur l’attention et que cette ressource est limitée, il semble donc utile d’éviter que cette dernière s’épuise. Cela est d’autant plus vrai sachant que de trop grandes demandes sur le système cognitif, notamment sur les ressources attentionnelles, peuvent entraîner une augmentation des niveaux de stress (Stack et Shultis, 2013; Ursin et Eriksen, 2004), et ce, surtout lorsque l’individu ressent qu’il a peu de contrôle sur une telle situation qu’il perçoit, conséquemment, comme trop exigeante (Karasek et Theorell, 1990). Également, il a été démontré que l’épuisement professionnel peut être dû, en partie, à des dysfonctions dans le déploiement de l’attention volontaire et involontaire (Sokka et al., 2016).

Plusieurs auteurs suggèrent que l’exposition à la nature[2] représente une solution prometteuse qui permet notamment de restaurer les ressources cognitives, plus particulièrement les capacités attentionnelles d’un individu, et de diminuer le niveau de stress (p. ex., Cole et Hall, 2010; Hartig et al., 2003; Hunter et al., 2019; Kaplan, 1995; voir également l’explication de la relation entre la restauration attentionnelle et le stress présentée par Stack et Shultis, 2013). Bien que les mécanismes par lesquels l’attention peut être restaurée par la nature font encore l’objet d’un débat, plusieurs chercheurs s’entendent pour dire qu’une exposition à un décor naturel permet bel et bien de contrer l’épuisement des ressources attentionnelles. Comme les demandes élevées sur le système cognitif exercent une grande pression chez les travailleurs et étudiants, l’exposition à la nature peut représenter une solution intéressante pour diminuer cette pression et, par le fait même, le stress qu’elle peut induire. Cependant, peu d’études se sont intéressées spécifiquement à l’apport positif que peut engendrer l’exposition à la nature dans les milieux scolaires et professionnels.

Le présent article a pour but de soulever des études empiriques qui permettent de mettre en lumière l’apport positif que pourrait entraîner l’intégration de la nature sous forme réelle ou artificielle aux milieux professionnels et scolaires. Dans les prochaines sections, les principales théories expliquant les bénéfices qu’exerce la nature sur l’attention sont d’abord présentées. La section suivante aborde ensuite les études réalisées dans des contextes appliqués (en milieux scolaires et professionnels) qui montrent les bénéfices de la nature, dans ces contextes, et soulève les limites provenant de ces études. Enfin, les implications pratiques de l’intégration des décors naturels au sein des milieux professionnels et scolaires sont discutées.

APPORTS POSITIFS DE LA NATURE : THÉORIES ET APPUIS EMPIRIQUES

Plusieurs études proposent que l’exposition à la nature est spécialement bénéfique pour l’attention ou pour d’autres fonctions cognitives dans lesquelles l’attention est impliquée (p. ex., Atchley et al., 2012; Berto et al., 2010; Felsten, 2009; Hartig et al., 1997). Par exemple, Berman et al. (2008) ont analysé la performance à des tâches attentionnelles de participants étant exposées sous forme réelle ou artificielle à des environnements naturel ou urbain. Les auteurs montrent que les participants ayant été exposés à la nature s’améliorent significativement plus sur les tâches cognitives que les participants ayant été exposés à un décor urbain. La prochaine section présente les principales théories expliquant la façon dont ces bénéfices attentionnels peuvent être produits.

Modèles explicatifs des bénéfices de la nature

Les perspectives évolutionnistes

Deux théories expliquant la provenance de l’impact positif de la nature revêtent un caractère évolutionniste, c.-à-d. qu’elles considèrent le contexte dans lequel l’humain a évolué. L’hypothèse biophile (biophilia hypothesis; Kellert et Wilson, 1993), considère que l’impact positif de l’exposition à la nature proviendrait de la tendance innée de l’humain à vouloir interagir avec d’autres organismes vivants. Le fait de satisfaire ce désir et de connecter avec la nature (p. ex., en effectuant une balade en forêt) entrainerait des bénéfices psychologiques tels qu’une augmentation des affects positifs et une diminution des affects négatifs (Kellert, 1997). Toutefois, cette théorie ne s’intéresse pas réellement aux bénéfices attentionnels de la nature. La théorie de la réduction du stress (stress reduction theory; Ulrich et al., 1991), est en partie basée sur l’hypothèse biophile. Elle propose que les bénéfices engendrés par l’exposition aux stimuli naturels proviennent de la tendance naturelle des humains à prêter attention aux éléments qui sont contributifs à leur survie (p. ex., l’eau et la végétation). Ces éléments seraient spécifiquement faciles à traiter puisque le cerveau et le système sensoriel auraient évolué dans un environnement contenant ces éléments (Wohlwill, 1983). La vue d’un tel décor aurait pour conséquence de réduire le stress, puis d’améliorer l’humeur et la façon dont l’attention est déployée.

La théorie de la restauration attentionnelle

Certains auteurs stipulent toutefois qu’il est aussi possible qu’un décor non naturel permette à l’attention de se restaurer. Par exemple, regarder une série d’oeuvres d’art dans un musée peut représenter une expérience restauratrice bénéfique pour l’attention (Packer, 2008). Conséquemment, il est possible que la restauration de l’attention ne provienne pas de la nature elle-même, mais bien des propriétés qu’elle dégage. La théorie de la restauration attentionnelle (Attention Restoration Theory [ART]; Kaplan, 1995, 2001; Kaplan et Kaplan, 1989) est basée sur cette assertion. Selon cette théorie, l’attention ne peut être restaurée que si l’interaction entre un individu et son environnement respecte quatre conditions essentielles : la fascination, l’éloignement, la richesse et la compatibilité.

Kaplan (1995) définit chacune des quatre conditions qui permettent aux stimuli naturels de restaurer l’attention. L’environnement doit d’abord être composé d’éléments fascinants, soit de stimuli qui capturent l’attention. La notion de fascination s’oppose directement à la notion d’attention dirigée (James, 1892). Alors que cette dernière réfère à une attention qui est volontairement dirigée et qui déploie des efforts, la fascination correspond plutôt à une attention involontaire capturée de façon passive, automatique et sans effort, qui permettrait aux ressources attentionnelles de se restaurer. Un décor restaurateur doit donc dégager un certain niveau de fascination afin de capturer automatiquement l’attention pour, qu’ainsi, cette dernière puisse récupérer. Pour être restauré, l’individu doit ensuite sentir qu’il est suffisamment éloigné des stimuli qui requièrent habituellement une implication de son attention dirigée. Un environnement restaurateur devrait donc permettre d’être physiquement présent dans un endroit où il n’est pas nécessaire d’inhiber les stimuli environnants non pertinents, ou à tout le moins, qui offre la possibilité de s’éloigner mentalement des tracas quotidiens. Également, l’environnement dans lequel l’individu se trouve doit avoir une certaine richesse, c.-à-d. qu’il doit constituer un tout suffisamment complexe pour que l’attention soit maintenue sans effort. Enfin, la présence d’une personne dans un tel environnement doit être compatible avec ses intentions et objectifs, c.-à-d. que l’individu doit être enclin à être exposé à la nature.

Ainsi, selon l’ART, l’attention peut être restaurée par la nature puisqu’elle permet typiquement de répondre à ces quatre critères (Kaplan, 1995). Il existe plusieurs preuves empiriques qui appuient l’ART et qui démontrent que le processus de restauration repose principalement sur la fascination. Berto et al. (2010) ont par exemple montré que l’amélioration de la performance à une tâche de reconnaissance suivant une période de vigilance, dépend du niveau de fascination perçu des paysages présentés dans la tâche de mémoire. Dans le même ordre d’idées, Kuper (2017) montre que l’évaluation subjective du potentiel de restauration de paysages naturels virtuels est, entre autres, positivement corrélée aux évaluations des niveaux de fascination et de richesse du décor; ainsi, plus un paysage est évalué comme étant fascinant et riche, plus il possède un fort potentiel de restauration (voir aussi Hartig et al., 1997).

Limites de la théorie de la restauration attentionnelle. Bien que plusieurs auteurs considèrent que l’ART est la théorie la plus juste pour expliquer comment les ressources attentionnelles peuvent bénéficier d’une exposition à la nature, elle n’en demeure pas moins sans faille. Selon Joye et Dewitte (2018), l’ART possède trois limites majeures : a) certains concepts-clés de l’ART sont vagues et peu développés; b) les hypothèses fondamentales de cette théorie n’ont toujours pas été adéquatement testées; et c) certaines de ces hypothèses sont difficilement vérifiables. D’autres études vont également à l’encontre des prédictions issues de l’ART. Une méta-analyse réalisée par Bowler et al. (2010) sur 25 études visant principalement à évaluer l’impact positif de la nature soulève notamment quelques incohérences dans la littérature. Bien que de façon générale, il semble clair que la nature produise certains impacts positifs sur la santé et le bien-être (p. ex., sur le niveau d’énergie, la fatigue, l’anxiété et l’humeur), le constat est différent quant aux bénéfices sur l’attention. En effet, pour les huit études incluses qui contenaient des mesures attentionnelles (Proofreading Task, Digit Span Backward, Combined Digit Span Backward/Forward, Necker Cube Pattern Control et mesures de la perception de symptômes du TDAH), les gains observés tendent à disparaître une fois les tailles d’effets ajustées selon les différences au prétest.

Entre autres motivés par cette absence d’effet, Ohly et al. (2016) ont réalisé une revue systématique pour clarifier si les bénéfices sur l’attention sont réellement présents, et vérifier si cet impact est conditionnel aux tâches employées. Les résultats de l’analyse effectuée sur 31 expériences montrent que l’amélioration de la performance aux tâches attentionnelles pour les participants exposés à la nature dépend de la tâche impliquée. En effet, alors qu’un impact positif est observé pour trois tâches en particulier (Digit Span Forward, Digit Span Backward et Trail Making Test B), les bénéfices sur 10 autres tâches attentionnelles (p. ex., Proofreading Task, Search and Memory Task et Necker Cube Pattern Control) demeurent mitigés. Au regard de ces résultats, les auteurs rapportent que la diversité des tâches utilisées dans la littérature est trop élevée pour qu’il soit possible de conclure, sans équivoque, que la nature permet de restaurer les ressources attentionnelles, qui plus est l’attention dirigée, spécifiquement.

Selon Hartig et Jahncke (2017), l’étude d’Ohly et al. (2016) possède cependant deux limites majeures : l’effort cognitif préexposition varie largement, pouvant engendrer une sous-estimation de l’impact de la nature, et la méthode de calcul des tailles d’effets, ne semble pas tenir compte de l’impact du niveau de base. Stevenson et al. (2018) ont donc effectué une nouvelle recension et ont observé des bénéfices de la nature sur les tâches de mémoire de travail, de flexibilité cognitive et, dans une certaine mesure, de contrôle attentionnel. Une analyse de modération montre également que l’exposition à un réel environnement naturel augmente le potentiel de restauration, mais que les études employant l’exposition réelle sont aussi souvent associées à de plus longues périodes d’exposition, rendant ainsi le temps d’exposition potentiellement important. À la lumière des résultats de ces recensions, il semble ainsi que l’exposition à la nature, bien qu’affectée par plusieurs facteurs, peut effectivement être bénéfique pour restaurer les ressources attentionnelles. Cependant, cet impact serait surtout mesurable pour la mémoire de travail, la flexibilité cognitive et le contrôle attentionnel.

Nouvelle vision du processus de restauration. Une autre limite importante de l’ART est qu’il existe actuellement un débat quant au rôle que joue l’attention dans son processus de restauration. Bien que la théorie stipule que l’attention est capturée de façon automatique et sans effort par les caractéristiques fascinantes du paysage, de récentes découvertes suggèrent plutôt que l’attention doit être engagée pour garantir une restauration optimale. Szolosi et al. (2014) montrent, par exemple, que le temps d’exposition à la nature exerce un rôle médiateur sur le potentiel de restauration où les bénéfices sur le plan cognitif ne sont produits que si l’exposition est suffisamment longue. Le fait qu’une plus longue exposition engendre de meilleurs bénéfices attentionnels suggère que l’attention n’est pas simplement capturée automatiquement. L’attention serait plutôt engagée activement, puisque les processus automatiques sont habituellement enclenchés rapidement sans être influencés par la durée d’exposition à un stimulus alors que, au contraire, les processus contrôlés (c.-à-d. où l’attention est active) peuvent bénéficier d’une plus longue durée de présentation (Barrouillet et al., 2004).

Selon ces résultats, le processus de restauration serait davantage actif que le prévoirait l’ART. Tel que suggéré par Szolosi et al. (2014), une fois l’attention capturée de façon automatique par les propriétés fascinantes du décor, un réengagement plus contrôlé serait ensuite enclenché. Étant cohérent avec la réponse attentionnelle automatique précédemment produite, cet engagement contrôlé permettrait d’éviter toute forme de résistance face à la capture automatique produite par les stimuli fascinants, le tout serait donc effectué sans effort. Enfin, comme cette balance entre les processus attentionnels automatique et contrôlé ne solliciterait aucun effort, les ressources attentionnelles pourraient se restaurer. Des études privilégiant une exposition extérieure réelle à la nature et manipulant la tâche à effectuer en cours d’exposition (p. ex., devoir analyser ou discuter de l’appréciation générale de l’environnement) appuient d’ailleurs cette idée que l’engagement puisse être bénéfique pour la restauration (Duvall, 2011; Pasanen et al., 2018). Ces résultats sont également cohérents avec l’idée que le temps d’exposition joue un rôle modérateur dans la restauration attentionnelle (Stevenson et al., 2018). Une plus longue exposition offre effectivement la possibilité d’être davantage engagé envers l’environnement naturel, ce qui améliorerait potentiellement la restauration qui découle de l’interaction avec la nature.

EXPOSITION À LA NATURE AU SEIN DES MILIEUX SCOLAIRES ET PROFESSIONNELS

Bien que certaines études montrent que les bénéfices qu’entraîne la nature peuvent dépendre de la tâche sur laquelle la restauration est mesurée, il semble que, dans l’ensemble, la nature puisse exercer un certain impact positif sur l’attention. Puisque de fortes demandes sur le système cognitif peuvent engendrer de l’anxiété, intégrer des décors naturels aux milieux scolaires et professionnels pourrait permettre de diminuer la fatigue attentionnelle et l’anxiété induite par la surcharge de travail. Il est d’ailleurs reconnu que la façon dont l’environnement de travail d’un individu est aménagé et conçu (p. ex., la luminosité et la grandeur des bureaux) peut affecter la santé mentale et le bien-être (Espiritu et al., 1994). Malgré la forte variabilité des mesures et devis employés, quelques études se sont intéressées à ce sujet. Selon ces études, la nature peut s’intégrer sous deux formes distinctes : réelle ou artificielle (Krieger, 1973; Levi et Kocher, 1999). La forme réelle réfère aux environnements qui permettent aux individus de se situer physiquement dans un milieu naturel (p. ex., un parc ou une forêt), d’avoir une vue sur un milieu naturel réel ou d’interagir directement avec des éléments de la nature (p. ex., un jardin intérieur ou extérieur). La forme artificielle correspond plutôt au fait d’être exposé à un décor naturel simulé se trouvant sur un dessin, une photographie ou dans une vidéo, ou intégré de façon isolée à l’intérieur (p. ex., des plantes). Cette section décrit ces deux types d’expositions et fournit des appuis empiriques en faveur de leur intégration.

Les différents types d’expositions

L’exposition réelle

Interaction avec la nature. Plusieurs études en psychologie cognitive montrent que de se retrouver physiquement dans un environnement naturel engendre un impact positif sur les mesures attentionnelles (p. ex., Berman et al., 2008; Duvall, 2011; Hartig et al., 1997, 2003; Pasanen et al., 2018; Ryan et al., 2010; Taylor et Kuo, 2009). Lorsqu’un parc ou une forêt se trouve à proximité, comme c’est parfois le cas sur des campus universitaires ou dans certaines villes (Gumprecht, 2007; Sherer, 2003), il peut donc être utile et même apprécié pour un individu d’y effectuer une balade afin de pallier la fatigue attentionnelle engendrée par son travail ou ses études. Liprini et Coetzee (2017) montrent d’ailleurs que les étudiants du campus de la University of Pretoria, en Afrique du Sud, jugent les espaces verts comme étant particulièrement restaurateurs et qu’ils y passent fréquemment de leur temps.

Quelques études se sont intéressées aux bénéfices cognitifs pouvant émerger d’une interaction avec la nature auprès d’étudiants. Kuo et al. (2018) ont exposé des groupes d’élèves à une balade et à une leçon en nature puis, après une courte pause, ont observé le comportement des élèves en classe. Comparés à un groupe contrôle ayant demeuré à l’intérieur de la classe, les élèves exposés à la nature ont montré un meilleur engagement au cours de la période suivante, suggérant un niveau d’attention accru. Ces résultats sont cohérents avec une étude de Ernst et Stanek (2006) qui montre que d’implémenter un programme d’éducation terrain, augmente l’engagement des élèves sur le long terme (voir aussi Szczytko, Carrier et Stevenson, 2018). Otte et al. (2019) observent quant à eux, sur une période d’un an, que l’intégration de périodes à l’extérieur de la classe (plus de deux heures par semaine) est associée à de meilleures performances de lecture chez des élèves de niveau primaire.

De rares études rapportent également des bénéfices observables chez des travailleurs. Gilchrist et al. (2015) montrent chez des employés de parcs scientifiques, entourés d’espaces verts, que le bien-être et la satisfaction au travail sont corrélés au temps passé dans ces espaces et que l’une des motivations principales des employés, à y passer du temps, est la restauration attentionnelle qu’ils peuvent procurer. Bien qu’aucune mesure attentionnelle n’ait été prélevée, Stigsdotter (2004) montre que des travailleurs associent le temps passé dans un jardin dans leur milieu de travail au bien-être (voir aussi Cinderby et Bagwell, 2017). Loder (2014) montre enfin que les toits verts (c.-à-d. des toits d’immeubles possédant des aménagements naturels) sont perçus par les employés comme étant associés au calme, mais également à la fascination et à la pensée créative, cette dernière étant également reconnue pour être affectée par les processus attentionnels (Atchley et al., 2012).

Fenêtres sur la nature. Une autre façon d’exposer les individus à la nature est d’aménager des espaces avec des fenêtres et une vue sur des éléments du décor naturel. Tennessen et Cimprich (1995) ont tenté d’évaluer si les scores à des tests d’attention dirigée d’étudiants vivant en résidence étaient associés au type de vue qu’ils avaient de leur fenêtre. Les participants ont donc effectué plusieurs tâches cognitives dans leur propre chambre et les auteurs ont comparé les participants selon la vue qu’ils avaient. Les résultats montrent que, sur certaines des mesures pour lesquelles l’attention dirigée est impliquée, la performance est meilleure chez les participants exposés à une vue plus naturelle. Li et Sullivan (2015) rapportent de leur côté que des élèves d’âge secondaire attitrés à une classe, possédant des fenêtres avec vue sur la nature, présentent un score d’attention plus élevé (mesuré à partir de questions autorapportées et des tâches Digit Span Forward et Digit Span Backward) que des élèves effectuant les mêmes tâches dans une classe sans vue sur la nature. Benfield et al. (2015) montrent dans un même ordre d’idées que les résultats académiques d’étudiants, dont la classe offre une vue sur des décors naturels, sont supérieurs à ceux dont la classe ne possède pas de fenêtre (pour d’autres appuis à la relation positive entre le succès académique et la vue sur la nature, voir aussi Hodson et Sander, 2017; Leung et al., 2019; Li et al., 2019; Tallis et al., 2018). Il est toutefois à noter que d’autres études ont plutôt conclu qu’il est difficile de lier la performance académique à la vue que peut procurer une classe ou à la verdure entourant une école (voir Browning et Locke, 2020; Hodson et Sander, 2019; Markevych et al., 2019).

Très peu d’études sur ce sujet ont été réalisées dans des contextes professionnels. Chang et Chen (2005), rapportent d’abord que le niveau d’anxiété des travailleurs est moins élevé dans les milieux de travail qui contiennent des fenêtres avec vue sur la nature, que pour les milieux sans fenêtre ou avec vue sur un décor urbain (voir aussi Aries et al., 2010; Felsten, 2009; Shin, 2007). Lottrup et al. (2013) montrent quant à eux chez des employés de bureau que la vue d’éléments naturels est largement associée à l’appréciation de leur vue et que cette dernière est liée aux capacités autorapportées et à la satisfaction au travail. L’augmentation, du bien-être et la diminution du stress, offerts par ce type de vue sur la nature, semblent pouvoir mener à des bénéfices indirectement liés à la restauration des ressources attentionnelles. À ce propos, Morsy et Emam (2019) ont observé, via un sondage effectué auprès de 300 travailleurs, que les caractéristiques de l’environnement de travail, spécialement la possibilité d’avoir une vue sur la nature, affectent substantiellement la productivité des employés grâce aux bénéfices sur le bien-être (voir également Lee et al., 2018). L’étude de Alker et al. (2014) est également cohérente avec cette idée et montre une augmentation de la productivité de 6-7 % chez les employés bénéficiant d’une vue sur la végétation extérieure.

L’exposition artificielle

Les expositions réelles à la nature peuvent parfois être plus difficiles à intégrer au milieu de travail considérant les contraintes associées à l’environnement. Il est par exemple impossible d’ajouter des fenêtres à un local situé au deuxième sous-sol d’un édifice. Pour pallier ce problème, certains milieux tentent donc d’intégrer des éléments de nature artificiels sous forme d’images ou de plantes.

Intégration d’images de la nature. L’exposition artificielle peut d’abord être effectuée via des images. Berto (2005) a comparé un groupe exposé à des images de décors naturels à un groupe exposé à des décors urbains sur leur amélioration pré-post test à une tâche d’attention. Entre les deux passations de la tâche attentionnelle, des images étaient présentées aux participants et ceux-ci devaient les coter en fonction de leur potentiel de restauration. Les résultats montrent que l’amélioration à la tâche d’attention dirigée est supérieure chez les participants qui ont dû coter les images naturelles, que chez ceux qui ont dû coter les images non naturelles. La simple présentation d’images permettrait donc d’exercer un impact positif sur les ressources attentionnelles. De nombreuses études réalisées en laboratoire ont en fait observé des bénéfices sur l’attention en utilisant des images, des vidéos ou la réalité virtuelle (p. ex., Berman et al., 2008; Chung et al., 2018). Malgré tous ces appuis empiriques, il est important de rappeler que les études s’étant intéressées à la restauration attentionnelle à partir d’images ou de vidéos de nature, possèdent des limites rapportées dans de récentes recensions et méta-analyses (Bowler et al., 2010; Ohly et al., 2016; Stevenson et al., 2018). Il est également à noter que Neilson et al. (2020) ont mis en évidence la difficulté à répliquer les résultats de Berto (2005), remettant par le fait même en question le potentiel restaurateur d’images de nature. Malgré l’éventail d’études réalisées en laboratoire, aucune étude ne semble s’être intéressée à l’impact d’être exposé de façon continue à de tels stimuli auprès d’étudiants et de travailleurs (p. ex., en classe ou dans des espaces de travail). Les appuis aux bénéfices attentionnels de l’exposition artificielle à des images de nature, semblent donc principalement limités aux études réalisées en laboratoire dans des contextes plus contrôlés.

Intégration de plantes intérieures. Le simple fait d’intégrer des plantes dans l’environnement d’un individu peut entraîner des bénéfices sur le bien-être (Stefan et al., 2015). Les plantes peuvent également engendrer des bénéfices attentionnels. Shibata et Suzuki (2001) montrent par exemple que la performance à une tâche attentionnelle suivant la prise d’une pause dans une salle équipée d’une plante est supérieure que pour une pause prise dans une salle sans plante (voir aussi Raanaas et al., 2011; Shibata et Suzuki, 2004; voir cependant Bringslimark et al., 2009).

Des études sur l’intégration de plantes en milieux scolaires et professionnels fournissent des appuis supplémentaires. Au niveau scolaire, van den Berg et al. (2017) montrent que la performance à un test d’attention sélective d’élèves, dont un mur de la classe est tapissé de plantes (green wall), est supérieure à celle d’élèves effectuant la même tâche dans une classe contrôle, sans verdure. Une étude de van den Bogerd et al. (2020) montre que l’intégration de plantes dans une salle de classe apporte sur le long terme des scores plus élevés de préférence envers la classe et d’attention autorapportée. Malgré l’absence de mesure attentionnelle, Han (2018) rapporte de son côté des résultats cohérents en observant que l’intégration de plantes dans une salle de classe, engendre des scores de restauration perçue supérieurs et une diminution des niveaux de stress. L’étude de Daly et al. (2010) abonde aussi dans le même sens, alors qu’elle rapporte des scores académiques supérieurs à la suite de l’ajout de plantes dans des classes.

Quelques études se sont également concentrées sur les bénéfices des plantes dans les milieux professionnels. Une étude de Bringslimark et al. (2007) s’est intéressée aux facteurs qui peuvent exercer un impact sur la productivité et le bien-être dans le contexte de travail de bureau. Les auteurs montrent que, même après avoir contrôlé pour l’impact d’un ensemble de facteurs tels que l’âge, le genre, le bruit, la température, la luminosité, la qualité de l’air et d’autres facteurs psychosociaux, le nombre de plantes présentes dans l’environnement de travail demeure un prédicteur significatif de la productivité et des absences pour maladie. Nieuwenhuis et al. (2014) rapportent quant à eux trois expériences terrains où des bureaux contrôles (sans plantes) sont comparés à des bureaux dits « verts » auxquels des plantes sont ajoutées. Les effets de l’ajout des plantes sont analysés au fil de plusieurs semaines pour les deux premières études et de façon transverse pour la troisième. Les analyses montrent que, pour les trois milieux, l’ajout de plantes augmente la satisfaction au travail, le niveau autorapporté de concentration et la qualité d’air perçue. Par ailleurs, la productivité autorapportée dans la première expérience, et les mesures objectives de productivité dans la troisième expérience, sont significativement supérieures pour les bureaux verts que pour les bureaux contrôles, suggérant que l’ajout de plantes engendre des bénéfices attentionnels réels. De plus, les auteurs montrent que la diminution du désengagement agirait comme modérateur sur la concentration, suggérant que l’exposition aux plantes permettrait une restauration des ressources attentionnelles. Dans le même ordre d’idées, l’ajout de plantes au sein de milieux de bureaux aux Pays-Bas aurait augmenté la productivité des travailleurs de 15 % (Korpela et al., 2017). L’impact positif des plantes en milieu de travail sur la productivité et l’attention n’est toutefois pas systématiquement observé. Smith et al. (2011) montrent que l’ajout de plantes dans un bureau n’engendre qu’une hausse marginale de la productivité perçue, du confort et de la pression, mais une hausse significative du moral, des soucis de santé et de l’impact du milieu de travail sur la pression. Junmeno et Matsumoto (2013) n’ont, eux aussi, observé aucun bénéfice significatif de la présence de plantes sur la productivité ou sur l’attention, mais ont montré des effets positifs sur la perception de convivialité, de confort et de propreté de l’environnement de travail.

Discussion des études recensées

Dans l’ensemble, il semble donc que des études appuient l’idée qu’une exposition réelle ou artificielle à la nature puisse engendrer des bénéfices pour l’attention dans des milieux scolaires et professionnels. Ces études possèdent toutefois des limites qui doivent être soulevées. D’abord, le temps et le niveau d’exposition à la nature entre chacune des études varient beaucoup. Par exemple, l’étude de Otte et al. (2019) s’intéresse aux bénéfices de périodes de classe en nature, effectuées sur une échelle d’un an à concurrence d’au minimum deux heures par semaine, alors que l’étude de Li et Sullivan (2015), se concentre sur une seule période de mesure. Il va sans dire que les conclusions des études longitudinales doivent être interprétées différemment de celles employant une approche transverse. Les résultats de ces études devraient être utilisés comme appui sous différents contextes; alors que les études longitudinales permettent d’améliorer globalement les espaces de travail, les études transverses peuvent ultimement servir à développer des interventions à appliquer sur de plus courtes périodes (p. ex., pour une pause).

Les méthodologies employées sont également très diversifiées; alors que certaines expériences emploient des devis corrélationnels (p. ex., en associant le niveau de verdure extérieur à l’établissement au score académique), d’autres se basent plutôt sur des devis expérimentaux pré-post test (p. ex., pour évaluer l’augmentation du niveau de concentration suivant l’ajout de plantes au sein d’un environnement de travail). Avant de conclure à un effet réel, il est donc nécessaire de clarifier si les bénéfices observés découlent d’un effet de causalité ou si, au contraire, les associations observées entre l’exposition à la nature et les bénéfices sur l’attention peuvent être affectées par d’autres variables non contrôlées.

La nature même des objets naturels auxquels les participants sont exposés peut également jouer un rôle (p. ex., parc urbain, plantes en pot, green wall, forêt ou jardin). À ce propos, Berman et al. (2014) montrent que les caractéristiques visuelles de bas niveau (p. ex., couleur, niveau de saturation et de luminosité) affectent directement la perception de fascination et pourraient ultimement moduler le potentiel de restauration. Hartig et al. (1997) suggèrent quant à eux que le potentiel de restauration peut largement varier selon que les éléments naturels, respectent ou non, les critères de l’ART et selon l’ampleur que chacun des critères est respecté. Il peut donc être difficile de comparer le niveau de restauration d’une forêt à celui d’un jardin ou d’une seule plante, puisque la complexité visuelle et le niveau de fascination et d’éloignement, par exemple, varient substantiellement d’un élément à l’autre.

Enfin, il semble important de soulever que peu d’études ont été réalisées dans des milieux académiques et scolaires. Malgré les quelques études rapportées dans le présent article, la majorité des études qui appuient l’idée que l’exposition à la nature peut entrainer des bénéfices attentionnels a principalement été effectuée dans des contextes fondamentaux, en laboratoire. Cependant, le contexte dans lequel la nature est intégrée peut jouer un grand rôle et modérer l’impact qui peut être exercé sur les individus, la validité écologique de ces études en contexte contrôlé est donc limitée. Par ailleurs, les quelques environnements scolaires et professionnels où des études sur le sujet se sont déroulées varient aussi et, ainsi, la capacité à généraliser à d’autres milieux de même type, qui sont néanmoins différents, peut être questionnable. Conséquemment, davantage d’études sont nécessaires pour clarifier la façon dont le contexte dans lequel la nature est implémentée affecte la restauration attentionnelle et pour mieux anticiper les bénéfices qui peuvent ultimement être engendrés sur l’attention, le bien-être et l’anxiété. Ces études permettraient, par ailleurs, de développer des méthodes plus génériques et applicables à plusieurs contextes, qui offriraient la chance d’optimiser les apports de la nature en fonction du contexte et de la clientèle qui peut y être exposée.

INTÉGRATION EFFICACE DE LA NATURE AU MILIEU DE TRAVAIL

Les différentes études recensées montrent que l’intégration de décors naturels peut exercer un impact positif sur le niveau de stress et restaurer les ressources attentionnelles des étudiants et travailleurs. Il serait toutefois pertinent que les décors naturels soient intégrés de façon à considérer les connaissances en psychologie cognitive et environnementale pour optimiser les bénéfices de la nature. Une telle intégration est d’autant plus pertinente sachant que les travailleurs et étudiants passent de plus en plus de temps devant des écrans et que, de façon générale, le temps passé à l’extérieur décline de plus en plus (Juster et al., 2012; Pergams et Zaradic, 2008; Rideout et al., 2010). Au Québec, le projet Lab-École est un exemple d’initiative qui a pour objectif d’améliorer l’environnement d’élèves de niveau primaire et secondaire en tentant, entre autres, de faciliter l’accès à l’environnement extérieur et à la végétation, et ainsi d’augmenter l’exposition à la nature (Lab-École, 2018). L’intégration de la nature dans les milieux de travail professionnel et scolaire doit cependant être effectuée en considérant les différentes données probantes, notamment celles à propos des bienfaits de la nature sur le bien-être et les ressources cognitives, en vue d’optimiser son impact positif.

D’abord, l’accessibilité à la nature, ou aux éléments naturels du décor, doit permettre un certain engagement pour les personnes exposées. Selon Duvall (2011; voir aussi Pasanen et al., 2018), un engagement supérieur envers l’environnement serait garant d’une restauration plus efficace. Les responsables de l’aménagement des éléments naturels devraient donc tenter de créer des opportunités d’engagement (p. ex., en ajoutant des informations sur les plantes exposées ou des écriteaux encourageant les individus à réfléchir sur l’impact que peut avoir le décor sur leur bien-être). Encourager les personnes à manipuler davantage l’information disponible pourrait ultimement permettre d’améliorer l’expérience restauratrice. Or, ces mesures devraient être mises en place avec minutie et parcimonie afin d’éviter qu’elles ne mènent à un état de distractibilité où les demandes attentionnelles pourraient être trop élevées, ne permettant ainsi aucune restauration (Kaplan et Berman, 2010).

Dans un autre ordre d’idées, les différentes composantes de l’ART devraient être exploitées en vue de créer un environnement propice à la restauration attentionnelle. Tel que suggéré par Stack et Shultis (2013), il est possible d’optimiser la restauration attentionnelle en concevant l’environnement de façon à augmenter les quatre composantes de l’ART, soit le niveau de fascination, d’éloignement, de richesse et de compatibilité (Kaplan, 1995, 2001; Kaplan et Kaplan, 1989; voir également Hartig et al., 1997). La fascination a par exemple été positivement corrélée au niveau de mystère dégagé par un décor naturel (Szolosi et al., 2014). L’une des façons d’augmenter le niveau de fascination serait donc de créer un environnement naturel mystérieux avec vue partiellement obstruée et autres caractéristiques poussant à l’exploration (voir Gimblett et al., 1985). L’éloignement pourrait aussi être garanti en intégrant des zones naturelles relativement recluses, permettant ainsi aux individus de prendre une pause en dehors du milieu dans lequel ils travaillent ou étudient, et de pouvoir ainsi décrocher de leurs tracas. Dans ces deux cas, le fait d’aménager l’environnement en considérant les composantes de l’ART offrirait la chance aux personnes exposées aux décors naturels de restaurer leur attention de façon plus efficace.

L’intégration d’éléments naturels au décor des travailleurs et étudiants devrait aussi être effectuée en adoptant une approche multidisciplinaire (Stack et Shultis, 2013). Les connaissances acquises par le biais d’études en psychologie expérimentale, telle l’idée que l’engagement (Duvall, 2011; Pasanen et al., 2018), la mise en place des composantes de l’ART (Hartig et al., 1997) et l’importance de certaines caractéristiques visuelles de bas niveau (Berman et al., 2014) amélioreraient l’expérience restauratrice, peuvent s’avérer utiles pour orienter les décisions associées à l’aménagement de l’environnement de travail. Une collaboration multidisciplinaire entre chercheurs en psychologie cognitive et environnementale et experts en aménagement permettrait d’intégrer ces connaissances. À cet effet, le projet Schola (Schola, 2018) est un exemple d’une collaboration entre des architectes, designers, spécialistes de l’éducation, sociologues et chercheurs en psychologie visant à orienter la rénovation des écoles du Québec en vue d’améliorer l’environnement dans lequel les élèves du primaire et du secondaire apprennent. Ce projet a pour but de créer une plateforme qui propose des outils d’accompagnement au processus d’amélioration des écoles du Québec en y ajoutant des informations pertinentes, basées entre autres sur des données probantes, à propos d’éléments environnementaux et architecturaux qui peuvent soutenir la réussite éducative des élèves. Les recommandations que ce projet émet permettent ainsi d’intégrer les savoirs de ces disciplines pour assurer un aménagement optimal pour les écoles du Québec. Une telle pratique multidisciplinaire peut conseiller plus efficacement les décideurs sur plusieurs fronts afin de contribuer au développement d’espaces de travail ou d’études plus chaleureux, esthétiques, engageants et restauratifs, permettant ainsi de diminuer le stress qui peut être induit par les demandes cognitives accrues.

Enfin, les limites inhérentes aux milieux, aux contextes et aux usagers doivent être considérées. Par exemple, il peut être difficile pour des éducateurs d’amener des élèves à interagir avec la nature. Maziade et al. (2018) ainsi que van Dijk-Wesselius et al. (2020) rapportent par exemple que des enseignants peuvent sentir qu’ils manquent de ressources ou d’expérience afin d’interagir correctement avec la nature, ou d’enseigner en plein air. Par ailleurs, les milieux étudiants et professionnels peuvent largement varier, il en va de même pour les travailleurs et étudiants. Les élèves plus jeunes, de niveau primaire et secondaire, diffèrent par exemple largement des étudiants de niveau collégial et universitaire et leur rapport à la nature pourrait considérablement varier. Il est par exemple possible que les élèves plus jeunes aient davantage besoin d’interagir avec la nature d’une façon plus physique et dynamique (p. ex., courir et jouer) que les étudiants de niveau universitaire. Bien que les deux peuvent sans doute vivre de la fatigue cognitive, la façon optimale par laquelle les ressources attentionnelles peuvent être restaurées peut sans doute être différente. Les milieux professionnels possèdent également des contraintes spécifiques qui doivent être considérées. Plusieurs environnements de travail sont par exemple, limités en termes d’espace. Également, les milieux scolaires intègrent habituellement des pauses systématiques pour les élèves et étudiants alors que, dans plusieurs milieux de travail, les employés n’ont pas toujours le luxe d’avoir une pause. Dans un contexte où les pauses ne sont que rares et courtes, il pourrait donc s’avérer discutable d’investir dans l’aménagement d’un grand jardin puisque les employés ne pourraient pas nécessairement le fréquenter. Les contraintes associées aux milieux professionnels doivent donc être envisagées afin d’optimiser l’intégration de la nature.

CONCLUSIONS

Entre autres motivées par l’augmentation de la prévalence des troubles mentaux associés à la surcharge de travail, plusieurs recherches ont été produites à propos des bénéfices de l’exposition à la nature sur la diminution du stress et la restauration de l’attention. Tel qu’appuyé par plusieurs des études rapportées dans le présent article, les devis utilisés ainsi que les mesures visant plus particulièrement la restauration des ressources attentionnelles varient beaucoup. Il en résulte que les conclusions que tirent ces études sont parfois contradictoires et que les processus impliqués dans ce phénomène sont toujours à éclaircir. De façon générale, il semble toutefois que l’exposition à la nature permette de contribuer à la restauration des ressources attentionnelles. Considérant ces conclusions, il semblerait que des travailleurs ou des étudiants vivant de la fatigue attentionnelle pourraient en partie restaurer leur attention et diminuer leur niveau d’anxiété en s’exposant à des décors naturels, qu’ils soient réels ou artificiels. Par ailleurs, les environnements professionnels ou scolaires pourraient également tenter d’augmenter les opportunités d’être exposé à la nature. Vu les impacts positifs sur le stress et la fatigue attentionnelle, le bien-être et la performance des individus pourraient ainsi s’améliorer.

Les conclusions de cet article soulèvent toutefois quelques questions que les études futures devraient considérer. Le rôle plus actif que l’attention joue dans son processus de restauration doit d’abord être investigué (Szolosi et al., 2014). Comme la théorie la plus courante stipule actuellement que l’attention est plutôt passive lors d’une exposition à la nature, il serait pertinent que les appuis empiriques qui mettent en doute cette assertion soient à tout le moins répliqués, et que cette vision soit davantage approfondie. Également, peu d’études ont été développées afin d’évaluer si l’exposition réelle à la nature est plus bénéfique que l’exposition artificielle, et ce, spécifiquement dans un contexte scolaire ou professionnel. Bien qu’il semble clair que l’exposition artificielle puisse malgré tout exercer un impact positif, savoir si elle est, ou non, moins bénéfique que l’exposition réelle, pourrait également être pertinent. En effet, cette clarification permettrait aux décideurs de prendre les meilleures actions dans le but d’optimiser les apports positifs de la nature sur l’attention. Enfin, il semble nécessaire que les chercheurs identifient plus clairement le type d’attention pouvant bénéficier de l’exposition à la nature et qu’ils déterminent la mesure attentionnelle la plus représentative, afin que celle-ci soit intégrée aux études futures. Élucider ces questions permettra de mieux comprendre la façon dont la nature peut mettre en branle la restauration de l’attention. Ce faisant, il sera ensuite possible d’identifier des façons valides et efficaces pour améliorer la fatigue attentionnelle et, ultimement, de les intégrer aux milieux professionnels et scolaires afin de diminuer l’anxiété provenant des demandes trop élevées sur les travailleurs et étudiants.