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Livre de témoignages plus que d’histoire, Les communautés religieuses au Québec est une collection d’histoires de vie de religieux, laïcs et clercs, de diverses communautés religieuses du Québec, certaines anciennes, remontant au XVIIe siècle, d’autres plus récentes établies au XXe siècle. L’ouvrage est divisé en trois sections selon l’apostolat dominant, soit en « éducation » pour seize communautés, en « santé et bienfaisance » pour sept autres, ainsi qu’en « action sociale » pour les six dernières. Chacun des vingt-neuf chapitres comporte une brève introduction historique et deux ou trois entrevues, où s’entremêlent le verbatim et le résumé des propos recueillis de soixante-dix-neuf entrevues (au total trente-neuf hommes, dont un laïc non religieux, et trente-cinq femmes). Le clergé séculier n’est pas représenté, ni les anglophones, sauf une hospitalière de Saint-Joseph d’origine irlandaise.

La majorité des religieux sont nés à la campagne ou dans des petites villes. Ils sont issus pour la plupart de familles nombreuses canadiennes-françaises. Pourquoi avoir choisi la vie religieuse et la vie en communauté ? Le témoignage de maîtres ou de membres aînés de la famille cristallise la vocation. Leur exemple montre que la vie religieuse permet de se consacrer à Dieu et aux autres en vivant heureux en communauté. Les frères enseignants avaient le curieux usage de recruter dans les campagnes les garçons de treize ou quatorze ans pour le juvénat, avec interdiction de voir leurs parents pendant plusieurs années. A contrario, certaines religieuses sont entrées en communauté après avoir fréquenté l’école normale pour jeunes filles et enseigné quelques années.

La plupart des personnes interviewées sont nées entre les années 1930 et 1950, avec quelques exceptions – dont le frère Cyr, rencontré à 101 ans. Trois trajets de vie types structurent l’analyse de ce corpus : « mes pas vers la hiérarchie » ; « mes carrières multiples » ; « l’apostolat de ma vie » – la majorité des entrevues témoignant du deuxième type. Elles traduisent notamment des efforts des communautés pour scolariser leurs membres. On remarque sans peine que ces religieux, tant frères ou soeurs que pères, sont bardés de diplômes de toutes sortes : pédagogie, théologie, commerce, économie, pastorale, voire nutrition, études cinématographiques ou arts plastiques. Les frères, religieux laïcs, furent longtemps confinés par leur apostolat aux petites écoles et aux petites sciences. Cela change avec les années 1950, porté par la multiplication des oeuvres et l’augmentation du financement public, ainsi qu’une prospérité générale. Pour plusieurs, ce fut une carrière foudroyante ; quelques années à faire la classe aux petits et puis débute un va-et-vient entre les études et les responsabilités : direction d’oeuvres, responsabilité de pensionnats, de maisons de formation, d’écoles normales ou d’une mission étrangère, enseignement universitaire, coopération à l’Agence canadienne de développement international (ACDI), administration des communautés (supérieur, provincial, général, etc.). Souvent, une fois les études terminées, le religieux est nommé à son arrivée dans une autre oeuvre que celle que préparaient ses diplômes. Cette cohorte formée avant 1960 vécut le Concile Vatican II avec fébrilité et bonheur, surtout pour ceux qui étaient en Europe au début des années 1960, car le concile institutionnalisait des pratiques qui avaient déjà cours, dont la messe en langue vernaculaire.

Le cardinal Édouard Gagnon est l’exemple du prêtre au service de l’Église, professeur de théologie, supérieur de grand séminaire, évêque et cardinal au Vatican. Parmi ceux qui sont restés attachés à une oeuvre toute leur vie, signalons le père Fernand Lindsay, philosophe de formation et enseignant, connu comme le fondateur du festival de musique de Lanaudière. Il a tenu un rôle d’« animateur culturel », qui fut souvent le fait de prêtres enseignants.

Ces religieux personnifient l’Église des oeuvres par opposition à l’Église paroissiale, celle du clergé séculier et de la hiérarchie. Elle a une fonction sociale, elle répond aux besoins par « le souci de la plus grande compétence » (p. 12). Une érosion des bases démographiques et la reprise de nombreuses oeuvres par l’État ont marqué la fin des années 1960. Certaines communautés, notamment les Religieuses de Jésus-Marie, furent touchées par la fermeture de leurs nombreuses écoles normales. De l’Église à vocation sociale, nous sommes passés à l’Église du petit reste. Moins de fidèles, mais une évangé­lisation plus profonde avec une place majeure pour le laïcat. Le passage par les missions étrangères influence la conception de l’Église d’ici, qui devient lieu communautaire d’évangélisation.

Le lecteur pourrait être surpris du peu de référence à la nation ou encore à la théologie, voire à la spiritualité. Les entrevues décrivent un trajet personnel d’engagement par l’action dans la société. D’ailleurs, aucune communauté contemplative n’est représentée.

Passons sur les quelques lacunes d’édition, sans doute signe d’une production collective. C’est un ouvrage intéressant en tant que document, car il n’y a pas d’analyse ni de conclusion et le lecteur n’a qu’une courte préface à se mettre sous la dent. Malgré tout, une cohérence d’ensemble se profile. L’Église veut sauver sa mémoire, celle d’une Église utile et compétente, et se donner un nouvel horizon qui renoue avec l’idéal évangélique d’une Église sans mur, sans cette pesanteur institutionnelle qui a fait sa force et sa faiblesse.