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Mademoiselle de Gournay, dans la préface des Essais de Montaigne, rappelle que : « La vraie touche des esprits, c’est l’examen d’un nouveau livre, et celui qui le lit se met à l’épreuve plus qu’il ne l’y met… » Et c’est un peu ce qui se produit au contact de ce livre qui témoigne de deux dynamiques culturelles distinctes où l’on force – un peu artificiellement faut-il le dire – le rapport bilatéral qui, au demeurant, reste fort stimulant. En fait, pour être précis, on a profité d’un colloque organisé en 1999 pour faire le point sur les musées à l’occasion d’une rencontre accueillie sous les auspices du Centre d’Études canadiennes de l’Université libre de Bruxelles. La situation des musées, et de la muséologie par le fait même, a donc été examinée sous divers aspects : le musée et ses rapports avec l’université, le musée et l’entreprise privée, le musée comme outil d’éducation, le musée et la politique, le musée comme outil d’action sociale et enfin, le musée et les nouvelles technologies. Six regards précédés d’une double introduction tout à fait éclairante : d’abord celle de Serge Jaumain, l’éditeur-hôte de cet ouvrage collectif puis celle de Roland Arpin qui nous amène avec doigté sur le terrain de « la révolution tranquille des musées ».

D’entrée de jeu on fait référence au contexte mouvant et changeant qui oblige une réflexion bien sentie sur l’univers en mouvement des musées et une vingtaine d’auteurs et d’acteurs qui sont ici réunis pour en traiter. Sur une base de comparaison binationale – mais sans aucune prétention d’exhaustivité – on tente de faire le point sur quelques grandes questions d’actualité pour les musées, tant du côté belge que canadien. Le livre repose en fait sur une assertion qui fonde sa problématique d’ensemble à savoir, la société change et les musées dans laquelle ils se trouvent aussi. Toutes les questions soulevées gravitent autour des reconfigurations possibles du musée et de son insertion nouvelle dans la société qui se transforme sans cesse sous nos yeux.

D’abord, dans nos sociétés, on assiste à l’avènement du musée nouveau qui se veut, dorénavant, un lieu vivant et créateur, et en relation dialogique avec la société. Roland Arpin rappelle que le musée existe avant tout pour la population qu’il doit desservir et que sur la base de ce postulat on peut entrevoir avec sérénité l’avenir du musée-citoyen, partenaire incontournable de la cité. Plus loin, on nous éclaire sur l’apport du musée dans le vaste champ de la connaissance, surtout au chapitre d’une appropriation plurielle des savoirs dont l’institution muséale semble avoir la recette depuis quelques décennies. Entre un laboratoire scientifique et un espace culturel, le musée devient donc le lieu d’une double formation, celle des chercheurs universitaires et celle des publics en général, ce qui offre une rare occasion d’échanges propices et de rencontres des intérêts intellectuels.

Par ailleurs, ce que pose comme problème la rencontre du musée avec l’entreprise privée est vite mis en disgrâce, car l’un obéit à une logique culturelle alors que l’autre est soumise à l’implacable logique économique. Il est clair que la philanthropie, et de façon plus évidente la commandite, rapprochent des mondes qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer, sauf pour s’appuyer mutuellement, l’un en quête souvent de légitimation sociale, l’autre en grand besoin de sources financières nouvelles, deux solitudes cherchent en somme à coexister. Reste à savoir qui des deux va influencer l’autre, ou même imposer ses vues alors que les mandats de chacun s’opposent souvent. Une histoire de concubinage qui, nécessairement, se poursuit ici et là avec un succès mitigé.

Même si l’on a tendance à mettre en rapport assez naturellement l’éducation et le musée, il est temps de changer les paramètres de l’action éducative dans le musée. Une connaissance des publics qui fréquentent le musée s’avère une base essentielle pour étudier, voire comprendre le processus d’apprentissage en musée. La révision du modèle pédagogique s’impose obligatoirement une fois qu’est prise en compte la nouvelle réalité d’éducation continue qu’offre le musée. Le public d’aujourd’hui est en quête de formation et d’information, et dans cette perspective le musée doit jouer pleinement son rôle de guide et d’inspirateur.

Reste à situer le musée dans la sphère sociétale et son rapport au politique, auquel il est nécessairement soumis. Puis il faudra éventuellement évaluer son apport social. Dans une vision un peu idyllique des choses alors que le musée devient un « forum où le public est acteur », il faut se demander quel compromis le musée doit faire pour satisfaire les autorités. En fait, quelle place il faut raisonnablement faire à la remise en question, à la critique, voire à la contestation puisqu’il est habituellement l’instrument, distant ou pas, du pouvoir. La question de la rectitude politique est centrale dans la décision des programmations au musée, et c’est souvent dans un climat de déchirement que les professionnels doivent procéder à des choix convenables pour les pouvoirs publics ou pour des segments du public à l’épiderme sensible devant des sujets controversés ou polémiques. Certains professionnels ont même fait les frais de cette intolérance, tant de la part des décideurs que des visiteurs parfois outrés par le traitement de certains thèmes.

De plus, le passage du musée-temple au musée-forum a recentré la raison d’être fondamentale de l’institution et dans ce contexte, est apparu l’écomusée. L’expérimentation sociale cherche constamment à se consigner dans l’archive d’abord, quelle qu’elle soit, puis à se prolonger dans une forme culturelle plus dynamique, plus interactive, plus en rapport avec ce dont elle veut témoigner. Et c’est là que l’écomusée s’avère un outil de développement social, et surtout communautaire, qui crée du progrès, de l’avancement dans la société. Cette question est discutée à travers deux expériences, l’une bruxelloise, l’autre montréalaise.

Pour conclure, l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne pouvait certes pas être passée sous silence, étant donné son incidence directe sur le développement de la muséologie virtuelle. Il s’agit en somme de considérer ces moyens techniques comme des prolongements du musée tel qu’on le connaît. Ou mieux encore, la possibilité d’explorer des manières nouvelles de faire de la muséologie dans l’espace cybernétique en dépassant les frontières actuelles de la pratique telle que repensée par le musée moins formel. Cette avenue inspire quelques-uns qui osent croire que le musée peut aller plus loin dans son action culturelle par les voies de l’éducation populaire et de la recherche à distance. Ce qui évidemment permet tous les espoirs et au fond rejoint une préoccupation d’ensemble de cette rencontre qui semble avoir remis sur le métier le musée comme lieu vivant et créateur qui se « construit sur l’audace » (Arpin) avec une gamme de compétences orchestrée dans l’harmonie des savoir-faire de chacun.

Le musée est un projet mobilisateur pour une société, qu’elle soit petite ou grande, et ce projet semble plus facilement réalisable quand ses ambitions sont plus précisément circonscrites. Et quand on se réfère au document de François Mairesse sur la Politique des musées en Communauté française de Belgique (1999), on se rend vite compte que seule une législation bien concertée garantira l’avenir d’un milieu qui, pour l’instant, semble chercher la stabilité à qui mieux mieux en s’associant à divers partenaires afin d’assurer péniblement son développement. L’analyse comparative est de ce point de vue extrêmement bénéfique, car de part et d’autre – au Canada comme en Belgique – on prend conscience des enjeux de l’heure et que c’est probablement autour de l’axe du public, des publics en général, que le musée opère actuellement son plus grand virage. Cet élément central, ce pivot axial vient bouleverser les horizons qui verront poindre le musée de demain et c’est à cette nouvelle enseigne qu’il tente de se trouver une place nouvelle. Au Canada comme en Belgique, l’heure est au mouvement perpétuel et surtout aux ajustements continus dans les musées.