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Les responsables de cet ouvrage s’intéressent depuis plusieurs années à la conciliation travail-famille, l’une en France, l’autre au Québec. Leur association dans un programme de recherche commun devait leur permettre de systématiser les données et les analyses concernant l’emploi, la fécondité et la parentalité dans ces deux pays, de les comparer mais aussi d’explorer le rôle de ces acteurs qu’elles qualifient d’« intermédiaires » – les entreprises, syndicats, associations, municipalités, etc. – qui interviennent sur la scène publique entre les décideurs et les bénéficiaires des mesures, programmes ou politiques en faveur de la conciliation travail-famille. En examinant la contribution de ces acteurs, les chercheures tentent de déterminer comment leur place et leur rôle contribuent à configurer des modèles de gouvernance particuliers (p. 16) et différents. Selon elles, le modèle français serait fondé sur des institutions qui sont des partenaires de l’État, lequel coordonne leurs actions, alors que le modèle québécois serait plus inclusif et donnerait prévalence aux initiatives des acteurs citoyens (p. 434).

Sur un sujet aussi vaste, regroupant une trentaine de collaborateurs, le livre présente cinq grandes parties. La première traite de la régulation et de la gouvernance de la conciliation travail-famille en France et au Québec, et porte la signature des auteures principales. Barrère-Maurisson insiste d’abord sur le défi majeur qu’a représenté pour la France le maintien d’un taux de natalité élevé en même temps qu’une forte activité féminine : c’est ce qu’elle appelle l’exception française. Elle montre qu’en matière de conciliation famille-emploi, depuis les années d’après-guerre et au gré des transformations économiques, sociales et politiques, se sont succédé des modes de régulation fondés d’abord sur la place de la famille – le familialisme – et, après 1970, sur la place des femmes – le féminisme – et enfin, depuis les années 1990, sur la place de l’enfant – le parentalisme. Cet aperçu historique met très bien en lumière le contexte dans lequel s’est située, en France, la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Dans l’article qui suit, Diane-Gabrielle Tremblay adopte le concept de gouvernance plutôt que celui de régulation, pour présenter le contexte récent de la conciliation famille-travail au Québec. Réduite aux trente dernières années, la présentation porte sur les acteurs sociaux qui ont présidé à l’implantation et aux transformations de la politique familiale québécoise. Un tour d’horizon plutôt rapide et basé sur de minces références amène l’auteure à formuler l’hypothèse d’une gouvernance inclusive, c’est-à-dire une gouvernance qui met en lumière non seulement l’existence d’une société civile, mais aussi une certaine ouverture gouvernementale envers les revendications de ces groupes et acteurs (de la société civile) (p. 76). Ce modèle de gouvernance diffère de celui observé en France et dans d’autres pays où l’État est l’acteur principal des politiques familiales (p. 76). Une discussion plus poussée s’imposerait ici : ne sous-estime-t-on pas le rôle qu’ont tenu au Québec les décideurs et les acteurs du politico-administratif ? Comment cette hypothèse, basée au premier chapitre sur une courte recherche historique, peut-elle devenir un constat en conclusion de l’ouvrage ? Les propositions en provenance des chapitres intercalaires le justifient-elles ? L’analyse centrale du livre – insuffisamment poussée à notre avis, car ne reprenant pas systématiquement les données en provenance des acteurs intermédiaires – permet-elle de passer de l’hypothèse au constat ?

Les seconde et troisième parties de l’ouvrage explorent plus en profondeur les données statistiques – démographiques surtout et souvent modulées selon le genre – portant sur la fécondité, l’emploi et la situation de parent. On aborde également les questions de la qualité de l’emploi, de l’emploi décent et de la flexicurité. Les rapprochements entre la France et le Québec intéresseront beaucoup les comparatistes. En voici quelques exemples. Au chapitre des ressemblances, si on note des préoccupations sociétales relativement proches : la préservation d’un niveau d’emploi important allié à une démographie favorable (p. 433), on souligne aussi l’existence de transformations assez analogues des structures familiales, le fait que les inégalités hommes-femmes se creusent au moment de l’arrivée des enfants, la présence de politiques actives de conciliation travail-famille, etc. Du côté des différences, apparaissent les rapports des parents au temps domestique et professionnel : les mères québécoises participent davantage que les françaises au marché de l’emploi quand elles ont des enfants de moins de trois ans, alors que les pères québécois assument une part plus importante du travail domestique que les pères français ; les congés de paternité sont en France de deux semaines depuis 2002, alors qu’en 2007, à la faveur de la nouvelle assurance parentale québécoise, 60 % des pères prenaient un congé de trois à cinq semaines (p. 22). La comparaison des mesures et politiques en vigueur dans chaque pays, n’est pas menée aussi systématiquement que celle des données statistiques. Si on laisse entendre que les services de garde à la petite enfance et les congés de paternité sont actuellement plus avantageux au Québec qu’en France, la comparaison des mesures fiscales entre les deux pays n’est pas abordée. Un chapitre comparant les politiques familiales des deux pays aurait été fort éclairant et aurait été plus conforme au sous-titre de ce livre. Mais il importe de souligner que, sur les autres facettes de la conciliation travail-famille, les deux parties de l’ouvrage à visée comparative comportent des analyses rigoureuses et des informations propices à une réflexion souvent nouvelle.

Les deux dernières parties de l’ouvrage portent sur les  acteurs intermédiaires, qui sont souvent eux-mêmes les signataires des chapitres. On est ici devant un éventail très large d’acteurs sociaux : les entreprises et les syndicats, les institutions chargées de l’enfance et de la famille et enfin les villes et les régions. Chacun présente ses positions en ce qui regarde la conciliation famille-emploi et critique les interventions gouvernementales ou celles des autres acteurs intermédiaires. Sur un sujet assez rarement abordé, il y a là un premier recueil de données, une première exploration parfois riche mais qui mérite nettement d’être davantage examinée et problématisée, en particulier pour ce qui est des milieux de travail.

En somme, ce livre présente des données statistiques et des analyses tout à fait pertinentes concernant l’emploi, la fécondité, la parentalité et leur conciliation en France et au Québec. Il propose également des analyses valables sur les contextes sociohistoriques qui ont présidé à l’implantation d’interventions publiques pour harmoniser vie professionnelle et vie familiale. Il donne un premier aperçu de la contribution des acteurs intermédiaires à la conciliation famille-emploi. De façon moins systématique, l’ouvrage analyse les politiques, les mesures et les initiatives mises en place, ces dernières années, par les gouvernements et la société civile dans ces deux pays. Du côté du Québec, l’hypothèse d’une gouvernance inclusive par les acteurs citoyens, bien qu’elle soit une observation de sens commun et une hypothèse tout à fait plausible, n’est pas entièrement confirmée dans l’ouvrage. S’imposerait une analyse plus approfondie de l’ensemble des acteurs gouvernementaux et intermédiaires sur la conciliation travail-famille.