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INTRODUCTION

Dans nos sociétés occidentales et capitalistes, le travail est une valeur centrale. Il peut être source de développement économique et pécuniaire dans une société, il peut être aussi source de développement de l’identité (Lhuilier, 2010). Selon une étude du Credoc[2], les Français.es sont 78 % à penser que le travail est source d’épanouissement, les Anglais.es 58 %, les Allemands.es 48 % et les Suédois.es 47 %. Toutefois, des résultats de l’International Social Survey (2005) montrent qu’en Europe la famille prend la première place, 60 % des personnes souhaiteraient consacrer plus de temps à la famille et 20 % plus de temps au travail. En 2007, la Commission européenne a commandité une enquête sur la réalité sociale européenne, l’Eurobaromètre[3] spécial. Cette enquête confirme que 92 % des Français.es accordent plus d’importance au travail, entendu comme emploi, pour une moyenne de 84 % dans l’Union européenne. Loin des poncifs sur « la paresse, l’appétence française pour le loisir, la dégradation de la valeur travail », les Français.es semblent attacher une importance au travail[4] (Méda, 2015, p. 33). Le chômage est d’abord une question économique, politique et juridique où la personne est dans l’obligation de recherche d’emploi, assortie de contrôle de normes juridiques et sociales, voire subjectives (Lavitry, 2016), pouvant parfois mener jusqu'à la détresse psychique (O’Campo et al., 2015) ou le suicide (Alameda-Palacios et al., 2014). L’Avis du Conseil économique, social et environnemental présenté en 2016, nous alerte en ce qui concerne la santé des chômeurs.euses, et cela, à plusieurs niveaux. Des travaux en épidémiologie et médecine montrent que le chômage affecterait la sphère familiale, la santé psychique, l’équilibre physiologique, et causerait de sévères dépressions (Farache, 2016; McKee-Ryan et al., 2005; Meneton et al., 2017; Moulin et al., 2009; Murphy et Althanasou 1999; Paul et Moser, 2009; Sermet et Khlat, 2004). De plus, le chômage semble être une situation sociale préoccupante liée à l’apparition de fragilités latentes (Dares, 2015). En France, le pourcentage de personnes qui ont été au chômage et connaissent des épisodes dépressifs serait de « 24 % des hommes [...] 26 % des femmes », et la durée de cette période serait aussi en cause dans l’apparition de ces troubles (Farache, 2016, p. 35). Une recherche récente menée dans 14 pays européens montre que le chômage réduirait le sentiment de bien-être, notamment après 50 ans (Mousteri, Daly et Delaney, 2018).

En sciences humaines et sociales, il est démontré depuis les années 1930, que le chômage est impliqué dans la construction et/ou la destruction du social et de la santé psychique (Castel, 1995; Demazière, 2006; Lazarsfeld et al., 1933/1981; Ledrut, 1966; Thérond et al., 1995). La période de chômage peut enclencher une fragilisation de l’estime de soi pouvant aller jusqu’au sentiment de honte, d’indignité éprouvé à la mesure des « humiliations subies et qui tendent à pousser le placardisé » ou le chômeur à l’intérieur cette « disqualification sociale » (Lhuilier, 2002a, p. 161). Les recherches sur le chômage mettent en avant un phénomène d’exclusion, de précarité, ou de stigmatisation (Bourguignon et Herman, 2018).

Pour certains chercheurs comme Boyce et al. (2015), le chômage peut entrainer des fluctuations contextuelles considérables et inattendues dans la vie du sujet, allant même jusqu’à compromettre le développement de sa personnalité. Il semble nécessaire d’interroger ceux et celles qui vivent cette situation. Le présent article repose sur la définition de Dominique Lhuilier (2016) en faisant une distinction entre : le travail, l’emploi et l’activité. Cela semble essentiel, car :

Travailler ce n’est pas seulement s’inscrire sur le marché de l’emploi – dit aussi marché du travail – pas plus qu’occuper un poste, endosser une profession ou se reconnaitre dans un métier : travailler suppose toujours de combler le fossé entre ce qui a été prévu et la vie.

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En ce sens, ici, nous retiendrons que : le travail, et donc travailler, ce n’est pas seulement se livrer à l’exécution de prescriptions, c’est aussi affronter et vivre avec le réel du contexte dans lequel elles se réalisent. C’est aussi lier des rapports aux autres au travers d’étayages réciproques, des échanges, des pensées et s’engager avec d’autres; c’est la manière dont se fondent le sentiment de l’identité intime et la construction de la subjectivité au travers diverses expériences scolaires, professionnelles, et sociales (Ulmann, 2015). L’activité réalisée est ce qui est fait, directement observable, et à côté, le réel de l’activité représente ce que le sujet cherche à faire, ce qu’il ne fait pas volontairement, ne parvient pas à faire, voudrait faire, fera ailleurs ou fera plus tard (Clot, 1999; Lhuilier, 2016).

Si le chômage « est bien absence d’emploi, il ne signifie pas pour autant absence d’activité » (Lhuilier, 2016, p. 151). Des recherches mettent en évidence que des chômeurs ou des chômeuses qui s’investissent dans des activités autres que celles liées à l’emploi développeraient moins de troubles psychiques, physiologiques ou physiques (Ambrosino, 2003; Cascino et Le Blanc, 1993). Nous pensons là au militantisme (Cohen et Dunezat, 2018), aux pratiques sportives (Goodman et al., 2016), aux activités solitaires (Reitzes et al., 1995), à la médiation artistique (Schiltz, 2018), la participation citoyenne (Desmette et al., 2007). L’investissement dans des activités permettrait de prendre du recul quant au vécu du chômage (Cohen, 2014; Schnapper, 1994), de développer d’autres compétences sociales (Demazières et Zune, 2018; Grell, 1985). De plus, l’environnement associatif semble favoriser « la restauration du lien aux autres » et semble « fournir un appui dans la réalité sociale, qui permet de rompre avec la culpabilité » que peut faire émerger la situation de chômage (Clot et Pendariés, 1997, cités par Lhuilier, 2007, p. 224). Comme le soulignent Bungener et al. (1982), la société productive fonde sa reproduction sur une activité liée à l’emploi et « la normalité s’inscrit en fonction de la capacité à réaliser » cette activité; « la santé tend également à se définir socialement en fonction de cette capacité estompant parfois les normes biologiques au profit du comportement social. La santé peut alors se définir comme un processus d’adaptation à un mode de vie pathogène, l’état de santé se posant alors comme le résultat plus ou moins réussi de cette adaptation » (p. 102). L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement à une absence de maladie ou d’infirmité ». Nous proposons de regarder la santé comme un sentiment perçu et éprouvé de bien-être en mouvement, parfois précaire.

La santé n’est alors ni homogène, ni purement individuelle, elle est dynamique et foncièrement liée aux activités individuelles et collectives qui ne visent pas seulement une sphère de vie (Canguilhem, 1966). La santé n’est pas un état, ni une adaptation systématique de l’organisme à l’environnement, mais un processus en mouvement, non figé, non fixé, qui se développe tout au long de la vie (Ancet, 2008). Dans le présent article, la santé est mise en exergue en discussion via le processus de normativité et de créativité (Amado et al., 2017; Lhuilier et Gaudart, 2014; Sarfati et al., 2013).

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

À la demande de deux associations Loi 1901, une recherche collaborative (pour la méthodologie, voir Morrissette, 2013) a été réalisée en France, dans le Maine-et-Loire, d’août 2016 à janvier 2019 (Cimier et al., 2021). Dans les deux associations, la commande était la suivante : intervenir auprès du collectif pour en comprendre les ressources psychosociales endo et exo- gènes favorables pour les personnes (notamment celles hors emploi). Il a été mené des entretiens semi-directifs (n = 52) avec les adhérents-bénévoles et les responsables associatifs, et non directifs (n = 38) avec les acteurs politiques et sociaux. L’association artistique est née il y a 5 ans sous l’initiative d’un artiste plasticien et suite à l’abatage d’un arbre centenaire dans le quartier. L’autre association, culturelle, est née il y a 27 ans, a fermé ses portes à cause de problèmes financiers puis les a réouvertes il y a maintenant 8 ans. Cette association est née de l’initiative d’un ancien chômeur de longue durée et a pour principale raison, d’exister la volonté de réunir les citoyens du quartier pour lutter contre l’isolement social via la mise en place d’ateliers thématiques (exemple : rédaction de lettre de motivation). Dans ces associations de l’engagement citoyen en passant par l’accompagnement social des jeunes par les plus anciens, jusqu’à la sculpture et la mosaïque sur bois, l’activité est au coeur de la transmission et du développement de la confiance. Les deux associations furent marquantes pour trois raisons : la volonté de mettre en place une forme de subversion sociale; la volonté d’un espace ouvert pour la liberté d’agir des habitants-citoyens; le nombre important de personnes en situation de chômage dans ces collectifs. Ce qui est remarquable, c’est que les personnes sans emploi, qui s’investissent dans l’une ou l’autre association, ont trouvé un lieu où se réaliser et faire une activité que l’on pourrait qualifier d’invisible, puisque non reconnue. Lors des entretiens semi-directifs répétés auprès des adhérents-bénévoles (n = 42), nous avons voulu comprendre leur parcours professionnel, de l’emploi vers le chômage. Ces 14 adhérents-bénévoles, tous sans emploi, mentionnent avoir eu des troubles psychiques, physiques et/ou physiologiques en emploi. L’analyse des entretiens semi-directifs repose sur la définition de thèmes[5] (n = 5) et catégories (n = 19)[6] (Paillé et Mucchielli, 2012). Les énoncés catégorisés permettent de comprendre le parcours des personnes rencontrées. L’analyse présentée dans cet article, repose sur l’hypothèse selon laquelle, le chômage peut être une période de reconfiguration des sphères de vie grâce à l’investissement dans une activité significative et choisie par la personne. Nous proposons de présenter et d’analyser le parcours de trois personnes en situation de chômage qui s’investissent dans l’une ou l’autre des associations. Ces trois personnes ont été sélectionnées, car leur discours illustre de manière pertinente le rapport santé-activité-chômage. Cette présentation repose sur la réalisation et l’analyse de six entretiens semi-directifs, soit deux par personne.

RÉSULTATS

CHRISTOPHE : L’AMBIVALENCE DU RAPPORT À L’EMPLOI

Christophe a 30 ans le jour de notre premier entretien. Il est agent d’entretien de formation et son métier correspond à un choix personnel, car il explique qu’il permet une forme de « liberté ». En effet, lorsqu’il s’occupe d’une entreprise, nettoie un étage, il est seul et organise son travail comme il l’entend. Christophe a peu de ressources financières, ses parents l’aident. Le jour de notre entretien, il dit « j’ai beaucoup de choses à te dire ». Son histoire est illustrative, car Christophe explicite la manière dont il a fait évoluer sa santé via une activité autre que celle de l’emploi, tout en faisant preuve d’une certaine ambigüité dans le rapport à l’emploi. Christophe a grandi « dans un cocon familial sécurisant » dans lequel il n’a « jamais eu de soucis par rapport au monde actuel », n’a pas été « malheureux et jamais eu de soucis pour manger » et s’est senti « toujours bien entouré ». Il a le sentiment d’avoir eu une éducation qui lui permet de s’exprimer et d’avoir du recul sur les évènements qui l’entourent. Christophe a choisi de devenir agent d’entretien, c’est la raison pour laquelle en 2007, alors âgé de 20 ans, il a passé une formation, « j'ai fait une formation comme agent d'entretien ». Il mentionne : « c’est l’aventure, j’aime ce métier » et il idéalise ce métier, « c’est en moi ». Il explique avoir aimé son emploi, car « tu vois ça bouge, il faut que je bouge », c’est pour cette raison qu’il a accepté en 2008 d’avoir un contrat de 35 heures semaine et de 15 heures le weekend, trois weekends sur quatre. Christophe relate avoir eu du mal à se faire des amis et un réseau pour vivre autre chose que son rapport à l’emploi, ce qui l’a conduit à ressentir de la fatigue physique et psychique, « je commençais à fatiguer, je sentais que voilà, mais moi c'est pas grave on y va on continue ».

Malgré cela Christophe a continué à travailler, pris dans un rythme qu’il trouvait satisfaisant quand bien même il ne travaillait pas avec des collègues directs, sans possibilité de réguler la force de travail en collectif. Entre 2011 et 2012, Christophe a ressenti des douleurs dans les genoux, il était épuisé : « je ne pouvais plus rien faire en fait, je ne tenais plus ». Inquiet de constater ces manifestations, il est allé voir son médecin traitant qui lui a prescrit un décontractant musculaire pour le « calmer ». Sans effets, il a alors passé plusieurs examens (IRM, radiographie) qui n’ont révélé aucune pathologie. Christophe explique ne plus avoir eu envie de continuer son travail dans ces conditions. D’autres examens médicaux lui ont révélé un double syndrome rotulien[7] avec atrophie musculaire, « je perdais de la masse, j'étais en train de fondre […] Je me suis tué la santé au travail, je voulais en faire trop ».

Étant trop jeune à l’époque, il n’a pas pu être opéré. En 2014, Christophe a obtenu une reconnaissance de travailleur handicapé, mais n’a pas voulu « d’aides financières », car pour lui cette situation « c’est pas une fierté [...] je préfère garder ma dignité, une forme de dignité. En gros, je préfère être au minima social que de toucher 1000 euros par mois et me tourner les pouces ». Christophe ne semble pas regretter son choix d’avoir quitté son emploi « c’était une nécessité d’arrêter. Je préfère servir les autres et l’environnement en étant au chômage. Je vais développer d’autres savoirs ». Depuis 2012, Christophe s’est investi dans trois associations pour défendre des valeurs importantes pour lui. Il s’investit dans des lieux dans lesquels il constate une certaine précarité du lien social pour les usagers et une potentielle stigmatisation du groupe cible, car pour lui : « on vit dans un monde où ce n'est plus possible, que ça soit environnemental, écologique, social, économique, les droits de l'homme quoi ». Christophe nous explique avoir eu l’envie de trouver « une association militante qui tienne la route [...] la première, c'est l'association gaie/lesbienne, euh, là j'ai fait un peu de comme, un peu de sensibilisation, un peu de tout. Comme l’asso en ce moment. J’ai fait aussi l’association pour l’environnement ». Hors emploi, il a trouvé une activité au sein de l’association culturelle : « je ne suis pas un professionnel de l'informatique ou des flyers, mais je sais me débrouiller, euh, voilà même si c'est des petites affiches et tout ça, je ne suis pas non plus graphiste et tout ça, mais je fais des choses plutôt sympathiques [...] les autres de l’association sont devenus mes amis ».

Lors du deuxième entretien, il évoque qu’entre 2015 et 2018, il a arrêté de prendre des « médicaments » et maintenant il a un suivi médical minimal, il ne va voir le médecin qu’en cas de besoin. Christophe a le sentiment d’être en santé et de développer « des compétences à ma manière. On verra où cela me mènera. Pour le moment, je me concentre sur moi et ma nouvelle famille, ma nouvelle compagne. [...] Je me suis créé un cocon chez moi. Je mange plus de verdure et je bois du thé. J’ai arrêté l’alcool. » Tout comme son envie de s’investir dans une association qui « tienne la route », Christophe a aussi modifié son environnement privé « c’est important tu vois. On revient toujours à un environnement sain et équilibré. Une famille qui tienne la route, mais on revient toujours à l’environnement ». En 2019, Christophe a atteint ses objectifs prioritaires de vie familiale, il va être papa et se marier avec sa compagne qui est maman de deux petites filles.

Pour Christophe, les conditions d’emploi ne lui permettent pas de réaliser une activité avec un collectif. Le lien social reste bénéfique pour lui, car le corps social permet d’agir collectivement, de développer le métier, d’y partager les règles et aussi de sédimenter les normes qui régissent l’activité salariale. Sans cela, l’activité peut être mise en souffrance, s’appauvrir et atteindre la santé de la personne. Christophe a eu un accident du travail, qu’il n’a pas voulu déclarer et qui a fait ré-émerger ses souffrances physiques. Il a voulu utiliser l’automachine, pour nettoyer le sol, quand ses mains ont lâché les poignées « c’est encore mon genou et aussi ma cheville qui ont pris, j’ai eu chaud, j’aurais pu avoir plus mal ». La machine a alors percuté un mur puis a rebondi sur son pied et sur son genou, réanimant l’ensemble de troubles physiques (sentiment de tiraillement de part et d’autre du genou gauche, sentiment de chaleur autour de la rotule, tremblements musculaires, sensation que le genou va lâcher, impression d’avoir du liquide dans les hanches). Une nouvelle fois, Christophe est resté seul avec ses douleurs et la difficulté à faire l’activité.

Pour lui, cet accident révèle « un échec » de ses stratégies, car : « c’est encore là ». Les troubles et ce sentiment d’étrangeté du corps témoignent de la persistance d’un problème lié à l’emploi qu’il convoite et apprécie : « agent d’entretien ». C’est dans cette perspective que les troubles peuvent se « chroniciser », car comme le soulignent Birmelé et al. (2008) « la maladie n’est pas une inadaptation, mais une limitation de l’adaptation de l’organisme aux variations possibles d’un environnement donné » (p. 104). En ce sens, son corps réagit à l’environnement qui ne semble plus adapté à ses possibilités et aux conditions de l’activité. La santé a un statut précaire et elle évolue au fur et à mesure de la maturité, de l’autonomie, si toutefois, l’être humain peut en écouter les limites et règles internes propres à son fonctionnement. Parfois à l’âge adulte, le sujet peut avoir l’illusion de vivre une émancipation d’une forme de fonctionnement hétéronome, alors que l’existence est toujours sur le fil du rasoir, en lien avec le principe de réalité.

PAUL : L’ACTIVITÉ EMPÊCHÉE

Paul a 38 ans lors de notre premier entretien, il a deux filles âgées de 10 et 8 ans, il ne vit plus avec la mère de ses filles. Depuis deux ans, il vit de ressources financières personnelles (épargne et aides de ses parents). Lors de nos rencontres dans l’association artistique et aussi dans un espace loisir de la ville, il semble content que l’on puisse discuter de son « parcours », car il a traversé une épreuve qu’il l’a profondément ébranlé. Paul est un homme qui a choisi son parcours scolaire et son orientation professionnelle, « moi j'ai un CAP boucher. J'ai 38 ans moi, alors j'ai passé cette formation il y a 20 ans. J'ai eu plusieurs expériences en grandes surfaces, en boutiques, pendant 12-13 ans, tout était plutôt bien. Je suis devenu boucher, car j'aime la texture molle, oui c'est drôle. Dans ma famille, je m'entendais bien avec ma mère et ma soeur. Je crois qu'elles m'ont aidé à être ce que je suis, en fait, à ne pas accepter d'être écrasé [...] en règle générale, j'ai bien choisi mon parcours, je suis content ». Pour Paul, à ce moment-là, la seule contrainte c’était « d’apprendre le métier, oui, c’est dur, ça vient pas comme ça! ». Il s’attendait et s’imaginait donc que l’apprentissage du métier de boucher n’allait pas de soi, qu’il allait y mettre de sa personne, que l’activité est nécessairement étrangère à son Moi, et qu’il allait se transformer au travers de cet apprentissage.

Nous pourrions entendre par là que Paul est engagé dans un processus de sublimation, sollicitant l’idéalisation plus ou moins limitée de son emploi. Pour autant, il a démissionné de son emploi il y a maintenant quatre ans. Il s’investit dans l’association artistique (sculpture sur bois) depuis deux ans afin de modifier sa perception de la santé. Ce qui semble le plus important pour lui, c’est de restaurer son pouvoir d’agir en développant de nouvelles compétences au sein d’un collectif associatif. Paul a été boucher pendant 15 ans et il aimait son métier, c’est pour lui « une passion » qui semble être source d’affects positifs et actifs. Il nous explique avoir eu sur une bonne partie de sa carrière, des relations significatives avec ses patrons, ses collègues qui « ont toujours été à l’écoute et sympa au travail ». Il explique : « j’ai travaillé pendant 5 ans dans un supermarché et je rencontrais les clients, à la vente, je découpais les beaux morceaux de viande ».

Paul aimait être au plus près de la matière, utiliser les outils pour travailler cette matière et aussi être au contact des usagers qui achetaient sa production. Son avant-dernier poste était dans une boucherie/charcuterie de quartier en tant que salarié et il y développait des habiletés, il aimait se réaliser, il nous explique « j’aime mon travail, et puis un jour j’ai eu envie d’aller dans une petite boutique pour me rapprocher de la campagne et vivre une autre expérience [...] quand on prend de l’expérience au travail, on finit par faire des choses nouvelles, savoir couper la viande comme il faut. Pour couper un beau steak, il faut connaître les fibres ». Paul semble avoir des critères de qualité pour réaliser ses activités :

  • La connaissance de la matière : « les fibres c’est le plus important »;

  • L’amour du travail : « j’aime quand les clients disent que ma viande est belle »;

  • La connaissance du métier par accumulation des expériences significatives : « depuis mon premier apprentissage, à 18 ans, le travail avec le patron et avec les autres, c’est ça le métier [...] j’ai de l’expérience, je connais mon métier ».

Un jour tout a basculé pour Paul. Il nous explique « je pense que de partir de la boucherie, avec mon patron qui était bien, c'est la plus grosse erreur de ma vie. Je me suis retrouvé avec quelqu'un d'horrible, qui n'aimait pas ma manière de découper la viande ». Il a décidé de partir de la boucherie pour aller dans une plus petite à la campagne, avec sa famille. Seulement les choses ont pris une tournure particulière. Paul a débuté son nouvel emploi en février 2009, il faisait des horaires plutôt normaux pour le métier « des fois 4h – 10h, d’autres fois 9h-15h/16h, ça dépendait des moments et de ce qu’on devait faire ». Son patron était âgé d’une cinquantaine d’années et l’a embauché parce qu’il y « avait des besoins », car il travaillait seul avec deux apprentis de 17 et 18 ans. La relation de Paul et son patron est devenue « tendue » très rapidement (avril 2009). Paul nous explique « par exemple, pour le blanc de dinde, je prends un beau filet et je coupe dans les tissus, dans le sens des tissus. Lui il me disait qu'il fallait couper de côté. Seulement après le morceau de viande, il n'est pas beau pour le client. Donc plutôt que d'essayer de discuter avec moi, il ne faisait que me rabaisser. Pendant 4 ans. Il me disait des choses comme je suis nul, je maltraite la viande, je découpe mal. Tous les jours, pas un seul jour sans que mon travail ne soit repris. [...] Et, figure-toi que ça fait mal. Pourtant ma viande je la trouvais belle. Et mes clients ils étaient contents. Donc pendant 3 ans, j'ai supporté ça, et puis je suis parti ». Lorsque des conflits émergents, ce n’est pas seulement l’activité qui est atteinte, c’est aussi la vitalité du travailleur qui est directement touchée. Pendant deux ans, de 2010 à 2012, Paul nous explique avoir ressenti des douleurs ventrales et des troubles digestifs avec des manifestations comme des vomissements, indigestions, douleurs dans le milieu du ventre, « oui, et pourquoi, parce que je commençais à avoir mal dans le corps et dans la tête. Tous les jours, se lever pour aller voir quelqu'un qui vous méprise, franchement c'est dur, très très, dur. Le matin je vomissais, le midi, je vomissais, en fin d'après-midi je vomissais. Mais pas directement au travail, non là il fallait être plutôt fort. Non je vomissais chez moi, de trouille ou parce que j'avais mal ». Lors du deuxième entretien, Paul évoque qu’il commençait à constater une perte de poids, passant de 88 à 75 Kilogrammes en l’espace d’une année (2013-2014) et une grande fatigue physique (asthénie) et il ne pouvait « rien dire ». Paul nous explique avoir eu le sentiment de ne plus être à sa place en emploi, d’être coupé de ceux avec qui il travaillait. Il a décidé de quitter son emploi.

À partir de ses troubles somatiques, Paul a décidé de « reprendre » sa « vie en main », de vivre une expérience positive, qui pourrait compenser la négativité vécue en emploi. De plus, il n’avait plus de temps pour s’occuper de ses filles, et sa femme l’a quitté lorsqu’il a pris ce nouvel emploi. À propos de cette situation, il dira « je ne te fais pas de dessins, tu imagines comme c’est douloureux ». Il n’avait plus de soutien dans la sphère familiale et n’avait pas de soutien dans la sphère professionnelle. Il nous explique avoir voulu retrouver une relation entre la matière et son corps, « clairement, il me fallait un moyen de me remettre de ça. Alors j’ai regardé les lieux où l’on peut faire une activité où l’on peut utiliser les mains. J’avais besoin de ça. Que mon corps me reparle. Je crois que tu ne peux pas imaginer ce que ça fait d’être écrasé quand on travaille ».

Après sa démission fin 2014, il a regardé les associations disponibles, le plus important était de retrouver du sens dans cette expérience négative, presque mortifère. Paul voulait retrouver une activité manuelle où il pourrait manipuler des outils, de la matière, à ce propos il explique « j'aime vraiment mon travail et je découvre que je peux faire autre chose de mes mains, ou autrement je veux dire. Bon pour le moment, pas de retour en emploi prévu, je sais ça fait deux ans que je vais à cette activité et surtout que j'ai du temps pour moi. Parce que je me rends compte que le travail, on peut le réaliser sans souffrir et en étant bien avec les autres et avec soi-même. Donc voilà pour le moment, je pense à moi, aux activités où on peut être ensemble ». Paul a trouvé et s’est engagé dans un collectif dans lequel il a trouvé un appui suffisamment bon et surtout un nouveau rapport à son corps comme il nous le dit, « alors oui, j’allais être chômeur, mais pas grave. Je crois que des fois il faut penser à sa santé et pas au regard des autres. Là, c’est mon choix de partir et vivre pour moi, pour mon corps ». Dans l’association artistique, Paul nous explique les bienfaits psychiques que cela lui procure, « avec les autres, je peux être créatif. Et puis c’est aussi pour redonner un coup de blason à ses savoir-faire » et aussi redynamiser son organisme en étant actif avec d’autres, « en fait, cette activité, elle me donne le sentiment que mon corps il fonctionne de nouveau. C’est comme si mes organes ils communiquaient ensemble et comme si j’avais plus de force pour travailler ».

Sur le plan subjectif Paul explique, « à un moment donné on le sent quand c’est plus possible, moi j’avais comme de l’acide dans les veines ». Il nous mentionne ne plus avoir de troubles : « je ne vomis plus et puis j’ai plus mal dans le dos et le ventre ». Pour lui, le lien social et la création semblent avoir une importance dans la restauration de sa corporéité « au moins dans l’association on rencontre d’autres personnes, et puis on a tous nos vies, on se rencontre, on s’aime ou pas, on s’aide ou pas, mais on est ensemble et on ne juge pas l’autre ». Paul mentionnera aussi que « rester au chômage, oui c’est une nécessité sanitaire, pour moi, mes filles et surtout ma santé ». Il a pu rencontrer, évoluer et modifier ses normes de vie au sein d’un environnement associatif.

SOLENNE : L’EMPIÉTEMENT DE L’ESPACE POTENTIEL

Solenne a 28 ans, et lors de notre premier entretien elle explique « être heureuse de ne plus être en emploi pour le moment, mais j’ai besoin de faire le point ». Elle est au chômage depuis un an, elle a « l’impression d’avancer nulle part ». Solenne explique son parcours, « alors on va commencer par le début. Quand j'étais petite, je voulais être architecte. En fin de collège j'ai choisi une orientation et puis euh, je ne passais pas en seconde générale, donc j'ai fait une seconde d'adaptation tu sais, une seconde en 2 ans. Ils appelaient ça prépa lycée [...] Et puis, j'ai rencontré des gens, j'ai fait des expériences, j'ai fait autre que d'étudier en fait. Donc j'ai été réorientée à la suite de cette seconde prépa, en BEP technique de l'architecture et de l'habitat. Ça englobait un beau titre collaborateur d’architecte, c'était fantastique. C'était super intéressant, super large, la suite après c’était le BAC pro ». Solenne mentionnera « moi je suis une fille du terrain, en fait j’ai besoin d’être dehors, d’être dans les bâtiments ». Elle mentionnera que son métier n’est pas un idéal.

En ce qui concerne son orientation, Solenne mentionne « ça me plaisait. Après, mes études elles se sont bien passées. Disons que j'ai pas vraiment étudié, j'étais pas très sérieuse moi à l'école, en plus j'aimais pas trop ça ». Solenne explique que son rêve c’est de travailler la « construction d’un bâtiment, d’y participer ». Pour réaliser son rêve, Solenne pense qu’il faut commencer par le début, c’est-à-dire « en bas de l’échelle » pour comprendre « tous les niveaux ». Solenne mentionne que la compétence doit s’acquérir au fur et à mesure des expériences, pour autant, elle mentionne qu’elle ressent comme une ambivalence et qu’elle reste dans sa « zone de confort, j'ai toujours été dedans. J'ai été trop maternée quand j'étais gosse, mais vraiment et trop, et pourtant je le disais à ma mère, mais euh, ma mère c'est une femme qui a rien eu quand elle était gosse du coup, elle est dans l'excès. Elle faisait des trucs que nous on devait faire pour être autonome, pour se rendre compte des choses, mais elle avait tellement peur pour nous, elle voulait que l'on réussisse. Elle faisait des démarches pour que l'on y arrive alors que c'était à nous de prendre conscience des choses ».

Aujourd’hui, Solenne pense que la relation avec sa mère aura « un impact toute ma vie ». Elle mentionne que ce sentiment l’amène à ne pas se « sentir vivante [...] le sentiment de ne pas vivre la vie, mais de la laisser couler et d'attendre. De passer à côté de ma vie ». Solenne explique qu’au début « c'était super intéressant ! Moi j'aime apprendre, j'aime toujours apprendre, donc j'ai appris à manipuler toutes les machines numériques du parc machines, donc c’était assez intéressant. L'ambiance était bonne dans l'entreprise, je travaillais en 2/8, donc c'était plutôt cool. Et puis j'avais mes premières paies qui étaient plutôt intéressantes, et puis j'ai commencé à m'ennuyer. Je voyais les évolutions dans l'entreprise. C'était intéressant au début ». Solenne va répéter une troisième fois « moi je suis une fille du terrain, donc la prod. C’est compliqué ». Pendant quelques mois, elle n’allait plus sur le chantier pour voir le début de la construction et elle a dû « faire pas mal de planning, d’organisation du chantier. Donc là, j’étais pas dans le chantier, dans les bâtiments, mais à longueur de temps dans mon bureau. En fait, je m’occupais de plus planning et de la prod. ». Très vite Solenne a vu différents troubles perturber son activité « c’est paradoxal ce que je vais dire, mais j’avais énormément de choses à faire, mais je m’ennuyais ».

Dans son bureau d’étude, en open-space, « je m’ennuyais, j’étais débordée, mais je m’ennuyais », dit-elle. Elle explique aussi que l’espace de travail était très chaud et que « les conditions de travail, ça c’était pas possible, pourtant mon chef était à côté, mes deux collègues en face, mais c’était pas possible, puis l’image de moi se dégradait ». Constatant que cela ne s’arrangeait pas, elle a décidé de démissionner, de « partir pour faire autre chose ». Solenne explique qu’au « bout d'un an je m'ennuyais déjà, et puis au bout d'un moment la lassitude était tellement grande que je m'endormais sur mon lieu de travail, j'ai fait une rupture conventionnelle avec mon entreprise »; « Moi je me serai viré, c'est pas possible pour moi, c'est pas convenable, quelqu'un qui s'endort sur son lieu de travail, enfin qui s'endort, j'exagère, je suis 8h sur un PC, si j'ai pas mes 8 h de sommeil, je vais avoir des problèmes, mes yeux vont se fermer, le climat est chaud, on est dans un petit bureau de 8m2 à 4 ».

Après avoir démissionné, Solenne s’est donc retrouvée au chômage avec cette peur de ressentir du vide, « parce que quand je me pose, j'ai tendance à déprimer. Faut dire que depuis le début de l'année, ma vie est un grand bouleversement, donc je prends pas forcement le temps de me poser, parce que si je me pose, je pense et je pense pas dans le bon sens, donc j'évite. J’évite pare que j'aime pas forcement être déprimée. En fait le chômage c'est énervant parce que ça t'enlève cette vie sociale que tu avais en fait ». Solenne mentionne là que son tissu social est délié.

Pour elle être seule c’est « un peu compliqué, du coup ce lien social que j'avais au travail je ne l'ai plus. Donc je me retrouve, moi qui suis une phobique de la solitude, j'ai l'impression d'être seule au monde. Donc je bouge, pour éviter d'être à rien faire. Être actif ». Solenne a l’impression d’être « menée par la peur constamment dans mes choix professionnels et personnels ». L’idée de s’investir dans une association répond surtout à cette peur de l’agenda vide, ne plus savoir que faire de ses journées, de ne plus être utile, elle mentionne « j’ai envie de m’engager dans le milieu associatif, j’ai envie de m’engager pour la planète, pour les autres, pour l’environnement ». En cela, Solenne vise une activité associative pour changer et faire évoluer ses normes de vie, même les plus intimes, ainsi que son rapport à l’environnement.

DISCUSSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

L’activité et environnement

Les trois personnes présentées nous permettent d’argumenter notre hypothèse de recherche. Comme nous avons pu le constater avec Christophe, Paul et Solenne, le travail est source de santé sauf lorsque les conditions de réalisation de l’activité empiètent sur le développement psychique. Ainsi, la période de chômage peut répondre à une envie de faire évoluer leur rapport aux sphères de vie à travers une activité autre que celle de l’emploi (Cimier et al., 2021). Dans une perspective clinique et à la suite de Pujol et Guitérrez (2019), nous pouvons affirmer que lorsqu’un sujet social tend à échapper aux conditions de son environnement salarial potentiellement aliénant, c’est qu’il tend à développer un autre espace psychique. L’activité salariale n’a donc pas le monopole sur le réel et la subjectivité. Les activités sociales, notamment ici associatives, peuvent répondre à un besoin de reconfigurer ses sphères de vie (familiale, professionnelle, sociale), notamment lorsque l’environnement de vie global est perturbé. L’environnement associatif peut d’une certaine manière devenir une ressource psychosociale favorable à la santé des personnes, notamment celles en période de chômage.

L’espace transitionnel pour vivre une période de chômage

Si le travail, au sens d’emploi, peut être un espace de développement de la vie psychique, physiologique et physique, alors il nous semble nécessaire de dire qu’il peut devenir un espace transitionnel (Winnicott, 1971). Cet espace fait le lien entre différents évènements de vie, et favorise le sentiment de continuité d’être. Le travail peut aussi devenir un espace dans lequel se développent des processus primaires et secondaires, source d’empêchement psychique, physique et physiologique, créant ainsi un sentiment de rupture entre les évènements de vie, et de surcroit, un sentiment de discontinuité d’être. Christophe, Solenne et Paul, ont évoqué que l’environnement familial connu jadis peut avoir des effets sur l’environnement social et aussi professionnel actuel. Ainsi, la perception d’anciennes souffrances peut être à l’origine d’une résilience actuelle.

Dans le cas contraire, ces souffrances peuvent atteindre la créativité, lorsque l’environnement social et/ou professionnel empiète sur le psychisme. La créativité n’est « pas réductible à la création réussie et reconnue. Il s’agit plutôt d’une créativité au quotidien, manière de voir et de faire dans le monde », car vivre créativement « est toujours plus important » pour la personne que de « bien faire » (Lhuilier et Gaudart, 2014, p. 2). À la suite de Lhuilier (2009), reprenant Winnicott (1971), nous serons d’accord avec l’assertion suivante : « quelle que soit la définition de la vie que nous adoptons, elle doit comporter l’idée que la vie vaut ou non d’être vécue, selon que la créativité fait ou non partie de l’expérience de tout être vivant. Pour être créatrice, une personne doit exister et avoir le sentiment d’exister, non de manière consciente, mais comme une base qui lui permette d’agir. La créativité est alors un faire qui est issu d’un être. La créativité, alors, est la capacité de conserver tout au long de la vie quelque chose qui est propre à l’expérience du bébé : la capacité de créer le monde » (p. 99). Cette créativité est source de santé.

L’activité, la créativité et la normativité

La clinique mobilisée dans l’article porte principalement sur la compréhension de ce qui empêche ou favorise le développement de la santé, et l’activité est un levier de développement de la santé. Cette activité, qui n’a pas toujours qu’une finalité de production ou reproduction marchande, sert tout à la fois à créer le monde et créer son monde avec d’autres. L’activité est source de développement de normes physiologiques, psychiques, physiques et devient pathogène, lorsque les normes du milieu annihilent les mouvements et les volontés de créer d’autres normes. Ainsi, la normativité est aussi essentielle pour développer l’activité (Canguilhem, 1966). La normativité représente la capacité à créer et produire des nouvelles normes de vie pour faire évoluer son environnement et ainsi éviter les répétitions pathogènes (Canguilhem, 1966). Car ce qui relève du pathologique, relève bien souvent de normes « empêchées ou déviées » (Canguilhem, 1965/2009, p. 231). Lorsque l’activité est hypertrophiée, c’est-à-dire lorsque le sujet ne peut rien développer et lorsque les mouvements d’appropriation d’un acte ne peuvent se dégager du routinier et/ou de l’imposé sans comprendre, le sujet peut alors développer des troubles plus ou moins intenses. Toutefois, avec le concept de créativité, nous savons qu’un sujet qui entre dans une volonté de créer de nouvelles normes de vie ne peut le faire, que si la vie vaut la peine d’être vécue et que s’il dépasse une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure. Solenne nous en donne une illustration pertinente lorsqu’elle évoque son rapport aux environnements familial, social et professionnel. Comme ont pu le mentionner Christophe, Paul et Solenne, lorsque l’activité salariale ne permet plus de travailler en collectif, lorsqu’elle réduit les potentialités, lorsque se développe le sentiment d’être annihilé, alors c’est la santé somatique qui peut être atteinte. Une recherche en cours, en France dans le Maine-et-Loire, portera sur la santé de ceux et celles qui accompagnent les personnes en situation de chômage ou de non-emploi, ainsi que sur la santé et les activités réalisées par ceux et celles qui vivent cette situation. Notre but est de mettre en place des consultations souffrance au travail et au chômage dans notre centre de recherche et de contribuer à la modernisation des dispositifs d’accompagnement actuels.