Corps de l’article

Les débats de ce premier Séminaire Fernand-Dumont furent fort riches, à l’instar des conférences prononcées par nos collègues Gilles Bibeau, Sylvie Lacombe, Jean-Marc Piotte et Jean-Jacques Simard (Gagné, 2003). Ces derniers nous décrivent quatre cas de figure bien ancrés dans la société québécoise qui témoignent d’autant de formes radicales ou édulcorées de critique du libéralisme, à savoir le Crédit Social examiné sous l’angle de l’anti-monétarisme, le corporatisme d’association des années 1930, le syndicalisme, depuis le syndicalisme de combat jusqu’aux nouvelles tendances fondées sur la collaboration entre les syndicats, l’État et le capital, enfin les pratiques contemporaines de l’État-providence, pratiques qui s’appuient sur la rationalité cybernétiste et la participation.

Ma brève intervention n’a pas l’ambition de dresser un bilan des communications, ni celle d’en critiquer les fondements, et elle a encore moins la fatuité d’en proposer une synthèse sous la forme de perspectives théoriques novatrices. Mon objectif est de moindre amplitude. Je désire simplement mettre en relief quelques champs de questionnement que je juge essentiels de mieux délimiter afin d’approfondir le débat. Je me limiterai à formuler trois commentaires.

1. Le libéralisme au Québec

Le premier commentaire concerne le libéralisme au Québec. Hélas, lors du séminaire, on a peu échangé sur ce sujet, ce qu’un texte de base sur le thème en cause nous aurait certainement permis de faire. La question n’est pas anodine, car le libéralisme ne peut être associé à une forme socio-économique universelle et figée qui transcende les particularités sociétales. En outre, les repères historiques qui servent de balise aux fins de mieux comprendre les principales étapes ayant ponctué l’évolution du libéralisme dans les grandes sociétés occidentales ne s’appliquent pas au Québec sans de très importantes nuances. En effet, le Québec est une société originale et complexe marquée par un entrelacs de dynamiques endogènes et exogènes ; d’ailleurs, l’historiographie québécoise conduit à repérer des constructions institutionnelles hybrides, à circonscrire des élaborations idéologiques aux références souvent plurielles, voire contradictoires, de même qu’à mettre en lumière une tradition symbolique riche au coeur de laquelle se trouvent d’innombrables marqueurs d’identité. Il ne fait pas de doute dans mon esprit que l’histoire du libéralisme au Québec participe d’un tel entrecroisement de logiques internes et externes à notre société. De fait, ni le discours ni la pratique du libéralisme ne tirent leur origine de notre société, cependant que le Québec n’a pas échappé à un tel débat et que la ville de Montréal peut être considérée comme l’un des hauts lieux en Amérique du Nord de la Deuxième Révolution industrielle. De surcroît, l’histoire du libéralisme politique au Québec et au Canada, illustrée par exemple par l’évolution des institutions parlementaires depuis l’Acte constitutionnel de 1791 jusqu’à aujourd’hui, s’avère incompréhensible sans une analyse minutieuse d’abord du premier contexte colonial qui nous a si profondément façonnés, ensuite de l’héritage des traditions et des institutions britanniques, enfin des rapports particulièrement complexes entre les différents groupes sociaux au Québec. Bref, on ne saurait tracer ne serait-ce que les contours de la critique du libéralisme dans notre société sans circonscrire ce que fut et ce qu’est encore aujourd’hui la nature singulière du libéralisme au Québec. Je crois que nos débats souffrent de l’absence d’une telle mise en perspective de notre histoire du libéralisme. Pourtant, plusieurs travaux sur cette question ont déjà été publiés, en guise d’illustration la belle étude de nos collègues Gilles Bourque, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin (1994) portant sur le libéralisme au Québec durant la période duplessiste.

2. Le cadre conceptuel

En regard du premier commentaire, le deuxième témoigne d’un certain renversement de perspective. Il porte sur le cadrage conceptuel des débats et s’inscrit principalement dans la ligne directrice de la théorie classique du libéralisme. À mon sens, nos échanges pourraient être enrichis si nous nous attardions davantage à quelques dimensions clés du libéralisme dont on sait par ailleurs que les systèmes de catégories qui en découlent sont toujours fragiles, attendu que les modalités empiriques à circonscrire n’ont de cesse de varier d’une société à une autre. Je retiendrai trois voies à explorer qui me semblent incontournables.

La première voie à prospecter davantage concerne le libéralisme politique. Entendons simplement par libéralisme politique une doctrine dont la principale finalité consiste à limiter le pouvoir du souverain ou de l’État. Aussi l’étude de l’antilibéralisme peut-elle être effectuée par l’analyse des conceptions de l’État propres à chacune des idéologies et des pratiques « contestataires ». D’entrée de jeu, une distinction fondamentale doit être rappelée, hélas non évoquée dans les différents textes repris dans l’ouvrage, à savoir celle entre l’État limité en pouvoir et l’État limité dans ses champs d’intervention. La première dimension a mené à la naissance de la réflexion politique moderne, comme le révèlent les débats très contrastés sur le droit individuel et le rôle du souverain, par exemple dans les oeuvres pionnières de Grotius et de Thomas Hobbes. Toutefois, le libéralisme contemporain trouve ses fondements essentiels dans l’État de droit, en particulier dans maintes élaborations institutionnelles en vue de réguler l’exercice du pouvoir, comme l’illustrent les analyses de John Locke puis du baron de Montesquieu, notamment en ce qui a trait au principe de la séparation des pouvoirs, élément central du libéralisme politique contemporain auquel le Québec n’échappe pas. La seconde dimension concerne la limitation des champs d’intervention de l’État, thème important surtout chez les premiers penseurs de l’économie politique (en guise d’illustration les travaux classiques de John Stuart Mill (1990) sur la liberté et l’État minimal). Le croisement de ces deux dimensions nous permet de concevoir un tableau binaire croisé à quatre espaces d’attributs fondé sur une forte ou une faible limitation du pouvoir de l’État et la présence d’un État minimal ou maximal. Je laisse à chacun le doux plaisir de remplir les petites cases. Toutefois, j’aimerais rappeler que, de façon traditionnelle, la droite revendique un État de droit ou non, mais presque toujours doté d’un champ d’intervention minimal ; la gauche, un État de droit ou non, mais presque toujours assorti d’un champ d’intervention plus étendu. L’antilibéralisme syndical, celui de la CSN des années 1972-1985 par exemple, mérite donc d’être nuancé, attendu que si le discours de l’époque se démarque par des revendications soutenues en vue d’une extension croissante du champ d’intervention de l’État, il se caractérise aussi par des positions fermes au chapitre du renforcement de l’État de droit, c’est-à-dire d’une limitation du pouvoir « arbitraire » de l’État et d’un accroissement des droits du citoyen. À mon sens, un examen minutieux de l’antilibéralisme propre au corporatisme et au mouvement créditiste commande aussi une lecture attentive de leurs positions respectives quant au rôle de l’État. Dans le cas du corporatisme, nous sommes en présence d’une démarche novatrice qui vise à trouver d’autres instances de régulation. Le bon vieux débat sur le caractère prétendument suranné du clivage entre gauche et droite est souvent associé aux ambitions réformatrices qui sont à la source d’une telle démarche. Par ailleurs, le labyrinthe bureaucratique, ainsi en est-il de celui élaboré par les nouveaux technocrates du Québec issus de la Révolution tranquille, se confond souvent avec un plus grand déploiement des champs d’intervention de l’État dans une logique empreinte de la présence croissante de l’État de droit. Le dédale administratif n’est donc pas le seul fruit de l’extension des champs d’intervention de l’État, mais aussi le paradoxal produit d’une tendance lourde du libéralisme contemporain caractérisée par la multiplication de chartes et de règlements qui visent à protéger les droits de tous et à assurer la présence de recours juridiques et administratifs à chacun. Ce dédale n’est donc pas étranger à l’une des composantes majeures du libéralisme contemporain.

La deuxième voie à parcourir, implicitement présentée il est vrai dans les différentes communications, concerne le conflit social, en particulier le conflit industriel. J’insiste sur le fait indéniable que la quête d’harmonie sociale et la peur du conflit industriel ont toujours été des traits dominants de l’antilibéralisme de droite comme de gauche, voire, dans certains cas, leur raison d’être, à tout le moins dans la version totalitaire des idéologies en question. De fait, ce thème est au centre du corporatisme économique, en particulier du fascisme ; il constitue aussi le point nodal de la pensée économique et politique des sociétés socialistes à prétention communiste. En revanche, l’antagonisme régulé s’avère positif pour le libéralisme contemporain puisqu’il s’inscrit dans la poursuite des intérêts individuels, qu’il témoigne de la diversité sociale, qu’il enrichit même cette dernière, du moins selon les penseurs d’aujourd’hui – les penseurs liberal –, encore qu’on retrouve chez Adam Smith de nombreuses nuances quant à la vieille thèse de l’harmonie naturelle des intérêts qui lui est néanmoins à juste titre attribuée[1]. La rationalité cybernétiste fondée sur la coopération entre les agents sociaux et l’« organisation harmonieuse » évoquée dans le texte de Simard mérite donc une attention très particulière puisqu’une telle rationalité rejette, au nom de la concertation programmée, tant la coercition rigide de l’État que la jungle des perpétuels conflits d’intérêt associés au laisser-faire. Elle est un mode d’évitement du conflit industriel au sens large du terme. Le corporatisme n’échappe pas à cette visée comme le souligne avec justesse Lacombe : « L’objectif [du corporatisme] est évidemment de maintenir l’ordre social en accordant la primauté à la concertation plutôt qu’à la confrontation, avec comme modèle de référence l’interaction familiale […] Le capitalisme libéral a en effet instauré le conflit des intérêts divergents et son héritier, le communisme, le radicalise seulement en lutte de classes à finir. » Tels ne sont pas, bien sûr, le discours et la pratique du syndicalisme de gauche. Quoi qu’il en soit, ce thème de l’harmonie sociale, c’est-à-dire de la communauté soudée et du rejet du conflit industriel, constitue de toute évidence une ligne de fracture essentielle qui démarque plusieurs idéologies du libéralisme. Étudier l’histoire du Québec dans ce registre, dans cette aspiration, dans cette grande quête d’harmonie nous révélerait probablement la complexité de notre culture dont l’histoire cependant ne saurait se résumer, tant s’en faut, ni à la quête d’harmonie défendue par la bonne vieille droite nationaliste catholique, ni à la seule dynamique conflictuelle des intérêts divergents entre les classes sociales stimulée notamment par l’aile radicale de la gauche syndicale.

La troisième voie qui me semble digne de mention renvoie au couple libéralisme et démocratie. De manière triviale, rappelons que le libéralisme pose le problème classique de la liberté ; la démocratie, celui de l’égalité. Le premier terme soulève une dynamique de fond, à savoir la limitation des pouvoirs ; le second, celle de sa distribution. Cette distinction n’a rien d’original : elle est au coeur de l’oeuvre géniale de Benjamin Constant (1990). Toutefois, l’histoire nous enseigne que les deux termes ne sont pas soudés, c’est le moins que l’on puisse dire. Par exemple, si la droite classique a traditionnellement oeuvré à limiter les pouvoirs de l’État, elle n’a adhéré que tardivement aux principes démocratiques de la large distribution des pouvoirs. Comment se situent nos quatre cas de figure à ce chapitre ? Ici comme ailleurs, la réalité est plus complexe que les concepts à partir desquels nous tentons d’en rendre compte, affirmation très bien illustrée par le texte de Simard dans lequel la programmation cybernétiste est assortie d’une démarche qui s’appuie tant sur la participation de la société civile que sur la planification technocratique... En somme, il m’apparaît périlleux de limiter nos investigations de l’antilibéralisme au Québec sans prendre en considération des différents modes d’agencement entre démocratie et libéralisme. De fait, ce thème me semble le plus complexe de tous ceux évoqués, pas seulement en raison des liens étroits entre les conjoints de ce couple, mais aussi et surtout parce que dans l’histoire du Québec l’un des partenaires, à savoir le libéralisme, est le rejeton d’une alliance fragile et souvent conflictuelle entre le libéralisme politique et le libéralisme économique. C’est vraisemblablement par le biais d’une analyse détaillée de la distance et des rapports de proximité entre libéralisme économique et démocratie qu’on repérera avec le plus de justesse l’originalité du libéralisme au Québec de même que les fondements sociaux de sa critique, histoire longue et complexe à reconstituer, depuis les maux de tête du gouverneur Craig jusqu’aux ambitions du Québec inc. Or, une telle réalité ne peut être étudiée sans un examen attentif des intérêts et des configurations identitaires propres aux groupes qui ont contribué à l’émergence et à l’essor du libéralisme au Québec. Ce qui m’amène à mon dernier commentaire.

3. Les dynamiques sociales

Mon troisième commentaire porte sur la production sociale du discours et des pratiques antilibérales au Québec. Certes, discours et pratiques s’inscrivent dans des structures sociales façonnées par l’histoire. Toutefois, il n’est pas jusqu’aux éléments de structure les plus souterrains qui ne trouvent leurs fondements dans les logiques d’acteurs. Quels sont les groupes sociaux à la source de la critique du libéralisme au Québec ? pour quels motifs ? selon quels intérêts ? et selon quelle vision du monde ? De telles questions générales sont centrales, à tout le moins pour le sociologue. À mon sens, on ne saurait les contourner.

La question préalable est évidemment celle de la compréhension des multiples logiques sociales propres aux acteurs qui ont contribué à l’édification du libéralisme au Québec et au Canada. En reconstruire la genèse est évidemment une tâche immense, d’autant plus immense que de nombreux facteurs exogènes sont en cause, que la morphologie sociale des groupes s’est évidemment grandement modifiée au fil des deux derniers siècles et que les « alliances » de classe au Québec ont connu de nombreux avatars.

En ce qui a trait à l’antilibéralisme, je suis enclin à penser qu’un examen détaillé des dynamiques sociales à l’origine d’un tel discours et de telles pratiques est susceptible d’apporter un éclairage nouveau sur la complexité de notre histoire. Quelques jalons ont déjà été alignés par les différents conférenciers. Selon Lacombe, le corporatisme associatif des années 1930 était surtout le fait des anciennes élites canadiennes-françaises et d’un large fragment des groupements catholiques. Il appert que les technocrates qui s’emploient à développer la rationalité cybernétiste sont dans une large proportion issus des nouvelles classes moyennes francophones. L’essor du syndicalisme de combat, empreint d’une forte critique du libéralisme, est certainement plus complexe à circonscrire qu’il n’y paraît au premier regard : la montée en flèche du nombre des employés de l’État, les influences idéologiques multiples, la transformation des structures syndicales et de l’origine professionnelle de leurs membres, de même que le contexte économique de l’époque caractérisé par l’ébranlement de la régulation fordiste et le recul du pouvoir d’achat des nouvelles classes moyennes sont autant de facteurs qu’il convient d’étudier en profondeur. Le cas du Crédit Social illustre bien toute la difficulté et toute la richesse d’une démarche analytique fondée sur la compréhension de la dynamique des acteurs dans une société en pleine mutation. Bibeau propose, dans la ligne directrice de ses travaux (Bibeau, 1976), une interprétation du conservatisme social véhiculé par les Bérets blancs qui s’appuie sur la psychiatrie sociale : le conservatisme social en question, qui met de l’avant la figure de la mère aimante, aurait une valeur thérapeutique dans un contexte où la famille est ébranlée par le choc de la Révolution tranquille ; Simard, à propos de l’ensemble du mouvement créditiste, celle de la dignité culturelle : le Crédit Social serait une construction identitaire négative en réaction à une perte de la légitimité de la parole, un discours propre à certaines catégories sociales déclassées au moment de la Révolution tranquille. Pour ma part, je suis plus sensible aux différentes interprétations sous l’angle des classes sociales et surtout de l’action des élites, interprétations qui en bien des cas n’excluent pas celle de Simard : le discours du Crédit Social, qui vilipende inlassablement la « dictature » des syndicats de même que celle des trusts et de la finance, ne serait-il pas celui des anciennes élites des classes moyennes en voie d’extinction, surtout en région, celle notamment des petits hommes d’affaires bien ancrés dans leur région, ou encore des petits propriétaires de commerce autrefois autonomes, d’où les deux composantes fondamentales de leur discours, à savoir l’individualisme et le conservatisme ? Réinterprétant les travaux bien documentés de Vincent Lemieux (1967) portant sur le vote créditiste au Québec lors des élections fédérales de 1962 et de 1963, la lecture marxiste suggère que la popularité du créditisme chez les ruraux et les nouveaux ouvriers s’explique par la transition tardive de l’arrière-pays au phénomène de l’industrialisation : le vote créditiste serait issu des classes agricoles dont les revenus sont insuffisants, ou encore d’ouvriers de première génération originaires du milieu rural, deux classes sociales en voie de prolétarisation (Maheu, 1966). D’autres chercheurs soutiennent que le vote créditiste témoigne d’un véritable sentiment d’aliénation politique (Pinard, 1971) ; d’autres encore, qu’une telle popularité, exprimée sous la forme du vote, « manifeste une conscience [et non une aliénation] d’appartenir à des classes dominées dans la population » (Gagnon, 1976). Les interprétations sont multiples, mais dans tous les cas de figure considérés, qu’ils soient examinés sous l’angle de la sociologie de la famille, de la sociologie électorale, de la sociologie économique ou encore de la sociologie de la culture, les chercheurs situent presque toujours leurs interprétations dans le cadre du contexte dynamique d’une société en pleine mutation, en l’occurrence celui de la Révolution tranquille et de l’extension de l’industrialisation. Une analyse plus détaillée nuancerait sans doute, contesterait même, de telles interprétations, mais il ne fait guère de doute qu’une compréhension approfondie du phénomène en cause nécessite un examen minutieux et concomitant des grandes dynamiques sociales et de l’action, voire de la réaction, des groupes aux prises avec de tels changements. N’est-ce pas précisément ce à quoi nous devrions nous employer de manière méthodique pour repérer les fondements sociaux des formes multiples de l’antilibéralisme au Québec ?

Aux fins de la compréhension de l’antilibéralisme, d’autres dynamiques sociales fondamentales ne sauraient être esquivées, par exemple celle des liens harmonieux ou conflictuels entre la grande bourgeoisie anglophone, la petite bourgeoisie francophone et les professions libérales, ou encore celle propre à l’Église catholique et aux différents segments du clergé au Québec dont le rôle historique a quelque peu été éclipsé tout au long de nos échanges. Quant à nos élites et à notre classe politique, elles n’ont eu de cesse, tantôt de défendre les intérêts des uns et de pourfendre les privilèges des autres, tantôt de prétendre arbitrer les débats entre tous les fragments de notre société. Les particularités de notre libéralisme et les éléments essentiels de sa critique ne se comprennent-ils pas d’abord et avant tout à l’aune de telles dynamiques sociales ? Ce ne sont pas seulement les intérêts de classe, les rapports de subordination culturelle et les dynamiques de pouvoir propres à certains groupes qui sont en cause, mais aussi les différentes visions du monde, jusqu’aux utopies, qui ont animé les acteurs en présence tout au long de notre histoire. En somme, je crois que l’étude approfondie de la critique du libéralisme au Québec ouvre un immense chantier dont l’équarrissage des poutres de support de l’édifice à ériger commande l’usage d’outils de lecture de notre histoire plus dynamiques, plus « matérialistes » et surtout plus dialectiques.

Je m’en voudrais de terminer ce bref commentaire sans remercier les organisateurs de ce premier Séminaire Fernand-Dumont. Ce colloque contribuera à débroussailler davantage une voie déjà empruntée par plusieurs de nos collègues, de manière à ce que nous puissions approfondir notre connaissance de l’histoire singulière du libéralisme au Québec et de sa critique, l’objectif ultime étant de mieux comprendre les dynamiques sociales complexes qui ont marqué les grandes mutations du Québec. La démarche me semble d’autant plus pertinente qu’au Québec comme ailleurs, et d’une certaine manière peut-être plus au Québec qu’ailleurs, l’histoire du libéralisme se confond en grande partie avec celle de la modernité, en l’occurrence de notre modernité, laquelle s’avère fondée sur de fortes dynamiques endogènes et exogènes, sans cesse forgées et réinterprétées par notre culture et toujours au centre de nos liens sociaux.